La présomption de responsabilité du fait des choses

La présomption de responsabilité du fait des choses et les moyens de défense (force majeure, faute de la victime…)

Relisons encore l’article 1384al1:

Code Civil, article 1384:

al 1. on est responsable non seulement du dommage que l’on cause par son propre fait, de celui qui est causé par le fait (…)des choses dont on a la garde.

Nous avons vu précédemment que ce sont pour ainsi dire toutes les choses qui sont concernées par cette présomption de responsabilité: aussi bien l’ordinateur avec lequel je tape ce cours que le stylo avec lequel je prends mes notes ou la tronçonneuse, la bombe à neutrons!! (J).

Deux questions se posent:

  • quand est-on responsable ?
  • qu’est ce que ce mot de gardien??

a) La présomption de responsabilité

Au risque de paraître enfoncer encore une fois le clou, je rappelle que les termes présomption de responsabilité, responsabilité objective, responsabilité sans faute, responsabilité de plein droit sont synonymes.

L’article 1384al 1 fait référence à l’expression « fait de la chose ». Qu’est-ce?

Quels sont les moyens d’exonération et comment les apprécie-t-on?

(i) Le fait de la choses

On observe une évolution: au départ, la victime arrivait et mettait pour ainsi dire les deux pieds sous la table (je sais ça ne fait pas très juridique mais enfin J): elle n’avait rien d’autre à prouver que son dommage – facile – et l’intervention de la chose dans la survenance du dommage. Par exemple, je descendait un escalier normalement ciré, éclairé, en parfait état et, maladroit je glissait. Je pouvais tout à fait engager la responsabilité du gardien de l’escalier (qui de toute façon ne réussirait sans doute pas à montrer que c’était par ma maladresse que j’avais glissé). Il suffisait donc d’une simple intervention matérielle de la chose pour voir la responsabilité du gardien engagée.

La jurisprudence va évoluer.

Le revirement vient avec un arrêt très célèbre: l’arrêt Cadé du 19/02/1941. Dans cette affaire, Mme Cadé est prise d’un malaise dans un établissement de bains publics et s’effondre sur une tuyauterie d’eau chaude ce qui va lui occasionner des brûlures assez graves. Elle demande réparation à la commune, propriétaire de l’établissement de bains. La Cour de Cassation va rejeter la demande de Mme Cadé en reprenant à son compte la position de la Cour d’Appel: si le tuyau est intervenu dans le dommage, cette chose n’a eu qu’un rôle passif. En fait, à cette époque, la cour de cassation va proposer un nouveau moyen d’exonération au défendeur: prouver que la chose n’a eu qu’un rôle passif. Par la suite et encore aujourd’hui, la jurisprudence exige du demandeur qu’il prouve que la chose a eu un rôle actif. Bref, la jurisprudence alourdit le fardeau de la preuve ou plus exactement nous semble-t-il rétablit un équilibre.

Mais, qu’est-ce que le rôle actif ou passif de la chose? On ne peut pas donner de définition du rôle actif de la chose(remarquons au passage la contradiction apparent: chose inerte mais rôle actif). On remarque également que le terme de rôle actif est de moins en moins employé: on parle de chose instrument du dommage, de cause génératrice du dommage mais plus de rôle actif. Mais, même en jouant sur les mots, il n’empêche qu’on ne sait toujours pas ce que veut dire « la chose instrument du dommage ». Il faut en fait recenser deux séries de situations:

  • Ø Soit la chose était en mouvement et est entrée en contact avec le siège du dommage (exemple une balle qui vole et qui casse un carreau): on admet le « rôle actif de la chose »
  • Ø Soit la chose n’était pas en mouvement mais elle se trouvait dans une position anormale (barrière baissée alors qu’elle aurait dû être ouverte), dans une situation anormale (escalier anormalement éclairé, anormalement ciré), elle avait un comportement anormal (bateau qui coule): dans ce cas on admet que la chose a été la cause génératrice du dommage.

(ii) Les moyens de défense

(i) La force majeure

La cour de cassation considère que la force majeure est un moyen d’exonération de cette responsabilité objective. On peut tout d’abord remarquer que l’article 1384al1 ne fait pas référence à ce moyen d’exonération. Sans doute le juge s’est-il inspiré ici de la responsabilité contractuelle:

Code Civil, article 1148:

il n’y a lieu à aucun dommages-intérêts lorsque par suite d’une force majeure ou d’un cas fortuit, le débiteur a été empêché ou de faire ce à quoi il était obligé, ou a fait ce qui lui était interdit.

