La nullité des actes de la période suspecte

La nullité des actes passés pendant la période suspecte

À compter du jugement d’ouverture, des dispositions sont prises en vue de connaître la situation exacte de l’entreprise et de déterminer ses chances de redressement. Aussi est-il impératif d’évaluer le patrimoine de l’entreprise et de dresser un bilan économique et social de celle-ci afin d’élaborer un plan de sauvegarde ou de redressement. Il convient donc de reconstituer l’actif de l’entreprise soumise à un redressement judiciaire.

La date de cessation des paiements peut être fixée au jour du jugement d’ouverture.

Dans la pratique, il est rare que ces deux dates coïncident. Un débiteur se sachant en cessation des paiements peut avoir accompli des actes préjudiciables à l’entreprise ou aux créanciers en favorisant certains d’entre eux au détriment des autres.

Cette atteinte au principe d’égalité peut être réparée par les actions en nullité de la période suspecte qui s’écoule entre la date de cessation des paiements et celle du jugement d’ouverture.

À l’examen de la gestion passée de l’entreprise, certains actes apparaissent manifestement inutiles ou contraires à certains créanciers. Ces actes sont nuls de plein droit.

En revanche, il n’est pas exclu que certains créanciers aient traité en toute bonne foi avec le débiteur, il serait alors injuste qu’ils subissent une telle sanction, ces actes ne sont donc exposés qu’à une nullité facultative qui ne devient effective qu’en présence de certaines conditions.

Les actions en nullité sont exercées par l’administrateur judiciaire, le mandataire judiciaire, le commissaire d’exécution du plan, le liquidateur ou le ministère public. Elles visent à reconstituer l’actif du débiteur. Aussi les biens recueillis vont réintégrer le patrimoine de l’entreprise.

La décision d’annulation émane de la juridiction qui a prononcé le jugement d’ouverture du redressement judiciaire de l’entreprise.

I – Les nullités de droit

Elles sont prévues par l’article L 632-1 du Code de Commerce.

Les actes qu’elles concernent peuvent être regroupés en 3 catégories.

A / Les actes sans contrepartie.

Ces actes sont incontestablement suspects puisqu’ils appauvrissent le débiteur alors même qu’il ne fait pas face à ses engagements.

1 ) Les actes à titre gratuit translatif de propriété mobilière ou immobilière.

Le code de commerce vise ici toutes les donations portant sur des meubles ou des immeubles, déguisés ou non.

Une remise de dette se trouve ainsi exposée à la nullité dès lors qu’est établie la preuve de l’intention libérale. En conséquence, le bénéficiaire demeure tenu de restituer le bien reçu et éventuellement les fruits perçus si l’acte est annulé, quand bien même serait-il de bonne foi. Cette sanction est lourde de conséquences pour le sous-acquéreur en cas d’aliénation du bien reçu par le donataire ; il est également soumis à l’obligation de restituer le bien acquis même de bonne foi. En effet, l’acte initial étant annulé, le bénéficiaire de la donation n’a pu transmettre plus de droit qu’il n’en avait sur la chose et le sous-acquéreur n’a pu valablement acquérir celle-ci.

La principale difficulté réside dans la preuve de l’intention libérale lorsque la donation est déguisée sous l’apparence de certains actes notamment un cautionnement fourni sans contrepartie par le débiteur. Cette preuve peut être rapportée par tout moyen.

Figure parmi les actes suspects, la constitution d’une dot au profit d’un enfant qui se marie, parce qu’elle constitue un acte à titre gratuit qui appauvrit le constituant et par conséquent contrarie l’intérêt de l’entreprise. Cependant, une prime d’assurance sur la vie contractée au profit d’un tiers bénéficiaire qui reçoit ainsi une libéralité constitue une dépense normale et non une donation sous réserve qu’elle ne soit pas manifestement exagérée par rapport aux facultés normales de l’assuré. En conséquence, le capital décès alloué au tiers bénéficiaire échappe aux créanciers de l’assuré.

2 ) Les contrats commutatifs déséquilibrés.

Le code de commerce signale tout contrat commutatif dans lequel les obligations du débiteur excèdent notamment celles de l’autre partie.

