La provision de la lettre de change : définition, transfert

La remise de la lettre de change et ses conséquences :

La provision de la lettre de change est la créance réellement détenue par le tireur sur le tiré. La provision de la lettre de change est une garantie du paiement de la lettre de change puisque saisissable en cas de non paiement. La preuve de l’existence de la provision de la lettre de change peut se faire par tous moyens sous réserve que la créance soit de nature commerciale.

C’est la 2nde étape nécessaire à l’émission de la lettre de change, prenant la forme d’une remise par tradition, en main propre au bénéficiaire.

Cette remise de la traite va bouleverser les rapports juridiques préexistants, les rapports fondamentaux.

Elle va avoir 2 effets : transfert de propriété de la provision et naissance de l’obligation cambiaire du tireur.

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  • 1°)- Le transfert de propriété de la provision :

Code de Commerce ; L511-7 : la propriété de la provision est transmise de droit aux porteurs successifs de la lettre de change, et donc en premier lieu, au bénéficiaire.

La provision est transmise avec ses accessoires, garanties éventuelles attachées à la créance.

A)- L’existence de la provision :

1°)- Le contenu, nature de la provision :

Code de Commerce ; L511-7 al2 : il y a provision, si à l’échéance de la traite, celui sur qui elle est fournie, le tiré, est redevable au tireur ou à celui pour compte de qui elle est tiré (tirage pour compte ou par mandataire), d’une somme au moins égale au montant de la lettre de change.

→ la provision est une créance de somme d’argent, créance que le tireur a à l’encontre du tiré, en vertu d’un contrat commercial de base, contrat fondamental.

→ c’est à l’échéance que l’on apprécie l’existence de la provision, à l’échéance le tireur doit être créancier du tiré, pour un montant au moins égal à celui de la lettre de change.

2°)- Les effets de complaisance :

Un effet de commerce peut-il être valablement tiré sur une personne dont le tireur n’est pas créancier ?

Intérêt pour le tireur de tirer une lettre de change, sur une personne dont il n’est pas créancier ?

Cette pratique des effets de complaisance, peut correspondre à 2 situations, que la doctrine distingue en parlant de bon et de mauvais effet de complaisance ;

Bon effet de complaisance :

Une entreprise qui a un besoin de trésorerie peut demander à son banquier de lui avancer des fonds, dans le cadre d’une opération d’escompte, en contrepartie d’une lettre de change, tirée sur une entreprise amie.

L’entreprise tirée n’a aucune dette à l’égard du tireur, mais elle est d’accord pour assumer de cette manière un engagement de caution, du tireur. Le banquier a donc un recours contre le tireur, mais aussi contre le tiré.

Le banquier est au courant qu’il n’existe aucun contrat commercial entre le tireur et le tiré.

L’émission de la traite correspond non pas à une opération commerciale, mais à une opération financière.

Ces effets de complaisance ont toujours été considérés comme valables.

Mauvais effet de complaisance :

Il est destiné à tromper le banquier bénéficiaire.

Le tireur demande à un ami complaisant de le laisser tiré une lettre de change, en lui promettant qu’avant l’échéance, il lui transmettra les fonds nécessaires au paiement.

Il arrive fréquemment que le tiré complaisant demande le même service au tireur. Chacun tirant sur l’autre une lettre de change, sans que le tiré ait l’intention à l’échéance de payer sur ses fonds, la créance du banquier.

C’est ce que l’on appelle la cavalerie.

Ces effets de complaisance sont ceux dont la question de la validité a été soumise à la jurisprudence.

Pour certains auteurs, le titre est nul pour absence de cause, et le tiré pourrait donc invoquer cette nullité, pour refuser de le payer.

Mais le titre n’est pas dépourvu de cause, dans la mesure où l’obligation du tireur a pour cause, la convention d’escompte ; et l’obligation du tiré, lorsqu’il accepte et est donc obligé cambiairement, réside dans l’intention de rendre service au tireur.

Pour d’autres, ses effets sont nuls pour illicéité de la cause de l’engagement du tireur.

Le tireur détourne le mécanisme cambiaire de sa fonction, en vu d’enduire les tiers en erreur, afin de se procurer un crédit.

Pour d’autres auteurs enfin, l’effet de complaisance n’est pas nul, les exigences de forme sont respectées, le consentement et la capacité du tireur sont exempts de vice, l’existence de la provision n’est pas une condition de validité de la lettre de change.

L’illicéité ou l’absence de cause : la nullité qui les sanctionne n’est pas opposable au porteur de bonne foi, dès lors ses effets doivent être considérés comme valables, le tiré doit être condamné à payer, alors même qu’il n’est pas débiteur du tireur.

Si le tiré n’a jamais voulu payer et que le bénéficiaire veut faire jouer la créance, tiré va faire valoir que c’est pas, mais tiré doit payer même en présence mauvais effet de complaisance.

La jurisprudence moderne tend à dire que tous les effets de complaisance sont valables : engagent valablement le tiré, dangereux pour le tiré .

B)- Le transfert de propriété de la provision :

La lettre de change est un titre payable à échéance.

Code de Commerce ; L511-7 : contradiction entre alinéas 2 et 3

  • Al 3: la propriété de la provision est transmise de droit aux porteurs successifs. Ce qui peut laisser penser que la provision est transmise à la remise de la traite.
  • Al 2: la provision doit exister à l’échéance de la lettre de change.

Ce dont on peut déduire, que la provision peut ne pas exister avant l’échéance, et qu’elle ne serait transmise qu’à l’échéance.

