La règle « pas de privilèges sans texte » en droit belge

Le principe du droit belge : «pas de privilèges sans texte » et exceptions:

A. la règle «pas de privilèges sans texte » :

principe :

les seules exceptions au principe de l’égalité des créanciers sont les préférences établies en vertu (les sûretés conventionnelles) ou par la loi(les privilèges et les hypothèques légales).

seul le législateur peut décider de l’existence d’un privilège, de l’étendue de son assiette et de son rang. Les parties ne peuvent créer d’autres causes de préférences que celles établies par ou en vertu de la loi.

la règle «pas de privilège sans texte » signifie que les parties ne peuvent, en dehors d’un texte le permettant, affecter au paiement privilégié de l’un ou de plusieurs d’entre eux le produit de la réalisation d’un bien faisant partie du patrimoine du débiteur et soumis à ce titre à la règle du concours.

restreint-elle le principe de l’autonomie de la volonté ? A première vue oui. Mais elle procède plutôt du principe de la relativité des conventions, qui interdit aux parties de créer des obligations dans le chef des tiers et de porter atteinte à la situation des tiers. En vertu de ce principe, un débiteur ne peut reconnaître à son créancier un droit de préférence qui n’est pas reconnu par la loi.

interprétation :

la loi énumère de manière limitatives les exceptions au principe de l’égalité des créanciers. => exceptions interprétées de manière stricte => elle doivent découler d’un texte exprès et ne peuvent être étendues par analogie à d’autres situations que celles visées par la loi (ex : cass 15 oct. 1999).

la jurisprudence interprète ces exceptions non seulement de manière stricte mais également de manière restrictive => à défaut de disposition expresse de la loi, le privilège ne couvre que le principal de la créance et non les intérêts.

Relativité :

la portée de la règle «pas de privilège sans texte doit être relativisée » . Elle signifie seulement que les parties ne peuvent, en dehors d’un texte légal le permettant, affecter au paiement privilégié d’un créancier le produit de la réalisation d’un bien faisant partie du patrimoine du débiteur soumis à ce titre à la règle du concours.

pour le surplus, dans le mesure où elles n’affectent pas certains biens du débiteur au paiement de certaines dettes, les parties restent libres de créer conventionnellement des techniques dont la mise en oeuvre a pour effet d’avantager certains créanciers en cas de concours => technique appelée : sûretés non traditionnelles, ou, mécanismes préférentiels.

a propos de tous les actes que les parties peuvent créer en vertu de l’autonome de la volonté, la question à se poser estsi la loi l’interdit et non si la loi le permet.

la prolifération de tous ces mécanisme s’explique par les formalités, les lourdeurs et plus généralement l’inadéquation aux besoins des affaires des sûretés traditionnelles.

B. exemples :

rappel : les sûretés personnelles :

les sûretés personnelles ne portent pas atteinte à la règle du concours et au principe de l’égalité des créanciers puisqu’elles ne portent pas sur un bien qui fait partie du patrimoine du débiteur. => la règle pas de privilège sans texte n’a donc pas gêné leurs développements.

on parlera donc que des sûretés réelles non traditionnelles.

Droit de rétention :

droit de rétention = le droit d’un créancier de refuser , aussi longtemps que le débiteur n’a pas exécuté ses obligations à son égard, la restitutions d’un bien qui appartient à son débiteur et qu’il détient en dehors de toute sûreté réelle.

la loi ne consacre pas ce droit en termes généraux, mais le Code Civil en fait de nombreuses applications dont se déduit le principe général (ex : le vendeur n’est pas tenu de délivrer le bien tant que le prix n’en est pas payé, le dépositaire n’est pas tenu de restituer le bien tant que son salaire n’est pas payé,…).

plusieurs conditions :

le droit de rétention ne peut porter que sur un bine corporel, meubles ou immeubles, aliénable et saisissable.

le créancier doit avoir une créance liquide et exigible (pas de terme ni de condition).

le créancier doit exercer une détention de la chose.

le créancier doit exercer sa détention sur ce bien de bonne foi, cette condition tenant au fondement d’équité à la base du principe relatif au droit de rétention (=> pas pour le créancier qui s’empare du bien par subterfuge).

l’exercice du droit de rétention suppose une connexité matérielle ou juridique entre le bien (la détention) et la créance.

la connexité est matérielle quand la créance est née à l’occasion de la détention (frais exposés pour la conserver)

la connexité est juridique quand la détention et la créance résultent de la même convention ( garde et frais de garde par exemple)

souvent la connexité est matérielle et juridique.

le créancier peut opposer son droit de rétention aux autres créanciers du débiteur en cas de concours. (Ex : s’en prévaloir vis-à-vis du curateur en cas de faillite du débiteur).

le droit de rétention ne crée aucun privilège, il ne peut ni s’attribuer le bien, ni vendre le bien pour se payer par préférence sur le prix de la réalisation. Mais en pratique, il a un effet assez semblable. Le créancier pouvant retenir le bien tant qu’il n’est pas payé, le curateur dans l’intérêt de la masse paiera en principe la créance pour obtenir la restitution du bien , du moins si sa réalisation rapportera davantage à la masse (voiture entre les mains d’un garagiste).

un créancier peut-il conventionnellement se réserver un droit de rétention, en créant une connexité conventionnelle ?

cass. 7 oct. 1976 : la cour répond que non à propos d’une convention conclue par un façonnier en courant d’affaire avec un client suivant laquelle il pouvait se prévaloir du droit de rétention sur les matières fournies par le client à défaut de paiement des factures relatives aux matières restituées par le clients. En effet, il n’y a ni connexité matérielle, ni connexité juridique à défaut d’un contrat unique.

