L’exécution des décisions du Conseil Constitutionnel par d’autres juridictions

L’EXÉCUTION DES DÉCISIONS DU CONSEIL CONSTITUTIONNEL

C’est la question du rapport entre le Conseil Constitutionnel et les autres juridictions.

Article 62 de la CONSTITUTION. 2 phrases, 2 alineas qui traitent de 2 questions différentes :

  • Alinéa 1 : une disposition déclarée inconstitutionnelle, elle ne peut être ni promulguée, ni mise en application.

L’effet est donc a priori limité à la disposition déclarée contraire à la CONSTITUTION.

Cette disposition de 62 al 1 ne vise que la disposition contestée. Elle ne précise rien sur le reste du texte.

  • Alinéa 2: relatif à l’autorité des décisions du Conseil Constitutionnel : elles ne sont susceptibles d’aucun recours. Elles s’imposent aux pouvoir publics et à toutes les autorités administratives et juridictionnelles.

–> Ça pose la question de l’autorité de chose jugé. Et pose aussi la question de l’autorité de chose interprétée c’est à dire l’influence des décisions du Conseil Constitutionnel sur les juridictions ordinaires. Est-ce que les juridictions ordinaires sont tenues de suivre les décisions constitutionnelles ?

Liste des cours relatifs au contentieux constitutionnel

  • 1 – l’impossible entrée en vigueur des dispositions inconstitutionnelles

La saisine suspend la promulgation d’une loi.

La décision du Conseil Constitutionnel met fin à la suspension et doit donc permettre la promulgation.

Ce qui est vrai pour les lois l’est aussi pour les règlements des assemblées, même si l’article 61 alinéa 4 ne prévoit pas le règlement des assemblées (sous réserve qu’il n’y a pas de promulgation pour les règlements des assemblées. C’est donc la suspension de la mise en application).

Les sens de la décision du Conseil Constitutionnel (conformité ou non) influent sur le sort du texte.

Il n’y a pas 2 solutions. Plus compliqué puisqu’on va trouver des décisions de conformité, non-conformité totale, inconstitutionnalité partielle, les réserves d’interprétation.

A – les décisions de conformité

L’article 21 de l’ordonnance organique de 1958 ne fait que répéter la CONSTITUTION.

Rien n’interdit au Président de la République de demander une 2nde délibération de la loi (10 al 2) même après une décision de conformité pour des raisons de pure opportunité ou pour des raisons techniques, Conseil Constitutionnel, 1985, évolution de la Nouvelle-Calédonie. Le Conseil Constitutionnel rappel que l’exercice de cette prérogative de demander une 2nde délibération n’est soumise à aucune autre condition que celles de l’article 10. Il n’y a pas de conditions de fond dans l’article 10.

Dans cette décision, le Conseil Constitutionnel dit que l’objet du contrôle du Conseil Constitutionnel est non de gêner ou de retarder l’exercice du pouvoir législatif mais d’assurer sa conformité à la CONSTITUTION.

Jusqu’au milieu des 90’s, le Conseil Constitutionnel indiquait dans le dispositif que la loi était conforme à la CONSTITUTION.

Dans d’autres formulations, il disait : la loi n’est pas contraire à la CONSTITUTION.

Certains ont essayé de faire des distinctions. = des questions obsolètes puisque depuis le milieu des 90’s, le Conseil Constitutionnel ne se prononce que sur la conformité des dispositions qui ont fait l’objet de la saisine. Le Conseil Constitutionnel ne se prononce pas sur la conformité du reste de la loi. Ce n’est pas ce qu’il pratiquait avant.

L’autorité de la décision se limite aux seuls Articles contestés sur lesquels il se prononce. Depuis le milieu des 90’s, le Conseil Constitutionnel refuse donc de prononcer un « brevet de constitutionnalité » sur l’ensemble de la loi.

En évitant de se prononcer de cette manière, le Conseil Constitutionnel se garde une porte de sortie : le contrôle de la loi déjà promulguée.

Aussi, le Conseil Constitutionnel tient compte des conditions dans lesquelles il statue. On retrouve les contraintes de délai, les conditions de délai objectif. Il aurait pu laisser passer une cause d’inconstitutionnalité. Cela tient au fait que les lois sont de plus en plus longues et de plus en plus techniques.

Ce refus est peu compatible avec la volonté du Conseil Constitutionnel d’examiner la totalité de la loi. C’est assez contradictoire.

Contradiction car il existe deux logiques contraires.

Pour autant, les conclusions soulevées d’office (dispositions non contestées au départ que le Conseil Constitutionnel examine alors qu’on ne lui avait pas demandé) ne sont pas utiles dans les décisions de conformité. Quand le Conseil Constitutionnel soulève d’office des dispositions, c’est qu’il pense voir des éléments d’inconstitutionnalité.

