L’interprétation juridique de la règle de droit par le juge

L’interprétation de la règle de droit par le juge

Le pouvoir judiciaire a pour mission d’appliquer la loi. Mais, la loi n’a pas toujours précisément prévu le cas soumis au juge. Soit parce qu’il n’y avait pas pensé, soit parce qu’il s’agit d’un problème nouveau que personne n’avait envisagé. On peut alors estimer que le juge a pour rôle de faire évoluer le droit résultant d’un texte écrit, figé. De plus, le contenu de la loi n’est pas toujours clair. Donc, dans le cas, le juge doit interpréter la loi.

Pour interpréter la loi, le juge va recourir à une méthode d’interprétation, en quoi consistent ces méthodes?

I- LES MÉTHODES D’INTERPRÉTATION

Pour remplir leur mission, la jurisprudence et même la doctrine ont besoin d’une méthode d’interprétation. Néanmoins, il convient de préciser immédiatement le domaine de cette interprétation : celle-ci doit être nécessaire. Si le texte est clair, il ne doit pas être interpréter : Interpretatio cessat in claris (l’interprétation cesse lorsqu’un texte est clair). Remarquons cependant que pour pouvoir affirmer qu’un texte est clair, il faut l’analyser et donc l’interpréter.

Cette méthode n’a aucune valeur scientifique. Il n’existe d’ailleurs pas une méthode mais des méthodes, sans qu’on puisse dire nécessairement laquelle a préséance sur l’autre. Il existe en effet une méthode classique, la méthode exégétique (A) et des méthodes plus modernes (B). Il existe aussi certains procédés techniques d’interprétation (C).

A – LA METHODE EXEGETIQUE

La méthode exégétique a été en honneur dans la doctrine et la jurisprudence au lendemain du Code civil et pendant la plus grande partie du 19e siècle. Cette méthode repose sur le culte de la loi. Il s’agit d’interpréter le texte en se demandant quelle a été la volonté du législateur. Cette méthode d’interprétation repose sur un attachement au texte. Cette méthode s’est naturellement imposée aux interprètes des textes du nouveau Code civil. Après la codification, il était normal de considérer que celui-ci avait eu vocation à tout prévoir et qu’une interprétation logique et grammaticale était de nature à résoudre toutes les difficultés. Il faut aussi tenir compte de l’influence de la Révolution française qui voyait dans la loi, l’expression de la volonté générale.

Le premier rôle de l’exégète consistera à préciser le sens que le législateur a voulu attribuer au texte. Si le texte semble obscur ou incomplet, l’interprète trouvera son sens en recherchant quelle a été la volonté du législateur, si son attention avait été attirée sur le point qui fait difficulté. Cette analyse de la volonté du législateur donne à la méthode un caractère psychologique.

L’interprète devra se référer d’abord aux travaux préparatoires pour déceler la volonté du législateur. Il y trouvera l’exposé des motifs de la loi, les rapports, les débats parlementaires. S’il n’est pas possible de dégager une volonté claire des travaux préparatoires, l’interprète essayera de la dégager autrement. Pour se faire, il examinera :

-le dernier état du droit antérieur car si le législateur ne les a pas expressément contredites, c’est sans doute parce qu’il n’a pas voulu en modifier les solutions ;

– l’ensemble de la loi dans son esprit général car le législateur a dû vouloir rester cohérent ;

-de l’appréciation des conséquences auxquelles conduirait chacune des interprétations en conflit car le législateur n’a pas voulu des conséquences absurdes ou socialement inadmissibles ;

La méthode exégétique a ses limites :

-spécialement lorsque le texte est ancien. Il est inutile de rechercher la volonté du législateur lorsqu’il est acquis que le problème posé est nouveau et n’a pu être envisager par le législateur ;

-même si le texte est récent, le législateur ne prend pas toujours grand soin à la rédaction des lois et n’envisagent pas toujours toutes les difficultés juridiques que son texte ne manquera pas de susciter (ex. Pacs : en particulier la question de la solidarité des dettes ménagères : exception de l’article 220 à appliquer par analogie ?) ;

– de plus, le législateur est une entité abstraite et non une personne unique : il est difficile de déceler la volonté des députés et des sénateurs : il y a rarement une volonté uniforme, le texte est souvent le résultat d’un compromis.

B – LES MÉTHODES MODERNES

Divers systèmes plus modernes ont été proposés :

1) La méthode téléologique (par les finalités du texte) repose sur la recherche de la finalité de la règle ou de son but social. Il faut rechercher quelle a été la finalité ou le but social recherché par le législateur. Cette méthode conduit, en cas de conflit entre la lettre et l’esprit d’une règle, à faire prévaloir l’esprit sur la lettre au motif qu’il se faut se tenir à lecture rigide des mots.

2) La méthode historique ou évolutive consiste à reconnaître à l’interprète le droit d’adapter le texte aux nécessités sociales de son époque. Il doit rechercher ce que serait la pensée des auteurs de la loi s’ils devaient légiférer aujourd’hui. Quel serait aujourd’hui l’intention du législateur s’il devait légiférer sur un problème actuellement résolu par un texte de 1804 ? Cette méthode conduit à donner au même texte des sens variable suivant les moments de son application.

