Arrêts sur la responsabilité parentale : Bertrand, Fullenwarth

Responsabilité des pères et mères du fait de leur enfant mineur

Article 1384, alinéa 4 code civil. Cet article n’a pas changé dans sa lettre mais a radicalement changé dans la façon dont il est appliqué par les juges.

«le père et la mère, en tant qu’ils exercent l’autorité parentale, sont solidairement responsables du dommage causés par leurs enfants mineurs habitant avec eux».

L’article prévoit les conditions de mise en œuvre de la responsabilité des pères et mères. Plusieurs termes peuvent être interprétés c’est pour cela qu’il y a eu une évolution.

Il y a CINQ conditions qui sont cumulatives. S’il en manque une seule, les père et mère ne sont pas responsable sur le fondement de ce régime particulier qui est un régime favorable.

° Première condition: «le père et la mère». Il faut un lien de filiation au sens juridique du terme. C’est le père au sens juridique du terme, et la mère au sens juridique du terme ; c’est-à-dire qu’il faut que la filiation soit établie.

Si un père biologique n’a pas reconnu son enfant, il n’est pas responsable. Mais le lien de filiation peut être quelconque: adoptive, dans le mariage, hors mariage… Tout ce qui compte c’est un lien de filiation juridiquement établi.

° Deuxième condition: «en tant qu’ils exercent l’autorité parentale». En plus du lien de filiation, il faut l’autorité parentale. L’autorité parentale, quand les parents se séparent, est a priori exercée conjointement. Donc les deux parents sont a priori responsables.

Si l’un n’a pas l’autorité parentale et que l’enfant est en vacances chez ce parent, il ne peut pas y avoir responsabilité sur 1384 alinéa 4.

° Troisième condition: «enfant mineur». Condition de la minorité de l’enfant. Il doit avoir moins de dix-huit ans. Mais si l’enfant est émancipé dès 16 ans, il n’y a plus de responsabilité non plus. Ceci étant dit, les victimes pourraient intenter à ce moment-là une action en responsabilité pour faute contre les parents qui ont émancipé l’enfant trop tôt (même si cela n’arrive pas souvent).

° Quatrième condition: «habitant avec eux». La condition de cohabitation. Là, il y a eu toute une jurisprudence assez complexe. A priori, la condition de cohabitation telle qu’elle est rédigée, on a l’impression qu’il s’agit d’une condition purement matérielle qu’est le fait d’habiter sous le même toit.

Ceci étant dit, la difficulté qu’il y a eu dans la jurisprudence est que souvent, le dommage était causé alors que l’enfant était par exemple en vacances chez des amis ou chez des grands-parents: pouvait-on dire qu’il habitait avec les parents si au moment du dommage il était hébergé par quelqu’un d’autre ? Est-ce que cela fait cesser la condition de cohabitation ? Si on en a une acception matérielle, cela fait qu’il n’y a plus de cohabitation.

Mais l’idée était que si l’enfant causait un dommage c’est soit on l’a mal surveillé, soit mal éduqué. Donc on s’était dit que même s’il n’habite pas avec les parents il y a quand même une idée de responsabilité si le dommage est dû à un manque d’éducation.

Donc dès le départ la Cour de cassation a eu une interprétation un peu moins matérielle de la cohabitation que le texte laissait penser.

Au départ, en 1804 la responsabilité des pères et mères était une responsabilité pour faute. C’est-à-dire qu’en réalité, c’était la faute des parents qui conduisait à ce qu’ils soient responsables de leur enfant mineur. On présumait la faute des parents c’est-à-dire on présumait que si un dommage avait été causé, cela signifiait qu’il y avait une faute d’éducation ou une faute de surveillance. Ce n’était donc pas nécessaire de démontrer la faute des parents. Cependant ensuite, les père et mère pouvaient s’exonérer en démontrant qu’ils n’avaient pas commis de faute c’est-à-dire pas de faute d’éducation ni de faute de surveillance.

Donc pendant longtemps on a plutôt regardé à quoi était dû la cessation de cohabitation. Et, si par exemple il n’y avait plus de cohabitation parce que l’enfant avait fugué, on considérait qu’il y avait faute des parents qui n’auraient pas dû laisser fuguer l’enfant donc cela n’a pas fait cesser la cohabitation. Donc appréciation de la faute.

Si c’était un manque de surveillance quand des personnes gardaient l’enfant par exemple les grands parents, on mettait sur eux la responsabilité.

Mais la responsabilité des parents est devenue de plus en plus objective, donc on a apprécié de plus en plus de façon juridique la cohabitation, l’interprétation a été de plus en plus juridique c’est-à-dire de moins en moins matérielle. En plus, depuis un revirement de jurisprudence du 19 février 1997, arrêt Bertrand : l’absence de faute n’est plus exonératoire.

