Les limites à la liberté de la presse et du cinéma

Les régimes applicable à la presse écrite et au cinéma

  • La liberté d’expression implique l’interdiction de régime d’autorisation s’agissant de la parution de journaux ( saufs obligations formelles telles que l’obligation de désigner un responsable de la publication mais n’est en aucun cas soumis à une autorisation préalable.). Toutefois, il est légitime d’interdire l’expression de l’injure, la diffamation et de certaines idées outrageantes (apologie du racisme, de la violence ….) ou de porter atteinte à la vie privée. – D’autre part, La loi peut instaurer un régime de déclaration préalable qui constitue une modalité de contrôle des publications et prévoir des procédures visant à interdire ou faire retirer des publications susceptibles d’enfreindre les lois en vigueurs
  • En matière de cinématographie le droit français prévoit un régime d’autorisation préalable à la diffusion des films. Ces autorisations sont délivrées par le ministre de la culture qui conserve la possibilité de restreinte la diffusion de film en fonction de catégories d’âge ou en raison d’apologie de la violence ou du racisme comme dans le cas de la liberté de la presse.
  • Cela pose le question de l’ingérence des pouvoirs publics dans l’exercice de la liberté de communication

INTRO : de l’ingérence des pouvoirs publics dans l’exercice de la liberté de communication

L’article 11 de la Déclaration de 1789 semble impliquer que la communication des pensées et des opinions soit l’objet d’un régime répressif puisqu’il indique que cette activité est libre, sous la seule réserve des abus auxquels elle donnerait lieu. C’est, en effet, la caractéristique du régime répressif que de permettre le libre exercice d’une activité, à la condition que le comportement en question ne tombe pas sous le coup d’une infraction précédemment définie avec une clarté suffisante par la loi pénale. Contrairement à ce que suggère le terme « répressif », il s’agit là du régime le plus libéral, puisqu’il interdit toute ingérence préalable des pouvoirs publics et confie ensuite aux tribunaux répressifs, c’est-à-dire aux organes dotés de la plus grande indépendance par rapport au pouvoir exécutif, le soin de vérifier, au terme d’une procédure assurant la garantie des droits de la défense, que les faits donnant lieu à poursuite correspondent bien la définition légale de l’infraction. Le combat mené contre la censure (entendue comme régime d’autorisation administrative préalable) doit aboutir la mise en place d’un régime répressif.

Ce régime répressif, n’est pas exclusif de régimes préventifs. Aux auteurs de la saisine qui faisaient valoir que l’article 11 de la Déclaration de 1789 interdisait, après l’abrogation du monopole public de la radiodiffusion, la mise en place d’un régime d’autorisation, la décision du Conseil constitutionnel du 27 juillet 1982 répond par la négative, au nom des contraintes techniques inhérentes aux moyens de la communication audiovisuelle et des conciliations ci-dessus rappelées. La rareté des fréquences disponibles est un argument prédominant. La décision des 10 et 11 octobre 19841 le confirme, qui déclare contraire à la Constitution l’attribution, par la loi sous examen, à une autorité administrative indépendante, la commission pour la transparence et le pluralisme de la presse, de pouvoirs de sanction en cas de dépassement, en matière de cumul de plusieurs titres, des seuils fixés par la loi.

Le Conseil a estimé que l’ensemble de ces dispositions «produit des effets équivalant à ceux d’un régime d’autorisation préalable; qu’elles sont, de ce chef, contraires à l’article 11 de la Déclaration de 1789 ; qu’à supposer même qu’elles aient pour objet de réprimer des « abus » au sens dudit article 11, cette répression ne saurait être confiée à une autorité administrative»

Sauf à justifier de contraintes techniques impérieuses, un régime d’autorisation préalable est donc a priori inconciliable avec l’article 11 de la Déclaration. On notera cependant que le Conseil constitutionnel n’interdit pas les régimes préventifs en général et qu’il stigmatise essentiellement la nature administrative de l’organe investi d’un pouvoir pouvant s’analyser en un régime d’autorisation, ce qui semble laisser intacte la possibilité de l’intervention préalable d’un juge. Le monopole du régime répressif en la matière est donc loin d’être assuré.

