Condition de la responsabilité pénale du chef d’entreprise

Les conditions d’engagement de cette responsabilité pénale dite du fait d’autrui (ou responsabilité du chef d’entreprise)

La responsabilité pénale du fait d’autrui est l’Obligation pour une personne de répondre des actes illicites d’autrui devant les juridictions pénales. En principe, la responsabilité pénale pour autrui est exclue par le droit français en fonction du principe de la personnalité des peines (Article 121-1 du Code Pénal »Nul n’est responsable pénalement que de son propre fait. »).

Qu’en est-il précisément du chef d’entreprise? Il existe une présomption de responsabilité pénale du chef d’entreprise pour les infractions commises par les salariés en matière d’hygiène et de sécurité. Comment est mise en œuvre la responsabilité pénale du chef d’entreprise

  • Principe d’engagement de la responsabilité du chef d’entreprise. Le système repose sur une présomption de faute qui révèle un défaut de surveillance de la part du chef d’entreprise.
  • Les moyens d’exonération pour les chefs d’entreprise : la délégation de pouvoir qui consiste pour le chef d’entreprise à transférer une partie de ses pouvoirs de direction à un salarié. En général, dans un domaine précis. Toutefois il faut des conditions précises, élaborées par la jurisprudence.

Plan du cours « condition de la responsabilité pénale du chef d’entreprise » :

  • 1§ – La condition relative au préposé : il faut qu’une infraction ait été commise par le préposé
  • 2§ L’absence de délégation de pouvoir.
    • A. Le domaine de la délégation de pouvoir.
      • 1. L’étendue de principe.
      • 2. Les limites.
    • B. La délégation de pouvoir dans l’entreprise n’est pas soumise à une condition de forme mais à deux conditions de fond.
      • 1. La condition relative au délégant.
      • 2. La position relative au bénéficiaire de la délégation
    • C. Les effets de la délégation de pouvoir.

1§ – La condition relative au préposé : il faut qu’une infraction ait été commise par le préposé

Le chef d’entreprise va être déclaré pénalement responsable des infractions pénalement commises par ses préposés, c’est-à-dire par les personnes qui sont placées sous son autorité, les salariés.

À la base de la responsabilité pénale du chef d’entreprise, il faut trouver une infraction dont le préposé est l’auteur matériel.

Cette infraction est une infraction de commission, mais c’est aussi une infraction d’omission dans l’entreprise.

L’infraction commise par le préposé peut être une infraction matérielle. Cette infraction peut être ensuite une infraction non intentionnelle, et bien sûr un délit d’homicide ou de délit commis par imprudence.

Le préposé, la plupart du temps, sera retenu dans le cadre d’un lien de causalité directe. Il est auteur direct. Pour lui, il suffit d’une faute simple, une faute ordinaire. Le chef d’entreprise lui apparaît quasiment toujours comme lié par un lien de causalité indirect, avec le dommage. Pour retenir sa responsabilité pénale, il faut établir une faute pénale qualifiée, soit une faute délibérée, soit une faute caractérisée. Pour autant l’application de la loi fauchon n’a pas diminué la répression dans l’entreprise. En effet, ponctuellement, la jurisprudence a retenu la faute délibérée du chef d’entreprise, elle l’a fait dans deux arrêts du 12 sept 2000 et du 6 janvier 2004. Un salarié était mort dans une tranchée qui n’était pas protégée. L’arrêt a considéré que le fait d’avoir laissé le matériel de protection au dépôt constituait pour le gérant de la société une faute délibérée. Mais encore plus fréquemment, la jurisprudence depuis 2000, retiens la responsabilité pénale du chef d’entreprise sur le fondement de la faute caractérisée donc il n’y a pas eu d’affaiblissement de la répression en droit pénal du travail.

