L’histoire du droit pénal avant le code pénal

HISTOIRE DU DROITPÉNAL

Elle permet de mieux comprendre l’évolution des mécanismes du droit pénal jusqu’à nos jours et par là même, de mieux saisir l’essence de cette matière.

L’infraction, acte illicite qui viole l’ordre d’une société donnée, peut susciter des réponses ou des ripostes de différentes natures (comme dit Jean Marie Carbas dans son introduction historique au droit pénal).

Au commencement, pourrait-on dire, est la vengeance. Vengeance de nature privée, et qui a pour caractéristique d’être illimité, c’est-à-dire non proportionné au mal causé. Mais très vite, et ceci pour des raisons de survie, la vengeance privée s’organise. Le groupe met en place des mécanismes régulateurs afin d’éviter les déchaînements de violence s’inscrivant dans une sorte de spirale sans fin, ou de vendetta perpétuelle.

Une distinction est alors faite entre les atteintes mineures qui peuvent être réparées par de simples compensations en nature ou en argent et les fautes les + graves ou là la vengeance va s’exercer sur la personne même de l’auteur.

Mais ici, même si les mécanismes régulateurs peuvent sembler primitifs, du moins existent-ils et permettent ainsi une sorte de proportionnalité de la peine au mal subi par la victime. Puis plus tard, dans des cas + exceptionnels, et selon des degrés d’organisation sociales, certains comportements ne vont plus porter atteinte à un autre individu, mais au groupe social lui-même dans son entier. Devant ces actes qui vont toucher aux fondements religieux, politiques (la trahison, le sacrilège), c’est la société qui va se venger elle-même.

Le coupable n’est alors plus confronté à une vengeance privée, il encourt la vengeance publique. Le droit pénal n’est alors plus privatif : il prend un caractère public.

Le droit pénal devient de la sorte tout à fait répressif et non plus conciliatoire dès lors que l’état se reconnaît le droit de s’immiscer d’office dans les conflits pénaux de nature publique ou privée.

S’agissant de notre histoire, 3 grandes périodes peuvent être distinguées, qui correspondent à 3 formes de réaction différentes : la réaction privée, la réaction sociale, la réaction légaliste correspondant à ces 3 périodes elles-mêmes à des degrés différents d’évolution des mœurs.

Dans une 1ère étape, dans l’antiquité primitive, une seule forme de répression est concevable : la vengeance privée. Celle-ci n’est d’ailleurs pas seulement individuelle. Elle peut, et est souvent exercé par le groupe auquel appartient la victime, qu’il s’agisse du clan, de la tribu ou de la famille. D’autant plus que dans les cas les + graves où la victime est elle-même incapable d’opérer la vengeance, soit parce qu’elle est gravement blessée, choquée, ou carrément morte. C’est donc le groupe qui agit. Et à cette époque, celui-ci peut agir sans limites, pouvant infliger une sanction sans proportion avec la faute commise.

En parallèle à cette vengeance privée, coexiste ce qui est appelé la « justice domestique », quand le délinquant et la victime appartiennent au même groupe, au même clan ou à la même famille. Dans ce cas de figure, la vengeance privée s’avère difficilement concevable, voire impossible, aussi, appartient-il au chef de clan, au chef de famille de punir. Celui-ci se trouve alors investi d’une autorité suffisamment forte pour faire appliquer l’idée de justice.

Mais celle-ci ne connaît pas de limites, là encore, ou du moins d’adéquation avec le mal causé puisque le chef de famille a même un droit de vie ou de mort sur le délinquant.

Sous l’influence d’un amalgame de conceptions : droit roman, droit franc, droit féodal, la vengeance privée est toujours le mode de riposte aux actes jugés antisociaux par le groupe social, mais elle connaît désormais des limites.

Afin d’éviter les luttes sanglantes et interminables que l’organisation progressive de la société ne peut supporter au risque de disparaître, et au fur et à mesure qu’un pouvoir centralisé s’organise, des limites sont apportées à cette justice privée sans bornes véritables et donc dévastatrices. Ainsi voit-on cette justice domestique disparaître avec le droit de vie ou de mort du chef de famille.