L’examen, sur ce point, de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme ne conduit pas à des conclusions différentes. Dans son arrêt Observer et Guardian ci Royaume-Uni du 26 novembre 1991, la Cour a précisé « que l’article 10 de la Convention n’interdit pas en elle-même toute restriction préalable à la publication », mais a tenu à ajouter aussitôt que « de telles restrictions présentent pourtant de si grands dangers qu’elles appellent de la part de la Cour l’examen le plus scrupuleux. Il en va spécialement ainsi dans le cas de la presse: l’information est un bien périssable et en retarder la publication, même pour une brève période, risque fort de la priver de toute valeur et de tout intérêt ». La technique de contrôle utilisée est donc la plus exigeante qui soit, puisqu’elle instaure une sorte de présomption d’illicéité de la restriction envisagée, qui sera particulièrement difficile à renverser pour l’État.

L’arrêt Association Ekin ci France du 17 juillet 2001 le confirme, précisant que les restrictions préalables « doivent s’inscrire dans un cadre légal particulièrement strict quant à la délimitation de l’interdiction et efficace quant au contrôle juridictionnel contre les éventuels abus» avant de conclure que le régime français applicable aux publications de provenance étrangère ne présentait pas de telles garanties et revêtait, de surcroît un caractère discriminatoire.

Les régimes préventifs persistent donc. Seul l’Internet est épargné en raison de la difficulté d’établir un tel contrôle. La liberté de communiquer par voie électronique est-elle pour autant super protégée ?

Section 1 : Le régime de la déclaration préalable en matière de presse écrite
Tout journal peut être publié sans autorisation préalable, il faut simplement en faire la déclaration, auprès du Procureur de la République, avec les indications relatives au titre du journal, aux coordonnées du directeur de la publication et de l’imprimerie. Les obligations restent très sommaires et la liberté est totale.

En théorie le régime de déclaration, laisse le citoyen libre d’agir selon ses propres volontés, il n’a pas à demander d’autorisation d’user de sa liberté mais il pourra être soumis à des sanctions s’il fait un mauvais usage de cette liberté.

Le principe de la déclaration instaurée par la loi de 1881 n’est pas un gage d’indépendance. Il suffit par exemple de s’intéresser à la trajectoire de Robert Hersant, pour comprendre l’intérêt d’une carrière de relations politiques pour devenir un grand patron de presse. D’ailleurs, peu de journaux d’information peuvent se prévaloir de ne pas servir, ou de ne pas avoir servi, tel ou tel courant politique.

Si le régime classique apparaît somme toute très libéral, les aménagements du principe semblent pourtant peu compatibles avec la normativité européenne, chantre de la liberté. Reste qu’une certaine forme de contrôle préalable a été instaurée pour les publications relatives à la jeunesse[206] et dans une certaine mesure les publications étrangères[207].

Section 2 : Le régime préventif du cinéma

Les spectacles de curiosités, c’est-à-dire ceux qui apparaissaient aux pouvoirs publics dépourvus du niveau culturel nécessaire pour bénéficier du régime de la liberté, restaient théoriquement soumis à l’exigence d’une autorisation préalable du maire (article 13 de l’ordonnance du 13 octobre 1945 relative aux spectacles). Les pouvoirs du maire étaient soumis par le juge administratif à un contrôle entier, mais ils connaissaient une certaine désuétude, comme en témoigne l’affaire du lancer de nains où c’est sur le fondement de ses pouvoirs de police générale que le maire avait interdit ce spectacle au nom du respect de la dignité de la personne humaine, démarche approuvée par le Conseil d’État[208]. La loi du 18 mars 1999 a abrogé ce régime d’autorisation.

