La responsabilité du fait des choses : naissance et domaine

La responsabilité du fait des choses

La responsabilité du fait des choses est née en 1896, la responsabilité du fait d’autrui est plus contemporaine, 1991.

A\ Le fait des choses

En 1804, l’article 1384al 1 est considéré comme un préambule aux alinéas suivants. On ne lui donne pas de valeur particulière. Il faut avouer que sa rédaction en termes généraux laisser penser qu’il faisait une synthèse. Les alinéas de l’article 1384 pas plus que les articles ne supposent pas que la victime rapporte la preuve d’une faute. Celle-ci est présumée, néanmoins la personne poursuivie (défendeur) peut s’exonérer en montrant qu’elle n’a pas commis de faute.

Code Civil, article 1384:

  • al 1. on est responsable non seulement du dommage que l’on cause par son propre fait, mais encore de celui qui est causé par le fait des personnes dont on doit répondre ou des choses dont on a la garde.
  • al 2. toutefois, celui qui détient, à un titre quelconque, tout ou partie de l’immeuble ou des biens immobiliers dans lesquels un incendie a pris naissance ne sera responsable, vis à vis des tiers, des dommages causés par cet incendie que s’il est prouvé qu’il doit être attribué à sa faute ou à la faute des personnes dont il est responsable.
  • al 3. cette disposition ne s’applique pas aux rapports entre propriétaires et locataires qui demeurent régis par les articles 1733 et 1734 du Code Civil.
  • al 4. le père et la mère, en tant qu’ils exercent le droit de garde, sont solidairement responsables du dommage causé par leurs enfants mineurs habitant avec eux.
  • al 5. les maitres et commettants, du dommage causé par leurs domestiques et préposés dans les fonctions auxquelles ils les ont employés.
  • al 6. les instituteurs et les artisans, du dommage causé par leurs élèves et apprentis pendant le temps qu’ils sont sous leur surveillance.
  • al 7. la responsabilité ci-dessus a lieu, à moins que les pères et mères et les artisans ne prouvent qu’ils n’ont pu empêcher le faut qui donne lieu à cette responsabilité.
  • al 8. en ce qui concerne les instituteurs, les fautes, imprudences, ou négligences invoquées contre eux comme ayant causé le fait dommageable, devront être prouvées, conformément au droit commun, par le demandeur, à l’instance.

Code Civil, article 1385:

le propriétaire d’un animal, ou celui qui s’en sert pendant qu’il est à son usage, est responsable du dommage que l’animal a causé, soit que l’animal fut sous sa garde, soit qu’il fut égaré.

Code Civil, article 1386:

le propriétaire d’un bâtiment est responsable du dommage causé par sa ruine, lorsqu’elle est arrivée par suite du défaut d’entretien ou par le vice de sa construction.

La cour de cassation va pourtant consacrer l’indépendance de l’article 1384al1 à l’instar de Saleilles et Josserand.

B\ Naissance et domaine de la responsabilité du fait des choses

a) Naissance

Comme nous l’avons dit, et au risque de nous répéter, les rédacteurs du Code Civil n’envisageaient pas l’article 1384al 1 comme posant un principe général de responsabilité. Il ne faisait qu’une petite synthèse et annonçait les présomptions de faute (et non de responsabilité) visés dans les alinéas suivants et les articles 1385 et 1386.

Mais, la multiplication des accidents du travail causés par les machines va pousser la jurisprudence à « interpréter différemment cet article ». La situation est simple: des ouvriers sont blessés par des machines sans qu’il y ait des fautes ou sans que la preuve de la faute ne puisse être rapportée (refus de témoignage, impossible de faire une expertise…). Il faudrait donc mettre en place un régime de responsabilité dans lequel on n’ait pas besoin de faute. Oui d’accord, mais comment justifier cette position: très simple: l’employeur, en utilisant des machines réalise un profit, il est normal qu’il en supporte les risques!!! Donc, si la machine blesse ou tue un de ses ouvriers, il est normal qu’il paie! (un peu coco sur les bords mais enfin!!! Je rigole bien sûr! Il ne faut pas faire de politique dans un cours de droit).

La doctrine bien entendu ne réagit pas favorablement: comment justifier moralement un régime de responsabilité sans faute? Pas de faute, pas de responsabilité.

Quant à la jurisprudence, elle accueillit favorablement la proposition de Saleilles et Josserand: le principe fut consacré par l’arrêt Teffain du 16/06/1896 .

b) Domaine

Code Civil, article 1384:

  • al 1. on est responsable non seulement du dommage que l’on cause par son propre fait, mais encore de celui qui est causé par le fait des personnes dont on doit répondre ou des choses dont on a la garde.

Quelles sont ces choses? A quelles choses s’applique cette responsabilité objective? