Histoire du droit international privé

La formation historique de la règle de conflit de lois

Pour avoir un postulat de départ, il faut un mouvement des populations au delà des frontières, mais il faut aussi une certaine tolérance du juge et du législateur car si le juge applique toujours sa propre loi, il n’y aura plus aucun conflit de loi.

Enfin la 3e condition suppose que les droits en conflit ne soient pas identiques car sinon il n’y aurait plus d’intérêt à trancher un conflit de loi.

Puisqu’il faut ces 3 conditions , cela explique que la matière ne soit apparue que très récemment.

Section 1 : De l’Antiquité au code civil

Le Droit International privé est véritablement né en Europe au Moyen-Age. Jusqu’à cette époque, la diversité des droits n’était pas prise en compte , et notamment dans le monde grec et romain, on refusait aux étrangers la qualité de sujet de droit. Il y a ensuite eu des assouplissements mais le droit romain était unique et s’appliquait à tout l’empire. Après cette époque, l’Europe a subi les invasions barbares et à partir de ce moment là, les populations locales envahies continuaient à vivre sous l’emprise du droit romain et les peuples envahisseurs continuaient à être régis, eux, par leurs propres coutumes. Ont donc coexisté plusieurs droits selon le principe de la « personnalité de la loi »(on applique à la personne la coutume de son peuple). Ce système a duré environ 3 siècles mais, peu à peu, les peuples se sont sédentarisés, ce qui a eu une influence sur le droit et a donc succédé la « territorialité de la loi » (on applique la loi du territoire). On a donc fait un pas en arrière : c’était nier de nouveau le conflit de loi .

Ce n’est qu’au 11e siècle (Moyen-Age) qu’on a commencé à s’interroger sur les conflits de loi qu’on appelait « conflits de coutume ». Et plus précisément, la doctrine des conflits de lois est apparue en Italie. La 1ere expression scientifique doctrinale du Droit International privé est celle de la doctrine italienne des statuts, suivie par la doctrine française.

  1. A) Le Moyen-Age et la doctrine italienne des statuts

La doctrine des conflits de lois se développe en Italie du Nord au 12e siècle. L’Italie du nord était une région riche et chaque ville du nord (Milan , Florence…) avait sa coutume propre qu’on appelait : « les statuts ». Ex : statut de Florence…

A cette époque les échanges commerciaux ont commencé a se développer (c’est le 1er ingrédient du conflit de loi). Il y a donc un déplacement des gens et des marchandises pour faire du commerce. Les Italiens se sont interrogés : si un Milanais venait à Florence pour faire du commerce, quel allait être son statut ? Et si ce Milanais faisait un testament, ce-dernier serait-il régi par le statut de Florence ou de Milan ? C’est un début de réflexion.

Les Italiens ont alors compris que leurs statuts ne s’appliquaient pas au monde entier, l’étranger n’est donc pas régi par la « lex fori ».

Les Italiens s’interrogent aussi sur le caractère réel ou personnel d’une situation.

A l’intérieur de ces principes , ils distinguent les règles de procédure et les règles de fond et ceci est important car cette distinction présuppose que le juge puisse appliquer une autre loi que la sienne.

La question s’est ensuite posée en France.

  1. B) Les auteurs français du 16e siècle

1) Le 1er Français : Charles Dumoulin (1500-1566)

Il était avocat au Parlement de Paris et professeur et il a réfléchi sur les « conflits de coutume » à partir de cas pratiques et s’est interrogé sur la qualification à donner à une situation juridique pour en déduire la loi applicable. Il a aussi eu un rôle à jouer dans l’élaboration du principe de l’autonomie de la volonté : il a dégagé l’idée selon laquelle les parties pouvaient soumettre leur contrat à une autre loi que celle du lieu de conclusion.

Il raisonne à partir de cas matrimoniaux : il est consulté à propos de l’affaire des « Epoux de Ganey » pour savoir quelle était la coutume applicable à leur régime matrimonial. Il trouve une solution : comme les époux peuvent conclure un contrat de mariage, le régime matrimonial quel qu’il soit est un contrat tacite et donc les époux peuvent soumettre ce contrat à une autre loi : il a donc dégagé la possibilité d’un choix. Mais les époux n’expriment pas expressément ce choix : il faut le déduire de la volonté des époux.