C’est à ce pouvoir d’autorisation municipale qu’a été soumis le cinéma à l’origine. Dès 1916, se met cependant en place un régime d’autorisation préalable des films au niveau national, que l’article 19 du Code de l’industrie cinématographique maintient pour la représentation et l’exportation hors de la Communauté européenne.

Le visa ministériel peut autoriser l’œuvre pour tous publics ou comporter interdiction de la représentation aux mineurs de 16 ou de 12 ans. Les décisions restreignant la distribution étant soumises au contrôle entier du Conseil d’État[209], on peut en déduire l’existence, à ses yeux, d’une liberté d’expression cinématographique, en dépit de l’existence d’un régime d’autorisation préalable, solution qu’on ne peut qu’approuver au regard des règles constitutionnelles et internationales.

L’interdiction totale étant devenue tout à fait exceptionnelle, des particuliers ont tenté de la provoquer, par la voie du référé devant les tribunaux judiciaires ou celle du recours pour excès de pouvoir à l’encontre de l’octroi du visa par le ministre, devant la juridiction administrative. Le refus du Conseil d’État de suivre les requérants sur ce terrain est moins net que celui du juge civil des référés, saisi à propos du film de Jean-Luc Godard, Je vous salue, Marie. La seconde approche est plus cohérente par rapport au principe de la liberté d’expression, en analysant la représentation cinématographique comme une série de rencontres librement décidées entre deux personnes’ responsables de leurs choix. Les demandes d’interdiction judiciaire ont ensuite visé les affiches publicitaires assurant la promotion de certains films. Le problème est ici différent, dans la mesure où l’affiche s’impose à la vue d’un public qui n’a pas librement choisi d’y être confronté. Tenant compte de ce facteur, le juge des référés avait ordonné l’enlèvement d’affiches publicitaires pour un film relatif à des sectes religieuses, Ave Maria, représentant une jeune femme attachée à une croix, la poitrine nue. Relevant que cette image ne figurait pas dans le film et qu’ainsi, elle ne constituait qu’une forme de « raccrochage publicitaire », le tribunal avait estimé que « la représentation du symbole de la Croix, dans des conditions de publicité tapageuse et en des lieux de passage public forcé, constitue un acte d’intrusion agressive et gratuite dans le tréfonds intime des croyances» des passants[210]. On remarquera le caractère circonstancié de cette motivation, et en particulier l’insistance sur la gratuité de l’image, choisie pour sa force de provocation et non pour sa vertu expressive du propos du film. En revanche, le juge des référés a refusé d’ordonner la saisie de l’affiche destinée à assurer la promotion du film de Forman, Larry Flint, représentant un corps féminin vêtu d’un maillot de bain, des genoux au nombril, « contre lequel est adossé un homme ayant une position de crucifié les hanches drapées de la bannière américaine ». Le tribunal note en effet que « si l’acteur qui tient le rôle de Larry Flint figure dans la position d’un crucifié, il ne présente aucune ressemblance physique avec l’image douloureuse du corps affligé de Jésus-Christ dans l’iconographie traditionnelle de la Crucifixion» et que la Croix ne figure pas dans cette image[211]. L’absence d’outrage flagrant aux sentiments religieux des requérants résulte donc d’une forte différence iconographique avec l’espèce précédente – et aussi du fait que cette affiche n’était pas dépourvue de tout lien avec le propos du film[212]. Des requérants ont également obtenu du Conseil d’État qu’il annule l’autorisation d’exploitation assortie d’une interdiction aux mineurs de seize ans accordée par le ministre au film Baise-moi, au motif que celui-ci, « composé pour l’essentiel d’une succession de scènes de grande violence et de scènes de sexe non simulées, sans que les autres séquences traduisent l’intention, affichée par les réalisatrices, de dénoncer la violence faite aux femmes par la société ( …) constitue ainsi un message pornographique et d’incitation à la violence susceptible d’être vu ou perçu par des mineurs », c’est-à-dire un film relevant de la catégorie X[213] devant, à ce titre, être interdit aux mineurs de moins de dix-huit ans. Le souci de protéger les mineurs de seize à dix-huit ans conduit donc le Conseil d‘État à exercer en l’espèce un contrôle particulièrement poussé, dont il faut cependant indiquer qu’il ne concerne que la projection du film en salle[214]. Le refus du Conseil d’État d’adopter une solution identique à l’égard du film Fantasmes[215] montre que ce sont essentiellement des considérations d’ordre esthétique qui permettent de différencier films érotiques (relevant du droit commun) et films pornographiques. À la suite de cette affaire, un décret du 12 juillet 2001 a rétabli la possibilité d’interdiction des films aux mineurs de dix-huit ans les sortant ainsi du régime de l’œuvre pornographique. En effet, les articles 11 et 12 de la loi du 30 décembre 1975 portant loi de finances pour 1976 permettent au ministre de classer un film dans la catégorie X, lorsqu’il revêt un caractère pornographique ou incite à la violence. Cette décision, sur laquelle le Conseil d’État exerce un contrôle entier, handicape gravement le film quant à sa distribution, confinée dans des salles spécialisées aujourd’hui peu nombreuses, et son régime financier et fiscal.