Peut-il s’agir d’une infraction intentionnelle. Peut-on imputer au chef d’entreprise, au dirigeant, une infraction intentionnelle, commise par son préposé. Cela semble difficile, car l’intention n’a existé que pour le subordonné. Il paraît difficile de faire assumer à l’employeur, en raison de sa négligence une infraction intentionnelle commise par son subordonné. Pourtant quelques décisions très critiquées l’avaient admis sous l’empire de l’ancien Code pénal. C’est ce qui s’était passé en matière de tromperie, dans un arrêt du 2 novembre 63, et en matière de pollution, 28 février 1956. Aujourd’hui sous l’empire du nouveau Code pénal la réponse est différente. Nous savons que le nouveau Code pénal a supprimé ce qu’on appelait les délits matériels. Ces délits matériels ont souvent été transformés par la jurisprudence en pseudo délits intentionnels. Pour ces délits, la seule constatation de la violation en connaissance de cause de la prescription suffit à caractériser l’intention. Pour ces délits, puisque l’intention est présumée il n’y a pas d’obstacle à les imputer au chef d’entreprise.

La charge que la loi et la jurisprudence imputent ainsi au chef d’entreprise est énorme. Le chef d’entreprise ne peut pas être partout, en tout lieu, à tout moment. La jurisprudence lui a permis de se dégager de cette charge, de cette responsabilité pénale, au moyen de la délégation de pouvoir. Dès lors ce qu’en l’absence de délégation de pouvoir que la responsabilité pénale peut être imputée au chef d’entreprise.

2§ L’absence de délégation de pouvoir.

Le meilleur moyen de défense pour le chef d’entreprise pour échapper à la responsabilité pénale que lui impute les textes et la jurisprudence. Ce meilleur moyen consiste à prouver l’existence d’une délégation de pouvoir.

Les conditions de validité de cette délégation résultent uniquement de la jurisprudence, le nouveau Code pénal n’a pas traité de cette délégation. Si le chef d’entreprise parvient à prouver cette délégation, c’est lui-même qui sera pénalement responsable à sa place de l’infraction commise par le préposé.

Les conditions et les effets de cette délégation de pouvoir.

A) Le domaine de la délégation de pouvoir.

Pour quelles infractions la délégation de pouvoir peut être admise et peut permettre au chef d’entreprise d’échapper à sa responsabilité pénale. Aujourd’hui la délégation de pouvoir a en principe un domaine général.

  1. L’étendue de principe.

La délégation de pouvoir à un domaine d’élection, privilégié, qui est son domaine initial, celui dans lequel elle est apparue à savoir les infractions en matière d’hygiène et de sécurité du travail. Mais ce domaine privilégié n’est pas limitatif. À une époque la jurisprudence a refusé au chef d’entreprise, la possibilité d’invoquer la délégation de pouvoir en matière d’infraction économique. Ces infractions relevaient des fonctions de directions que le chef d’entreprise assume personnellement. Un revirement de jurisprudence est intervenu avec 4 arrêts du 11 mars 93, qui portait sur des infractions économiques (publicité mensongère, contre façon, achat sans facture, revente à perte). Depuis la jurisprudence décide que sauf si la loi en dispose autrement, le chef d’entreprise qui n’a pas personnellement pris part à la réalisation de l’infraction peut s’exonérer de sa responsabilité pénale, s’il rapporte la preuve d’une délégation de pouvoir. Le domaine de délégation de pouvoir est donc un domaine général.

  1. Les limites.

La formule a été depuis réaffirmée à plusieurs reprises. Le chef d’entreprises peut déléguer ses pouvoirs sous une double réserve. La première réserve c’est l’existence d’une disposition contraire de la loi. On peut considérer qu’il y a disposition contraire de la loi lorsqu’elle énumère de façon limitative et exclusive les personnes à qui l’infraction doit être imputée. Ces personnes ne peuvent alors se décharger de la responsabilité par une délégation de pouvoir. La chambre criminelle a eu l’occasion de dire qu’il en allait ainsi dans deux hypothèses.

C’est le cas pour les différents délits d’entrave au fonctionnement du comité d’entreprise, ou au fonctionnement du comité d’hygiène et de sécurité, parce que le code du travail, fait alors expressément peser sur le chef d’établissement l’obligation de consulter ce comité.

