De la Révolution à l’échec de la Constitution de 1791

LA PÉRIODE RÉVOLUTIONNAIRE

Les débuts appartiennent encore à l’ancien régime. Devant les difficultés économiques et sociales qui sont grandes, le roi qui est un monarque absolu de droit divin, qui gouverne sans l’appuie ou l’avis de chambres, le roi décide la convocation de cette forme très archaïque de la représentation que sont les Etats généraux.

Et il y a une séance d’ouverture le 5 mai 1789 lorsque les différents élus des différents ordres (noblesse, clergé, tiers Etats) se réunissent, et très vite la revendication du Tiers Etats d’être reconnu comme essentiel, puisque ce tiers représente en réalité quelque chose qui dépasse les 80% de la pop. Devant le refus des autres ordres de s’incliner, devant le refus de ce qu’ils qualifient de « coup d’Etat » (prétention du tiers de tout représenter), le tiers Etat vote le 17 juin 1789 sa transformation en assemblée nationale qui devient assemblée constituante le 9 juillet 1789 (elle décide de faire une constitution alors qu’elle n’avait pas été réunie pour cela). Ce coup de force, ce dépassement total de son mandat, s’obtient évidemment par le soutien du peuple, et si l’assemblée peut ainsi s’organiser pour faire institutionnellement la révolution c’est qu’elle est soutenue par le peuple de Paris. Rappelons pour mémoire la prise de la bastille le 14 juillet 1789 comme point d’orgue à ces manifestations d’appuie au tiers Etat à cette assemblée devenue nationale puis constituante.

Elle établira d’abord la DDHC, mettra beaucoup plus longtemps à écrire une constitution nouvelle/originale : la première, la constitution de 1791 mais cette assemblée échoit finalement à se prolonger dans une forme stable qu’était l’assemblée législative du projet constitutionnel qui sera appliqué assez peu de temps.

  • La déclaration des droits de l’homme

Cette déclaration est conçue pour être le préambule d’une future constitution, il s’agit selon une habitude qui n’est pas encore prise mai qui demeurera de mettre en avant de la constitution les droits de l’homme. Cette déclaration qui a une importance considérable, puisque c’est la première, tend à proclamer les droits « naturels » et imprescriptibles (on ne peut les faire disparaître) de ceux qui apparaissent comme étant au centre du système politique nouveau : l’individu, le citoyen, tout autant central que le roi l’était dans le système précédent. Article 2 de la déclaration : « Le but de toute association politique est la conservation des droits naturels et imprescriptibles de l’homme. Ces droits sont la liberté, la propriété, la sûreté, et la résistance à l’oppression ».

C’est là qu’est finalement l’idée maîtresse, qu’on retrouve dans les textes qui ont eu une forte influence sur notre déclaration. On pense aux déclarations américaines (celle d’indépendance, et la plus connue, celle de 1776). Il y a dans la déclaration des droits de l’homme bien d’autres influences. On peut y voir la somme philosophique des lumières du 18ème siècle : c’est l’aboutissement de la pensée de ce qu’on va appeler les lumières.

Sur le plan purement constitutionnel il y aurait beaucoup à dire sur la DDHC qui intervient au sein d’un comité de la constitution qui est réuni dès le début de l’état. La discussion et le vote de la déclaration interviennent à la fin du moi d’août 1789. Le texte est composé d’un préambule justificatif, et de l’affirmation des grands principes que l’on vient de signaler. Ces grands principes étant d’abord :