Les enjeux pratiques :

Si la provision est transmise à la remise de la traite, à compter de cette date, le tireur n’est plus créancier du tiré, la créance de provision est sortie de son patrimoine, pour entrer dans celui du bénéficiaire, conséquences :

∙ à compter de la remise, le tireur ne peut plus réclamer au tiré, le paiement de sa créance.

∙ le tiré ne peut plus se libérer valablement entre les mains du tireur, son paiement ne sera pas valable s’il est fait au tireur, plus créancier.

Sauf jeu Code Civil 240 le paiement fait de bonne foi, est libératoire (ignore l’émission de la traite).

∙ à compter de la remise, les créanciers du tireur, ne peuvent plus valablement saisir la créance de provision. Le bénéficiaire est donc protégé dès la remise contre les créanciers du tireur.

Si la propriété de la provision est transmise jusqu’à l’échéance, le tireur reste propriétaire de la provision et donc créancier du tiré, conséquences :

∙ jusqu’à l’échéance, le tireur peut réclamer payement au tiré, à condition qu’au jour de l’échéance il soit de nouveau créancier d’une somme au moins égale au montant de la traite.

∙ jusqu’à l’échéance, le tiré peut valablement payer le tireur, même s’il a connaissance de l’émission de la traite.

∙ les créanciers du tireurs, peuvent jusqu’à l’échéance saisir la créance qui est toujours dans le patrimoine du tireur.

Si le tireur est l’objet d’une procédure collective, le bénéficiaire viendra en concurrence avec les créanciers du tireur.

Tout dépend de l’interprétation de la notion de provision :

– on peut penser que la provision est la créance n »e du contrat de base, qui a donné lieu à l’émission de la traite. Cette créance seulement qui est transmise au bénéficiaire.

– on peut penser que la provision est une créance du tireur à l’encontre du tiré, sans qu’il soit nécessaire qu’il s’agisse de la créance née du contrat de base, qui a donné lieu à l’émission de la lettre de change. L’important c’est qu’à l’échéance de la traite, le tiré soit débiteur du tireur à hauteur du montant de la lettre de change.

Jurisprudence : incohérence :

  • pour un transfert à la remise :

Cour de cassation ; 29/11/1982 et arrêts postérieurs : à compter de la remise, les créanciers du tireur ne peuvent plus saisir la créance de provision. Solution protectrice du bénéficiaire.

  • pour un transfert à l’échéance :

Cour de cassation ; 4/12/1984 : c’est l’échéance qui fixe la date de transfert de propriété de la provision.

Cour de cassation ; 18/03/1986 : la créance de provision peut valablement s’éteindre par compensation entre le tireur et le tiré, jusqu’à l’échéance de la traite.

Plus généralement, la Cour de cassation considère que jusqu’à l’échéance le tiré peut valablement se libérer entre les mains du tireur, et que le tireur peut valablement réclamer le paiement au tiré, à condition qu’au jour de l’échéance, le tiré soit toujours débiteur du tireur, pour une somme au moins égale au montant de la traite.

→ jusqu’à l’échéance, si le bénéficiaire est à l’abri des créanciers du tireur, il est menacé par les relations tireur-tiré et notamment par le jeu de la compensation entre le tireur et le tiré.

La jurisprudence offre au bénéficiaire des palliatifs, en vu de sécuriser sa position, il peut consolider ses droits sur la provision de 2 manières :

∙ en faisant une saisie-attribution ou conservatoire entre les mains du tiré.

∙ en adressant une défense de payer au tiré, sous quelles que formes que ce soient.

La doctrine synthétise : le bénéficiaire acquiert la propriété de la provision dès la remise de la lettre de change, mais que la provision n’est qu’une créance éventuelle, le droit acquis est donc un droit sur une créance éventuelle, qui ne sera consolidé qu’à l’échéance ou avant l’échéance par le biais d’une saisie ou d’une défense de payer.

  • 2°)- La naissance de l’obligation cambiaire du tireur :

Cette obligation va venir se superposer à l’obligation fondamentale, elle ne se substitue pas à l’obligation fondamentale, il n’y a pas novation.

L’obligation cambiaire double et garantit ainsi l’obligation fondamentale.

– Cette obligation, pour la lettre de change, est toujours commerciale, règles particulière de capacité et permettra au porteur de bénéficier de la règlementation des actes de commerce (preuve et compétence).

– Cette obligation est littérale : nature et étendue déterminées par les mentions figurant sur le titre.

– Elle est rigoureuse : elle ne peut être conditionnelle, elle est solidaire Code de Commerce ; L511-44.

Aucun délai de grâce n’est consentie et les intérêts de retard courent à compter de l’échéance et non à compter de la mise en demeure.

– Obligation cambiaire est autonome : principe de l’indépendance des signatures, Code de Commerce ; L511-5. La nullité de l’obligation cambiaire de l’un des signataires n’affecte pas les engagements cambiaires souscrits postérieurement

– Obligation abstraite : indépendante à l’égard du porteur, de l’existence et de la valeur du rapport fondamental.

C’est le principe de l’inopposabilité des exceptions ; Code de Commerce ; L511-12 : les personnes actionnées en vertu de la lettre de change ne peuvent pas opposer au porteur les exceptions fondées sur leur rapport personnel avec le tireur ou avec les porteurs antérieurs, à moins que le porteur en acquérant la traite n’ait agi sciemment au détriment du débiteur.