3) La méthode de la libre recherche scientifique a été proposé par le doyen Gény en réaction par rapport à la méthode exégétique appliquée aux textes du Code civil, déjà anciens. Cette méthode par du constat que les autres méthodes rationnelles ont leurs limites : à partir d’un certain point, il faut reconnaître qu’il n’y a plus de loi, le législateur n’ayant manifestement pas résolu le problème. Rien ne sert alors de solliciter les textes. On passe alors de l’interprétation à la libre recherche scientifique. L’interprète, c’est à dire le juge, doit élaborer une solution, comme s’il avait à faire œuvre de législateur, en s’aidant de toutes les données historiques, utilitaires, rationnelles, sentimentales, sociales. Pour Gény, l’interprétation du droit est fonction des besoins de la société et non attachée trop rigoureusement à la lettre de la loi. Dans son ouvrage « Méthode d’interprétation du droit » publié en 1899, il écrivait « le droit doit rester chose vivante », c’est à dire « lutter en vue d’une parfaite et constante adaptations aux exigences de la vie sociale ». Dans la préface de cet ouvrage, Saleilles allait dans ce sens : « le droit est avant tout une science sociale, la science sociale par excellence ; c’est à dire qui doit d’adapter à la vie de la collectivité pour laquelle elle est faite, et donner satisfaction à toutes les exigences des nécessités pratiques et à tous les desiderata qui en ressortent, et qui se traduisent en conceptions juridiques ».

C – LES PROCÉDÉS TECHNIQUES D’INTERPRÉTATION

1) Les procédés logiques d’interprétation

Le juge peut utiliser une technique rationnelle par des arguments logiques en adoptant un raisonnement par analogie, un raisonnement a fortiori ou un raisonnement a contrario.

-Le raisonnement par analogie, ou raisonnement a pari, « consiste à étendre à un cas non prévu, la solution admise pour un cas voisin, parce qu’il y a, dans les deux hypothèses, les mêmes raisons d’adopter cette solution ». Elle repose sur une similitude de raison d’être entre la règle existante et la solution à introduire (ratio legis). De ce que la loi a statué pour une situation, on déduit qu’elle est applicable aux situations semblables. Par exemple, de ce que l’annulation du mariage ressemble au divorce, on en conclue par analogie que l’article 270 écrit pour le divorce, peut être appliqué à l’annulation du mariage. C’est une méthode déductive.

-Le raisonnement a fortiori conduit à appliquer la solution que la loi impose dans un cas, qu’elle envisage expressément, à un autre qu’elle ne mentionne pas, parce que pour ce dernier, les motifs de la solution sont encore plus évidents. C’est l’idée : qui peut le plus, peut le moins. (ex. si on est responsable de la commission d’une faute, la plus légère, on est responsable a fortiori lorsqu’on a commis une faute lourde).

-Le raisonnement a contrario est celui qui conduit à adopter une règle inverse de celle qui est expressément édictée lorsque les conditions posées par celle-ci ne sont pas remplies. Lorsqu’un texte dit une chose, il est censé en nier le contraire. Ainsi par exemple, l’article 6 dispose que l’on ne peut pas déroger par des conventions particulières aux lois d’ordre public. On en déduit qu’on peut déroger par des conventions particulières aux lois qui ne sont pas d’ordre public, c’est à dire celles qui sont simplement supplétives. Lire l’article 322 alinéa 2 : «Et nul ne peut contester l’état de celui qui a une possession conforme à son titre de naissance». La Jurisprudence en a déduit une règle par application de la méthode a contrario : « En l’absence de possession d’état conforme au titre, la contestation de la paternité comme de la maternité est recevable » (Civ. 1er, 27 fév. 1985).

2) Les maximes d’interprétation

On peut citer 4 maximes d’interprétation :

  1. Les exceptions sont d’interprétation stricte(exceptio est strictissimae interpretationis)

La maxime signifie que les exceptions admises par la loi doivent être renfermées dans leurs termes littéraux.

Cette règle est appliquée avec une rigueur toute particulière en droit pénal. Elle signifie aussi que l’interprète n’a pas le pouvoir d’admettre des exceptions sans texte.

  1. Il est défendu de distinguer là où la loi ne distingue pas(Ubi lex non distinguit, nec nos distinguere

debemus) Cette maxime signifie que l’interprète n’a pas le pouvoir de restreindre l‘application d’une loi conçue en termes généraux.

  1. Les dispositions spéciales dérogent aux dispositionsgénérales (specialia generalibus derogant). Lorsque deux règles différentes sont susceptibles d’être appliquées à un même cas et que l’une est générale et l’autre spéciale, la règle spéciale devra être appliquée. La règle spéciale apparaît alors comme étant une exception à la règle générale.

  1. La loi cesse là où cessent lesmotifs (cessante ratione legis, cessat ejus dispositio) Cette maxime signifie que la loi ne doit pas être appliquée à des situations qui, tout en paraissant incluses dans sa lettre, se trouvent exclues de son esprit. C’est en application de cette maxime qu’on a autorisé la rédaction en un seul exemplaire, le contrat synallagmatique si l’original est remis à un tiers (aucune crainte à avoir que celui des cocontractants qui a l’original abuse de sa force).

Le Cours complet d’Introduction au droit est divisé en plusieurs fiches (notion de droit, biens, acteurs de la vie juridique, sources du droit, preuves, responsabilité…)