Le téléchargement de musique ou film

Le droit d’auteur et Téléchargement de fichiers musicaux ou audiovisuels :

L’article 122-5 n’en parle pas en tant qu’exception. Ce silence fait que le monopole de l’auteur retrouve son empire, ce qui n’était pas évident avant 2006.

  1. Avant la réforme de 2006 :

  • Tout téléchargement suppose le passage par le disque dur et donc par une reproduction faisant office de copie. Donc le monopole est en jeu.

  • Les mesures techniques comme le verrouillage des CD audio posent problème car elles portent atteinte, tant à l’exception de copie privée qu’à celle d’usage privé. Pour les justifier certains prétendent que la copie privée n’est pas un droit, qu’il est possible d’y renoncer par convention (notamment dans des conditions générales contractuelles), et qu’elle doit être interprétée restrictivement. Par exemple, ils font valoir que l’accord Adpic et la directive 2001 sur les droits d’auteurs dans la société de l’information (art 5.5) ne reconnaissaient d’exception au monopole de l’auteur que « dans des cas spéciaux où il n’est pas porté atteinte à l’exploitation normale de l’œuvre ni causé de préjudicie injustifié aux intérêts légitimes de l’auteur », Et il est vrai que lorsque l’internaute peut faire des copies, qui, en raison de la numérisation, ont la même qualité que l’original, les intérêts de l’auteur sont atteints. De plus même si l’usage est strictement personnel la collection d’individus forment un public.

Les TGI de Vannes et de Paris (30 avril 2004 et 11 mai 2004, Legalis.net) avaient d’ailleurs écarté l’exception de copie privée pour un DVD au motif que la copie par les internautes prive l’auteur d’un mode d’exploitation essentiel pour l’amortissement de l’œuvre. Mais, statuant en sens contraire, le TGI de Rodez (13 oct 2004, D 2004, 3132, note Larrieu), dont la décision a été confirmée par la CA de Montpellier (10 mars 2005, D 2005, 1294), a relaxé un internaute qui avait gravé 488 films au motif qu’il n’était pas prouvé qu’il en avait fait un usage contraire à l’exception de copie privée ; le fait qu’il s’agisse de poursuites pénales avait fait que le doute devait profiter à l’accusé. Le tribunal avait fait observer qu’il s’agissait chaque fois de la reproduction d’un seul exemplaire et qu’une rémunération équitable avait été perçue pour l’achat des CD vierges (licence légale : voir infra). Le Professeur Caron a critiqué cette position en faisant observer qu’on ne saurait faire une copie licite à partir d’un usage primitivement illicite (CCE 2004, n° 152), ce que d’autres, par application de nemo lex non distinguit, contestaient car la loi n’exigeait pas que la copie source soit licite (D 2006, 787). Mais la cour de cassation a peut-être (la portée de l’arrêt est controversée) finalement reconnu (Crim 30 mai 2006, CCE 2006, n°118, note Caron), d’une part que la copie privée n’est licite que si la source l’est aussi, d’autre part qu’elle ne doit pas porter atteinte à l’exploitation normale de l’œuvre ni porter préjudice aux intérêts légitimes de l’auteur (respect de ce qu’il est convenu d’appeler le triple test). Cette licéité relève de l’appréciation des juges du fond en fonction d’une approche économique consistant à apprécier la perte de marché (Civ 1ère 28 févr 2006, n° 05-15.824), ce qui a engendré des solutions variables devant les juridictions du fond (voir Caron, JCP 2006.I.162, n°12).

Sur ces entrefaites certaines juridictions ont essayé d’introduire un distinguo. Pour le TGI de Bayonne (15 nov 2005, Juriscom.net) il faudrait en fait distinguer entre le téléchargement en émission (upload=mise à disposition de fichiers auprès des autres internautes par téléchargement montant) qui serait illicite et le téléchargement en réception (download) qui serait licite dès lors qu’il ne s’agit que d’une simple utilisation personnelle (simple copie à usage privé) : l’internaute simple utilisateur en réception pourrait donc exciper de l’exception de copie privée (TGI Meaux 21 avr 2005, Juricom.net, va aussi en ce sens). La Cour de cassation n’a pas eu à se prononcer sur cette distinction, mais la loi DAVSI ne retient pas la distinction et prohibe indifféremment les deux, alors que le gouvernement, dans le projet loi, avait initialement voulu être moins sévère envers le téléchargement réceptif que pour le téléchargement communicatif aux tiers.

