La qualification juridique de l’œuvre multimédia

La qualification de l’œuvre multimédia

Définition : une œuvre Multimédia est une création regroupant sous forme numérique, du texte, et (ou) des images, animées ou non, et (ou) du son, mais, dans tous les cas avec une interactivité possible.

La qualification d’une telle œuvre est délicate en raison de la diversité des contenus. Il faudra sans doute se garder d’adopter une qualification unique (Lamy, Droit de L’informatique et des réseaux, n° 408) qui vaudrait pour n’importe quelle œuvre Multimédia ; la diversité de contenu entre, par exemple, un CD-rom de musée, utilisant à titre principal des images fixes, et un DVD, qui pour L’essentiel est un film cinématographique, rend une unicité de qualification difficilement réaliste. En fait la qualification de l’ensemble (§2) dépend du contenu (§1) et de la méthode de qualification (§3) que l’on choisira.

  • 1 : Qualification en fonction d’un élément du contenu :

Il est logique de songer à qualifier l’œuvre Multimédia en fonction des éléments qui la composent

  1. Images fixes :

On l’oublie trop souvent en doctrine, une œuvre Multimédia peut contenir des images fixes, notamment de personnes humaines (droits de la personnalité) ; les CD Rom de musées pourraient emprunter cette qualification en raison du grand nombre d’images utilisées. Mais cette solution est à éliminer car il faut qualifier en fonction des auteurs de l’œuvre et non des sujets de l’œuvre.

  1. Droit d’auteur :

Des données informatiques peuvent être originales et être couvertes par le droit d’auteur. Il a été jugé dans une affaire (Paris 28 avriL 2000, RIDA janv 2001,314) que l’auteur à qui on avait commandé 7 CD Roms de vulgarisation artistique, était le seul créateur intellectuel et donc le seul détenteur des droits. En l’espèce cette seule qualification avait suffi à résoudre le litige qui était de connaître le titulaire des droits. Dans l’affaire Chantelle (voir infra) les premiers juges avaient adopté la qualification de droit d’auteur puisque la saisie avait été fondée sur la violation du droit de représentation de l’article L 122-4. Mais la Cour d’appel a été approuvée d’avoir écarté cette qualification au profit de celle de logiciel. En l’état actuel de la jurisprudence il semble donc que cette qualification doive être rejetée.

Il semble qu’il faille pareillement repousser la qualification plus spéciale, au sein du droit d’auteur, d’œuvre audiovisuelle car elle ne tient pas compte de l’interactivité du logiciel qui permet de rompre avec la linéarité du défilement de l’image (voir La note de X Linant de Bellefonds sous Paris 16 mai 1994, JCP 1995, 22375). La cour de cassation (Civ 1ère 28 janv 2003, JCP 2003.IV.1495) a rejeté le pourvoi arguant d’une qualification d’œuvre audiovisuelle, au motif que la Cour d’appel avait pu retenir que « l’absence de défilement linéaire » et la « succession non de séquences animées d’images mais de séquences fixes pouvant contenir des images animées » permettaient d’écarter la qualification d’œuvres audiovisuelles. Qui plus est cela suppose que l’œuvre Multimédia comporte des séquences d’images animées, ce qui peut ne pas être le cas. Cependant, pour les DVD, la qualification d’œuvre audiovisuelle paraît la plus proche de la nature des choses.

  1. Logiciel

Il n’y a pas d’oeuvre Multimédia sans logiciel, car c’est lui qui va permettre l’interactivité entre l’internaute et l’oeuvre

Un arrêt de la chambre criminelle Crim 21 juin 2000, JCP ed E 2001, 312, Sardain, a peut-être opté pour cette qualification, à propos d’un jeu vidéo. Idem pour Caen 19 déc 1997, PA 17 nov 1999, 12, note Treppoz. Mais contra TGI Nanterre 26 nov 1997, JCP ed E 1998, 805, obs vivant et Le Stanc, ainsi que Paris 20 sept 2007 (Dt immat nov 2007, p20).

Il est permis de ne pas approuver cette qualification. Non seulement elle fait l’impasse sur le droit de représentation (ce droit n’existe pas en matière de logiciel) alors que l’effet visuel est le but même du jeu vidéo, mais encore elle privilégie ce qui n’est pas une finalité en soi mais seulement un moyen technique pour parvenir à l’interactivité.