En outre, l’église joue ici un rôle non négligeable, appliquant en général des préceptes pacificateurs et en prônant la modération, par exemple le droit d’asile, les trêves de Dieu, périodes pendant lesquelles la vengeance privée ne pouvait être exercée.

Certes, s’agissant du mécanisme de la réaction, c’est toujours la victime ou son groupe, donc la partie lésée qui est à l’origine de la répression, et qui va l’exercer, et qui va aussi en bénéficier.

Toutefois, certaines restrictions sont à apporter à l’exercice de cette vengeance privée qui n’est pas remis en cause, et qui est toujours légitime, mais qui connaît désormais une certaine mesure.

Exemple : la pratique de l’abandon noxal.

Cette procédure correspond à l’abandon du coupable à la famille de la victime pour les crimes les plus graves, et ceci afin d’éviter que la vengeance ne s’exerce sur les sujets passifs. En l’occurrence les parents du coupable ou le reste de sa famille. Le délinquant est donc seul exposé. On retrouve notamment cette règle chez les Grecs et les Romains, le coupable pouvant être mis à mort ou encore réduit en esclavage pour remplacer le disparu (sorte de principe de personnalité des peines avant la lettre).

Cette règle a aussi pour corollaire une autre restriction consistant à limiter les personnes pouvant exercer cette vengeance privée : la victime elle-même si elle en a la possibilité, ou alors les très proches parents, afin de circonscrire le champ de la répression.

Autre limite, mais cette fois quant à la mesure du châtiment : la fameuse loi du talion (œil pour œil, dent pour dent) qu’on retrouve dans les textes bibliques, ou encore dans la loi des douze tables du droit romain.

C’est un précepte qui, si on en fait une lecture moderne, paraît comme une règle barbare, mais qui en fait se présente pour l’époque comme un adoucissement. En fixant des limites, du moins en fonction d’une certaine proportionnalité, aux châtiments qui pouvaient très largement dépasser le mal subi par la victime.

Autre limite enfin, mais cette fois quant à la forme de la peine : le régime des compositions.

Apparu avec le droit romain principalement, l’idée est ici d’interdire la violence pour des délits jugés mineurs. Ses compositions sont en fait des compensations en nature (d’abord dans la société romaine primitive), puis pécuniaires. Ce renoncement de la victime ou de sa famille à exercer vengeance prend la forme d’une sorte de transactions fixées au départ par les parties elles-mêmes, puis au fur et à mesure que la société s’organise, ces transactions seront tarifées par la coutume. Avec ce processus d’organisation, la vengeance privée évolue et conduit à un mode de riposte plus affiné.

2e point : la réaction sociale au public

Cette réaction sociale caractérise la période de l’Ancien Régime, du XIII e S. Environ jusqu’au XVIII e S. Désormais, la vengeance n’est plus privée ; elle appartient au groupe social dans son entier. A mesure que le pouvoir se centralise, celui-ci tend non seulement à organiser de + en + la vengeance privée, mais aussi à multiplier les délits publics pour lesquels la répression, le prononcé des peines, leur exécution, sont désormais de son domaine.

On considère en effet qu’un certain nombre d’actes portent atteinte non pas seulement à des intérêts particuliers, mais également à l’ordre général, à la collectivité, dans la mesure où ils peuvent mettre en péril l’organisation sociale. En un mot, des comportements antisociaux que seule une autorité publique doit pouvoir punir.

Les délits publics se substituent alors progressivement aux délits privés et l’état prend ainsi la place de la victime ou du groupe auquel il appartient. Et même dans la part désormais réduite des délits privés, l’état intervient de + en +, en se réservant notamment une part de la composition pécuniaire (une part pour la partie lésée, l’autre pour l’état, appelée le « frais d’homme »), sorte d’amende allant au Trésor.

Cette transition entre la vengeance privée et la vengeance sociale, le passage de la réaction privée à la réaction publique, ne s’est pas faite d’un seul coup. Et les 2 systèmes ont coexisté : système répressif et système conciliatoire se sont superposé et non pas succédé mais, petit à petit, le 1 er a supplanté l’autre.