Mais contradiction :

– La vlté est du fait du contrôle objet = pouvoir se prononcer sur toute la loi.

– Ne pas pouvoir prononcer de brevet de constitutionnalité.

B – Les décisions de non-conformité totale

2 situations possibles : le Conseil Constitutionnel considère

  • que la totalité du texte est non-conforme à la CONSTITUTION
  • que la loi contient de dispositions inconstitutionnelles inséparables du reste de la loi

Même résultat dans les deux cas : non-conformité totale. Article 22 de l’ordonnance organique dit que la totalité de la loi ne peut pas être promulgué.

Les décisions de non-conformité totale = rare.

Montre la sagesse du législateur et la prudence du Conseil Constitutionnel.

Une dizaine de décisions de non-conformité totale. Certaines pour des raisons de procédures, d’autres pour des raisons de fond.

  • Ex : Conseil Constitutionnel, 1979, relative à la LF pour 1980 (dépenses adoptées avant les recettes) = procédure.
  • Ex : Conseil Constitutionnel, 1982, Loi de nationalisation = raisons de fond

Dans ces 2 cas, le législateur a été conduit à reprendre l’examen de la loi et à adopter un texte conforme aux orientations voulues par le Conseil Constitutionnel.

Le nouveau texte modifié n’est pas à l’abri d’une 2e saisine. = ce que la doctrine appelle un contrôle à double détente.

Dans ces 2 cas, le Conseil Constitutionnel a conclu à la conformité des Nouvelles lois.

Il n’est jamais arrivé que le Conseil Constitutionnel censure une 2° fois le texte modifié :

– Soit parce qu’il n’y a pas eu de 2° saisine.

– Soit parce que le Conseil Constitutionnel saisi a décidé de sauver la loi.

– Soit le législateur (plus Gouvernement) renonce à faire adopter le texte.

Ex : loi sur la liberté d’association après la décision de 1971.

Ex : Conseil Constitutionnel, 1993 = censure totale de la loi.

Quand la censure totale de la loi provient du fait que ce sont certaines dispositions de la loi qui sont inséparables, le Conseil Constitutionnel doit expressément se prononcer sur le caractère séparable ou non pour que la loi ne puisse pas être promulguée dans son ensemble.

Les règlements des assemblées : il n’y a pas les mêmes effets. Le Conseil Constitutionnel constate l’inconstitutionnalité de certaines dispositions mais ne peut pas empêcher l’application du reste du texte.

C – les déclarations d’inconstitutionnalité partielle

Certaines disposition d’une loi ne sont pas conformes mais ne sont pas inséparables.

Article 23 al 1 de l’ordo organique dit que le Président de la République peut

  • promulguer la loi sans la/les dispositions censurées (plus fréquent)
  • demander aux chambres une nouvelle lecture

CONSEIL CONSTITUTIONNEL, 23 août 1985 : le Conseil Constitutionnel a été amené à préciser les pouvoir du Président de la République dans ce cas de figure. Il considère que le Président de la République peut promulguer la loi soit après amputation des dispositions contraires. Soit après substitution à celles-ci de nouvelles dispositions réalisant une mise en conformité à la Constitution.

  • Promulguer avec amputation

Ex : Conseil Constitutionnel, 1982, loi du 2 mars 1982. Déclaration d’inconstitutionnalité partielle. Loi amputée des dispositions sur le contrôle des actes des CT.

  • Faire substituer de nouvelles dispositions aux dispositions inconstitutionnelles.

C’est un choix du Président de la République qui n’est pas libre dans le sens où il faut un contreseing.

Cette disposition de l’article 23 al 1 et à mettre en relation avec l’article 10 al 2 de la CONSTITUTION (possibilité de demande une nouvelle délibération).

En 1985, le Conseil Constitutionnel a estimé que cette procédure de nouvelle lecture de l’article 23 al 1 n’était qu’une des modalités de la 2nde délibération de l’article 10. Donc, pour le Conseil Constitutionnel, ces 2 procédures st équivalentes.

Autre cas : CE, 3 avril 2003, sur l’élection des conseils régionaux. Le Président de la République a demandé au Parlement une nouvelle lecture.

La promulgation faite rend la loi en principe incontestable sous réserve de la jurisprudence sur les lois promulguées qui peut permettre un contrôle de ces lois.

Cas particulier où le Conseil Constitutionnel a été amené à requalifié le titre d’une loi après une censure partielle de la loi : 2007-546. Conseil Constitutionnel, 25 janvier 2007. Le Conseil Constitutionnel a amputé le titre de la loi.

D – les réserves d’interprétation

Réserves d’interprétation = technique prétorienne totalement inventée par le juge.

