Les différents jugements : définitif, provisoire, mixte

Les variétés de jugement.

Selon que le jugement est susceptible ou non d’appel, on dira que le jugement est rendu en premier ressort ou bien qu’il est rendu en dernier ressort.

Selon qu’il y a eu défaillance ou comparution des plaideurs, on distinguera entre le jugement contradictoire, réputé contradictoire, qui sera assimilé au jugement contradictoire et le jugement pas défaut.

Une autre distinction très ancienne est la distinction entre le jugement constitutif et déclaratif.

On estime que parfois le juge se borne à déclarer, reconnaître une situation juridique préexistante, il ne la créée pas mais la reconnaît seulement. C’est l’exemple d’un droit de propriété qui était discuté entre deux plaideurs. Le juge n’a fait que reconnaître la propriété, c’est un jugement déclaratif de droit.

Il arrive que le juge crée une situation juridique nouvelle. En cas de divorce, le juge va le prononcer. C’est une situation juridique nouvelle libérant les époux. Le jugement est ici typiquement constitutif de droit.

On a prétendu longtemps attacher des conséquences techniques pour fixer le point de départ des effets du jugement.

Le jugement déclaratif verrait ses effets rétroagir tandis que le jugement constitutif n’aurait effet que pour l’avenir. Il en est ainsi pour une reconnaissance de filiation. Inversement, pour les dommages-intérêts, ceux-ci ne jouent qu’à la date de la décision du juge.

Mais dans la réalité, il est délicat de faire le départ entre le jugement déclaratif et constitutif. C’est l’exemple d’un jugement posant le principe d’une responsabilité civile.

Du point de vue de la responsabilité civile, le jugement est déclaratif, il va créer le cadre de responsabilité.

De ce point de vue, le jugement est déclaratif, mais pour les dommages-intérêts, la fixation du quantum relève du pouvoir souverain d’appréciation du juge.

On le voit, les deux qualifications se mélangent. La plupart des auteurs estime que les jugements sont à la fois constitutifs et déclaratifs.

On distingue encore les jugements définitifs et les jugements provisoires. Entre les deux, on parle de jugement mixte.


  • 1 Le jugement définitif.

Il est envisagé par l’article 480 du Code de Procédure Civile. Ce jugement est défini comme un jugement qui tranche dans son dispositif tout ou partie du principal, ou bien celui qui statue sur une exception de procédure, une fin de non-recevoir, ou tout autre incident.

En vérité, l’article 480 ne désigne pas explicitement ce jugement de jugement définitif. Ce texte est placé dans une Section I « les jugements sur le fond. »

En vérité, les auteurs se défient de cette qualification et préfèrent parler de jugement définitif. Cette définition est ambiguë. On s’attendrait par un jugement sur le fond à un jugement jugeant au principal.

Or, ce n’est pas la définition qu’en donne l’article 480 du Code de Procédure Civile. L’article traite de celui qui statue sur une exception de procédure, ou une fin de non-recevoir.

Cette expression est trompeuse, et c’est pourquoi les auteurs préfèrent parler de jugement définitif. Cette appellation risque cependant d’insinuer une second confusion.

Pour un non-spécialiste, le jugement définitif est celui qui ne peut plus être remis en cause, celui qu’un spécialiste de la procédure qualifierait de jugement irrévocable, celui qui ne peut plus faire l’objet d’une voie de recours ordinaire, suspensive d’exécution, ni d’une voie de recours quelconque, même extraordinaire, comme un pourvoi en cassation.

Or, le jugement relatif à l’article 480 du Code de Procédure Civile est celui qui tranche une exception de procédure une fin de non-recevoir ou tout autre incident, qui vient trancher une partie du litige, que cette partie relève du fond, de la procédure ou de tout autre incident. Le jugement définitif est celui qui tranche le litige au sens le plus large du terme.

Ce jugement s’oppose au jugement provisoire.

  • 2 Le jugement provisoire.

Ce jugement provisoire est envisagé par les articles 482 et suivants du Code de Procédure Civile. Il s’agit d’une Section II « Les autres jugements. » Ces jugements provisoires se rangent en deux classes.

Première catégorie, les jugements provisoires par nature.

C’est la nature de la juridiction qui leur confère cette nature. Il s’agit des ordonnances de référé et sur requête. Ces jugements n’ont pas autorité de chose jugée au principal.

Seconde catégorie, les jugements provisoires à raison même de leur objet.

Il s’agit des jugements qui ordonnent une mesure qui n’est pas définitive, mais essentiellement révisable. C’est le cas des jugements avant-dire droit, qu’envisage l’article 482 du Code de Procédure Civile.

Ce jugement avant-dire droit se borne, selon le texte, dans son dispositif, à ordonner une mesure d’instruction ou une mesure provisoire. Cette définition est la meilleure définition qu’on peut donner du jugement avant-dire droit.

Cette définition est pleine de conséquences sur le terrain du dessaisissement et de l’autorité de la chose jugée.

Le caractère provisoire tient alors à la mesure ordonnée par le juge. Le juge ordonne une mesure qu’il souhaite pouvoir réviser. Cela explique que le jugement provisoire ne soit pas susceptible de faire l’objet d’une voie de recours indépendamment du jugement à intervenir sur le fond.