Un contrat est dit commutatif quand chaque partie connaît dès sa conclusion l’importance des prestations réciproques tenues pour équivalentes.

La référence à la définition du terme « notable » implique que les obligations du débiteur soient manifestement excessives par rapport à celles qui pèsent sur l’autre partie. Il faut voir dans cette disposition une application particulière de la lésion au débiteur en cessation des paiements. Ainsi est nulle la vente faite par un débiteur à un prix très inférieur à la valeur réelle du bien au moment de la conclusion de l’acte.

Il appartient au tribunal d’apprécier l’importance du déséquilibre et donc de déterminer la valeur objective des prestations ou des biens.

B / Les paiements.

L’un des principaux intérêts des nullités de la période suspecte réside en ce qu’elles peuvent viser les paiements, lesquels ne peuvent jamais être remis en cause par l’action paulienne du droit civil.

Il ne faut pas perdre de vue que les actions en nullité de la période suspecte concernent des actes accomplis par le débiteur qui se trouve en état de cessation des paiements. Il est donc normal que les paiements effectués par ce débiteur puissent être annulés dans la mesure où ils confèrent aux créanciers qui en bénéficient un avantage exorbitant préjudiciable aux autres créanciers.

Le principe d’égalité des créanciers exige que de tels actes soient frappés de nullité.

1 ) Le paiement pour dettes non échues.

Il convient de s’interroger sur les motifs du débiteur qui, confronté à des difficultés financières, paie par anticipation un créancier. Cette hâte est suspecte, d’autant plus qu’elle avantage anormalement ce créancier en le réglant avant l’échéance, alors qu’il n’était pas encore fondé à réclamer le paiement.

Aussi tous ces paiements sont sanctionnés par la nullité de droit.

Néanmoins, échappe à cette nullité, le paiement d’effets de commerce ou des chèques émis pour une dette non échue.

2 ) Le paiement pour dettes échues par des procédés anormaux.

La souplesse des relations commerciales commande de ne pas frapper de nullité tous les paiements de dettes échues, réalisés en période suspecte sauf à établir la mauvaise foi du bénéficiaire et par conséquent de sanctionner l’acte litigieux par une nullité relative.

Le code de commerce vise uniquement les paiements des dettes échues par des procédés anormaux. Il considère comme procédés normaux les paiements effectués en espèce, les effets de commerce, les virements, les bordereaux de cession de créance (Dailly) et tout autre mode de paiement communément admis dans les relations d’affaire.

Aussi, revient-il au juge de déterminer, d’une part, si les parties sont en relations d’affaire, d’autre part, si le mode de paiement est communément utilisé dans les relations d’affaire considérées. En effet, ce qui est valable dans tel secteur d’activité, ne l’est pas nécessairement dans tel autre.

Parmi les procédés jugés normaux, il faut comprendre également, la compensation légale ou conventionnelle dès lors qu’existe un lien de connexité entre les 2 dettes. Cela signifie que ces dettes doivent provenir d’un même contrat à moins d’établir que la convention est intervenue après la cessation des paiements, laissant entendre une intention frauduleuse de la part des parties destinée à favoriser les créanciers bénéficiaires aux dépens des autres créanciers.

Certains modes de paiements sont considérés comme anormaux en droit des entreprises en difficulté car ils rompent l’égalité entre les créanciers en réduisant par avance l’actif du débiteur ; il s’agit en particulier des cessions de créance autre que les créances professionnelles à un établissement bancaire ou de crédit qui soutient financièrement l’entreprise cédante. Est considéré également comme anormale la dation en paiement par laquelle le débiteur fourni à son créancier qui accepte de le recevoir, une prestation différente de celle prévue, tel que le transfert de propriété d’un bien meuble ou immeuble. Est en principe nul de plein droit le paiement par délégation grâce auquel le débiteur charge un de ses propres débiteurs de payer son créancier.

C / Les garanties.

Le créancier initialement chirographaire qui parvient ensuite durant la période suspecte à obtenir une garantie sur un actif de son débiteur échappe anormalement à la loi de l’égalité.