On situe généralement cette transition aux environs du XVI e S. avec cette déclaration fameuse d’un jurisconsulte de l’époque (Argoult) : « La vengeance est interdite aux hommes ; il n’y a que le roi qui la puisse exercer par ses officiers, en vertu du pouvoir qu’il tient de Dieu ». Cette mutation du privatif vers le public n’indique pas seulement toutefois un simple déplacement des acteurs de la répression. L’idée de justice sociale, publique, cristallise probablement d’autres principes, principes inconnus de la vengeance privée.

Quels sont ces principes ?

Tout d’abord : l’idée de prévention, avec la notion d’exemplarité du châtiment et par là même l’idée de dissuasion. Cette idée s’exprime assez clairement dans un édit de François 1er de 1534, souvent repris dans des manuels d’histoire du roi : « Les peines sont édictées pour donner crainte, terreur, et exemple à tous les méchants ». Il s’agissait ici plus précisément du supplice de la roue subi par les coupables de vol et on pourrait également reprendre ici pour illustrer l’idée de prévention, la pensée de Montaigne s’exprimant ainsi : « On ne corrige pas celui qu’on pend, on corrige les autres par lui ».

2e principe, après l’idée de prévention : l’idée de justice (idée sous-tendue par la puissante église et le principe canonique), qui voit dans le châtiment une forme d’expiation et la manifestation nécessaire d’une justice humaine qui, bien qu’imparfaite, est nécessaire. Et la justice ecclésiastique était d’ailleurs dans l’ensemble moins sévère que la justice séculière à cette époque. En effet, pas de peine de mort par exemple, selon l’adage « l’église a horreur du sang », abandonnant au bras séculier et à la mort certaine, les coupables non repentis, les repentis étant épargnés.

Toutefois, la justice d’église, moins répressive (avec ses officialités), va disparaître progressivement au bénéfice de la justice du roi dès la fin du XVII e S., même s’agissant des crimes contre la religion.

Enfin, idée d’amendement du coupable. Certes, les délinquants doivent être punis, mais la peine doit aussi conduire à l’amélioration, au rachat de ceux-ci.

Il est vrai que la justice royale de l’Ancien Régime se caractérise plutôt en 1er lieu par une extrême rigueur des incriminations des personnes poursuivies et une grande sévérité de la répression, tant au regard de la forme de la peine que de son exécution.

Celles-ci s’accompagnent souvent de cruautés inutiles pour aboutir à la mort (supplice de la roue, écartèlement, bûcher, galères, mutilations diverses, marques au fer rouge), sans parler de la cruauté de la procédure elle-même avec l’emploi de la torture et des conditions de déroulement des procès ne respectant pas véritablement les droits de la défense.

En 2e lieu par un arbitraire évident (lettres de cachet arbitraires, absence de codification de la justice royale), alors que les sources du droit pénal sont multiples (ordonnances, édits, coutumes), ce qui n’aide guère à rendre la justice plus lisible, et donc plus juste.

L’unique texte quelque peu construit de l’époque est sans doute la grande ordonnance royale de 1670, mais celle-ci n’organise que la procédure et non le droit pénal à proprement parler. De même, l’absence de légalité des textes avec pour corollaire un pouvoir étendu reconnu aux juges dans la définition même des infractions, et le régime de la preuve légale attaché à la procédure, ou encore les inégalités manifestes dans la répression selon la qualité, le titre ou la condition sociale des personnes poursuivies ne fait que participer au sentiment profond d’arbitraire.

En 3e lieu, l’aspect réparateur au bénéfice de la victime ou de ses proches se trouve considérablement minimisé ; l’idée est surtout de punir plutôt que d’indemniser.

Il est certes difficile de fixer en quelques phrases les 5 siècles de droit pénal de l’Ancien Régime. A l’évidence les évolutions et les mutations ont été importantes, mais les points qui viennent d’être développés peuvent être présentés comme des constantes.

Le système répressif de l’Ancien Régime va bien évidemment faire l’objet de critiques sévères de figures illustres : Voltaire, Diderot, Rousseau ou d’Alembert, Montesquieu, ne manqueront pas de se poser en accusateurs du système. Mais c’est surtout avec Beccaria, auteur italien, avec son Traité des délits et des peines publié en 1764 et ovationné par des philosophes des Lumières du XVIII e S. que l’on trouve la critique la plus achevée, du moins la plus techniquement organisée du droit pénal de l’époque.

Pour résumer sa pensée, les 2 principaux credo de Beccaria : dénonciation du droit de grâce (= modération des peines pour lutter contre la sévérité et la cruauté de la répression) et la légalité des délits et des peines pour lutter cette fois contre l’arbitraire, faisant en cela se rejoindre 2 préoccupations : la défense sociale et la défense de l’individu.

Ainsi, Beccaria ouvre-t-il la voie d’un droit criminel moderne, voie dans laquelle vont s’engouffrer la révolution française et, un peu plus tard, le code pénal de 1810.

A noter malgré tout que la justice criminelle (dès la 2e moitié du XVIII e S.) avait commencé son évolution même si elle manquait d’uniformité dans le sens d’un amoindrissement de la rigueur, en réaction précisément aux critiques des philosophes et sous l’impulsion de la magistrature elle-même, celle du roi, et plus particulièrement de Louis XVI, roi réformateur et plus humaniste sans doute que ses prédécesseurs.

Après la réaction privée, la réaction publique, intéressons-nous à la réaction légaliste.

2) La réaction légaliste

Celle-ci correspond à la réaction révolutionnaire et à celle de la codification.

On entre ici dans le droit pénal contemporain, et les principes qui vont être dégagés, qui sous-tendent le système répressif de l’époque sont, sinon dans la lettre, du moins dans l’esprit, ceux qui sont encore connus aujourd’hui.

Ils trouvent leur origine dans le vent de la réforme de la révolution française, dans la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789. Même s’il est vrai que dans cette période tourmentée les contradictions ne manquent pas entre les principes généralement dégagés, l’application qui est faite par les gouvernants peu de temps après leur annonciation solennelle, quels sont ces grands principes constructeurs du droit pénal moderne ?

De façon synthétique, il est possible de les réunir sous 3 bannières différentes :

1) La légalité

En un seul mot, l’égalité des délits et des peines comme rempart à l’arbitraire. L’article 8 de la Déclaration énonce en effet : « La loi ne doit établir que les peines strictement et évidemment nécessaires et nul ne peut être puni qu’en vertu d’une loi établie et promulguée antérieurement au délit et délais légalement appliqués ».

2) L’égalité des individus par la mise en place de peines fixes déterminées à l’avance pour chaque infraction

L’article 6 nous dit : « La loi doit être la même pour tous, soit qu’elle protège, soit qu’elle punisse ». L’idée est encore ici de lutter contre l’arbitraire du juge.

Cependant, ce système tarifaire a des revers : un vol par exemple est puni de tant d’années de bagne, quel que soit l’objet du vol, la personnalité du voleur, les circonstances dans lesquelles celui-ci a été commis, ne laissant donc aucune place à l’individualisation de la peine.

3) La modération de la répression

Le droit de répression se trouvant supprimé pour lutter contre l’arbitraire, les peines sont adoucies, jusqu’à supprimer la peine de mort alors qu’il en avait été question au départ. Celle-ci n’est toutefois encourue que pour les crimes les plus graves.

En revanche, les peines perpétuelles, les peines corporelles (la torture) sont supprimées, mais c’est surtout dans leur exécution que les peines se trouvent adoucies.

En outre – et c’est un point important – c’est la mise en place d’une codification. Le législateur révolutionnaire a en effet codifié dès 1791 le droit criminel et la procédure pénale afin que les principes de légalité et d’égalité reçoivent pleine application.

A noter que cette codification s’exprime dans un esprit exclusivement laïc avec des principes révolutionnaires. Disparaissent ainsi les délits religieux qui portent atteinte à la morale religieuse (hérésie, sortilèges, suicide).

Certains principes de base de 1789 fondés précisément sur les idées de légalité, d’égalité, de justice se trouvent alors remis en cause, qu’il s’agisse de la loi des suspects, des ennemis du peuple ou de la création de ces juridictions d’exception que sont les tribunaux révolutionnaires.

Par ailleurs, l’accroissement très net de la criminalité à cette époque démontre très vite les limites des principes au départ généraux et humanistes mis en place par la révolution.

En effet, la fonction de prévention générale, difficile à atteindre en raison d’une minimisation discutable des peines, empêche par là même des intimidations.

