Le principe de l’inviolabilité du corps humain et de l’intégrité physique

LES DROITS DE LA PERSONNE HUMAINE : L’inviolabilité du corps humain et le principe d’intégrité physique

Les droits de la personne sont des droits extrapatrimoniaux, c’est-à-dire perçus comme n’ayant pas de valeur pécuniaire. Ils sont incessibles, intransmissibles et imprescriptibles. L’ensemble des attributs que la loi reconnaît à tout être humain, placé en dehors du commerce juridique et opposable à tous constitue les droits de la personnalité : droits à l’honneur, à l’image, à l’intimité de la vie privée… Une place à part doit être faite au droit à la vie et à l’intégrité de la personne. La personne n’a pas de droit sur son corps. La personne physique n’est pas, à proprement parler, titulaire d’un droit de la personnalité en ce qui concerne son corps. Le renouvellement total des données juridiques par l’intervention des lois dites bioéthiques de 1994 et de 2004 justifie amplement que soit traité en priorité ce qui touche au corps humain avant que ne soient examinés les attributs de la personnalité.

Le droit s’est toujours préoccupé d’assurer le respect dû au corps humain. Le droit pénal a pour objet essentiel de mettre en œuvre ce respect, en sanctionnant les atteintes à la vie humaine. Du côté du droit civil, les textes étaient rares, mais les principes certains. La jurisprudence veillait à ce que soient respectés les principes d’inviolabilité et d’intégrité du corps humain, ainsi que la règle de l’indisponibilité de l’état des personnes. Ont été interdites les conventions, à titre gratuit ou à titre onéreux, portant sur le corps, du moins tant qu’elles n’étaient pas justifiées par un motif légitime.

Résultat de recherche d'images pour "inviolabilité corps humain"§ 1 – Le principe de l’inviolabilité du corps humain

Les lois bioéthiques ont consacre le principe du droit à l’intégrité physique, qui se dissocie d’ailleurs mal du principe d’indisponibilité du corps humain. Le corps ne peut subir aucune atteinte à l’intégrité physique. Des sanctions civiles comme pénales sont mises en œuvre en cas d’atteinte illicite.

Selon l’article 16-1 : « chacun a droit au respect de son corps. Le corps humain est inviolable ». L’article 16-3 affirmait également que : « II ne peut être porté atteinte à l’intégrité du corps humain qu’en cas de nécessité thérapeutique pour la personne ».

L’exception de la nécessité thérapeutique n’est pas nouvelle : il a toujours été admis que le médecin qui porte atteinte à l’intégrité physique de la personne2 accomplit un acte légitime. Prenant en compte les revendications du corps médical, qui trouvait l’exception trop restrictive,

Le texte vise depuis une loi du 27 juillet 1999 la nécessité médicale. Il n’est cependant pas évident que désormais ce texte permette de valider la médecine « de confort », telle la procréation médicalement assistée, la chirurgie esthétique… A noter que la stérilisation sur les majeurs, qui constitue une atteinte très grave à l’intégrité du corps humain, fait l’objet depuis 2001 d’une loi expresse qui la valide et l’encadre lorsqu’elle concerne des incapables majeurs.

L’idée qu’il est exclu de porter atteinte à l’intégrité même de la personne est traditionnelle. Elle explique de nombreuses solutions du droit positif : l’impossibilité d’imposer des expertises médicales contre la volonté de la personne, l’interdiction de faire un traitement médical ou une intervention chirurgicale sans consentement, le refus de l’exécution forcée des obligations de faire, etc.

Est plus novatrice l’exception tirée de la nécessité thérapeutique, depuis 1999, médicale, pour la personne qui vise tout aussi bien la personne concernée directement que des tiers. Ainsi, en validant le don d’organes en faveur d’autrui, notamment de moelle osseuse, la loi autorise ouvertement l’atteinte au corps sans nécessité thérapeutique pour celui qui donne un organe, mais dans l’intérêt d’autrui. La solidarité collective justifie la solution. On comprend alors la rigueur des conditions du don d’organes.

De même, la loi Huriet du 21 décembre 1988 autorise déjà l’expérimentation de médicaments sans intérêt thérapeutique direct : l’intérêt de la collectivité l’emporte sur la sauvegarde de l’individu.