Il faut encore signaler que le Conseil d’État a accepté que les maires puissent interdire un film sur le territoire de leur commune, lorsque « la projection est susceptible d’entraîner des troubles sérieux ou d’être, à raison du caractère immoral dudit film et de circonstances locales, préjudiciable à l’ordre public ». La théorie du concours de la police générale exercée par le maire et de la police spéciale confiée au ministre au niveau national entraîne en l’espèce un grave péril pour la liberté d’expression, que la rigueur du contrôle exercé par le juge administratif ne conjure pas suffisamment.

  • [206] L’article 14 de la loi du 16 juillet 1949 sur les publications présentant un danger pour la jeunesse soumet leur contenu à des normes strictes. Ces publications peuvent faire l’objet, par arrêté du ministre de l’Intérieur de restrictions tenant à leur diffusion et leur commercialisation (interdiction de vente aux mineurs, d’exposition à la vue du public ou de publicité) lorsqu’elles «présentent un danger pour la jeunesse en raison de leur caractère licencieux ou pornographique , ou de la place faite au crime, à la violence, à la discrimination ou à la haine raciale, à l’incitation à l’usage, à la détention ou au trafic de stupéfiants». Ces dispositions dotent l’administration de pouvoirs qu’il est tentant pour elle de détourner, alors que la répression pénale ordinaire offre une protection suffisante. La protection de la jeunesse fait preuve d’un autoritarisme incompatible avec la liberté d’expression. L’exercice, par le juge administratif, d’un contrôle entier sur les appréciations ministérielles relatives tant au contenu des publications qu’au choix des mesures édictées ne compense que très partiellement les vices inhérents à ce contrôle administratif des publications assez fréquemment exercé.
  • [207] V. les développements sur la jurisprudence Ekin.
  • [208] CE ass., 27 octobre 1995, Commune de Morsang-sur-Orge, GAJA, p. 768.
  • [209] CE ass. 24 janvier 1975, Société Rome-Paris Films, RDP 1975, 286, concl. Rougevin-Baville annulant l’interdiction du film de Jacques Rivette, Suzanne Simonin, La Religieuse de Diderot.
  • [210] TGI Paris, référés, 23 octobre 1984, D. 1985, 31, note Lindon.
  • [211] TGI Paris, référés, 20 février 1997, LPA n’ 24, 1997, 10, note Gras.
  • [212] Voir également, dans la même logique, le refus d’interdire la diffusion de l’affiche du film de Costa-Gavras, Amen, jugée constituer un reflet fidèle et non provocateur du propos du film : TGI Paris, référé, 21 février 2002, Légipresse, n’ 192, 2002, III, 105.
  • [213] CE sect. 30 juin 2000, Association Promouvoir, M. et Mme Mazaudier et autres, Ree., p. 265, concl. contr. Honorat; AJDA 2000, p. 674 et p. 609, chr. M. Guyomar et P. Collin.