La chambre criminelle, a également décidée, dans un arrêt du 30 janvier 96 que le mécanisme de la délégation de pouvoir n’est pas concevable entre le chef d’une entreprise en difficulté, et l’administrateur judiciaire désigné par le tribunal.

La seconde limite, c’est la participation personnelle du chef d’entreprise à l’infraction. Il se peut que le chef d’entreprise, tout en ayant délégué ses pouvoirs, se soit mêlé de l’infraction et ait participé à l’infraction d’une façon ou d’une autre. La chambre criminelle, l’a jugé dans un arrêt du 19 octobre 1995, à propos d’un délit d’initié, et elle l’a jugé également dans un arrêt du 20 mai 2003.

B) La délégation de pouvoir dans l’entreprise n’est pas soumise à une condition de forme mais à deux conditions de fond.

C’est une délégation du chef d’entreprise qui est le délégant.

1)La condition relative au délégant.

Il faut que la demande de transfert effectif de pouvoir émane de l’entreprise. La jurisprudence a longtemps considéré qu’elle devait être d’une certaine taille pour que la délégation de pouvoir se justifie. Depuis le revirement de 1993, il n’est plus nécessaire que le chef d’entreprise démontre qu’il était dans l’incapacité de tout contrôler lui-même. À partir de là le transfert de pouvoir qu’opère le chef d’entreprise doit remplir trois caractères. Il doit choisir d’un transfert effectif et limité.

Le transfert effectif signifie que le délégataire doit bénéficier concrètement des moyens nécessaires pour veiller au respect de la réglementation.

Le transfert limité signifie qu’une délégation de pouvoir général et permanente n’est pas possible, de la part du chef d’entreprise. La délégation ne peut concerner qu’un secteur donné d’activité. Elle ne peut pas tout couvrir dans l’entreprise de façon permanente. Le transfert direct signifie que le délégué doit recevoir directement les pouvoirs transférés de celui qui les détient.

À cet égard la jurisprudence a admis la subdélégation, la super-délégation, mais elle a condamné la codélégation.

La subdélégation a été admise partir d’un arrêt du 10 février 1983, au motif qu’aucun texte ne l’interdit. Il n’est pas nécessaire que le premier délégant ait autorisé la subdélégation, mais il faut que le subdélégué dispose comme le délégué des moyens pour remplir sa mission. Arrêt Ch. Criminelle du 26 mai 94 a admis la super-délégation, car elle s’inscrivait dans un groupe de société. Le chef d’entreprise de la société-mère peut déléguer ses pouvoirs à une personne d’une société filiale.

En revanche la codélégation, donc la transmission de pouvoir à plusieurs personnes a l’exécution d’une même tache, a été condamnée par la chambre criminelle à deux reprises, 6 juin 89 et 23 novembre 2004. Elle a été condamnée au motif que le cumul de délégation est de nature à entraver les initiatives de chacun des délégataires.

2) La position relative au bénéficiaire de la délégation.

La délégation doit bénéficier à un préposé pourvu de la compétence et investi de l’autorité nécessaire pour veiller au respect de la réglementation. Le délégué doit être une personne pourvue de certaines qualités. Cette personne, la plupart du temps c’est un salarié. Mais, cela peut être aussi quelqu’un d’extérieur de l’entreprise si le chef à autorité sur lui. Ce délégué doit alors posséder deux qualités.

D’abord l’autorité. Cette exigence d’autorité est une exigence de permanence et de stabilité dans l’exercice des pouvoirs délégués. Il doit avoir les moyens de se faire respecter et obéir.

La compétence est une notion double. C’est la potentialité d’empêcher l’infraction. La compétence, c’est aussi les aptitudes personnelles, les connaissances techniques du bénéficiaire de la délégation de pouvoir, elle exige une certaine qualification.

Il n’y a pas en revanche de conditions de formes spécifiques. La charge de la preuve de la délégation de pouvoir pèse sur celui qui l’invoque. Il doit prouver qu’existait une délégation certaine et antérieure à la commission de l’infraction.

Il n’est pas alors nécessaire que cette délégation résulte d’un écrit spécifique. Elle peut résulter de l’organigramme de l’entreprise, d’une note de service.

