Emprise irrégulière et voies de fait en droit administratif

Les voies de fait et d’emprises

ATTENTION DEPUIS 2013 LA VOIE DE FAITE ET EMPRISE IRREGULIERE N’EXISTE PLUS;

Le 9 décembre 2013, le Tribunal des Conflits a mis fin à la théorie de l’emprise irrégulière.

Après avoir bouleversé la théorie de la voie de fait, en en resserrant LES CONDITIONS, le Tribunal des Conflits vient de mettre un terme à l’emprise irrégulière.

La voie de fait et l’emprise sanctionnent l’atteinte illégale à la liberté individuelle et à la propriété privée.

Ca recouvre des hypothèses graves d’atteinte à la liberté individuelle ou à la propriété privée par l’administration. L’idée qui a présidée à la construction de ces deux concepts est que l’administration qui porte une atteinte grave aux libertés doit être sanctionnée et du coup doit perdre son privilège de juridiction administrative. L’administration en cas de voie de fait ou d’emprise relève de la juridiction judiciaire, gardienne naturelle de la liberté individuelle et de la propriété privée.

  • La voie de fait est une action de l’ Administration « manifestement insusceptible d’être rattachée à l’exercice d’un pouvoir appartenant à l’Administration » (C.E., 18 novembre 1949, Carlier) et portant atteinte à une liberté fondamentale (ainsi l’exécution par la force d’une décision administrative en dehors des cas où elle est possible, T.C., 2 décembre 1902, Société immobilière de Saint-Just).
  • L’emprise irrégulière est la violation de la propriété privée (une réquisition irrégulière ou l’implantation d’un ouvrage public sur une pro¬priété privée). Seul le juge judiciaire peut prendre toutes les mesures nécessaires pour y mettre fin. Dans cette hypothèse, l’Administration sort de la fonction administrative. On peut parler de déni d’Administration.
  • I – La voie de fait

Il y a deux définitions différentes de la voie de fait.

Premièrement, la voie de fait est l’exécution forcée irrégulière d’une décision administrative même régulière (c’est à dire régulière ou irrégulière).

Arrêt du 2 décembre 1902 Société immobilière de Saint Just (GAJA 1910): ce sont les conclusions de Romieu qui ont explicitées ce premier cas de voie de fait. Il a expliqué dans quelles situations une exécution forcée était régulière : lorsqu’elle ne se situe pas dans l’une des 3 hypothèses que l’on va voir.

  • Première hypothèse : lorsqu’il n’y a pas de sanction pénale prévue pour sanctionner la non exécution d’une règlementation ou d’une législation. La procédure pénale est la voie normale pour faire exécuter de force une règlementation ou une législation. S’il n’y a pas de sanction pénale, l’administration ne peut pas faire autrement que de prêter le concours de la force publique pour faire respecter la règlementation ou la législation.
  • Deuxième hypothèse : lorsque la loi autorise expressément des exécutions forcées (on dit aussi exécution d’office).
  • Troisième hypothèse : la situation d’urgence. L’administration peut faire l’exécution forcée sans l’autorisation d’un juge.

Même à partir de ces trois hypothèses, il faut encore qu’elle présente deux conditions cumulatives :

  • Premièrement il faut que l’administration se heurte à une résistance de l’administré qui ne veut pas respecter la législation ou la règlementation et cette résistance doit être constatée.
  • Deuxièmement il faut que l’exécution forcée soit strictement nécessaire et proportionnée au but recherché, au respect de la règlementation ou de la législation.

S’il manque une condition parmi ces deux là, l’exécution forcée est irrégulière.

Deuxièmement, c’est un acte ou une action de l’administration qui est insusceptible de se rattacher à quelconque pouvoir de l’administration et qui porte une atteinte grave à la liberté individuelle ou au droit de propriété privée. Cette atteinte grave est contenue implicitement dans l’exécution forcée.

Arrêt du Conseil d’Etat du 18 novembre 1949 Carlier: un journaliste s’était vu interdire l’entrée de la cathédrale de Chartes et qui s’était vu par les autorités de police municipales, saisir ses plaques photographiques. Il était connu des services de la culture pour dénoncer de façon systématique le mauvais entretien des cathédrales. le Conseil d’Etat a reconnait qu’à la fois l’interdiction d’entrer dans la cathédrale et la saisie des plaques photographiques, constituaient des voies de fait.

Les deux définitions de la voie de fait peuvent se combiner. C’est ce qui s’est passé le 8 avril 1935.

Arrêt du Tribunal des Conflits du 8 avril 1935 Action française: le Tribunal des Conflits estime qu’un préfet qui par mesure de prévention saisi des journaux, prend un acte insusceptible de se rattacher aux pouvoirs de l’administration et exécution forcée et irrégulière. Ici les deux définitions de la voie de fait se conjuguent. Implicitement le Tribunal des Conflits décide qu’une voie de fait commise par un fonctionnaire n’est pas nécessairement une faute personnelle. Le Tribunal des Conflits dans un de ses considérant dit que la saisie des journaux n’est pas nécessairement une faute personnelle.

Arrêt confirmé récemment dans un arrêt du Tribunal des Conflits du 15 février 2010 Demoiselle Taralu: cette personne demande réparation du fait qu’en Polynésie française, un directeur de prison a fait abattre des arbres de la propriété de la requérante pour se dégager la vue sur le lagon de son appartement de fonction. On a une voie de fait. Le Tribunal des Conflits confirme que l’Etat a toujours la possibilité d’exercer une action récursoire contre son agent s’il estime qu’il a commis une faute personnelle. Ca veut dire que la faute personnelle n’est pas nécessairement consécutive à la voie de fait mais peut l‘être.

  • II – L’emprise

C’est une atteinte grave au droit de propriété uniquement et qui plus est à la propriété privée immobilière, ou encore une atteinte à un droit réel immobilier qui est tellement grave qu’elle entraine une dépossession. Ca recouvre les hypothèses d’expropriation indirecte : l’administration empiète sur notre terrain pour élargir les voies publiques. Les cas d’emprise sont partagés entre les deux ordres de juridictions car le juge administratif est exclusivement compétent pour apprécier la légalité de l’emprise et c’est seulement en cas d’emprise irrégulière que le juge judiciaire sera compétent pour en réparer les conséquences dommageables.