L’acquisition et la transmission de biens en droit privé

Acquisition et transmission de biens.

L’acquisition et la transmission de biens concernent d’une part des biens détenus par les particuliers (personnes physiques ou morales de droit privé) et d’autre part la détention des biens en pleine propriété. En droit privé, l’acquisition et la transmission des biens obéissent à un certain nombre de règles.

  • 1 : L’acquisition de bien.
  1. Le caractère volontaire de l’acquisition.

L’entrée d’un bien dans le patrimoine de son titulaire est dominée par le volontarisme. On ne devient pas propriétaire contre son gré. L’état de propriétaire est voulu et non imposé, même dans le cas où en apparence la qualité de propriétaire semble acquise par le seul effet de la loi et non de la volonté.

Le caractère volontaire de l’acquisition est particulièrement flagrant pour celles qui reposent sur un mécanisme de droit des obligations. Il en est ainsi par exemple de la vente et de la donation. Les parties à ces contrats doivent manifester tout autant la volonté de transmettre que celle de recevoir. Et contrairement à ce que l’on croit parfois, la volonté de se rendre propriétaire est traitée par le droit avec autant d’attention que celle de se défaire de cette qualité de propriétaire.

L’article 936 du code civil entoure l’acceptation de la donation par un sourd muet d’un formalisme particulièrement marqué tendant à s’assurer que le donateur accepte effectivement la libéralité et cela quand bien même la donation serait sans charges. Il s’agit d’un texte éloquent car d’une part il n’existe pas de dispositions semblables dans la théorie générale des obligations alors que certains actes qu’un sourd muet peut passer peuvent apparaître beaucoup plus grave de conséquences que celui d’acquérir un bien (par exemple, vendre un bien), et d’autre part, l’équivalent n’existe pas du côté du donateur sourd muet alors qu’on pouvait penser a priori, que celui qui se détache d’un bien devrait être beaucoup plus protégé que celui qui le reçoit.

Cet aspect volontariste se retrouve également pour la personne devenue propriétaire par le jeu de la possession ou de l’occupation, puisqu’il y a intention de s’affirmer maître de la chose, puisqu’il existe véritablement une intention d’appropriation.

Cela se vérifie encore dans des hypothèses où la volonté de futur propriétaire semble, en apparence inexistante : c’est le cas de la dévolution légale ab intestat (recevoir un bien sans qu’il y ai de testament) et du testament. Dans les 2 cas, l’héritier ab intestat ne peut être considéré comme propriétaire des biens dévolus qu’à partir du moment où il accepte la succession (certains actes peuvent traduire la volonté d’être propriétaires au-delà de la renonciation ou de l’acceptation qui ont un délai de 30 ans). De la même manière, le légataire peut toujours refuser de devenir propriétaire du ou des biens que le testateur entendait lui léguer, indépendamment des notions de délivrance du légataire, de saisine de plein droit et d’envoi en possession (voir droits de succession).

Ceci étant, un tempérament au caractère volontaire de l’acquisition des biens en droit privé doit être apporté dans l’hypothèse où une personne, sans manifester sa volonté, devient propriétaire d’un bien pour l’unique raison qu’elle est déjà propriétaire d’un autre bien : l’accession et la découverte d’un trésor : article 716 du code civil.

Dans ces deux cas particuliers, la qualité de propriétaire résulte d’un état de fait et non de la volonté. On se rapproche alors de ce qu’on observe en droit public.

Si on fait le parallèle avec les biens appartenant à l’État, on se rend compte que celui-ci dispose d’une grande faculté d’absorption automatique des biens dans son patrimoine. Il en est ainsi par exemple des biens sans maître (article 739-713 du code civil), des biens vacants (article 739). –> Caractère d’automaticité.

La désaffection est le fait, pour un bien appartenant au domaine public de l’État de ne plus être affecté à un domaine public ou à l’usage du public. Un acte de déclassement et alors pris, constatant cet état de fait. Le bien sort alors du domaine public pour entrer dans le domaine privé de l’État. Il n’y a pas à proprement parler d’acquisition par l’État de bien, mais il y a tout de même entré d’un bien dans le patrimoine privé (ou domaine privé) de l’État, de même qu’il y a entrée d’un bien dans le patrimoine d’une personne en droit privé.