C) Les effets de la délégation de pouvoir.

Tout dépend de savoir si cette délégation est efficace ou pas.

La délégation de pouvoir est valable.

Dans ce cas, le cumul de responsabilité pénal entre le dirigeant de l’entreprise et le délégué est exclu. La responsabilité est alternative. C’est ou l’un ou l’autre. La jurisprudence estime que le chef d’entreprise est exonéré de toute responsabilité pénale s’il a délégué ces pouvoirs légalement.

Elle est considérée par la jurisprudence et de nombreux auteurs comme une cause d’exonération. Il y a plutôt absence d’une condition d’engagement de la responsabilité pénale du chef d’entreprise.

Se trouve mise en jeu la responsabilité pénale du délégué ou du subdélégué pour les infractions commises ou matériellement commise pour les salariés sous son autorité.

La délégation de pouvoir était exclue absente ou non valable, inefficace.

La portée de la délégation de pouvoir relève du pouvoir d’appréciation souverain des juges du fond.

La chambre criminelle a affirmé dans un arrêt de 1998, que les juges du fond ne peuvent pas relaxer le chef d’entreprise sans rechercher s’il avait délégué ses pouvoirs.

Les juges du fond doivent aussi vérifier que la délégation de pouvoir invoquer s’appliquait bien au secteur d’activité dans lequel l’infraction a été commise.

Si la délégation de pouvoir est exclue, deux responsabilités pénales vont pouvoir être engagée.

La responsabilité pénale du chef d’entreprise mais aussi du préposé, auteur matériel de l’infraction qui a été constaté.

Le chef d’entreprise doit faire respecter la réglementation. De ce fait s’il est condamné le chef d’entreprise devra s’acquitter personnellement des amendes et n’aura pas la possibilité de faire supporter le poids de ces amendes par la personne morale. En effet dans le cas contraire, la chambre criminelle considère que le chef d’entreprise commettrait un abus de bien sociaux.

En théorie lorsque, faute de délégation, la responsabilité pénale du chef d’entreprise est engagée cela n’exclut pas la responsabilité pénale du salarié auteur matériel de l’infraction. C’est le cas dans l’hypothèse d’un accident du travail qui a entraîné un délit de blessure ou d’homicide involontaire.

Cette réponse appelle une comparaison avec la responsabilité civile du commettant.

Il y a sur ce point une différence importante entre la responsabilité pénale et la responsabilité civile. Au civil, depuis la jurisprudence COSTEDOAT, du 25 février 2000, le préposé qui n’a pas commis un abus de fonction n’engage plus sa responsabilité civile.

Seule la responsabilité civile du commettant est engagée. Au pénal le salarié, le préposé engage sa responsabilité pénale, et du même coup sa responsabilité civile au moins dans le cas d’une infraction intentionnelle. Un arrêt ultérieur de l’assemblée plénière, arrêt Cousin, du 14 décembre 2001, était venu dire que le préposé condamné pénalement pour une infraction intentionnelle ayant causé un dommage à un tiers, engageait sa responsabilité civile à l’égard de ce tiers.

La solution qui joue au pénal connaît une exception qui concerne l’hypothèse ou un manquement aux règles d’hygiène ou de sécurité du travail, n’a pas causé d’accident. Dans ce cas, la jurisprudence estime que la responsabilité pénale du préposé n’est pas engagée donc que l’infraction d’hygiène et de sécurité du travail ne peut pas lui être imputée car il s’agit de règles qui ont pour but de protéger les salariés. Le manquement ne sera imputé qu’au chef d’entreprise.

En pratique, les préposés échappent très largement à la répression pénale. Bien sûr, sur le fondement du pouvoir d’opportunité des poursuites qui appartient au parquet, au ministère public. On peut penser que l’exercice de la répression pénale à l’encontre des ouvriers et des employés pourrait les dissuader d’accepter certains postes de responsabilité dans l’entreprise et quand exceptionnellement ces salariés sont poursuivis, il arrive assez fréquemment qu’ils soient relaxés.