Dumoulin a donc dégagé une théorie de la volonté implicite des époux de soumettre leur régime matrimonial à la loi du lieu de leur 1er domicile conjugal.

2) Berthrand d’ Argentré ( 1519-1590)

Magistrat breton au parlement de Bretagne. Il fait partie des territorialistes et son souci était de voir appliquer la coutume de Bretagne le plus souvent possible. Cette volonté s’explique par les conflits de région qui existaient à l’époque.

Pour cela, il a construit la théorie basée sur la distinction entre le statut réel et le statut personnel. Pour lui les coutumes sont à placer dans le statut réel, et se sont les coutumes du territoire qui doit s’appliquer aux questions du statut réel. Donc la plupart des coutumes sont d’application territoriale et donc le juge saisi appliquera la coutume de son territoire. Sauf cas exceptionnel il emploiera la coutume d’un autre territoire.

L’intérêt de cette théorie, c’est qu’elle systématise la distinction entre statut réel et personnel, alors que les Italiens n’en avaient fait qu’une ébauche.

D’ Argentré donne une vision du statut personnel réduite. Avec lui apparaissent les débuts d’une théorie de qualification. Il va commencer à opérer un classement, alors que Dumoulin ne le faisait qu’au cas par cas et que les Italiens ne l’ avaient qu’ ébauché.

Ce qui a conduit à la théorie territorialiste, au XVIe siècle, c’est la volonté d’indépendance politique des régions.

À cette époque, la théorie de D’ Argentré n’a pas eu de retentissement en France. En revanche, il a eu du succès à l’étranger et notamment en Hollande.

  1. C) La doctrine hollandaise de la courtoisie internationale

Les Pays-Bas à cette époque étaient sous l’emprise espagnole. Ils cherchaient leur indépendance politique, et avait peur de perdre leur identité. De plus, les Pays-Bas était un pays marin et commerçant.

Du coup, les doctrines de D’ Argentré ne pouvaient être que bien accueilli. Pourtant elles vont faire l’objet d’une évolution grâce à l’influence du commerce avec l’étranger. Cette évolution aura des répercussions sur le droit international privé.

Jusqu’à D’ Argentré , les conflits de loi étaient en fait des conflits de coutumes. À partir des hollandais, la théorie des conflits de loi prennent un caractère international. De plus, des hollandais réfléchissent aux fondements de l’application d’une loi étrangère. Pour eux s’y on appliquer la loi étrangère, c’est par courtoisie internationale ( ex comitas) envers les nations. Ce n’est pas obligatoire, mais utile d’appliquer la loi étrangère pour plusieurs raisons. On peut en espérer une réciprocité. C’est bon pour le commerce. C’est bon pour la stabilité et la prévisibilité de la règle de droit, c’est-à-dire que si une situation est reconnue comme valable dans un pays, il est bon que la situation soit reconnue également comme valable dans un autre pays si l’individu change de pays.

Ex : le mariage : on ne peut pas être marié et ne plus l’ être uniquement parce que l’on passe la frontière. Ces idées ont eu du succès aux États-Unis.

Car c’ était un nouveau pays qui avait besoin de s’ affirmer.

Les principes territorialistes ont pour fondement la notion de souveraineté d’un Etat.

Section 2: du Code civil à nos jours

2 exemples d’auteurs importants an droit international privé :

– Mancini (italien), homme politique et professeur de droit. Il réagit doublement contre la territorialité des lois des français et contre la courtoisie internationale des hollandais

Savigny (allemand), contemporain de Mancini. Père fondateur de la théorie moderne des conflits de lois dans les pays anglo-saxons. Il a fait son traité de droit romain de 1849. Sur le plan théorique ou philosophique : jusqu’à Savigny le Droit international privé s’analysait en un conflit de souveraineté. On estimait que la soumission d’une personne à la loi ou au juge d’un Etat ou d’une autorité politique est en réalité une manifestation du pouvoir de la souveraineté de cette autorité

  1. A) Le Code civil de 1804

Le Code civil a toujours une place importante dans le droit mais en droit international public il n’a eu qu’une influence indirecte sur le conflit de loi.