  1. Caractère indifférent de l’affectation du bien requis.

Contrairement au droit public, le droit privé des biens ne prend pas en compte l’affectation du bien c’est-à-dire l’usage que compte en faire son propriétaire pour considérer qu’il rentre ou non dans le patrimoine de son titulaire. En droit administratif des biens, les biens se divisent selon qu’ils sont affectés ou non à l’usage du public ou à un service public. Dans l’affirmative, ils appartiennent au domaine public, dans la négative au domaine privé. En droit public, l’acquisition d’un bien ne peut se détacher de la question de son affectation. Cette question de l’affectation du bien à un usage quelconque est inconnue en droit privé. Il n’existe pas de notion de pluralité de patrimoine en droit privé. Autrement dit, il n’y a pas de patrimoine d’affectation, si bien que la question de l’affectation d’un bien à telle ou telle destination ne se pose pas au moment de l’acquisition. Mais surtout, c’est la question de l’affectation du bien qui est indifférente en droit privé : celui qui entend devenir propriétaire d’un bien n’a pas à justifier de la destination qu’il entend lui donner.

L’article 544 du Code civil prévoit d’ailleurs que « la propriété est le droit de jouir et de disposer des choses de la manière la plus absolue, pourvu qu’on n’en fasse pas un usage prohibé par la loi ou les règlements ».

A partir du moment où une personne a la volonté de faire entrer un bien dans son patrimoine, le droit ne lui imposerait aucune justification sur l’usage qu’elle compte en retirer. Autrement dit, le droit n’exerce pas de contrôle sur l’affectation que le futur propriétaire a l’intention de donner au bien, sauf s’il s’agit d’un usage prohibé. L’État lui-même, à travers les pouvoirs publics n’exercent pas ce contrôle alors même que l’acquisition du bien pourrait sembler inopportune notamment au regard de la sauvegarde des deniers publiques. Par exemple, si une personne très endettée, qui en raison de ses faibles ressources fait largement appel à l’aide étatique, s’endettait à nouveau afin d’acquérir des biens dont l’utilité pratique serait sujette à caution…(yacht…), alors il n’y a pas de contrôle sur l’utilité de l’acquisition : il s’agit d’un acte privé qui doit demeurer dans la sphère de la volonté individuelle au-delà de toute idée d’affectation, on ne porte pas de jugement de valeur (il en va différemment en droit des biens publics). Néanmoins, il existe des cas résiduels où le droit intervient pour prendre en compte l’idée d’affectation au moment du passage de la qualité de non propriétaire à celle de propriétaire d’un bien :

Exemple: cession d’entreprises en matière de redressement judiciaire. Le plan du preneur est examiné par le tribunal.

Exemple: la donation avec charge.

Exemple : si un époux met en péril les intérêts de la famille : article 1429 du Code civil.

Dans l’hypothèse de la préemption, l’État intervient pour faire priver sa prétention à la propriété sur tout autre prétention privée.

La rétrocession est le cas où un particulier peut exiger qu’un bien appartenant à l’État rentre dans son patrimoine si l’État n’a pas donné d’affectation à ce bien. La rétrocession a pour principe que lorsqu’un immeuble qui a fait l’objet d’une expropriation ne reçoit pas la destination prévue dans la déclaration d’utilité publique, on considère que le propriétaire exproprié peut en demander la rétrocession, c’est-à-dire demander que ce bien sorte du patrimoine public pour rentrer à nouveau dans son propre patrimoine. Le délai à respecter de l’expropriation est de 30 ans.

  1. Variétés des modes d’acquisition.

Tout comme en droit public, les modes d’acquisition de la propriété sont variés. Certains sont communs au droit privé et au droit public : l’accession, par exemple, la vente… D’autres sont propres à l’un ou à l’autre. Pour s’en tenir à notre matière, il convient de se référer au livre 3 du Code civil intitulé : « des différentes manières dont on acquiert la propriété », et en particulier à l’article 711 qui dispose que la propriété des biens s’acquiert et se transmet par succession, par donation entre vif ou testamentaire et par l’effet des obligations. L’article 712 précise que l’acquisition de propriété résulte également de l’accession et de la prescription. Au-delà des modes traditionnels telle que la vente, la donation, le testament, la dévolution légale, l’accession ou l’occupation et la possession (où la prescription joue un rôle déterminant), on peut intégrer la rétrocession.

Il faut également signaler l’hypothèse de l’expropriation au profit d’une personne privée : article 545 du Code civil : « nul ne peut être contraint de céder sa propriété si ce n’est pour cause d’utilité publique et moyennant une juste et préalable indemnité ». Cet article ne précise pas le bénéficiaire de l’acquisition : personne privée ou publique. En raison du motif d’utilité publique exigé par le texte, on en déduit fréquemment que ce bénéficiaire ne peut être une personne privée, alors qu’en réalité cela peut se produire. L’expropriant, personne privée, droit alors exercer une activité présentant un intérêt général et tenir son droit d’exproprier d’un texte le lui conférant. Sont concernés au premier chef les concessionnaires. Exemple: les mines : article 71 et 73 du code minier : ces textes n’ont plus guère d’application pratique car la construction d’ouvrages nécessaires à l’exploitation de mines n’a plus lieu d’être aujourd’hui. Mais d’autres concessionnaires ont une propension à exproprier beaucoup plus importante : concession de travaux publics, concession de distribution d’énergie électrique, concession d’opérations d’urbanisme ou de rénovation urbaine. En donnant des concessions, d’autres personnes privées peuvent exproprier : par exemple, les propriétaires de sources thermales.