Toujours est-il qu’on peut se demander si cette qualification n’est pas celle qui est adoptée par la Cour de cassation, puisque, dans une autre affaire, la même qualification de logiciel a été privilégiée. Affaire Chantelle (Civ 1ère 25 janv 2000, Expertises janv 2001, 19, obs Pannaleux) : il s’agissait de contrefaçon de données numérisées relatives à une méthode de fabrication de soutien gorges (dessins assistés par ordinateur). La motivation est intéressante : « après avoir retenu que la saisie avait été demandée sur le fondement de l’article L 122-4 CPI, Chantelle invoquant la contrefaçon de données originales contenues dans des fichiers informatiques, la cour d’appel a justement décidé que la saisie portant sur de telles données devait être mise en œuvre selon les modalités spécialement prévues en matière de logiciels par l’article L 332-4 ». Pour l’anecdote, indiquons que la saisie n’a toutefois pas été annulée, la Cour faisant valoir que la modification de fondement juridique ne causant aucun grief au saisi. On ne sait si la cour de cassation a voulu considérer qu’il s’agissait de droit d’auteur, de base de données ou de logiciel (on ignore si les données étaient constitutives d’une base de données), mais il semble bien que la qualification de logiciel ait été prise en compte dans la mesure où le pourvoi reprochait aux juges du fond d’avoir pris en compte l’article 332-4 au titre du logiciel alors que Chantelle n’invoquait que le droit d’auteur.

La qualification de logiciel est favorable du point de vue de l’exploitant car le droit moral du créateur y est très réduit ; pour le logiciel on se demande même s’il existe un droit à la paternité. Et si on l’admet, la qualification éventuelle d’œuvre collective, fréquemment retenue pour les logiciels, fait que c’est la personne créateur de l’œuvre collective qui doit nommée (TGI Nanterre 15 mars 2004, Légipresse 2004.I.101) ; toutefois, dans une autre décision il a été décidé de désigner aussi le nom des contributeurs (TGI Senlis 23 janv 2004, Légipresse 2004.I.77) de l’œuvre collective.

De plus, avec la qualification de logiciel le titulaire des droits est ipso facto l’employeur et non pas le créateur. Cela permet aussi une rémunération forfaitaire du créateur (L 131-4 5°).

Cette qualification fait aussi que la rémunération équitable pour copie privée n’est pas applicable, puisqu’il n’y a pas de droit à la copie privée en matière de logiciel (CE 25 nov 2002, Légipresse 2003.I.7).

Il y aura des cas où la qualification sera difficile pour des questions de frontières. Quid d’un film tourné comme un jeu vidéo et réalisé entièrement avec des images de synthèse. Est-ce une œuvre audiovisuelle ou un logiciel ?

Les incertitudes subsistent : il semble, au fond, que les juridictions hésitent à qualifier de logiciel un jeu vidéo : Paris 20 sept 2007 (CCE 2008, n°51, Caron) affirme que ce serait réducteur. La cour avait aussi écarté la qualification d’œuvre audiovisuelle.

  1. Base de données
  • La définition très large de la Base de Données permet d’y englober l’œuvre Multimédia (article 112-3)
  • La qualification semble convenir par ex pour les Encyclopédies, pour les CD Rom de musées qui sont des compilations structurées. Elle aurait pu aussi convenir dans l’affaire Chantelle, car des données structurées sont topiques de l’existence d’une Base de Données, mais implicitement la motivation de la Cour de cassation écarte la qualification de base de données.
  • Les frontières sont floues et il y a des recoupements entre droit d’auteur, Base de Données et Logiciel. En effet, d’une part une Base de Données peut contenir des données originales, d’autre part, elle ne peut devenir interactive que grâce à un Logiciel

La définition de la Base de Données (article L 112-3 Code de la Propriété Intellectuelle) suppose l’existence d’éléments indépendants, ce qui était peut-être le cas dans l’affaire Chantelle. La Cour de cassation ne l’a cependant pas retenue, en dépit de la préférence qu’une doctrine autorisée lui voue (Mallet-Poujol, La création multimedia et le droit, Droit Litec, n°442 et s). Il est dommage qu’à ce jour aucune décision n’ait retenu cette qualification alors qu’elle semble pouvoir correspondre à tous les types d’œuvres Multimédia, à l’exception cependant des DVD de films pour lesquels une qualification d’œuvre audiovisuelle est plus naturelle. Mais il est vrai que le régime juridique des Base de Données est très incomplet et beaucoup moins structuré que celui du droit d’auteur ou du logiciel.

  • 2 : Qualification du tout :

Ici on va chercher à qualifier le tout, sans tenir grand compte des éléments contenus dans l’œuvre. Ces qualifications globales se combinent, c’est-à-dire s’ajoutent, aux qualifications du contenu examinées précédemment. Enfin, entre elles, ces qualifications globales peuvent tantôt se cumuler (b), tantôt ne pas se cumuler (a).