En définitive pour la jurisprudence dominante l’usager était un contrefacteur car il est une composante du public et qu’en téléchargeant il fait une reproduction illicite sur disque dur, ce qui rend a fortiori illicite l’utilisation ultérieure. La cour de cassation, par un arrêt du 28 février 2006 (D 2006, 1065 note A Lucas), avait conforté cette jurisprudence dominante, en indiquant que le téléchargement était contraire à l’exploitation normale de l’œuvre. L’arrêt ouvrait aussi la porte aux mesures techniques de protection en validant le verrouillage technique d’un DVD, mais, curieusement, sans mentionner que l’article 6.3 de la directive 2001 autorisait expressément les mesures de protection.

  1. Depuis la réforme de 2006

  • Contexte : contre l’opinion du Gouvernement les députés avaient initialement introduit (en 2005) une licence dite globale dans le projet de loi de transposition. Le téléchargement aurait été licite à condition de s’acquitter d’une redevance globale. Le Gouvernement a retiré le projet pour en présenter un nouveau qui fut adopté par l’Assemblée nationale en mars 2006. Exit la licence globale. Le principe est l’interdiction du téléchargement, sauf consentement de l’auteur. Mais par souci de compromis les sanctions avaient été allégées dans le nouveau projet, même si finalement le caractère pénal des infractions avait été conservé (sur la question des sanctions voir le module droit pénal) ; en particulier le téléchargement illicite n’avait pas été, par artifice législatif, qualifié d’acte de contrefaçon, ce qui avait permis techniquement de réduire les peines encourues. Mais l’artifice n’a pas passé la barre du Conseil constitutionnel qui, au nom de l‘égalité devant le droit pénal, a censuré la loi qui distinguait entre les contrefacteurs habituels et les téléchargeurs. Les utilisateurs illicites du peer to peer sont donc des contrefacteurs passibles des sanctions habituelles, du moins en théorie, car en réalité les juges se montreront plus doux envers les rares usagers qui se feront prendre. Il n’y a donc plus de particularisme à la contrefaçon générée par le port à port.

  • Si, tout de même, puisque l’article L 336-2 oblige les fournisseurs d’accès à sensibiliser les internautes, par message, à l’illicéité du téléchargement (art L 336-2).

  • Les MTP (Mesures Techniques de Protection tels que procédés de cryptage, code d’accès) : la loi, conformément à la directive 2001 et au traité de l’OMPI (organisation mondiale de la propriété intellectuelle), conforte l’arrêt précité du 28 février 2006 puisque les éditeurs et fabricants auront le droit d’assortir les supports ou les fichiers de Mesures Techniques de Protection (ex limiter le nombre de copies possibles), sous réserve d’en informer le public des usagers (L 335-12) et de ne pas aller au-delà de ce qui leur a été octroyé contractuellement par l’auteur ou l’interprète, étant précisé que les Mesures Techniques de Protection exigées par les auteurs ne doivent pas empêcher l’usager de pouvoir bénéficier des exceptions de l’article L 122-5 du CPI (renvoi de L 331-9). C’est la consécration législative de ce qu’avait jugé la Cour de cassation, à savoir la licéité des Mesures Techniques de Protection. La décision du Conseil Constitutionnel (CC) confirme : au nom du respect du droit de propriété, le nombre de copies privées peut être limité à condition d’en informer le public. Il semble même que l’on puisse empêcher, le cas échéant, toute possibilité de copies, dès lors que l’exploitation normale de l’œuvre le commande, ce que le Conseil Constitutionnel a d’ailleurs souligné : ex pour l’accès à une chaîne de télévision payante (article 331-9 du CPI) comme Canal + aucun accès et donc aucune copie privée n’est possible en dehors du décodeur. Il appartiendra à la nouvelle autorité de régularité créée et à la jurisprudence de déterminer si la condition d’exploitation normale de l’œuvre (cf le test des trois étapes) autorisera le cas échéant à empêcher par des Mesures Techniques de Protection tout exemplaire de copie privée. Mais à lire l’article L 331-9 du CPI le régime normal devrait être un « exercice effectif » de l’usage et de l’accès aux copies privées. Au cas où la demande de jouissance de l’exception de copie privée serait rejetée par l’Autorité le copiste pourra déposer un recours devant la Cour d’appel de Paris (article 331-15 du CPI), seule juridiction compétente.

