Contentieux administratif et droit européen

Contentieux administratif et droits européen

Le système communautaire et celui de la CEDH sont des systèmes non stabilisés : ils continuent de former du droit ; et ils possèdent leurs propres juridictions. C’est cet ensemble qui vient irriguer et réformer le droit du contentieux administratif.

Ainsi, le droit conventionnel fut très souvent source d’impulsion dans l’évolution du droit du contentieux administratif.

A) Le droit européen

Le droit communautaire ne s’occupe pas en principe de droit administratif. On lui reproche de ne pas suffisamment déborder sur le social. C’est un droit qui vise dans un premier temps à établir des formules de libre échange puis qui vise dans un deuxième temps à établir une concurrence sur le marché communautaire : mécanismes communautaire de concurrence. C’est sous cet angle, indirectement, que le droit communautaire eut une influence sur le droit administratif du contentieux. Le droit communautaire a en effet imposé des règles substantielles de mise en concurrence, imposant aux différents Etats d’imposer des mécanismes de procédure (commande publique) qui faisait que toutes les commandes des opérateurs publics devaient être ouvertes à la concurrence communautaire.

Il fut ajouté un principe d’effectivité : il ne suffit pas que ces procédures existent, il faut encore qu’elles soient respectées. Il est un recours ouvert aux opérateurs économiques dans l’hypothèse où ces procédures seraient méconnues : cette idée conduit à la « directive recours ». C’est une directive imposant aux Etats d’inscrire dans leur droit national une procédure contentieuse dont l’objet est d’assurer de façon efficace la sanction de la méconnaissance éventuelle des règles substantielles de passation des marchés. La jurisprudence de la cour du Luxembourg estimait qu’il n’y avait pas cette procédure.

Réforme : naissance du « référé précontractuel ». Il est une nécessité communautaire. Il n’a à être disponible que pour les nécessités du droit communautaire et doit être aménagé pour présenter les caractéristiques d’efficacité requise. C’est pour cela qu’il faut aller vite, c’est pour cela qu’il est instauré une procédure de référé.

B) Le droit de la convention européenne des droits de l’homme

C’est le plus important. Autant le droit communautaire n’a pas pour objet le procès, autant la CESDH, parmi les droits qu’elle garantie, garantie le droit au juge. Le contentieux est l’un des objets de la convention, par l’intermédiaire de deux de ses articles :

— Article 6§1 (chacun a droit à un procès)

— Article 13 qui consacre le droit à un procès équitable ayant une effectivité.

Certains auteurs s’appuyèrent sur une formulation de l’article 6§1 qui évoque un « caractère civil » des conflits pour dire qu’elle ne s’applique qu’au seul juge civil. Cette interprétation visant à mettre le contentieux administratif hors le champ de la CESDH fut vivement combattue et fut écartée par le juge de la convention lui-même.

Ainsi, du fait de la non distinction entre la procédure civile et la procédure administrative, il en résulte une banalisation du juge administratif. Son office va de moins en moins se personnaliser par rapport au juge judiciaire car ils ont un même dénominateur commun. (Il y a des formes « d’unification » (relative) du contentieux).

Cette unification relative se fait par l’intermédiaire de « standard » qui n’est pas nécessairement de nature franco-française, mais par une évolution progressive de la vision anglo-saxonne du procès. On voit en effet apparaître des éléments marqués par la culture anglo-saxonne (théorie des apparences). L’approche est subjective : c’est le pressentiment de l’opinion qui prévaut.

Exemples

— 1/ Le cumul des fonctions législative et contentieuses du conseil d’Etat. Le Conseil d’Etat est d’abord un organisme législatif, consultatif. On peut dire que sa fonction contentieuse ne se développa que sur ce terrain. (Le contentieux administratif c’est encore administrer). Or, la CESDH pose le principe de l’impartialité. Cela implique que le juge ne découvre les parties seulement lors du procès. Pourtant, le juge administratif connaît bien l’administration. La question fut posée, non pas concernant le Conseil d’Etat français, mais le Luxembourgeois.

o La Cour Européenne condamna le Luxembourg, du fait de sa juridiction administrative, estimant dans une affaire déterminée que dans cette affaire le juge était un juge partial. Mais il a observé que cette partialité venait de ce que dans le cas particulier, le décret en cause, soumis au contentieux, trois des membres participant au jugement avaient pris part à son élaboration. On retrouvait les mêmes personnes dans l’exercice des fonctions législatives que dans l’exercice des fonctions contentieuses.

o Le Conseil d’Etat exposa dans une affaire contentieuse qu’il lui suffisait à lui (assemblée nombreuse) de veiller à ce que ceux qui ses membres ayant pu prendre part aux activités administratives du conseil ne siégeasse point dans la participation des activités contentieuses. Il suffisait d’organiser par voie interne un système de changement. (C.E., syndic. des avocats de France).

o La question fut ensuite posée concernant le Conseil d’Etat des Pays Bas. Le problème posé était le même. La cour fit remarqué : « il est capital que les cours et tribunaux inspirent confiance aux justiciables ». Elle répond ceci à propos d’un litige où était de nouveau en débat l’impartialité du juge. La menace sur le conseil d’Etat dans son organisation empirique demeure. La CESDH n’est pas disposée à rejoindre purement et simplement la jurisprudence du Conseil d’Etat des syndicats des avocats de France.