  1. A) Qualification alternative :

oeuvre de collaboration ou œuvre collective

Ces 2 qualifications sont alternatives car elles ne peuvent se cumuler

Œuvre de collaboration :

Les oeuvres audiovisuelles sont ipso facto des oeuvres de collaboration et non des oeuvres collectives a affirmé, à titre de principe, la Cour de cassation en 1994 (Civ 1ère 26 janv 1994, RIDA oct 1994, 433 et 474).

Si cette qualification est retenue les conséquences seront celles que l’on a envisagées dans la partie titularité des droits. Force est de constater que la plupart de ces conséquences ne facilitent pas l’exploitation d’une œuvre Multimédia, ces inconvénients pouvant cependant être traités par une bonne pratique contractuelle.

TGI Paris 30 janv 2002 (Prop intellect 2002, n°5, 117) a retenu cette qualification pour un jeu vidéo. Idem Paris 20 sept 2007, Droit immatériel nov 2007, 20).

Œuvre collective (113-2 al 3) :

Cette qualification a été retenue dans l’affaire Vincent (Versailles 18 nov 1999, D 2000, Somm 206, obs Hassler, Lapp), rendue à propos d’un jeu vidéo

Elle emporte différentes conséquences (voir la titularité des droits), mais elle n’est pas possible si l’œuvre Multimédia est qualifiée d’oeuvre audiovisuelle.

Le juge devra rechercher, au cas par cas, au travers des critères déterminés, avec plus ou moins de rigueur par la jurisprudence, sur la base textuelle de l’article 113-2 al 3, si on est en présence ou non d’une œuvre collective. Il existe une grande imprévisibilité des solutions, ce qui est néfaste pour la sécurité des affaires.

Toutefois, l’impression générale qui se dégage est que, si on écarte les ressemblances avec les films, l’oeuvre collective se caractérise par un moule commun dans lequel vont se fondre les contributions.

La qualification d’œuvre collective est une exception en droit français puisqu’elle attribue la titularité des droits à une personne morale et non à des personnes physiques. C’est donc la personne morale qui est censée être la créatrice de l’œuvre, l’auteur conservant le droit d’exploiter séparément sa contribution. Cette conséquence facilite l’exploitation de l’œuvre, avantage qu’il ne faut pas surestimer, car l’exploitation d’une œuvre de collaboration dont les contrats ont été bien rédigés n’est pas plus difficile, la pratique du secteur cinématographique étant là pour l’attester. Toutefois, l’avantage de la qualification d’œuvre collective est clair lorsqu’il s’agit de récoler les droits en vue d’une exploitation multimedia à partir d’œuvres préexistantes.

  1. B) Qualification supplémentaire éventuelle : œuvre composite :
  • Art 113-2 : c’est «l’œuvre nouvelle à laquelle est incorporée une œuvre préexistante sans la collaboration de l’auteur de cette dernière». Ce sera souvent le cas pour le Multimédia. Chaque auteur sera auteur indépendamment de l’autre, mais le créateur de l’œuvre Multimédia dérivée devra préalablement s’être fait accorder les droits préexistants.
  • L’oeuvre composite est souvent une œuvre dérivée, dont l’adaptation est l’application la plus fréquente
  • S’il y a œuvre de collaboration pour l’œuvre adjointe il y aura aussi, en même temps œuvre composite, c’est-à-dire qu’on aura ajouté une création nouvelle à une œuvre préexistante, d’où la nécessité du consentement de l’auteur de l’oeuvre préexistante.
  • Si l’œuvre ajoutée est une œuvre collective il faut distinguer
  • Pour les sociétés d’auteurs SCAM et le SESAM l’accent doit être mis sur le contenu et non sur a globalité. Ces sociétés parlent de programme multimédia et non d’œuvre multimédia.

Il en découle qu’en insistant sur le contenu il faut que le fabricant obtienne l’autorisation d’adapter les contenus, puisqu’il y a œuvre composite

  • Pour les éditeurs l’œuvre collective entraîne une fusion telle que ce qui importe est le résultat et non plus les composants. Le but est alors d’effacer le caractère composite pour privilégier la fusion et le caractère collectif de l’œuvre. Il en résulte que le SESAM n’a plus à intervenir au motif que les composants perdent leur identité et qu’iL n’y a pas d’œuvre composite possible.
  • Cette analyse est fausse car il n’y a pas de fusion à partir de néant, mais à partir de contributions préexistantes Þ il faut acquérir le droit d’adaptation. L’astuce a été éventée (TGI Paris 13 sept 1999, CCE 2000 n°74, obs Caron) : à propos d’un CD Rom il a été jugé que le titulaire de droits sur une œuvre collective ne saurait exploiter librement les œuvres préexistantes