Cela s’explique pour des raisons historiques. D’une part de droit civil français a unifié son droit. Il y a eu la rédaction des coutumes et grâce à cela on a supprimé les conflits de loi interne.

En revanche, il restait les conflits de loi sur l’angle internationale mais à l’époque les tribunaux français étaient incompétents pour juger les litiges entre Français et étrangers.

Donc on sait désintéresser de la question de conflit de lois.

D’autre part, les rédacteurs du Code civil étaient très fiers de leur oeuvre. Il pensait que cela allait être un modèle pour le monde entier et que peut-être cela aurait pour effet d’unifier les lois du monde entier.

Aujourd’hui il ne reste plus que l’article 3 qui est toujours valable et dans sa forme originelle. Ils disposent : « les lois de police et de sûreté obligent tous ceux qui habitent le territoire.

Les immeubles, même ceux possédés par des étrangers, sont régis par la loi française.

Les lois concernant l’état et la capacité des personnes régissent les Français, même résidant en pays étranger »

Il faut remarquer que la formulation du texte est unilatérale parce qu’elles ne concernent que le domaine de la loi française.

Petit à petit les litiges qui impliquaient des étrangers se multiplient et les tribunaux français ont commencé à juger les litiges entre étrangers.

C’est à partir de cet article 3 que l’on a élaboré tout notre système de conflit de loi à fin de dire qu’elle était la loi étrangère applicable quand la loi française ne l’ était pas. La plupart des décisions en droit international privé visent l’article 3.


  1. B) Les auteurs du XIXe siècle et le courant universaliste

Tout ce qui existait avant va se fragmenter sous l’influence de deux auteurs , Savigny et Mancini. Ils appartiennent au courant universaliste qui préconise de tenir compte des données universelles a fin de construire un droit international privé idéal.

1) la doctrine de Mancini

Il était italien et a adopté une position opposée à celle de d’ Argentré. Pour lui, les lois sont personnelles donc classées dans la catégorie du statut personnel. Cela permet d’appliquer la loi italienne aux italiens quel que soit l’endroit où ils se trouvent.

Donc le statut personnel va être rattaché à la nationalité des intéressés. Mancini s’est inspiré de l’article 3 qui rattache tout français à la loi française. Pour lui, la nationalité c’est le fondement du droit des gens. Cette nationalité doit gouverner les lois dans l’espace. Par conséquence les nationaux d’un pays pourront être soumis à une même loi. Du coup, les Italiens seront soumis à la loi italienne même s’ils ne sont pas en Italie. C’était important à l’époque car l’Italie était un pays d’émigration.

Malgré tout, Mancini acceptait quand même que la loi territoriale s’applique à certaines situations. Par exemple pour des questions de délits et de contrat.

La thèse de Mancini connaît un véritable succès.

Notamment, les premières conventions de la Haye ont eu comme principe de rattachement, le rattachement à la nationalité. (Les choses évoluer depuis). Mais il y a certains systèmes juridiques qui ne l’ on pas suivi.

Exemple : common law (le droit anglais repose sur le domicile et non sur la nationalité.)

2) Doctrine de Savigny ( 1779 – 1861)

Il est allemand, professeur spécialiste de droit romain. Il rédige un traité de droit romain dont l’un des tomes est consacré uniquement aux conflits de loi dans le temps et dans l’espace.

Il n’était pas préoccupé par des questions de souveraineté. Il était même optimiste car la ils existaient en Europe pour lui, une communauté juridique issue des traditions romaines et influencée par la chrétienté.

Pour lui, il y a un moyen commun, universaliste. Il a grandement influencé notre système juridique. Pour lui, l’important c’est de soumettre une situation à l’un des pays avec laquelle elle est en contact. Mais pour partir du rapport de droit, il faut partir du rapport de droit et localiser ce rapport de droit. Après cela on obtiendra le siège du rapport de droit. Cela se passe de façon abstraite. Une fois qu’on a le siège, on aura la loi qui est le mieux et le plus en rapport avec ce rapport de droit.