À propos des garanties ainsi acquises, l’article L 632-1 Code de Commerce considère comme nul de plein droit tout dépôt ou toute consignation de sommes d’argent effectué en vertu de l’article 2115-1 cciv en l’absence d’une décision de justice ayant acquis autorité de la chose jugée. Le code de commerce en fait de même pour toute hypothèque conventionnelle, judiciaire, ainsi que l’hypothèque légale des époux et tout droit de nantissement constitué sur les biens du débiteur pour des dettes antérieurement contractées. Une sûreté est en principe consentie conjointement à l’opération génératrice de la créance ; elle devient suspecte lorsqu’elle est constituée postérieurement à la dette garantie. De deux choses l’une, soit le créancier négligent, redoutant une dégradation de la situation de son débiteur, revendique après coup une garantie en paiement de son dû, ou bien le débiteur désireux de calmer l’impatience de ses créanciers impayés leurs propose une sûreté afin qu’ils s’abstiennent d’introduire une action en paiement qui constaterait sa défaillance. Dans ce dernier cas, l’acte qui a pour seul objet l’ouverture d’une procédure collective crée une inégalité entre les créanciers en réduisant leur gage futur.

Le code de commerce rend également nulle toute mesure conservatoire sous réserve que l’inscription ou l’acte de saisie ne soit pas antérieur à la date de cessation des paiements. Par conséquent, est nulle la saisie conservatoire de créance pratiquée en période suspecte alors que cette saisie a été convertie en saisie attribution avant le jugement d’ouverture de la procédure collective.

Il y a d’autres cours de PROCEDURES COLLECTIVES / ENTREPRISES EN DIFFICULTE

Cours de droit des entreprises en difficulté

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Le cours complet de Droit des procédures collectivesest divisé en 38 fiches à consulter ci-dessous :

  1. La procédure de conciliation
  2. Le déclenchement de la procédure de conciliation
  3. Application des procédures collectives aux personnes physiques
  4. Les conséquences de la procédure de conciliation
  5. Cessation de paiements (définition, éléments constitutifs, preuve…)
  6. Application des procédures collectives aux personnes morales
  7. La procédure de redressement ou de liquidation judiciaire
  8. La procédure de sauvegarde (définition, conditions, conséquences)
  9. La compétence des tribunaux en matière de procédures collectives
  10. Définition et fixation de la période suspecte
  11. La période d’observation
  12. Le jugement d’ouverture de la procédure collective
  13. Le sort des contrats en cours pendant une procédure collective
  14. La situation de l’entreprise pendant la période d’observation
  15. La nullité de certains actes passés pendant la période suspecte
  16. Les actes interdits ou contrôlés pendant la période d’observation
  17. Clause de réserve de propriété et procédure collective
  18. Le conjoint du débiteur en redressement ou liquidation judiciaire
  19. Le projet de plan de sauvegarde ou de redressement
  20. Le bilan économique et social
  21. La revendication des biens dont le débiteur est possesseur ou non
  22. Les droits des créanciers antérieurs au jugement d’ouverture
  23. Les obligations des créanciers antérieurs au jugement d’ouverture
  24. Le paiement des salaires en cas de procédure collective
  25. Le privilège des créanciers postérieurs au jugement d’ouverture
  26. Le jugement arrêtant le plan de sauvegarde ou de redressement
  27. La protection de l’emploi pendant une procédure collective
  28. L’ouverture de la liquidation judiciaire
  29. Plan de sauvegarde ou de redressement en cas de comité de créanciers
  30. La réalisation de l’actif par la cession des actifs du débiteur
  31. La cession de l’entreprise suite à la liquidation judiciaire
  32. La clôture des opérations de liquidation judiciaire
  33. L’apurement du passif
  34. La liquidation judiciaire simplifiée
  35. Sanctions du dirigeant : faillite personnelle ou interdiction de diriger
  36. L’obligation aux dettes sociales
  37. La responsabilité pour insuffisance d’actifs
  38. Banqueroute et autres sanctions pénales du dirigeant

II – Les nullités facultatives

A / Le régime général de la nullité.