La cour de cassation a une définition stricte la force majeure et se montre pointilleuse quant à la réunion des 3 sacro-saints critères (à savoir: extériorité, irrésistibilité, imprévisibilité) ce qui fait de ce moyen d’exonération un moyen souvent soulevé mais quasiment jamais accepté. Un point difficile à comprendre est que le fait de la victime peut être constitutif d’un cas de force majeure: supposons une personne qui se suicide sous les roues de mon vélo: cet acte remplit les 3 critères et est donc constitutif d’un cas de force majeure. La conséquence est pour moi tout bénéfice: l’exonération est totale. Pour les cas de force majeure, l’exonération est totale.

Revenons sur les éléments caractéristiques de la force majeure:

1) L’extériorité
Cette notion d’extériorité s’entend non seulement par rapport à la chose (ce qui veut dire qu’un vice interne de la chose même indécelable ne pourra pas être un cas de force majeure car s’il remplit bien les conditions d’imprévisibilité et d’irrésistibilité, il est interne à la chose), mais aussi par rapport au gardien de la chose (un cycliste frappé d’un malaise ne pourra pas invoquer la force majeure pour s’exonérer de la réparation du dommage qu’il a causé du fait de son vélo car il n’y a pas extériorité).

2) L’imprévisibilité
autrement dit l’impossibilité absolue de deviner la survenance d’un tel événement. Pour autant, sur ce point il semble que la jurisprudence ait une position un peu amoindrie, considérant que si la prévisibilité ne permet pas de se prémunir, alors un fait même prévisible peut être constitutif d’un cas de force majeure.

3) L’irrésistibilité
i.e. l’impossibilité de faire face à un tel événement.

(ii) La faute de la victime

Il faut distinguer deux situations bien nettes:

  • Soit la faute de la victime est constitutive d’un cas de force majeure auquel cas, l’exonération est totale
  • Soit la faute de la victime n’est pas constitutive d’un cas de force majeure, auquel cas l’exonération ne pourra être que partielle.

Au départ, cette distinction selon l’importance de la faute de la victime n’était pas remise en cause par les juges jusqu’à un arrêt fameux du 21/07/1982, l’arrêt Demares. Dans cet arrêt, la cour de cassation entend provoquer le législateur pour qu’il mette en place une législation spéciale pour les accidents de la circulation. En effet, jusqu’à la loi de 1985, lorsqu’il y avait un accident de la circulation, on recourait au droit commun et donc à la responsabilité du fait des choses. Cette solution n’était pas satisfaisante nous verrons plus bas pourquoi. (
L’indemnisation des victimes d’accident de la circulation ). Comment « provoque »-t-elle le législateur: elle n’admet désormais comme moyen d’exonération que la force majeure, i.e. soit il y a force majeure auquel cas l’exonération est totale, soit il n’y a pas force majeure, auquel cas la faute de la victime ne compte pas et il n’y a pas partage de responsabilité. C’est le système du tout ou rien.

La loi de 1985 ayant été votée, la cour de cassation est revenue à sa position classique à savoir( Cour de Cassation, 06/04/1987):

ü Soit la faute de la victime est constitutive d’un cas de force majeure auquel cas, l’exonération est totale

ü Soit la faute de la victime n’est pas constitutive d’un cas de force majeure, auquel cas l’exonération ne pourra être que partielle.

Toutefois, un arrêt du 25/06/1998 pose la question: la cour de cassation ne serait-elle pas tentée de revenir à son ancienne position.

(iii) L’acceptation des risques

L’acceptation des risques n’est sans doute pas un moyen d’exonération totale. Pour autant, il a un rôle: il repousse les limites de l’engagement de la responsabilité plus loin.

(iv) Le transfert de la garde: renvoi.

Il nous faut avant définir ce qu’est la garde. Ce que l’on peut dire en tout état de cause, c’est que si l’on est gardien soit même de la chose instrument du dommage, on ne peut pas se retourner contre soi même!! Si je me blesse avec mon crayon parce que je suis maladroit, je ne peux pas demander à mon assurance de répondre pour réparer mon dommage!!!J