La distinction entre actes unilatéraux législatifs et non législatifs

La distinction entre actes unilatéraux législatifs et non legislatifs

Ces actes révèlent-ils l’existence d’un véritable pouvoir législatif dans le droit de l’Union, et méritent-ils donc d’être dénommés lois ?

1. L’émergence progressive d’une distinction entre actes législatifs et non législatifs

Pendant très longtemps, le droit positif ne permettait absolument pas de considérer qu’il y avait dans la Communauté une fonction législative et que certains actes méritaient d’être qualifiés d’actes législatifs.

a) L’identification longtemps incertaine d’une fonction législative dans l’Union

Elle correspondait à une entreprise pour le moins incertaine. On pouvait s’appuyer sur la distinction entre les actes de base fondés sur les traités et les actes d’exécution. On pouvait être tenté d’en déduire que les premiers étaient des actes législatifs et les seconds des actes administratifs, les seconds devant être conformes aux premiers. Mais ce n’était qu’une analogie.

Pouvait-on aller plus loin, et considérer que parmi les actes de base, certains méritaient d’être considérées comme des actes législatifs ? Cela s’avérait très compliqué car les traités n’ont jamais définis des critères matériels de distinction entre les actes législatifs et non législatifs, il n’existait pas de listes des matières relevant de la loi. On pouvait simplement retenir que la matière conservait la place qu’elle occupait en droit interne, mais les conceptions étaient différentes d’un pays à l’autre.

On pouvait au contraire considérer un critère formel, en vertu duquel le Parlement européen aurait un pouvoir décisionnel, lequel ferait apparaître le caractère législatif de la matière. C’était une voie hasardeuse car elle procédait d’un mimétisme par rapport aux systèmes juridiques des Etats membres.

b) L’affirmation progressive d’un pouvoir législatif dans l’Union

Néanmoins, on a vu s’affirmer l’existence d’un pouvoir législatif communautaire malgré les obstacles. Cette affirmation est venue des audaces sémantiques des institutions.

• La CJUE évoquait certains actes de la CECA comme des actes quasi-législatifs, comme des actes du législateur communautaire, et cette notion a parfois été utilisée de façon abusive car elle l’utilisait pour la Commission exerçant un pouvoir discrétionnaire. Ces formulations récurrentes accréditaient la thèse de l’émergence d’un pouvoir législatif communautaire.

• Le Parlement européen s’est auto-désigné Parlement à l’époque où les traités le désignaient simplement d’assemblé.

• Le Conseil a adopté en 2000 un règlement intérieur dans lequel il se présentait comme le législateur.

Cette affirmation s’est faite dans le silence des traités, et la consécration s’est faite avec le traité de Lisbonne.

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2. La consécration récente de la distinction entre actes législatifs et non législatifs

Le traité de Lisbonne ne va pas aussi loin que le traité constitutionnel, il n’utilise pas les étiquettes, mais conserve la distinction symbolique très forte entre les actes législatifs et les actes non législatifs. À la différence du traité constitutionnel, il n’évoque qu’allusivement les actes non législatifs, qui se définissent en creux par rapport aux actes législatifs.

Cette distinction est par ailleurs nuancée par une nouvelle catégorie d’actes, les actes délégués.

a) Le critère et la portée de la distinction

1) Le critère

Le critère de distinction n’est pas un critère matériel : ce qui permet de l’affirmer, c’est que, certes, les actes législatifs définissent selon le traité les éléments essentiels d’une matière, mais ils peuvent aussi bien contenir des éléments non-essentiels. En l’absence de critère matériel, chaque fois que les institutions doivent adopter un acte, c’est cette disposition qui précise s’il aura un caractère législatif ou non.

La distinction est donc fondée sur un critère formel, organique et procédural, car ils sont adoptés soit par le Conseil et le Parlement européen conjointement selon la procédure législative ordinaire, soit par l’une de ces institutions avec la participation de l’autre, selon des procédures variables qui s’appellent procédures législatives spéciales, qui donnent au Parlement tantôt un pouvoir d’approbation, tantôt un pouvoir d’amendement.

On comprend en creux, les actes législatifs étant définis, de quel type d’actes sont composés les actes non-législatifs : ce sont les décisions du Conseil européen ou des autres institutions, pour l’essentiel des règlements et directives adoptés par le Conseil seul ou la Commission seule sans intervention du Parlement européen : c’est l’intervention consultative du Parlement qui donne le caractère législatif à l’acte.

2) La portée

Cette distinction a plusieurs mérites :

• elle fait clairement apparaître où se situe la légitimité dans l’Union, c’est-à-dire dans les Etats représentés par le Conseil, et dans les citoyens européens, et la conjonction de ces deux sources de légitimité est nécessaire pour justifier l’adoption d‘actes qui, par leur importance, méritent d’être considérés comme des actes législatifs ;

• cette distinction esquisse une forme de séparation des pouvoirs car la Commission est systématiquement exclue de l’adoption des actes législatifs, elle n’en est, très souvent, qu’à l’origine.

•Il y a toutefois une atténuation, puisque le Conseil est à cheval entre la fonction législative et la fonction exécutive.

Cette distinction a aussi des faiblesses :

• on ne peut que relever un manque de netteté puisque le critère procédural et organique du caractère législatif d’un acte tient à l’intervention du Parlement européen quelle qu’elle soit ; ce critère est large, cela finit par lui faire perdre toute signification ;

• en plus, elle se caractérise par un manque de fiabilité car dans quelques cas, le critère est contredit et conduit à l’adoption d’actes qui ne sont pas législatifs, en particulier le cas des actes adoptés sur le fondement de l’article 109 du TFUE, c’est-à-dire les règlements utiles en vue de l’application des aides accordées par les Etats.