S’il en est ainsi, on peut donner une opposition claire du jugement définitif et provisoire. Le jugement définitif va trancher un point litigieux quel qu’il soit. Le jugement définitif en tous les cas, tranche un point litigieux, une partie du litige.

Au contraire, le jugement provisoire ne tranche pas le litige d’une manière quelconque. C’est pourquoi, le régime juridique applicable est si foncièrement différent entre ces deux types de décisions.

Puisque dans un jugement définitif, le juge tranche une partie du litige, le juge épuise son pouvoir juridictionnel. Il a bien exercé son office. Puisqu’il en est ainsi, dans toute cette mesure, cette décision, cette décision a autorité de chose jugée et dessaisit le juge qui ne peut plus connaître de cette question, selon l’article 481 du Code de Procédure Civile.

À l’inverse, dans un jugement provisoire, puisque la mesure est essentiellement révisable, la caractéristique essentielle réside dans le fait que ces jugements provisoires n’ont pas autorité de la chose jugée, selon l’article 482 et 483 du Code de Procédure Civile pour ces solutions.

Vis-à-vis du juge qui les aura rendus, le juge ne sera pas nécessairement dessaisi, il pourra connaître à nouveau le cas échéant de cette mesure, selon l’article 483 et 497 du Code de Procédure Civile.

  • 3 Le jugement mixte.

Il participe à la fois du jugement définitif et du jugement provisoire. En effet, on peut parfaitement imaginer qu’un jugement tranche dans son dispositif une partie du principal.

En même temps, tout en tranchant une partie du principal, ce jugement ordonne une mesure d’instruction, ou une mesure provisoire.

Dans l’hypothèse d’un accident de la circulation, le juge saisi d’une demande d’indemnisation peut admettre la responsabilité du conducteur et admettre l’existence d’un droit à réparation. Il a admis le principe de la responsabilité civile. Le jugement est ici définitif, selon l’article 480 du Code de Procédure Civile.

Mais en même temps, le juge peut ne pas avoir à sa disposition les éléments nécessaires à la réparation, comme une expertise médicale pour évaluer le préjudice physique, le pretium doloris ou le préjudice esthétique. Il va ordonner une mesure d’instruction qui ne lie pas le juge. Il pourra décider de compléter cette demande d’une contre-expertise.

Du point de vue de l’expertise, le jugement est provisoire. Ce type de jugement est donc un jugement mixte, extrêmement fréquent. Cette mixité du jugement complique la détermination de son régime. Quel régime appliquer à ce jugement ?

Il va falloir appliquer un régime original. Ce jugement mixte aura tout d’abord autorité de chose jugée, emportera dessaisissement du juge, mais seulement en ce qui concerne le point définitivement tranché. Il ne dessaisira le juge que sur le principe de la responsabilité.

Précisément, c’est la deuxième caractéristique de ce jugement, ce jugement pourra faire l’objet d’une voie de recours, appel ou pourvoi en cassation, immédiatement, seulement en ce qui concerne le point définitivement tranché.

De ce point de vue, c’est le régime du jugement définitif qui s’applique.

Mais pour tout le reste, le régime qui s’applique à lui est le régime du jugement provisoire. Le régime juridique qui s’applique au jugement mixte est un jugement différencié. C’est une application distributive des qualifications.

Ce qui est plus compliqué dans la pratique est la qualification elle-même. Comment identifier concrètement ce genre de décisions ?

On se demande tout d’abord si la qualification de jugement mixte doit être réservée à celui qui tranche tout ou partie du principal, et ordonne par ailleurs une mesure d’instruction au provisoire, ou bien s’il l’on peut appliquer cette qualification de jugement mixte au jugement qui tranche un incident, une exception de procédure, une fin de non-recevoir, et qui par ailleurs, prononce une mesure d’instruction, une mesure provisoire.

La jurisprudence est divisée sur ce point. Surtout, ce qui rend la qualification difficile c’est que dans les faits, la distinction formelle entre les motifs et le dispositif n’est pas toujours dans son fond, scrupuleusement suivie par les juges.

On trouve parfois donc dans les motifs des jugements, des éléments de décisions, qui paraissent relever du dispositif. Cela complique la tâche en particulier lorsqu’un juge tout en ordonnant une mesure d’instruction émet dans ses motifs une affirmation selon laquelle la responsabilité est engagée, dans cette hypothèse, peut-on encore parler de jugement mixte ou de jugement purement provisoire ?

Si l’on a obtenu une mesure d’instruction ce n’est rien. Devant le juge au principal, on pourra remettre en cause ce jugement.

La qualification est décisive, essentielle, ce qui explique qu’elle soit si disputée par les plaideurs.

La jurisprudence a beaucoup varié. Aujourd’hui, pour elle, ce genre de décision ne peut se voir reconnaître la nature d’un jugement mixte, car, pour la Cour de Cassation, les simples motifs n’ont jamais autorité de la chose jugée, c’est au vu du dispositif qu’on la détermine, pas au vu des motifs.

Il y a tout du moins des accommodements jurisprudentiels pour accéder au même résultat.