L’autorité de la jurisprudence en droit administratif

LA PLACE DES NORMES JURISPRUDENTIELLES EN DROIT ADMINISTRATIF

— Ces normes jurisprudentielles sont rendues essentiellement par des juridictions administratives, parfois par le Tribunal des conflits et très rarement par les juridictions civiles. La loi et les règlements, lorsqu’ils contribuent au droit administratif, le font en s’insérant dans les structures de ce droit telles qu’elles ont été formées par la jurisprudence administrative.

— Ce pouvoir créateur du juge est la conséquence de l’ARTICLE 4 du code civil qui prohibe les dénis de justice et qui interdit donc au juge de refuser de statuer pour des raisons d’absence de règle de droit ou de règle obscure. Le juge est donc habilité à interpréter un texte ambigu ou lacunaire, ou même à poser une règle lorsque les textes ne le font pas.

L’ARTICLE 5 du code civil interdit également au juge de procéder par voie d’arrêt de règlement, c’est-àdire de formuler des nouvelles règles en dehors de tout litige. Il ne peut formuler une nouvelle règle que dans un cas d’espèce.

— Cette source jurisprudentielle a été particulièrement importante à la fin du 19ème. La période qui a suivie contribue encore à formuler de nouvelles règles dans les nouveaux champs du droit administratif qui apparaissent.

Sous-section 1 : L’élaboration des normes jurisprudentielles

  • 1 : Les auteurs des normes jurisprudentielles

— Les juges administratifs, quels qu’ils soient, sont susceptibles de contribuer à la détermination des grands principes du droit administratif. Le Conseil d’Etat, en tant que juridiction suprême de l’ordre administratif a plus particulièrement vocation à définir ces notions.

— Il y a néanmoins d’autres juges qui peuvent intervenir : Le juge judiciaire peut avoir à connaitre exceptionnellement des affaires touchant le droit administratif (Le juge pénal par exemple peut avoir affaire à la notion de délégation de service public). Il arrive même que des juridictions judiciaires posent des principes gouvernant l’action des autorités administratives : L’arrêt Cour de Cassation 1ère Civ 21 décembre 1987 BRGM pose le principe d’insaisissabilité des biens des personnes publiques. Mais le juge judiciaire applique souvent les principes issus de la jurisprudence administrative. Le Conseil Constitutionnel peut être saisi de lois mettant en cause des éléments relevant du droit administratif et donc intervenir dans ce domaine : Il a ainsi consacré le principe d’indépendance des juridictions administratives et d’une partie de la compétence du juge administrative en tant que PFRLR. Le Conseil Constitutionnel essaie cependant de trouver une base textuelle au principe qu’il va dégager.

§2 : La méthode d’élaboration des normes jurisprudentielles

— Le juge administratif ne doit poser des règles qu’avec prudence car « Le juge est la bouche de la loi » (Montesquieu) dans ce système de séparation des pouvoirs. Il ne doit pas concurrencer le pouvoir législatif ou le pouvoir exécutif.

— Néanmoins, l’ARTICLE 4 du code civil l’autorise et même l’oblige à combler les lacunes de la loi. Pour cela, le juge va toujours essayer de trouver un point d’ancrage textuel pour assoir la norme qu’il pose afin de lui donner une plus grande légitimité. Pour cela, le juge va s’appuyer sur des textes en vigueur qui ne portent pas forcément sur le point précis à trancher mais sur des problèmes analogues. Il va s’inspirer sur ces textes pour déterminer la règle de droit qu’il va imposer dans la situation d’espèce. Il va donc considérer que ces textes sont les illustrations d’un principe plus général qu’il doit appliquer.

— Il lui arrive de consacrer, lorsqu’aucun texte analogue n’existe, un principe général du droit non illustré dans l’ordonnancement juridique, lorsque celui-ci s’avère satisfaisant. C’est un pouvoir créatif énorme. Il fait parfois preuve de prudence concernant la portée qu’il donne à ce principe. En général ces règles ont une portée obligatoire en ce qui concerne l’administration, mais le juge peut modifier cette portée. Il estime parfois qu’il ne doit pas donner de portée obligatoire car des hypothèses peuvent arriver dans lesquelles cette règle peut être écartée. Il établit donc le respect de cette règle, sauf texte règlementaire contraire. La règle a alors une portée supplétive. Cela se manifeste notamment avec la possibilité reconnue à tout administrer d’effectuer un recours administratif préalable qui est un principe général du droit. Cette possibilité va proroger le délai de recours. Sa valeur supplétive permet au pouvoir règlementaire de l’interdire dans certains domaines.