Donc c’est devenu beaucoup plus une garantie d’indemnisation puisque c’est désormais un régime de responsabilité de plein droit, de responsabilité présumée. L’absence de faute n’est plus exonératoire, ce qui a conduit encore à une évolution de la condition de cohabitation.

D’ailleurs le même jour que l’arrêt Bertrand, le 19 février 1997, Samda: dans cet arrêt il s’agissait d’un cas où le mineur, au moment du dommage, était hébergé chez l’autre parent qui n’avait pas l’autorité parentale. Il n’avait pas l’autorité parentale donc il ne pouvait pas être responsable peu importe qu’il y ait cohabitation ou non. «L’exercice d’un droit de visite et d’hébergement ne fait pas cesser la cohabitation du mineur avec celui des parents qui exerce le droit de garde».

À partir de cet arrêt il fallait interpréter la cohabitation comme une cohabitation habituelle, lieu où l’enfant habite habituellement. La cohabitation en l’espèce était habituelle chez sa mère, même si au moment des faits il était chez son père.

Ensuite il y a eu d’autres arrêts où de plus en plus la cohabitation était appréciée de façon juridique. Arrêt de 2005 où les parents avaient l’autorité parentale mais l’enfant avait été élevé par sa grand mère depuis douze ans où il habitait chez elle. Mais la Cour de cassation a dit que cela n’avait pas fait cesser la cohabitation entre l’enfant et la mère. Cela revient à dire que l’autorité parentale et la cohabitation seraient la même chose. Dans des arrêts récents c’est toujours très juridique.

Par exemple autre arrêt assez marquant des années 2000 : enfant placé en internat. L’internat ne fait pas cesser la cohabitation.

Donc plusieurs auteurs disent que la cohabitation est purement juridique, elle s’identifie avec la condition d’autorité parentale, donc il faut supprimer celle de la cohabitation car celui qui a l’autorité parentale il y a toujours la jurisprudence. Selon la prof ce n’est pas tout à fait exact. Les arrêts disent bien que cela ne fait pas cesser la cohabitation au sens que la cohabitation est la résidence habituelle de l’enfant. Or l’idée de résidence habituelle de l’enfant n’est pas la cohabitation matérielle, c’est plus juridicisé. Si on dit résidence habituelle de l’enfant, sens précis en droit de la famille, personne chez qui le juge a fixé la résidence de l’enfant.

Rappel des conditions de mise en œuvre de l’article 1384 alinéa 4 :

– Lien de filiation

– Autorité parentale

– Minorité

– Cohabitation : idée de résidence habituelle de l’enfant.

Les parents sont responsables du dommage causé par leur enfant mineur habitant avec eux. Pendant très longtemps, l’interprétation de cet article avait consisté à dire qu’il fallait d’abord que l’enfant engage sa responsabilité d’une façon ou d’une autre pour que les père et mère soient responsables.

Responsabilité du fait d’autrui : une personne va être responsable pour autrui, mais cela n’enlève pas la responsabilité du «autrui». Au contraire la responsabilité d’autrui est une condition préalable pour la mise en œuvre de la responsabilité du garant. Donc il faut en principe que «autrui» soit d’abord responsable, que sa responsabilité puisse être engagée. Or l’enfant mineur, s’il n’a pas de discernement, ne pouvait pas être responsable avant 1984. Donc si on avait exigé que l’enfant fut responsable pour que les père et mère puissent être responsables du fait de leur enfant mineur, cette responsabilité aurait difficilement été mise en œuvre.

Il a fallu trouvé un équilibre : l’enfant, a priori, si on oubliait qu’il peut ne pas avoir de discernement, il faudrait exiger qu’il soit lui même responsable c’est-à-dire qu’il ait commis une faute qui cause un dommage à autrui. On s’est dit qu’on supprimait la nécessité d’un élément d’imputabilité, mais il fallait quand même exiger l’élément objectif : un élément matériel et un élément d’illicéité. Donc, la Cour de cassation exigeait, pour que les père et mère soient responsables du fait de leur enfant mineur, que l’enfant ait commis ce que l’on appelait un «fait objectivement illicite ». Ce fait était justement l’élément objectif de la faute. Ainsi, on résolvait la difficulté. En même temps on n’exigeait pas l’imputabilité car sinon il n’y aurait jamais eu de responsabilité des parents du fait de leur enfant privé de discernement, mais en même temps l’enfant n’était pas responsable pour n’importe quoi, il fallait quand même qu’il ait commis un fait illicite.

Mais depuis 1984, cette difficulté a disparu.