Parmi les exemples, pour les rapports d’ obligations contractuelles, le siège c ‘ était l’ exécution du contrat. Donc loi applicable est celle du lieu d’éxécution. En matière de statut personnel ( état et capacité d ‘une personne) le siège était le domicile de la personne.

3) Doctrine d’ Antoine Pillet ( 1857- 1924)

Professeur de droit international public, il a réfléchi à l’opposition d’idées entre Mancini et D’ Argentré. Pour D’ Argentré, il remarque que ce qui est important c’est la généralité d’application d’ une loi sur le territoire. Pour Mancini, ce qui est important c’est la permanence de la loi, même en dehors du territoire.

Ces deux théories sont opposées et si on les suit, il y aurait des conflits permanents. Pour Pillet, il faut rechercher le minimum de sacrifices pour choisir soit la généralité soit la permanence. Pour cela, il faut rechercher le but social des lois car, pour lui aussi, les conflits de loi sont des problèmes de souveraineté.

il va répartir les lois selon leurs buts.

Soit, le but de la loi est de protéger les individus et à ce moment-là l l’important c’est que la loi soit appliquée de façon permanente. Donc il faut privilégier cette permanence de la loi. Par conséquent, il faut faire régir les questions de protection par la loi nationale de l’individu et se ranger du côté de Mancini.

Soit, le but de la loi est de garantir l’ordre social. Alors il faut que la loi s’applique de façon générale, et on adoptera un critère territorialiste.

  1. C) Les doctrines contemporaines et les courants territorilaistes et particularistes (fin 19iéme –début 20ième siècle) : Bartin et Niboyer.

On oppose les universalistes aux particularistes. Pour les universalistes (Mancini, Savigny, Pillet), la primauté est donnée aux sources internationales puisque les problèmes posés ont une valeur internationale.

Pour les particularistes, au contraire, il n’y a pas d’unification possible et donnent la préférence aux sources internes. Et donc les particularismes de chaque ordre interne doivent être respectés. Parmi eux, on classe Bartin et Niboyer.

Ils ont été influencés par les guerres franco-allemandes. D’abord ils estiment que l’universalisme est une utopie et que les solutions seront forcément influencées par des conceptions nationales. Ils admettent l’ une des idées de Savigny qui était de déterminer le siège du rapport de droit. Ensuite, il faut privilégier les sources internes car elles permettent de sauvegarder les intérêts propre à chaque État, donc de sauvegarder les particularismes de chaque État.

Pour Bartin, le droit international privé n’est qu’une projection du droit civil interne sur le plan international. Du coup, pour lui, on arrivera jamais à une solution universelle, il y aura toujours des conflits de lois.

Niboyer de son côté, était un élève de Pillet (seulement il était territorialiste) et donc nationaliste. Pour lui l’objectif d’une règle française est donc, de défendre les intérêts français et donc la règle française doit s’appliquer sur l’ensemble du territoire. Pour lui aussi, chaque État produit son propre droit internationale privé. Son traité a été intitulé « Traité de DIP français ». Il reprochait aussi un certain nombre de choses à Savigny . D’une part, il lui reproche d’être trop abstrait. Pour eux, il faudrait mieux partir du contexte du rapport de droit pour déterminer quelle est la loi qui a les liens les plus étroits avec ce rapport de droit. D’autre part, il lui reproche d’être trop aveugle parce que la méthode ne regarde pas le contenu des lois qui sont en conflits. Du coup, la loi appliquée ne sera pas forcément la meilleure.

Conclusion : Toute la théorie des conflits de loi s’est construite par couches successives. Différents courants ont amené à cette construction. Aujourd’hui, on a pas une prédominance d’un courant sur un autre mais une combinaison d’idées : l’idée de souveraineté, l’idée de proximité, le principe d’autonomie de la volonté, on s’intéresse à la recherche du but des lois, des règles de droit.