Tout ceci va militer pour une refonte du code pénal français de 1791, et ceci sera l’œuvre de Napoléon Bonaparte.

1) Le Code révolutionnaire de 1791 : la rupture avec l’Ancien Régime

Il faut attendre la période révolutionnaire, et + précisément 1791 pour qu’apparaisse la 1ère codification du droit pénal. Celle-ci, opérée en 2 temps : codification par l’assemblée constituante des infractions les moins graves, avec la loi de police municipale des 19 et 22 juillet 1791 et des crimes avec les lois des 25 septembre et 6 octobre de la même année, présente à l’évidence un progrès considérable face à l’arbitraire caractérisant le système pénal de l’Ancien Régime. Mais il n’est toutefois pas exempt de reproche. Et le reproche majeur fait à ce code révolutionnaire concerne spécialement le principe de la fixité des peines.

Ce principe, qui se veut au départ égalitaire (principe fort louable en théorie), va très vite apparaître dangereux en pratique, comme n’assurant pas, ou du moins de façon insuffisante, la prévention individuelle.

La fixité des peines ne permet pas en effet l’individualisation de la peine. Tous les délinquants – et ceci pour un même acte antisocial – ne présentent pas pour le groupe la même dangerosité. Les juges ne pouvant adapter la peine en fonction des circonstances entourant l’infraction, ou en fonction de la personnalité du délinquant, on se trouve alors en présence d’une sorte d’automatisation du rendu de la justice, poussant finalement par exemple les délinquants à voler un bœuf plutôt qu’un œuf, puisque la peine sera la même.

Ajouté à cela un adoucissement des peines – idée généreuse au départ, mais qui intervient un peu trop brutalement après des siècles d’extrême répression – la criminalité connaît alors durant cette période, une recrudescence tant dans les villes que dans les campagnes, marquant l’échec de cette codification.

Comme c’est souvent le cas, le risque est alors de tomber dans l’excès inverse, et avec la codification de la période impériale, on assiste à un très net renforcement de la répression.

Toutefois, l’autoritarisme napoléonien ne va pas jusqu’à remettre en cause les principes généraux que le droit pénal révolutionnaire avait cherché à mettre en place.

2) Le Code napoléonien de 1818 : un compromis entre la rigueur de l’Ancien Régime et le légalisme excessif de la Révolution

Avec le code de 1810, on ne peut alors parler de rupture, mais plutôt de compromis, entre le système de l’Ancien Régime – répressif à l’extrême – et celui de la révolution à la répression jugée trop douce, et au légalise excessif.

Napoléon, ou du moins ses légistes, vont en quelque sorte faire un tri parmi les principes énoncés. S’agissant du principe de la légalité des délits et des peines, celui-ci est maintenu, mais étant entendu de façon très relative.

La fixité des peines est supprimée, et est instauré pour de nombreuses infractions, un système de minimum et de maximum, laissant au juge une certaine liberté d’appréciation.

Par ailleurs, il est permis au juge d’accorder des circonstances atténuantes, et donc de réduire d’après son appréciation personnelle, à la fois de l’acte et de l’auteur, la peine fixée par le législateur. Toutefois, cette individualisation n’est pas générale. En tout cas en 1810, et ne vaut pas pour toutes les infractions, puisque seuls les délits correctionnels sont concernés.

Cette individualisation reste donc assez timide, mais elle évoluera progressivement sous l’influence de différents courants au cours du XIX e S.

S’agissant d’un autre principe : celui de la sévérité de la répression, celle-ci est à l’évidence renforcée : les peines perpétuelles sont rétablies, notamment les travaux forcés à perpétuité, multiplication des cas d’application de la peine de mort, la mise à mort est rétablie.

En revanche, le droit de grâce, aboli par les révolutionnaires en ce qu’il portait atteinte au principe d’égalité est rétabli.

La formule de Beccaria selon laquelle la certitude de la peine est plus importante que sa sévérité, est donc – on le voit – largement remise en cause. L’idée est certes toujours l’intimidation collective comme forme de prévention générale, la fonction de la peine étant exclusivement utilitaire, le châtiment permettant de prévenir le crime par la crainte qu’il suscite chez les individus. Mais l’idée de sévérité privilégiée par le philosophe Anglais Bentham dans son Traité de législation civile et pénale, mais surtout dans son Traité des peines et des récompenses est reprise par les codificateurs et appliquée ici avec vigueur, renforçant en cela considérablement la répression.