En définitive une œuvre Multimédia peut donc être une œuvre collective ou une œuvre de collaboration, à quoi il faudra ajouter, parfois, la qualification d’oeuvre composite. Si une œuvre audiovisuelle est impérativement une oeuvre de collaboration, une autre qualification en fonction du contenu (Base de Données, droit d’auteur ou logiciel) peut, selon chaque cas d’espèce, participer en même temps de la qualification d’œuvre d’œuvre de collaboration ou d’œuvre collective.

  • 3 : Méthodes de qualification :

Nous sommes en présence d’une pléthore de qualifications possibles et la poule a bien du mal à retrouver ses poussins. Non seulement les qualifications partielles se chevauchent entre elles (ex entre droit d’auteur et Base de Données), mais encore il faut y ajouter une ou deux qualifications globales. Il est donc important de rechercher une méthode pour ordonner et combiner entre elles les qualifications.

  1. A) Suivant le critère l’accessoire suit le principal :

La qualification de l’ensemble dépendra alors de l’élément essentiel formant le contenu de l’œuvre. L’essentiel de l’œuvre Multimédia peut être :

  • Une base de donnée ex un CD Rom ou un DVD de musée
  • Un logiciel. Nous avons déjà dit que cette qualification unitaire semble avoir été adoptée par la C cass pour les jeux vidéo.
  • Au sein de la famille du droit d’auteur, une œuvre audiovisuelle. Un film, même interactif (ex DVD) reste avant tout un film et la qualification d’oeuvre audiovisuelle semble s’imposer en pareil cas. Il n’en irait autrement que si la structure du film était déformée. S’il est vrai que la Civ 1ère 28 janv 2003 (JCP 2004, 1099, n°7) a refusé la qualification d’œuvre audiovisuelle il s’agissait d’un cas où étaient en jeu des séquences fixes pouvant contenir des images animées.

Cependant affirmer qu’un DVD est fondamentalement, « à titre principal », une oeuvre audiovisuelle est méconnaître l’interactivité et la spécificité que lui confère le L.

  • Si le critère du principal paraît relativement pertinent pour un DVD, il l’est beaucoup moins pour un jeu vidéo, qui, selon la jurisprudence, ressortit plus au logiciel, ou pour un CD Rom de musée dont la familiarité avec la Base de Données est plus évidente
  • Il ne semble pas que le critère du principal puisse entraîner un régime juridique unique pour toutes les œuvres M. Il le peut d’autant moins que certaines œuvres Multimédia seront collectives et d’autres de collaboration.
  • Enfin le critère du principal est encore à repousser en ce qu’il est fruste. Faire suivre le régime juridique du principal à un élément accessoire qui a une autre nature que lui conduit à des solutions peu « fines », déformantes, peu adaptées au problème concret posé. C’est ainsi par exemple que dans l’affaire Vincent (préc) il eût été peu opportun d’appliquer le régime juridique du logiciel à une problématique de réalisateur d’images audiovisuelles et il faut savoir gré à la cour d’appel de n’avoir pas recouru en l’espèce à la qualification de logiciel.
  1. B) Qualification distributive selon le contenu (=qualification mixte) :
  • Il est possible d’appliquer le régime juridique propre à chaque contenu. Prenons l’exemple d’un CD Rom de musée
    • Si c’est sur une série de photos qui sont extraites on utilisera les règles des bases de données.
    • Le logiciel pour un problème affectant la titularité des droits sur le logiciel
    • Si une personne prétend qu’il fallait son autorisation pour diffuser on se référera au contenu dont elle prétend avoir les droits : droit à l’image ou droit d’auteur pour savoir s’il faut une autorisation d’exploitation conforme aux règles du CPI ou si on peut se contenter d’une autorisation tacite
  • Mais parfois ce sera impossible et seule une qualification plus globale permettra de trancher la question posée. Par exemple : quelle durée appliquer au tout dès lors que les contenus ont des points de départ de durée différents ?
  • En Belgique (Bruxelles 12 déc 1995, IRDI 1996, p89) un arrêt a admis pour un jeu vidéo la double qualification de logiciel et d’œuvre audiovisuelle, avec application distributive selon que sont en cause les codes du logiciel ou les images.

La solution doit être, à notre sens, pragmatique : on adoptera une qualification globale ou on ira chercher une qualification distributive selon la nature du problème posé.