Il aurait fallu considérer de façon radicale qu’un acte était législatif si le Parlement co-décidait ou avait un pouvoir d’approbation de l’acte. C’est une lacune du traité de Lisbonne, cela pourra être amélioré.

Le traité ne dit rien sur les conséquences de la distinction sur le plan contentieux : ainsi, que l’acte soit législatif ou non, les conditions de recevabilité sont les mêmes.

En ce qui concerne les conséquences de la distinction sur la hiérarchie des normes, l’avenir précisera si elle en a, le traité ne le précise pas pour l’instant. Il ne précise pas en particulier s’il faut établir une hiérarchie parmi les actes législatifs, entre ceux qui font l’objet d’une procédure législative ordinaire et ceux qui font l’objet d’une procédure législative spéciale.

Il n’y a pas de précision non plus quant à la hiérarchie entre les actes législatifs et non législatifs : ceci dit, lorsque l’acte non législatif est une mesure d’exécution d’un acte législatif, l’acte non législatif est subordonné à l’acte législatif. Mais l’acte non législatif peut très bien être directement fondé sur les traités et ne pas être un acte d’exécution : dans ce cas, devra-t-il être hiérarchisé avec un acte législatif lui-même fondé sur les traités ? La jurisprudence tranchera ce point le jour où la question se posera.

Cette distinction entre actes législatifs et non législatifs est nuancée par une catégorie presque intermédiaire d’actes juridiques, nouvellement consacrée par le traité de Lisbonne, celle des actes délégués.

b) Une distinction nuancée par la catégorie des actes délégués

Selon l’article 290 du TFUE, un acte législatif peut déléguer à la Commission le pouvoir d’adopter des actes non-législatifs de portée générale qui complètent ou modifient certains éléments non-essentiels de l’acte législatif.

Cela appelle plusieurs remarques :

• À contrario, les éléments essentiels d’un acte législatif ne peuvent faire l’objet d’une délégation à la Commission pour les modifier.

• Ce faisant, le traité de Lisbonne consacre une pratique antérieure qui était utilisée surtout dans des matières spécialement techniques, par laquelle un règlement ou une directive adopté par le Conseil ou par le Conseil et le Parlement européen permettait à la Commission de déroger à cet acte dans ses éléments non essentiels, ce que la jurisprudence avait d’ailleurs admis. Cette pratique a fait l’objet d’une nouvelle procédure de comitologie, la quatrième du nom, celle qui a été établie par la décision comitologie 2006 et qui institue la procédure dite de règlementation et de contrôle pour encadrer l’exercice par la Commission du pouvoir normatif qui lui est ainsi délégué.

• Cette catégorie des actes délégués peut faire penser aux ordonnances de l’article 38 de la Constitution française en vertu duquel le Parlement peut, par une loi d’habilitation, autoriser le Gouvernement pendant une durée limitée à légiférer lui-même par ordonnance, à adopter des actes relevant du domaine de la loi, celles-ci pouvant modifier ou abroger des lois existantes. Mais l’analogie ne peut pas aller très loin pour deux raisons :

– les ordonnances de l’article 38 de la Constitution ont un caractère hybride, matériellement législatives et formellement réglementaires ; on ne peut pas en dire autant des actes délégués puisque le traité de Lisbonne précise que ces actes ont un caractère non législatif (ils sont adoptés par la Commission), ils ne peuvent modifier que des éléments non essentiels d’un acte législatif européen ;

– l’analogie ne doit pas être exagérée parce que l’encadrement de la délégation consentie à la Commission est beaucoup plus rigoureux que l’encadrement de la délégation du pouvoir législatif dans le cadre de l’article 38 de la Constitution. En effet, le traité de Lisbonne précise que l’acte législatif qui délègue le pouvoir de modification à la Commission doit délimiter explicitement les objectifs, le contenu, la portée, et la durée de la délégation de pouvoir. Par ailleurs, l’acte législatif peut ménager au profit du Conseil et du Parlement européen un pouvoir de révocation de la délégation en cours de route.

Cette notion nouvelle d’acte délégué pose une autre difficulté qui tient au fait qu’elle cohabite avec une notion beaucoup plus ancienne, celle des actes d’exécution. Peut-on faire aisément la différence entre un acte délégué, qui peut modifier ou abroger des éléments non essentiels d’un acte législatif, et les actes d’exécution, qui visent quant à eux à adopter des mesures complémentaires à celles que l’acte de base a adopté en définissant les aspects essentiels de la matière ?

Le critère des éléments essentiels est fondamental : l’acte de base prévoit les éléments essentiels, l’acte dérivé le surplus. Cela suffit à démontrer que la nuance est ténue entre les actes délégués qui peuvent modifier ou compléter ou abroger des éléments non essentiels d’un acte législatif et les actes d’exécution qui visent à apporter des éléments non essentiels en complément d’un acte de base qui régit les aspects essentiels de la matière.

Il y a là une difficulté dont les auteurs du traité de Lisbonne n’ont probablement pas pris la mesure et qui contribue à compliquer la compréhension des systèmes juridique et normatif européen. La difficulté est d’ailleurs d’autant plus ennuyeuse que le régime juridique des actes délégués et celui des actes d’exécution ne sont pas exactement les mêmes : sans prétendre à l’exhaustivité, un acte délégué ne peut être adopté que par la Commission, tandis qu’un acte d’exécution peut parfaitement être adopté par le Conseil (il doit l’être en principe par les Etats membres selon la compétence de droit commun). Pour déterminer quel est le régime juridique applicable à un acte de la Commission, il faut au préalable déterminer si cet acte est un acte délégué ou un acte d’exécution, et la nuance entre ces deux notions est suffisamment ténue pour que cet exercice de qualification juridique soit aléatoire.