— Le juge se livre donc à une appréciation des relations entre l’administration et les administrés en posant des règles qu’il pense utile. Cela relève d’une politique jurisprudentielle, pour que la règle consacrée conserve suffisamment les droits des administrés et ne soit pas trop dure pour l’administration. Il arrive que ces règles soient si satisfaisantes qu’elles sont ensuite consacrées par un texte.

Section 2 : Les principes des normes jurisprudentielles

CE assemblée 16 juillet 2007 Société TROPIC TRAVAUX SIGNALISATION : Le Conseil d’Etat a consacré une nouvelle voie de recours pour des tiers à un contrat. Compte-tenu du côté révolutionnaire de cette nouvelle règle il ne l’a consacrée que pour les contrats futurs. Il s’est donc vu comme une source de droit.

— Cet ensemble jurisprudentiel a été inauguré par CE assemblée 26 octobre 1945 ARAMU : Le Conseil d’Etat consacre le respect du droit de la défense en matière administrative, en le rangeant parmi les « principes généraux du droit, applicable même en l’absence de texte ». Ces principes généraux du droit sont très nombreux (Principe d’égalité devant la justice, de la liberté du commerce et de la justice, de l’exercice d’excès de pouvoir contre toutes les décisions administratives, de licenciement d’une femme enceinte, du respect de la dignité de la personne humaine après la mort, de liberté contractuelle etc.)

Section 3 : L’autorité des normes jurisprudentielles

§1 : La valeur juridique des normes jurisprudentielles

René Chapus : Pour connaitre la valeur des règles juridiques posées par la jurisprudence, il faut situer le juge dans la hiérarchie organique des sources du droit. Selon lui, le juge administration est chargé de faire respecter la loi par les justiciables. Il est donc soumis à la loi. Les normes posées par le législateur s’imposent donc à celles posées par le juge. Ce n’est que par l’arrêt Nicolo que le juge administratif a accepté de contrôler la loi, mais seulement sur un point particulier. En conséquence, on peut dire que le juge administratif est soumis à la loi. Les principes généraux du droit ont donc une valeur infra-législative. On voit parfois une valeur législative pour ces principes, cela signifie que seule une loi peut les écarter.

— Si l’on veut que les PGD s’appliquent à tous les actes de l’administration, ils doivent avoir une valeur minimale de décret (Pour surplomber même les décrets du Président de la République) ; c’est donc une valeur supra-décrétale (Néologisme de Chapus)

— Ce raisonnement, élaboré en 1966 donc avant que le Conseil Constitutionnel ne commence véritablement son œuvre, a du être un peu modifié depuis.

§2 : La conciliation avec la jurisprudence constitutionnelle

— Le Conseil Constitutionnel a consacré un certain nombre de principes identiques à ceux consacrés par la jurisprudence administrative. On peut dire que ces principes ont une valeur infraconstitutionnelle et supra-législative. Le problème vient de ce qu’un même principe a été consacré par la jurisprudence administrative et par la jurisprudence constitutionnelle, et a donc deux valeurs différentes.

— Le Conseil Constitutionnel cherche dans la mesure du possible à s’appuyer sur un texte lorsqu’il pose des principes. Dans ce cas, le principe n’est plus jurisprudentiel mais c’est désormais un principe écrit. On constate que le CE se range à cette analyse du Conseil Constitutionnel et à son tour donne une base textuelle à ces principes après les avoir consacrés comme PGD. Ce ne sont donc plus des principes jurisprudentiels.

— Il y a deux principes que le Conseil Constitutionnel a consacré sans base textuelle, donc la difficulté persiste : Le principe de continuité des services publics et le principe de sauvegarde de la dignité humaine. Ils ont donc une valeur infra-constitutionnelle et supra-législative devant le Conseil Constitutionnel et une valeur infra-législative et supra-décrétale en tant que PGD devant le juge administratif. Mais la seule chose qui compte c’est que le principe ait une valeur suffisante pour remplir sa mission, en étant imposé à l’acte soumis au juge. Il faut donc que sa valeur minimale soit supra-décrétale.

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