Exception d’inexécution :

l’exception d’inexécution (ou exceptio non adimpleti contractus) est le droit d’une partie à un contrat synallagmatique de refuser d’exécuter ses obligations aussi longtemps que l’autre partie reste en défaut d’exécuter les siennes.

ex : garagiste impayé ne répare pas tant qu’il n’est pas payé.

exception non consacrée par un texte exprès mais le Code Civil en fait plusieurs application et la doctrine et la jurisprudence l’admettent sur base de la considération de l’équité.

porte indirectement atteinte a l’égalité des créanciers lorsque le créancier s’oppose à la délivrance de la chose. Dans ce cas, l’exception d’inexécution se confond avec le droit de rétention mais s’en différencie car elle ne peut être invoquée que sur un contrat synallagmatique parfait >< droit de rétention peut être tjs invoqué + droit d’inexécution ne s’applique pas seulement à l’obligation de livrer ou restituer une chose.

Compensation :

la compensation est un mode d’extinction de 2 obligations existant réciproquement entre 2 personnes et ce jusqu’à concurrence de la dette la moins élevée.

elle remplit 2 fonctions :

un effet de paiement dans la mesure où elle aboutit à l’extinction des dettes à concurrence du montant le plus faible.

un effet de garantie dans la mesure où chacun des créanciers est assuré du paiement de sa propre créance à concurrence du montant le plus faible.

3 types de compensation :

1) la compensation légale opère de plein droit, automatiquement, par le seul effet de la loi, même à l’insu de la volonté des parties dès que certaines conditions sont réunies :

existence de 2 dettes réciproques

dettes réciproques entre les mêmes personnes en la même qualité.

fongibilité des dettes[1][30](mais on accepte la compensation de dettes quasi fongible => dont la valeur peut-être évaluée facilement).

liquidité des dettes[2][31].

exigibilité des dettes => par opposition aux dettes à termes ou sous condition suspensive avant la réalisation de la condition.

2) la compensation conventionnelle: résulte de la volonté des parties en vertu de l’article 1134 CC ; elle permet d’opérer la compensation entre leurs dettes réciproques même quand les conditions de la compensation légale ne sont pas réunies.

3) la compensation judiciaire : est ordonnée par le juge au jour du jugement et peut se faire dans des conditions plus larges que celles qui doivent être remplies pour la compensation légale ; ainsi, le juge peut liquider les dettes.

l’article 1298 Code Civil interdit la compensation «au préjudice des droits acquis à un tiers ».Cette disposition vise toutes les situations de concours entre créanciers. Elle s’applique notamment à la faillite.Si la compensation pouvait jouer nonobstant l’existence d’un concours entre créanciers, le créancier payé par l’effet de compensation bénéficierait d’un privilège par rapport aux autres => il échapperait à la loi du concours.
=> en cas de faillite de son débiteur, un créancier doit payer au curateur tout ce qu’il doit au failli, mais ne peut recevoir qu’une partie de sa créance au prorata de l’actif, sans pouvoir invoquer la compensation entre sa dette et sa créance.
Mais, si les conditions de la compensation sont réunies avant le concours, la compensation a joué par le seul effet de la loi, sous réserve des dispositions relatives à la période suspecte.

la situation de concours ne fait obstacle à la compensation que si ses conditions sont réunies après le concours.

1 exception au principe d’interdiction de compensation en cas de concours : la compensation reste possible entre les dettes réciproques connexes => celles qui présente entre elle s une relation tellement étroite qu’il serait inéquitable de ne pas admettre la compensation, parce que le créancier a compté sur l’effet de garantie attaché à la compensation lorsqu’il a contracté. => les parties n’ont entendu conclure l’opération juridique en cause qu’en considération de la garantie pouvant résulter pour elles soit de l’exception d’inexécution, soit de la compensation, soit du droit de rétention. =>le droit de créance n’entre dans son patrimoine et n’est soumis au droit de gage de ses créanciers que sous la déduction des droits de l’autre partie, pour sa valeur nette. => n’affecte pas la règle de l’égalité des créanciers.

Ex : en cas de faillite de l’entrepreneur, le maître de l’ouvrage peut compenser ce qu’il doit au curateur avec les dommages-intérêts dus par l’entrepreneur du chef de l’abandon du chantier, des malfaçons, des retards.