De plus l’exigence d’une source licite peut exister dès lors que l’auteur l’aura contractuellement exigé en amont (art L 331-9 al 2 du CPI)[7].

  • Restent, au-delà du principe, des difficultés : quid de l’usager qui veut, licitement, utiliser des données d’un support à l’autre ? En raison des Mesures Techniques de Protection les supports risquent de ne pas être compatibles entre eux, faute d’une norme technique unique. D’où l’idée de permettre, dans une certaine mesure, à l’instar de ce qui a été prévu pour les logiciels (voir infra) une décompilation avec accès au code-source, afin de permettre l’interopérabilité entre supports. Mais alors le risque est grand de voir la Mesure Technique de Protection privée d’efficacité par divulgation du code-source. Il fallait donc concilier les intérêts des utilisateurs avec ceux des éditeurs de logiciels et / ou d’œuvres : obliger les fournisseurs de Mesures Techniques de Protection à dévoiler les « informations essentielles » permettant l’interopérabilité tout en préservant le secret et l’efficacité des Mesures Techniques de Protection. Pour cela le législateur a créé un dispositif complexe : le fournisseur doit délivrer les informations sollicitées à l’usager et ne peut s’opposer à leur la diffusion, à moins que la demande ait « pour effet de porter gravement atteinte à la sécurité et à l’efficacité » de la mesure technique (art 331-7). Mais quid en cas de désaccord ? La loi crée une nouvelle Autorité Administrative Indépendante (l’Autorité de régulation des mesures techniques : voir les art L 331-18 et s pour sa composition et son statut[8]) qui ne peut être saisie que par les fournisseurs : celle-ci proposera une solution consensuelle et à défaut, dans un délai de 2 mois, elle validera le refus de communication du fournisseur, ou elle émettra une injonction de communication sous astreinte financière de tout ou partie des données sollicitées, voire infligera des pénalités financières au fournisseur. Comme les mesures techniques sont une manière pour les fabricants de cloisonner les marchés l’Autorité a aussi le pouvoir de saisir le Conseil de la Concurrence des pratiques anti-concurrentielles.

Pour contourner la loi française les éditeurs seront tentés de bloquer à distance, depuis l’étranger, les œuvres par des logiciels de Mesures Techniques de Protection. C’est pourquoi il est prévu que ces logiciels sont soumis à déclaration préalable auprès de l’Etat.

En dépit de ces garde-fous la reconnaissance des Mesures Techniques de Protection est juridiquement forte puisque elles sont en soi protégeables par le droit d’auteur (art 331-5), alors même que ce ne sont pas des œuvres en soi.

Il n’en reste pas moins, qu’en opportunité, les Mesures Techniques de Protection ne constituent en définitive, qu’une gêne que pour ceux qui ont acquis régulièrement les œuvres et pas pour les pirates, ce qui inopportun.

Un contentieux nourri existe de ce que les Mesures Techniques de Protection sont parfois illisible sur certains supports, le terrain du droit de la consommation et des contrats étant souvent choisi. Parfois c’est une association de consommateur qui part en guerre contre les Mesures Techniques de Protection. Mal leur en prend car il a été jugé que la copie privée n’étant qu’une exception et pas un droit (Cour de Cassation dans l’affaire Mullhohand Drive) il en résulte, du point de vue procédural, qu’on ne peut à titre principal intenter une action contre les Mesures Techniques de Protection empêchant la copie privée (irrecevabilité de l’action : Paris 4 avr 2007, CCE 2007, n°68, Caron) ; seul un consommateur poursuivi, pourrait, à titre d’exception pourrait invoquer la copie privée à celui qui ferait valoir une utilisation illicite.