  • la liberté (tant physique qu’intellectuelle, même religieuse dit l’Article 10), et cette liberté affirmée dès la naissance des hommes (« les hommes naissent libres ») entraîne la sûreté (l’homme ne peut pas être détenu sans jugement, ne peut être poursuivi dès lors qu’il ne transgresse pas la loi).
  • L’égalité (dès la naissance), il s’agit là d’une égalité formelle, juridique, qui d’ailleurs n’est pas un droit naturel imprescriptible de l’Article 2. ce qui veut dire que le droit à l’égalité peut être modulé, réduit, et cela permettra par exemple d’introduire très vite dès le début de la révolution la célèbre et fâcheuse distinction entre citoyen actif et citoyen passif. Au moment même ou les hommes sont déclarés égaux, on donne des droits aux uns et pas aux autres. En réalité cette formule veut simplement dire que la même loi leur est également applicable, autrement dit qu’il n’y a pas de privilèges pour les uns par rapport aux autres (cf. la nuit du 4 août).
  • La propriété, fortement reconnue après avoir été proclamée « droit naturel imprescriptible », fortement reconnue par l’article 17 de la déclaration qui la défini comme « inviolable et sacrée ». Il y aura même une loi votée qui proposera de punir de peine de mort quiconque proposera d’abolir la propriété. Ceci marque le caractère bourgeois de la révolution qui est tout de même un progrès certain par rapport au modèle préexistant, c’est-à-dire par rapport à la société aristocratique précédente. Pour autant on ne va pas encore vers une égalité totale des citoyens.

Pour garantir ses droits, la société politique se construit sur l’idée de la souveraineté nationale, la force de la loi qui exprime la volonté générale, la soumission à la Nation de l’armée, de l’administration, et puis la séparation des pouvoirs (Cf. le point 16).

Le retentissement intellectuel de ce texte sera immense, et encore aujourd’hui. Pourtant son efficacité, son effectivité (plutôt) juridique sera beaucoup plus discutée. Sous la troisième République, ce texte est plus considéré par la doctrine et donc par les juges comme un « ensemble d’intention » et non pas comme un ensemble de normes applicables. Notons que l’absence de contrôle de constitutionnalité interdisait qu’on fasse la différence. Il faudra attendre très longtemps, pas loin de 2 siècles, pour que le conseil constitutionnel utilisant la DDHC (reconnaissant la valeur juridique du préambule) dans sa décision fondatrice du 16 juillet 1971 sur la liberté d’association, pour que le conseil constitutionnel confère ou reconnaisse une pleine valeur juridique à la déclaration et effectivement à partir de là elle sera considérée comme étant d’application directe, possible. Elle sera très largement utilisée par les tribunaux. Et aujourd’hui le point n’est plus discuté.

  • La constitution de 1791

Si la DDHC très vite établie est un indéniable succès, il n’en va pas de même pour la constitution puisque les débats dureront 2 ans (vote le 3 septembre 1791). Les débats sont riches, et le point d’arrivé est une monarchie constitutionnelle mais qui n’a rien à voir avec le modèle anglais en train de se mettre en place et que l’on considèrera comme l’ancêtre réel du régime parlementaire. C’est à ce moment là qu’est inventé en Angleterre la responsabilité politique (démission de Morth).

Cette responsabilité a beaucoup plus à voir avec le système américain et le régime présidentiel. C’est paradoxal de dire que cette constitution monarchique se rapproche du régime présidentiel, mais c’est semblable. Il y a l’idée de dire qu’il y a un chef d’Etat avec sa légitimité, qu’il ne tient pas du parlement mais de l’histoire ou du peuple ; un exécutif qui nomme librement ses ministres (l’un et les autres n’étant pas responsable devant l’assemblée, ne pouvant pas être démit par elle). L’assemblée, elle, vote la loi, que le roi et les ministres appliquent (il y a cette notion de séparation des pouvoirs). Le roi l’applique sauf s’il s’y oppose par son veto (voilà que le pouvoir arrête le pouvoir) mais il n’y a pas de dissolution du parlement, tout comme il n’y a pas de renversement du gouvernement possible (« l’équilibre de la menace », Colliard). On est bien dans une séparation stricte des pouvoirs, on est bien dans une application stricte des idées de Montesquieu.

Dès septembre 1789 il est décidé qu’il n’y aura qu’une seule assemblée. « La nation étant une, la représentation doit être une » (Rabaut Saint-Étienne). C’est-à-dire qu’il n’y a qu’une seule assemblée qui représente l’ensemble de la nation, et donc on voit déjà que si on s’est inspiré de Montesquieu pour la séparation, on occulte le rôle de l’aristocratie et de la 2eme chambre. Une assemblée unique, qui aura seule l’initiative et le vote de la loi, et qui ne peut être dissoute : il y a bien cette définition d’un pouvoir législatif assez autonome jusqu’au veto.