La connexité peut résulter de ce que les 2 dettes réciproques procèdent d’une opération unique (ex : un même contrat : créance de prime de l’assureur et créance d’indemnité de l’assuré suite à la réalisation du sinistre), de leur incorporations dans un même compte indivisible (ex : convention de compte-courant) ou d’autre raison.

Mais les partis peuvent elles conventionnellement créer entre leurs créances et leurs dettes un lien de connexité de nature à permettre la compensation en cas de concours de l’une d’elles? la c. cass l’admet si la convention ne revêt pas un caractère frauduleux ou artificiel => la convention de compensation doit s’inscrire dans les rapports économiques des parties et ne pas avoir exclusivement pour objet de relier entre elles des opérations étrangères l’une à l’autres dans le seul but de faire échec à l’art 1298 Code civil belge.

transfert de propriété à titre gratuit :

forme de sûreté distincte du gage, qui consiste en le transfert par le débiteur au créancier de la propriété d’un bien ( généralement argent ou créance) en garantie d’une créance, avec l’obligation pour le créancier d’imputer les sommes perçues sur sa créance, de rembourser l’excédent éventuel au débiteur, sous la condition résolutoire du paiement de la créance garantie.

ex: on me doit 1000 euro => je pourrais demander un gage, mais difficulté si réalisation. => transfert de propriété avec condition résolutoire qui est l’exécution de son obligation par le débiteur.

mais validité de ce mécanisme controversée car il contournerait l’interdiction du pacte commissoire exprès dans le gage et méconnaîtrait la règle «pas de privilège sans texte » ou le principe d’égalité des créanciers :

1) il contournerait le pacte commissoire dans le gage en attribuant le bien en paiement au créancier à défaut de paiement par le débiteur.

mais le contrat s’analyse en une cession et non un gage, cette objection ce fonde sur la théorie de la simulation ou de la fraude à la loi.

hors, ici il ne peut être question de simulation dès lors que les parties accepetent toutes les conséquences du transfert de propriété même si elles limitent conventionnellement certains usages que le propriétaire pourra faire du bien transféré.

sous réserve du droit international privé, la théorie de la fraude à la loi[3][32]ne semble pas admises en droit belge => rien n’interdit les parties à choisir une figure juridique ¹ de celle du gage, => ne seront pas soumises aux règles du gage.

en outre, quand la cession de créance porte sur une somme d’argent ou une créance, elle ne produit pas d’autres effets que ceux de la clause d’un contrat de gage portant sur une somme d’argent ou sur une créance permettant au créancier de percevoir cette somme ou cette créance à l’échéance, et on a vu qu’une telle cause est licite dans la mesure où le créancier ne risque pas de s’approprier un montant supérieur à celui qui lui est dû. => même s’il fallait admettre la théorie de la fraude à la loi, une telle cession serait licite puisqu’elle n’aboutit pas à un résultat qui serait prohibé par la loi.

2) le transfert de propriété à titre gratuit serait contraire à la règle «pas de privilège sans texte » et méconnaîtrait le principe de l’égalité des créanciers en attribuant un bien à un créancier de préférence aux autres.

Mais ce principe ne s’applique qu’aux biens qui se trouvent dans le patrimoine du débiteur et non aux biens aliénés par le débiteur et qui se trouvent dans patrimoine d’une autre personne.

3) 27 avril 1994, la cour d’appel de Liège a annulé une cession de créance à titre de garantie au motif qu’elle constituait un gage simulé et violait le principe de l’égalité des créanciers.

le créancier s’est pourvu en cassation en invoquant notamment la violation du principe d’égalité des créanciers et de la notion légale de simulation.

la cour de cassation belge (17 oct. 1996) rejette le pourvoi par ce drôle d’arrêt : «l’arrêt considère que la convention… est une sûreté réelle, établie en-dehors des règles légales, heurtant le principe d’égalité des créanciers ; en refusant à cette convention, qui créerait une préférence dépourvue de cause légitime en faveur du créancier et qui serait préjudiciable aux autres créanciers du débiteur, tout effet postérieur au concours, l’arrêt fait une exacte application du principe et des dispositions légales précitées.



[1][30]fongible : les choses fongibles sont les choses que dans un paiement ont la même valeur libératoire et peuvent être remplacée l’une par l’autre, ce qui vise les choses qui se déterminent au poids, au nombre et à la mesure, telles que de l’argent, des denrées, des titres au porteur, par opposition au corps certains

[2][31]liquidité des dettes : dette dont l’existence est certaine et dont son montant est déterminé.

[3][32]Fraude à la loi: elle consiste à recourir, dans le but d’éluder une règle impérative ou d’ordre public, à un moyen licite pour atteindre un résultat qui n’aurait pas pu être atteint directement parce qu’il est prohibé par la loi ; elle se fonde sur un acte sincère dont les parties acceptent toutes les conséquences et se distingue en cela de la simulation.