NB: si l’enfant est gardien d’une chose et a causé un dommage avec une chose, il peut y avoir responsabilité du fait d’autrui en tant que l’enfant a été responsable comme gardien.

Donc depuis 1984 il faut une faute de l’enfant pour que les parents puissent être responsables du fait de leur enfant mineur, puisque désormais un être privé de discernement pouvait commettre une faute.

Le 9 mai 1984, il y a eu quatre arrêts. On en a vu trois, le 4e est l’arrêt Füllenwarth :

Ass plen, 9 mai 1984, Füllenwarth: un enfant tire une flèche en direction de son camarade.

Commentaire sur le pourvoi qui était mauvais: on reproche à la cour d’appel d’avoir retenu la responsabilité du père sans avoir recherché si l’enfant avait ou non un discernement. Mais c’est un mauvais argument puisque la cour de cassation se contentait d’un fait objectivement illicite pour mettre en œuvre l’article 1384 alinéa 4.

«Pour que soit présumée, sur le fondement de l’article 1384 alinéa 4 du code civil, la responsabilité des père et mère d’un mineur avec eux, il suffit que celui-ci ait commis un acte qui soit la cause directe du dommage invoqué par la victime».

Comment la doctrine avait commenté ceci à l’époque ?

Avant c’était une faute présumée. Maintenant dans cet arrêt c’est une responsabilité présumée. Avant on pouvait s’exonérer en démontrant l’absence de faute. Maintenant on ne peut s’exonérer qu’en démontrant la force majeure ou la cause étrangère.

Avant cet arrêt, on disait qu’il fallait que l’enfant ait commis un fait objectivement illicite, il fallait une faute objective (qui est maintenant une faute). La nouvelle formule de l’arrêt dit qu’il faut que l’enfant ait «commis un acte qui soit la cause directe du dommage». Est-ce que ceci est une faute objective ? Faute objective, c’est élément matériel et élément d’illicéité. Or dans ce que l’on dit ici, il suffit que l’enfant ait causé un dommage, donc il n’y a plus d’élément d’illicéité. Sauf que certains ont relevé une connotation d’illicéité dans le mot «commis».

Mais après cet arrêt, la Cour de cassation a continué à dire comme avant :

  • Il faut une faute de l’enfant (car maintenant c’est faute objective donc illicéité et élément matériel=faute)
  • C’est une présomption de faute et on a laissé les parents s’exonérer par la démonstration d’absence de faute.

Il y a eu une évolution avec plusieurs arrêts.

D’abord, il y a eu le fait que en 1997, il y a eu l’arrêt Bertrand de 1997 : c’est un revirement de jurisprudence et depuis cet arrêt, la responsabilité des père et mère est effectivement une présomption de responsabilité, une responsabilité de plein droit, et depuis cet arrêt les père et mère ne peuvent plus s’exonérer en démontrant qu’il n’ont pas commis de faute, ils ne peuvent s’exonérer qu’en démontrant le cas de force majeure ou la cause étrangère (faute de la victime). Donc il y a eu cette première évolution, l’arrêt Bertrand.

Surtout, il y a eu un revirement de la 2e civ de la Cour de cassation :

Arrêt 2e civ, 10 mai 2001 :

Sur le premier moyen: VISA article 1384 alinéa 4 et 7 (à moins que les père et mère ne prouvent qu’ils n’ont pu empêcher le fait). L’alinéa 7 avait toujours été interprété en disant que les parents peuvent prouver qu’ils n’ont pas commis de faute, ni de surveillance ni d’éducation. ATTENDU: «La responsabilité de plein droit encourue par les père et mère du fait des dommages causés par leur enfant mineur habitant avec eux n’est pas subordonnée à l’existence d’une faute de l’enfant».

-> Depuis cet arrêt, il n’est plus nécessaire que l’enfant ait commis une faute pour que les père et mère soient responsables pour eux.

L’arrêt déboute la victime de sa demande et rejette la responsabilité des père et mère. La cour d’appel dit qu’il fallait d’abord envisager la responsabilité d’autrui avant de voir si quelqu’un est responsable de ce fait d’autrui. Elle dit que l’examen de la responsabilité de l’enfant est un préalable à la détermination de la responsabilité de ses parents. La cour d’appel dit que le fait de l’enfant ne saurait engager sa responsabilité et donc qu’il n’y a pas lieu d’examiner la responsabilité de ses parents.

Commentaire de la motivation d’arrêt d’appel : elle dit ce qui était l’état de la jurisprudence. Mais c’est mal formulé qu’elle dise qu’il n’a pas été responsable par «maladresse» car selon 1383 on peut être responsable par maladresse. Mais le vrai argument est que c’est un jeu et qu’il y a acceptation des risques normaux, ici les risques normaux n’ont pas été dépassés, donc enfant pas responsable.