Tout ceci explique l’importance attachée à l’exigence du consentement préalable.

On autorise certaines atteintes au corps sous réserve que la personne soit consentante. Ce principe du consentement préalable figure dans de nombreux textes : dans l’article 16-3, mais aussi de manière systématique et répétitive dans le Code de la santé publique lorsqu’est ouvert un droit à intervenir sur le corps humain1.

La loi du 6 août 2004 a encadré la médecine prédictive, c’est-à-dire qui procède aux investigations sur le patrimoine génétique de la personne. La loi la subordonne au consentement exprès et écrit de la personne, en limite l’utilisation. Si une maladie grave est découverte, le patient n’est pas obligé d’informer les membres de sa famille potentiellement concernés. Tout sera affaire de conscience personnelle du malade…

Dans la prolongation des principes posés, le nouvel article 16-2 prévoit que le juge peut prescrire toutes mesures propres à empêcher ou faire cesser une atteinte illicite au corps humain ou des agissements illicites portant sur des éléments ou des produits de celui-ci. Cette formule n’est pas sans rappeler celle retenue en matière d’atteinte à l’intimité de la vie privée.

§ 2 – L’intégrité de l’espèce humaine

Selon l’article 16 précité, « la loi garantit le respect de l’être humain dès le commencement de la vie ».

Il faut rattacher à cette proclamation le principe suivant lequel nul ne peut porter atteinte à l’intégrité de l’espèce humaine : l’article 16-4 interdit la pratique eugénique tendant à l’organisation de la sélection des personnes. Dans sa volonté de réagir contre les risques d’eugénisme, la loi a même proclamé qu’aucune transformation ne peut être apportée aux caractères génétiques dans le but de modifier la descendance de la personne.

Depuis la réforme du 6 août 2004, le clonage reproductif est formellement interdit. L’article 16-4 alinéa 3 affirme solennellement : « Est interdite toute intervention ayant pour but de faire naître un enfant génétiquement identique à une autre personne vivante ou décédée ». L’atteinte à ce principe est susceptible d’être sanctionnée de la réclusion criminelle à vie. Le clonage dit « thérapeutique » est aussi prohibé. L’interdiction ne figure que dans le Code pénal : il s’agit non d’un crime mais d’un délit, sanctionné par dix ans d’emprisonnement.

La loi a réservé la question des recherches tendant à la prévention et aux traitements des maladies génétiques. Or, l’étude des textes du Code de la santé publique permet de découvrir que la réserve est d’importance. Les thérapies géniques ne sont pas officiellement interdites ; les manipulations génétiques sont validées, dès lors que leur objet est de prévenir la transmission des maladies héréditaires. Certaines recherches peuvent être faites sur les embryons. Combinés avec les règles sur l’interruption volontaire de grossesse et les possibilités de diagnostic préimplantatoire et celles de diagnostic prénatal, les textes favorisent l’«eugénisme individuel » ce qui suscite des réactions d’inquiétude légitime.

§ 3 – L’intégrité physique de l’enfant à naître

Nous l’avons dit, la personnalité juridique de l’enfant n’apparaît, en tant que telle, qu’au moment de la naissance. Faut-il pour autant en déduire que l’enfant qui n’est pas encore né n’a pas de statut juridique ? L’absence de la qualité de sujet de droit empêche-t-il l’élaboration d’un statut qui aurait pour finalité la protection de l’embryon et du fœtus ?

Les difficultés à régler sont d’ordre divers : légalisation de l’interruption volontaire de grossesse, action en responsabilité pénale pour homicide involontaire contre les responsables du décès d’un fœtus, sort des embryons conçus dans le cadre de l’assistance médicale à la procréation. Se profile derrière cette question celle de savoir si l’embryon et le fœtus doivent être considérés comme des choses ou comme des personnes.

Aucune disposition d’ordre général ne définit ce qu’est l’embryon ni ne fixe de règles générales. La loi Veil du 17 janvier 1975 relative à l’interruption volontaire de grossesse a proclamé que « la loi garantit le respect de tout être humain dès le commencement de la vie. Il ne saurait être porté atteinte à ce principe qu’en cas de nécessité et selon les conditions définies par la présente loi ». Ce texte reconnaît donc à l’enfant à naître la qualité d’être humain. Mais il légalise dans le même temps l’interruption volontaire de grossesse.