  • Les Mesures Techniques de Protection sont complétées par des mesures techniques « d’information » qui, comme le tatouage, permettent d’identifier une œuvre (article L 331-22 du CPI) et par conséquent de tracer leur parcours sur la toile mondiale. Elles sont protégeables par le droit d’auteur. Le tout est passible de l’incrimination de contrefaçon, des procédures de saisie afférentes (article 332-1 du CPI) et des peines subséquentes dès lors que les mesures étaient protégeables par le droit d’auteur.

  • En définitive, comme on peut douter que les poursuites pénales seront efficaces pour juguler la contrefaçon le législateur, habilement, a en fait confié aux éditeurs le pouvoir de faire la police en limitant le nombre de copies possibles grâce à la technique. Pour le reste il s’est défaussé sur les juges qui devront appliquer le test des trois étapes pour les « petits » téléchargeurs : la jurisprudence antérieure continuera, ce qui signifie que les perdants ne seront pas ceux que l’on croit. Quelques lampistes trinqueront et la fraude continuera de plus belle. D’ores et déjà cette loi est un échec et il faudra la réformer. Un projet de loi, suite au rapport Olivennes, est déjà en chantier afin que des avertissements soient envoyés aux fraudeurs avant que de les réprimer. Ce projet, dit DAVSI 2, indique que les internautes en fraude se verront avertir par leur contractant fournisseur d’accès ; s’ils persévèrent dans l’illicéité ils encourront la suspension, puis la résiliation de leur contrat, le montant de l’abonnement demeurant dû.

Plus sûrement c’est le marché qui trouvera la solution : d’ores et déjà certains sites proposent un téléchargement gratuit, les ayants droit étant rémunérés par un pourcentage des recettes publicitaires (ex : Universal Music avec Jiwa). De plus trois majors de l’industrie de disque viennent d’annoncer en avril 2008 qu’ils s’associent avec MySpace pour avoir un site payant musical, mais dont l’écoute serait gratuite. Enfin, un accord tripartite (Etat, prestataires techniques d’accès, représentants de l’industrie culturelle) a été conclu le 23 novembre 2007 afin de promouvoir une offre en ligne en contrepartie de la collaboration des fournisseurs d’accès à la prévention et la lutte contre la contrefaçon.

  • La loi ne dit rien concernant une autre technique : l’enregistrement de musiques ou de séquences audiovisuelles diffusées sur le net en simulcasting. L’internaute utilise alors le logiciel « stationripper » (Kessler, stationripper : une nouvelle menace pour le droit d’auteur, D 2005, 3016) qui permet d’enregistrer en direct jusqu’à 300 radios. Grâce au logiciel l’internaute peut ensuite trier les musiques enregistrées en mémoire temporaire tampon (buffer). Autrement dit le streaming peut désormais donner lieu à un enregistrement permettant une écoute en différé, sans qu’il y ait copie privée. Avec cette technique, où il y a représentation mais pas reproduction, l’internaute ne peut être considéré comme un diffuseur partageant ses fichiers avec d’autres comme cela était le cas avec, par exemple Emule. Il n’est que l’utilisateur final qui peut dès lors exciper de l’usage privé. Seule l’application éventuelle du triple test prévu par la directive de 2001 (art5-5), et en particulier du critère selon lequel le logiciel « stationripper » priverait l’auteur d’une « exploitation normale », serait susceptible de rendre illicite l’usage fait par l’internaute. En tout cas, en mars 2007, la Sacem a obtenu la fermeture d’un site de musiques et d’un site de radio qui diffusait en streaming (Le Monde 17 mars 2007, p30). La multiplication de radios « privées » (webcasting) sur le net, créées grâce des logiciels gratuits, inquiète les institutions, qu’il s’agisse du Conseil supérieur de l’audiovisuel qui ne peut les contrôler puisqu’il n’y a pas d’attribution de fréquence, ou des sociétés d’auteurs. La stratégie des sociétés d’auteur consiste à faire pression, en les menaçant de poursuites, sur les hébergeurs afin qu’ils ferment les sites. Et ce qui vaut pour les radios en ligne vaut aussi pour les musiques, films, vidéos, diffusés en streaming. C’est ainsi que le TGI de Paris (13 juillet 2007, Légipresse 2007.I. 121) a jugé qu’un le site de partage vidéo était contrefacteur.