Cette représentation de l’assemblée est très limitée. On met en place dès le départ un régime censitaire qui écarte – outre les femmes – 3 millions de citoyen pour leur pauvreté, lesquels sont réputés être « citoyens passifs ». Seuls votent les citoyens actifs, avec un système d’élection à deux degrés, c’est-à-dire que les électeurs élisent à raison d’un pour cent de grands électeurs, qui vont eux se réunir pour élire les élus. On a un système de filtre qui fonctionne très efficacement. Tous les filtres de la représentation amènent à concentrer sur les personnalités les plus fortes, les plus capables, et finalement les plus instruites (dans le cas de l’époque, les plus fortunés, les plus bourgeoises). Ce filtre fait en réalité que ce qu’on appelle l’élection est le choix de 4 millions d’électeurs donnant 40 000 dans les assemblées primaires, et ce sont ces 40 000 là qui vont élire les représentants. Autrement dit, corps électoral restreint.

La question du droit de veto est tout à fait centrale. Le roi conserve d’important pouvoir : un pouvoir de nomination, il est le chef des armées, et surtout il peut opposer au loi un veto qui certes au départ est suspensif et pas définitif, mais qui dans la pratique lui permet de paralyser l’assemblée, d’autant qu’il est général et peut s’étendre à tout. Le roi n’hésitera pas à l’utiliser en beaucoup de choses. Or voilà que le roi mal inspiré, mal conseillé, l’utilise très souvent. Cela crée tout de suite une atmosphère de conflit entre le roi et l’assemblée constituante, qui illustre l’épisode de la fuite à Varenne (juin 1791) et malgré le retour quelque peu forcé du roi, malgré le serment qu’il prête à la nouvelle constitution le 14 septembre 1791, le nouveau régime parait être bien conflictuel. La coexistence dans une assemblée victorieuse et un roi que l’on ramène par la force à Paris : comment cela peut fonctionner ? Ca ne fonctionnera pas, et ça amènera l’échec de la législative.

  • L’échec de la législative

Au lendemain du vote de la constitution de 1791, c’est la mise en place des nouvelles institutions. Le roi n’est pas changé, car on vient de le rappeler. Mais il y a à changer l’assemblée, à élire une nouvelle. Ce sont les élections de 1791. L’assemblée nationale est d’autant plus renouvelée que les constituants avaient votés leur non rééligibilité. Ils avaient décidés eux même qu’ils ne seraient pas rééligibles pour l’assemblée qui allaient être mise en place. Et donc il y comme résultat un groupe conservateur, un groupe jacobin important, et au milieu la moitié, celle qu’on appelle la plaine, parce que dans la configuration de l’assemblée elle siège sur les bans du bas qui sont en bas. La pleine hésite, et suivant les cas, et suivant les problèmes, votera avec les uns ou avec les autres.

Ce qui est certain, c’est que pour tout le monde, les rapports avec le roi sont difficiles : l’usage systématique du veto exaspère. Ceci, dans une atmosphère des institutions qui devient très lourde, on a des manifestations contre le roi en juin et en août 1792. Evidemment ceci n’est pas sans lié : les jacobins organisent ces insurrections parisiennes par l’intermédiaire de leur société de pensée.

Le 10 août 1792, sans appliquer la constitution du roi qui ne prévoyait pas cela, l’assemblée décide de suspendre le roi. Elle nomme pour le remplacer un conseil exécutif provisoire. Simplement, elle a bien conscience que ce n’est pas la constitution ; ce faisant, elle n’applique pas la constitution, et donc il faut faire une nouvelle constitution qui corresponde à la situation nouvelle qui est crée. L’assemblée décide la convocation d’une convention nationale pour refaire une constitution. La première aura donc duré moins d’un an.