L’expropriation au profit d’une personne privée montre bien combien la frontière entre le droit public et le droit privé des biens n’est pas si nette qu’il y paraît. D’un côté, l’expropriation trouve sa place en droit public en raison du motif d’utilité publique justifiant l’expropriation, mais d’un autre côté, la privation de propriété que constitue l’expropriation est certainement l’atteinte la plus grave qu’un propriétaire doit subir. Par ailleurs, le rattachement au droit privé se justifie pleinement dans la mesure où le bien sort du patrimoine d’une personne privée pour rentrer dans le patrimoine d’une autre personne privée, laquelle exercera ses prérogatives de propriétaire tout en suivant des exigences propres au droit public.

La rétrocession est également un mode d’acquisition de la propriété original dans la mesure où le propriétaire d’origine, personne privée expropriée, ou ses ayants droits recouvrent la propriété de son bien. Cependant, il existe une réserve, il faut que le bien ne soit pas détruit ou il n’y a plus d’affectation. Il apparaît ici une sorte de hiérarchie entre la propriété publique et la propriété privée où l’on voit que la propriété privée est résiduelle.

  • 2 : Transmission.

Le droit privé des biens est marqué par le principe de libre disposition (A) qui comporte des atteintes diverses (B).

  1. Le principe de libre disposition.

La libre disposition implique les pouvoirs pour le propriétaire d’accomplir comme bon lui semble tout acte juridique ou matériel sur son bien, y compris des actes qui se traduiraient par une perte de tout ou partie de ce bien. Traditionnellement, ce propriétaire vend, donne, lègue son bien, mais il peut en faire un usage tout à fait libre : il peut le consommer, en changer la destination, l’incorporer à un autre bien, l’abandonner ou le détruire.

L’abandon : le bien abandonné devient res delitictae c’est-à-dire qu’une personne à son tour pourra se l’approprier.

Le délaissement est assez proche de l’abandon.

On rencontre le délaissement dans le domaine de l’expropriation et de l’urbanisme. Le droit de délaissement correspond à l’hypothèse où le propriétaire d’un immeuble privé d’une charge met en demeure le bénéficiaire de cette charge d’acquérir cet immeuble. Le droit de disposer réduit celui de ne pas disposer de son bien. Nul ne peut contraindre un propriétaire à céder sa propriété.

  1. Les atteintes au principe.

Même en laissant de côté le cas particulier de l’expropriation, le principe de libre disposition connaît des limites. Ces atteintes sont nécessairement graves puisqu’elles touchent les prérogatives essentielles du droit de propriété : l’abusus. C’est la raison pour laquelle, hormis l’hypothèse particulière de la propriété dite inaliénable, elles trouvent généralement leur source dans des considérations qui touchent davantage des préoccupations de droit public que de droit privé.

Les atteintes posent problème au regard de l’article 17 de la DDHC. Le conseil constitutionnel par une décision de 4 juillet 1989 a considéré au sujet d’une loi conditionnant la vente d’actions de sociétés privatisées à un contrôle administratif que « cette loi, sans remettre en cause le droit de propriété, définit une limitation à certaines modalités de son exercice qui n’a pas un caractère de gravité telle que l’atteinte qui en résulte en dénature le sens et la portée », et que par conséquent elle n’est pas contraire à la constitution.

Ce sont les contraintes urbanistiques et environnementales qui affectent sans doute le plus le quotidien du propriétaire tenu de s’enquérir de la réglementation en vigueur, celle-ci lui prescrivant par exemple de procéder à une déclaration administrative ou de solliciter une autorisation administrative afin de réaliser un acte de propriété parfois très banal tel que par exemple la rénovation d’une façade. De la même manière, le droit de détruire le bien dont on est propriétaire s’avère en réalité soigneusement encadré. Ainsi, le code de l’urbanisme traite du permis de démolir des immeubles. Pareillement, le propriétaire d’un monument historique ne peut le détruire librement sans encourir de sanctions pénales.

La situation inverse peut également s’observer, à savoir que le propriétaire peut être contraint de détruire son bien. Il en est ainsi des immeubles menaçant ruine, ou de la destruction des déchets.