Cependant il y a CASSATION. C’est un revirement de jurisprudence car désormais la responsabilité des père et mère n’est pas subordonnée à l’existence d’une faute de l’enfant. On n’a donc plus à regarder si autrui à commis une faute pour voir si les parents ont commis la faute.

L’arrêt ne dit que «faute» donc il resterait que l’enfant doit être responsable en tant que gardien. Mais ce n’est pas le cas il faut l’entendre au sens large, pas besoin d’être responsable en tant que gardien.

Les père et mère sont responsables du fait des dommages causés par l’enfant mineur. On en revient à la formule de 1384 alinéa 4 qui dit que les parents sont responsables du dommage causé par leur enfant mineur. Donc tout ce qu’il faut c’est un dommage causé par l’enfant mineur. Donc pas besoin de faute ni de garde d’une chose. C’est un pur fait dommageable de l’enfant. Nécessité d’un fait dommageable, d’un fait qui ait causé un dommage.

Cet arrêt a été contesté par la doctrine. Ce qui peut justifier l’arrêt peut être la volonté d’indemniser. (voir livre pour critique de la doctrine)

NB: Théorie de l’efficient breach of contract : la théorie de l’inexécution efficace du contrat. Selon cette théorie couramment appliquée par les juridictions aux Etats-Unis, quand il y a un intérêt à ne pas exécuter le contrat, le droit doit favoriser la non-exécution. Qu’est-ce qu’une inexécution efficace ? On calcule le critère de Pareto : est-ce que l’utilité globale est augmentée? Selon ce critère, l’utilité globale est la somme des utilités individuelles. C’est-à-dire l’utilité de chaque personne. Selon Fabre-Magnan cette théorie est affligeante.

Assemblée plénière, 13 décembre 2002 : l’assemblée plénière a repris exactement la même formule que l’arrêt de 2001. «Il suffit que le dommage invoqué par la victime ait été directement causé par le fait, même non fautif, du mineur». Cet arrêt réaffirme que la faute de l’enfant n’est pas une condition de la mise en œuvre de la responsabilité des père et mère. Il suffit d’un fait dommageable de l’enfant.

On est garant du dommage causé par autrui, même si autrui n’est pas responsable.

Avant l’arrêt de 2001, autrui devait être responsable devant la victime, et le responsable du fait d’autrui était responsable.

Mais que se passe-t-il maintenant depuis 2001 quand il y a à la fois un responsable du fait d’autrui, et autrui qui est responsable ? Ils sont responsables in solidum c’est-à-dire que la victime peut poursuivre l’un quelconque des deux et demander la réparation. Ensuite, dans le rapport de contribution à la dette, action récursoire de l’un contre l’autre. En général la victime agit contre les parents qui sont plus solvables. Théoriquement, les parents ont un droit de recours sur leur enfant mais ils ne l’exercent jamais. Mais théoriquement il y a ce régime classique. Dans le cas où l’enfant n’a pas commis de faute et les parents sont quand même responsable pour lui, dans ce cas, la victime ne peut pas agir contre l’enfant.

FAIRE ATTENTION À CECI DANS UN CAS PRATIQUE.

Quel est le régime de la responsabilité des père et mère ?

Avant les parents pouvaient s’exonérer en démontrant qu’il n’avait pas commis de faute: ni faute de surveillance, ni faute d’éducation.

Pour engager leur responsabilité civile, il suffisait d’une faute de surveillance ou d’éducation. Donc il fallait qu’il n’y ait ni l’une ni l’autre pour s’exonérer.

Civ 2e, 19 février 1997, Bertrand : «L’arrêt avait exactement énoncé que seule la force majeure ou la faute de la victime pouvait exonérer [le père] de la responsabilité de plein droit encourue du fait des dommages causés par son fils mineur habitant avec lui, la Cour d’appel n’avait pas à rechercher l’existence d’un défaut de surveillance du père».

La responsabilité des père et mère n’est plus une responsabilité pour faute présumée. C’est une responsabilité de plein droit, une responsabilité objective, une présomption de responsabilité dont ils ne peuvent plus s’exonérer qu’en démontrant force majeure ou cause étrangère c’est-à-dire la faute de la victime. La faute du tiers n’est pas une cause d’exonération dans le rapport d’obligation à la dette, cependant dans le rapport de contribution à la dette c’est-à-dire l’action récursoire on peut poursuivre le tiers.

NB : les pères et mères, s’il y a lien de filiation et autorité parentale et cohabitation pour les deux, sont solidairement responsables.