Ce n’est pas vraiment une nouvelle catégorie de décision mais une nouvelle rédaction des décisions.

Les Article contestés conforme à la CONSTITUTION à condition de respecter des directives d’interprétation que le Conseil Constitutionnel a bien formulé dans les motifs et qu’il rappelle dans le dispositif.

Donc, pour le Conseil Constitutionnel, pour que la loi soit constitutionnelle, elle doit être appliquée et interprétée d’une manière précise.

Qui va l’appliquer : le Gouvernement, l’administration, les juridictions (judiciaires et administratives)

Apparue dans 59-2 DONC (décision relative au Règlement de l’assemblée). Conseil Constitutionnel, juin 1959.

Réserve d’interprétation = retirer le venin de la loi. Empêcher cette réserve de mal s’appliquer. Cette technique permet de sauver une loi tout en guidant son interprétation de manière plus/- étroite.

CONSEIL CONSTITUTIONNEL, 1999, relative au PACS = exemple de réécriture de la loi. Le Conseil Constitutionnel a mis de très strictes réserves d’interprétation. Evidemment, cette technique permet au Conseil Constitutionnel de ne pas dire tout noir ou tout blanc.

CONSEIL CONSTITUTIONNEL 25 et 26 juin 1986. Le Conseil Constitutionnel dit que « toute autre interprétation serait contraire à la CONSTITUTION ». = les ordonnances doivent être prises tel qu’indiqué par le Conseil Constitutionnel.

Le Conseil Constitutionnel ne se comporte pas en supérieur hiérarchique des juridictions. Mais quand même, il adresse de véritables directives d’interprétation aux juridictions ordinaires.

Mais qu’en font les juridictions ordinaires ?

Il arrive que des réserves d’interprétations soient là pour neutraliser un texte. Le Conseil Constitutionnel interprète la décision en lui enlevant les dispositions qu’il juge dangereuses sous la forme de réserves d’interprétation. Cette technique est souvent utilisée. « L’article de la loi n’a pas la portée que les auteurs de la saisine lui attribuent ».

On trouve aussi des réserves d’interprétation constructives. Là, le Conseil Constitutionnel ajoute quelque chose à la loi pour qu’elle soit conforme à la CONSTITUTION. Par ex, il peut ajouter des conditions d’applications aux conditions prévues par la loi.

  • 2 – l’autorité des décisions du Conseil Constitutionnel (Article 62 al 2)

Juridiction ou non = notre question depuis le début.

Cet al 2 ne résout pas totalement cette question. Le constituant laisse un flou.

Ça ne tranche pas la question de la nature de l’institution. Ça nous aide un peu.

Le Conseil Constitutionnel a dit lui-même que ses décisions ont une autorité absolue de chose jugée.

= autorité erga omnes (à l’égard de tous) dans 131-78 Conseil Constitutionnel, 16 janvier 1962, vaut « pour le dispositif ainsi que pour les motifs qui en sont le soutien nécessaire et en constituent le fondement même ».

Ça vaut pour tous les contentieux, toutes les décisions du Conseil Constitutionnel quelques soit la matière et la nature.

Cette autorité absolue de chose jugée a été rappelée dans Conseil Constitutionnel, 1992 Maastricht 2.

CONSEIL CONSTITUTIONNEL 1992, Maastricht 1 avait conclu que certaines dispositions du traité étaient contraires à la CONSTITUTION. Une révision constitutionnelle avait été entreprise. Cette révision avait aussi ouvert la saisine en matière d’engagements internationaux.

Pasqua saisit le Conseil Constitutionnel une 2ex du même traité. Mais entre les 2 décisions, la CONSTITUTION avait été révisée.

Ce n’était pas le texte contrôlé qui était modifié mais c’est la norme de référence (on n’est pas dans le cas d’1 contrôle à double détente).

= le Conseil Constitutionnel est amené à examiner une 2e fois le même texte.

Dans cette décision, le Conseil Constitutionnel reprend sa jurisprudence de 1962 (sa définition de l’autorité de chose jugée) = le considérant 4 de Maastricht 2. IL adapte la définition au cas particulier des engagements internationaux.

Il indique que la procédure de contrôle de l’article 54 ne pouvait pas être à nouveau mise en œuvre sauf à méconnaître l’autorité de chose jugée de la décision du Conseil Constitutionnel.

MAIS, il a admis 2 dérogations au considérant 5 :

  • si le constituant laisse subsister une marge d’incompatibilité entre traité/ CONSTITUTION. = révision trop faible par rapport à l’inconstitutionnalité avec le traité. On n’est pas allé assez loin.
  • La révision trop forte. = quand le constituant introduit dans la CONSTITUTION une disposition qui réintroduit une nouvelle inconstitutionnalité.