L’article 16 du Code civil a repris une disposition analogue1. Lors du vote des lois bioéthiques en 1994, il a été clairement dit qu’il ne saurait être question de remettre en cause la législation sur l’interruption volontaire de grossesse.

Ces mêmes lois ont adopté un régime applicable à l’embryon qui atteste des contradictions de notre droit positif : sur certains points l’embryon est traité comme une chose, sur d’autres comme une personne.

La loi du 4 juillet 2001 qui a allongé la durée durant laquelle l’interruption volontaire de grossesse est possible a confirmé l’ambiguïté actuelle de la législation.


Face aux contradictions quasiment insurmontables des dispositions internes, mais aussi internationales, la doctrine a proposé des analyses renouvelées. L’enfant à naître, même non doté de la personnalité juridique, pourrait faire l’objet d’une protection minimum, en tant qu’être humain potentiel, bénéficiant à ce titre d’un droit à l’intégrité physique.

La seule exception est celle de l’avortement : l’atteinte portée est alors licite en raison d’impératifs absolus, ceux de la liberté et de la protection de la femme en état de détresse.

La jurisprudence n’a pas encore tiré toutes les conséquences de ces propositions doctrinales. Ainsi, elle refuse de considérer, avec l’assentiment de la Cour européenne des Droits de l’Homme1, que le fœtus est une personne pénalement protégée (pas d’homicide involontaire) 2.

Les arrêts de l’Assemblée plénière du 17 novembre 2002 relatifs aux actions en responsabilité civile formées contre des médecins dont les fautes ont contribué directement ou indirectement à la naissance d’un enfant handicapé ont relancé le débat3. Ces actions ont été accueillies favorablement. Selon l’Assemblée plénière, « dès lors que les fautes commises par un médecin et un laboratoire dans l’exécution des contrats formés avec une femme enceinte4 ont empêché celle-ci d’exercer son choix d’interrompre sa grossesse afin d’éviter la naissance d’un enfant atteint d’un handicap, ce dernier peut demander la réparation du préjudice résultant de ce handicap et causé par les fautes retenues ».

La loi du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé a combattu cette jurisprudence. Désormais, « nul ne peut se prévaloir d’un préjudice du seul fait de sa naissance. La personne née avec un handicap dû à une faute médicale peut obtenir la réparation de son préjudice lorsque l’acte fautif a provoqué directement le handicap ou l’a aggravé, ou n’a pas permis de prendre des mesures susceptibles de l’atténuer »5. Pour éviter que les parents n’obtiennent indirectement des indemnisations qui couvrent le préjudice subi personnellement par l’enfant, il est dit clairement que les parents ne peuvent être indemnisés qu’au titre de leur propre préjudice, lequel ne saurait inclure les charges particulières découlant, tout au long de la vie de l’enfant, de ce handicap. La compensation de ce préjudice relève de la solidarité nationale.

Ainsi, le législateur, sous la pression des médecins, pression explicable, le coût des assurances médicales étant devenu exorbitant, a-t-il exclu la réparation du préjudice matériel causé par la naissance d’un enfant handicapé suite à une erreur médicale, notamment une erreur de diagnostic. Seul le préjudice moral subi par les parents est indemnisable. L’enfant ne dispose pas d’action, hors le cas où existe un lien de causalité direct entre la faute à l’origine du handicap et le handicap

Au niveau européen, la question reste controversée. La France a été condamnée par deux arrêts de la CEDH du 6 octobre 2005 : le juge européen a considéré que les actions qui auraient pu être engagées après l’affaire Perruche, mais avant l’entrée en vigueur de la loi du 4 mars 2002, doivent pouvoir l’être. Autrement dit, ce qui est censuré, ce n’est pas la loi elle-même, mais l’application rétroactive de cette loi. La Cour de cassation, par trois arrêts du 24 janvier 2006, a fait revivre la jurisprudence admettant l’indemnisation2. Le débat sur le caractère indemnisable ou non du préjudice de vie est loin d’être clos.