— 2/ Le cumul des fonctions législatives et contentieuses. Cette dualité de fonction pose un second problème. Non plus celui de l’impartialité, mais celui du contradictoire (ou du respect des droits de la défense, ou finalement, le problème de « l’égalité des armes »). La dualité des fonctions administratives et contentieuses fait que la formation du juge et de chacune des parties doit être la même. Est-ce vraiment le cas lorsque le juge est saisi d’un recours contre un décret pris en conseil d’Etat, c’est-à-dire que les formations administratives ont déjà donné un avis sur le décret et que cet avis a été communiqué au Gouvernement.
Respect du principe de la contradiction, inscrit à l’article 6§1 de la CESDH. Dans un premier temps, le Conseil d’Etat répondu qu’il n’y avait pas lieu de communiquer l’avis car l’avis était vide. Le commissaire du Gouvernement tira la sonnette d’alarme : si un jour l’avis contient quelque chose, cela posera un problème. Le conseil d’Etat fit savoir que « si la communication de l’avis était demandé par le requérant, le juge serait tenu de communiquer cet avis ». C’est ce qu’il affirma dans un arrêt du 27 octobre 2000 (arrêt Léonard, p.465).

— 3/ Le commissaire du Gouvernement. C’est un ministère public, subordonné au Gouvernement dans l’esprit de ses législateurs de 1930. Ce ministère public va évoluer : il va s’affranchir de toute allégeance et de toute possibilité d’instruction vis-à-vis du Gouvernement. Il va devenir indépendant. Il devient donc inutile pour ce pour quoi il avait été conçu (on n’avait pas besoin d’un représentant de l’Etat de plus devant les juridictions administratives). Pourtant, par ses conclusions, il a une responsabilité qui déborde le procès : il resitue le litige dans la jurisprudence. Il est la mémoire de la jurisprudence. Mais il est attentif à ce que cette jurisprudence évolue. Il est là pour proposer éventuellement une évolution/modification de cette jurisprudence. Il y a un attachement particulier de la juridiction administrative à ce commissaire du Gouvernement. Mais du point de vue des Standards de la CESDH, ce commissaire est un organisme bizarre. Il se comporte comme un créateur, mais il conclu aussi au rejet ou non de l’affaire. Il prend parti, et en plus on ne peut pas lui répondre (car c’est lui qui conclu les débats). Enfin, il est présent aux délibérés (sans doute selon une pure tradition il n’y vote pas ; il ne parle pas sauf si on l’interroge). Cette construction est étrange mais se comprend assez bien : il voit comment se reçoit sa proposition d’évolution jurisprudentielle. Ainsi, la CEDH a mis à mal ce commissaire du Gouvernement dans plusieurs décisions :

o L’arrêt CRESSE, 7 juin 2001. C’est la première attaque de la CEDH sur le commissaire du Gouvernement. Dans cette décision il fut critiqué et censuré, exclusivement au nom de la contradiction : il faut pouvoir répondre au commissaire du Gouvernement. Cela s’est traduit par la possibilité d’émettre des notes en délibérés, après les conclusions du commissaire du Gouvernement. C’est une sorte de mémoire ultime en réponse qui intervient au moment du délibéré. Ce faisant, le Conseil d’Etat eut le sentiment de répondre aux critiques formulées dans l’arrêt CRESSE. Mais l’arrêt CRESSE s’interrogeait sur la participation même du commissaire au délibéré.

o La CEDH critiqua ensuite la participation du commissaire au délibéré. On joua un peu sur les mots. On considéra que la jurisprudence communautaire interdisait sa participation au délibéré mais n’interdisait pas sa présence. Par décret, on affirma que rien n’empêchait sa présence, de même que d’autres personnes qui pouvait y participer.

o L’arrêt MARTINI, 12 avril 2006 : la CEDH se fâcha. Elle déclara qu’il ne fallait pas jouer sur les mots et qu’elle critiquait la présence même du commissaire du Gouvernement au délibéré. En l’état, cette décision n’est exécuté que partiellement. Un décret a prévu que le commissaire du Gouvernement n’assistait plus aux délibérés. Mais le Conseil d’Etat ne s’est pas encore incliné, ce qui est dangereux, car la France risque d’être condamnée à nouveau et deuxièmement car le Conseil d’Etat est singularisé au sein des juridictions administratives, alors même qu’il est déjà menacé par la dualité de ses juridictions administratives.

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