Et si les circonstances atténuantes peuvent être retenues par le juge, elles ont également pour corollaire l’application possible de circonstances aggravantes.

En outre, la nouvelle sévérité du code pénal s’exprime également avec la répression de la tentative, alors que l’ordre social n’a pas été atteint, ou encore avec l’identité de peine pour l’auteur et le complice d’une même infraction, principes qui, d’ailleurs, sont toujours en application dans le droit pénal français contemporain.

Quelques mots seulement – toujours à propos du mouvement de codification – mais s’agissant cette fois de la procédure pénale.

Parallèlement à la codification du droit pénal, le législateur révolutionnaire – avec le code des délits et des peines élaboré sous la convention en l’an IV – s’est attaqué à réformer les règles du procès, notamment en rétablissant le système de droit accusatoire, système laissant aux particuliers, et + spécialement à la victime, l’initiative de l’accusation, la procédure étant orale, publique, et contradictoire. Là encore, l’empire va opérer un revirement – certes pas total – dans la mesure où le système inquisitoire de l’Ancien Régime se caractérisant par une procédure écrite, secrète et non contradictoire, et laissant ainsi place au droit de la défense n’est pas rétabli.

Mais pour mettre en place un système intermédiaire, original, et tout à fait propre au droit français, c’est le code d’instruction criminelle de 1810 élaboré juste un peu avant le code pénal, et qui restera en vigueur jusqu’en 1959.

Ce code opère une distinction entre la phase d’instruction de l’affaire et la procédure du jugement.

Dans la 1ère phase la procédure est inquisitoire, dans la 2nde la procédure est accusatoire, sauf si le huis clos est prononcé pour des raisons de moralité publique ou de défense nationale. C’est encore ce système – du moins dans ses grandes lignes – qui prévaut dans notre système procédural actuel.

Mais qui dit codification ne dit pas forcément consensus, et déjà dans le même temps que s’élabore le code pénal, se développent des doctrines fondées sur des concepts bien différents. Doctrines qui vont jouer leur rôle : celui de faire évoluer progressivement – avec plus ou moins d’efficacité – la codification mise en place de façon assez autoritaire.

Et ce sont plutôt ces courants de pensée, plutôt que les circonstances ou les événements politiques de l’époque (à l’exception toutefois de la période tourmentée de la 2nde guerre mondiale) qui vont faire bouger les choses.

Très peu de temps après la promulgation du code pénal de 1810 (ce qui signifie que cette doctrine avait assurément été formalisée, ou du moins conceptualisée pendant l’élaboration même de ce code) ce travail important qu’est le code pénal fait l’objet de critiques assez vives. Elles sont le fait des partisans qui portent le nom de « justice absolue ». Ces doctrinaires, d’origines politique et philosophique différents, s’opposent catégoriquement au concept utilitariste du droit de punir, visant à prévenir les crimes, et ainsi à assurer la défense sociale. Pour eux, et au nombre de ceux-ci le non moins célèbre Kant, la peine a une fonction exclusivement morale. Il convient de châtier, de punir le coupable afin que celui-ci expie sa faute. La peine prend alors une valeur rétributive ; elle n’est pas un mode d’intimidation orienté vers l’avenir, mais une variation de la vengeance orientée vers le passé. Toute faute doit être sanctionnée, même si la peine infligée est inutile, afin que justice soit faite.

Après la théorie de la justice absolue (qui n’a pas influencé considérablement le droit pénal, si ce n’est qu’elle a en fait par ce débat d’idées donné naissance à une autre doctrine), celle de l’Ecole classique qui va tenter au milieu du XIX e S. d’élaborer une idée médiane qui elle, en revanche, va conduire à des réformes. L’objectif est ici de combiner l’idée utilitariste de la défense sociale exprimée dans le code pénal, avec l’idée de justice, prônant ainsi une certaine modération dans la répression.