À l’inverse des nullités de droit qui s’appliquent lorsqu’il existe les conditions nécessaires, à savoir l’accomplissement de l’acte en période suspecte et son insertion dans la nomenclature de l’article L 632-1 Code de Commerce, les nullités facultatives peuvent ne pas être prononcées alors même que les conditions sont remplies.

1 ) Les conditions de la nullité.

– 1e condition : article L 632-2 Code de Commerce : réside dans la connaissance de la cessation des paiements par le cocontractant du débiteur qui de ce fait est de mauvaise foi. Néanmoins, l’intention frauduleuse n’est pas exigée.

– 2e condition : elle découle des principes généraux du droit et implique un préjudice en vertu de l’adage « pas d’intérêt, pas d’action ». En effet, les personnes habilitées à agir en nullité c’est-à-dire l’administrateur, le mandataire judiciaire, le liquidateur ou le commissaire à l’exécution du plan, doivent justifier d’un préjudice causé aux personnes qu’elles représentent (soit l’entreprise, soit les créanciers).

2 ) Les actes visés.

a ) Les actes annulables sous condition : l’article L 632-2 Code de Commerce indique les actes susceptibles d’annulation si ceux qui ont traité avec le débiteur ont eu connaissances de la cessation des paiements.

Il y a d’une part, les paiements pour dettes échues intervenus en période suspecte. L’article L 632-2 permet ici d’attaquer des paiements faits par un procédé normal tandis que l’article L 632-1 s’en tient aux paiements réalisés par des procédés anormaux.

Il y a d’autre part, les actes à titre onéreux accomplis en période suspecte. Leur nullité vise à réintégrer dans le patrimoine de l’entreprise les biens ou sommes d’argent ainsi dispersés.

A ces 2 actes, la loi du 26 juillet 2005 ajoute, tout avis à tiers détenteur, toute saisie attribution ou toute opposition, lorsqu’il a été délivré ou pratiqué par un créancier après la cessation des paiements et en connaissance de celle-ci.

Ces cas des nullités facultatives sont justifiés par la volonté d’assurer l’égalité des créanciers.

La connaissance de la cessation des paiements justifie que le cocontractant du débiteur ne bénéficie d’aucune protection particulière et que puisse être annulés même les paiements effectués à l’échéance prévue et par un mode normal.

La preuve de cette connaissance peut être rapportée par tout moyen. Elle se trouve facilitée par l’existence de relations d’affaires entre les parties à l’acte ou ceux qui ont reçu les paiements.

b ) Les actes annulables sans condition : l’article L 632-1 qui traite en principe uniquement des nullités de droit énonce pourtant une nullité facultative. Au regard de ce texte, le tribunal peut annuler les actes à titre gratuit accomplis dans les 6 mois précédant la date de cessation des paiements. Il dispose ici d’un pouvoir d’appréciation contrairement aux actes effectués pendant la période suspecte proprement dite.

B / Les cas particuliers.

L’article L 632-3 Code de Commerce exclut du régime des nullités les chèques et les effets de commerce c’est-à-dire les lettres de change et les billets à ordre. Ainsi, le paiement effectué au profit du porteur de l’un de ces effets échappe aussi bien aux nullités des droits qu’aux nullités facultatives. N’est donc pas remis en cause, le paiement fait par le débiteur en cessation des paiements au porteur de l’effet, notamment le banquier escompteur. Cette exception résulte des règles du droit cambiaire qui sont imprégnées de l’idée de sécurité.

Ce texte apporte cependant une dérogation ; l’administrateur ou le mandataire judiciaire peut exercer une action en rapport contre le tireur de la lettre de change ou, dans le cadre du tirage pour compte, contre le donneur d’ordre ainsi que contre le bénéficiaire d’un chèque s’il est établi qu’ils ont eu connaissances de la cessation des paiements. En conséquence, celui qui aura tiré avantage de la mise en circulation du titre bancaire ou cambiaire après la cessation des paiements et aura eu connaissance de celle-ci pourra être tenu de restituer les sommes ainsi perçues. On parvient alors à un résultat identique à celui qu’aurait produit la nullité.