Dans ces 2 hypothèses, le Conseil Constitutionnel peut faire un nouveau contrôle du texte déjà contrôlé.

Le Conseil Constitutionnel ne voulait pas remettre en cause l’autorité de chose jugée (ce qu’il aurait pu faire en disant que la cause n’était pas la même puisque le texte de réf n’était plus le même du fait de la révision) tout en acceptant de contrôler une 2ex le traité par rapport à la CONSTITUTION.

Quand le Conseil Constitutionnel a statué sur un texte en décidant de son inconstitutionnalité, la seule solution est que le constituant intervienne et contourne par le haut l’obstacle mis par le Conseil Constitutionnel.

– 1992 : pour la 1ex, cette technique est utilisée pour un engagement international.

– 1993 : le constituant intervient ainsi pour une loi (corriger la CONSTITUTION après une décision du Conseil Constitutionnel).

Conseil Constitutionnel, 1993, maîtrise de l’immigration. Le Gouvernement, devant la censure du Conseil Constitutionnel a révisé la CONSTITUTION pour permettre l’application des conventions de Schengen. Révision qui a introduit l’article 53-1.

Le constituant est le seul habilité à résoudre cette question.

On considère alors que le Conseil Constitutionnel est une sorte de répartiteur de compétences entre la loi et la CONSTITUTION. C’est ce que L. Favoreu appelait le rôle d’aiguilleur du Conseil Constitutionnel (= le Conseil Constitutionnel dit : c’est contraire à la CONSTITUTION, la voie de la loi n’est pas possible, la seule voie possible est la loi constitutionnelle).

L’article 62 ne dit presque rien sur les relations entre la jurisprudence du Conseil Constitutionnel et les jurisprudences des autres juridictions.

Une interprétation stricte de l’article 62 al 2 pourrait faire comprendre que la jurisprudence du Conseil Constitutionnel s’impose à toutes les autres juridictions. Ces juridictions ne peuvent statuer dans un autre sens que le Conseil Constitutionnel.

Les hypothèses de conflits de jurisprudence entre Conseil Constitutionnel et juridictions ordinaires sont très rares.

Plus beaucoup d’hypothèses de conflits de fond entre juridictions. Les juridictions ordinaires n’hésitent pas à utiliser la jurisprudence du Conseil Constitutionnel.

Le conflit qui a existé ces dernières années : la responsabilité pénale du Président de la République.

408-DONC, 22 janvier 1999, Cour pénale internationale. Le Conseil Constitutionnel a opéré une interprétation de l’article 68 qui signifiait que pendant la durée de ses fonctions, seule la Haute Cour peut juger le Président de la République, y compris pour des faits extérieurs à sa fonctions (commis avant son entrée en fonction).

Le Conseil Constitutionnel avait posé cette interprétation sous la forme d’un orbiter dictum (juge qui pose une nouvelle règle de Droit qui n’est pas en rapport directe avec le litige. Il vient ajouter un principe mais il aurait pu s’en dispenser).

Cette interprétation de l’article 68 avait été très contestée. On a dit que le Conseil Constitutionnel faisait plaisir à Chirac pour compenser les ennuis de Dumas : Conseil Constitutionnel protège le Président de la République et le Président de la République couvre le Président du Conseil Constitutionnel.

Le Conseil Constitutionnel avait publié en 2000 un communiqué de presse rappelant fermement les termes de l’article 62, rappelant l’autorité de chose jugée et disant que l’interprétation de l’article 68 était la seule possible de la CONSTITUTION.

Cassation, plénière, 10 octobre 2001, Breisacher, la Cour de cassation a écarté l’argument de l’autorité de chose jugée en estimant que cette autorité ne s’appliquait qu’au seul texte qui avait été soumis à l’examen du Conseil Constitutionnel (sur la Cour pénale internationale en l’espèce).

Donc, l’autorité de chose jugée n’avait pas à s’appliquer puisqu’en l’espèce, le juge ne statuait pas du tout sur la même chose.

La Cour de cassation a eu dans cet arrêt une autre lecture de l’article 68.

Ici, ce qui compte n’est pas le fond mais le conflit entre les 2 juridictions qui décident dans 2 sens différents

Là, pas d’autorité de chose jugée parce que le juge pénale ne statue pas sur les mêmes questions.

Mais est-ce qu’il n’y a pas d’autorité de chose interprétée ?

Pour la Cour de cassation : pas d’autorité de chose interprétée dans le rapport Conseil Constitutionnel et juridiction ordinaire.

Donc, en cas de contradiction, il n’y pas de solution au fond. Aucune juridiction ou autorité pour trancher. Le Conseil Constitutionnel n’est pas une Cour Suprême qui pourrait régler ce conflit.

En France, les juridictions sont sur le même plan.

Liste des cours relatifs au contentieux constitutionnel