Avec l’Ecole classique, 1ère idée : la peine garde sa fonction utilitaire, mais pas seulement au regard de la prévention collective. La prévention individuelle du délinquant par l’amendement de celui-ci – rejoignant ici les principes dégagés par la justice ecclésiastique – est également ici prise en compte.

L’idée de rééducation du condamné et d’amélioration de son sort dans les prisons prend enfin forme.

2e idée de cette école classique : la fonction morale de la peine est interprétée dans un sens favorable au condamné, dans la mesure où la responsabilité pénale n’est pas à l’évidence la même pour tous.

Ainsi, se développe avec force l’idée d’individualisation de la peine complétée par un adoucissement de celle-ci (réduction des cas d’application de la peine de mort, suppression des mutilations avant exécution, ou encore correctionnalisation de certains crimes, et un net élargissement de l’octroi par le juge des circonstances atténuantes).

Pour reprendre la formule de l’école classique : « Pas plus qu’il n’est utile, pas plus qu’il n’est juste ».

Il sera pourtant reproché à cette doctrine – qui dans les faits a conduit au prononcé de courtes peines de prison – d’avoir remis en cause le principe de la prévention générale collective avec une recrudescence importante des infractions criminelles, mais aussi d’avoir trop axé sa doctrine sur le lien entre responsabilité pénale et responsabilité morale, dégageant en cela l’idée d’un libre arbitre. Cette possibilité de choix reconnue aux délinquants va en effet être combattue par une autre école : l’Ecole positiviste de la fin du XIX e S., avec là encore des penseurs Italiens, juristes ou médecins tels que Lombroso, Ferri ou Gallo Faro, et qui a eu des répercussions dans le monde entier, y compris la France, remettant totalement en cause le postulat du libre arbitre de l’auteur de l’infraction.

Cette théorie qui puise sa source dans le positivisme d’Auguste Comte va s’attacher d’une part à montrer que l’homme n’agit pas mais qu’il est agi, et à mettre en évidence les 2 catégories de causes conduisant à la délinquance et évoquées précédemment (facteurs endogènes : personnalité, hérédité ; facteurs exogènes : environnement d’une façon générale) ; d’autre part à procéder à une sorte de typologie des délinquants – sans doute excessive et réductrice.

L’Ecole positiviste distingue 5 types de criminels :

– le criminel né (selon Lombroso : petit, avec le crâne étroit, les pommettes saillantes, des oreilles en éventail, le cheveu abondant et la barbe rare, la mâchoire volumineuse, les lèvres minces, les bras très longs, une absence de sensibilité), qui semble décrit plus de manière caricaturale que selon les critères de criminologie ;

– le criminel aliéné (le fou ou le dément) ;

– le criminel d’habitude (le récidiviste) ;

– le criminel d’occasion (délinquant primaire ou encore appelé criminaloïde) ;

– le criminel passionnel, tous ne représentant pas, selon l’Ecole positiviste le même danger pour l’ordre social.

Aussi la politique criminelle – dont le postulat de base repose sur le déterminisme mais non sur le fatalisme – proposent-elles l’adaptation de la sanction à chacun de ces types.

Cette adaptation passe une fois encore par l’individualisation objective : une fois la catégorie criminelle déterminée, des sanctions différentes, mais limitées dans leur nombre selon chacun des types criminels, sont donc prévues. Et l’une des idées principales que les positivistes voulaient faire passer était que la prévention devait passer avant la répression.

C’est encore cette idée qui anime d’ailleurs le droit pénal contemporain.

Cette doctrine positiviste a donc exercé une influence incontestable sur le droit pénal de la fin du XIX e S. et du début du XX e S.

Même si toutes les idées n’ont pas été reprises par le législateur français, celle d’un droit pénal moins répressif, plus préventif ont été pris en compte. C’est assurément sous l’influence de cette doctrine qu’ont été adoptées par exemple la loi du 14 août 1885 relative à la libération conditionnelle, ou encore s’agissant de mineurs, celle du 22 juillet 1912 avec notamment la liberté surveillée et les mesures d’éducation et d’assistance.

La Doctrine de la « Défense Sociale nouvelle » ne fera pas l’objet d’un exposé, compte tenu du peu d’impact qu’elle a eu sur le droit pénal.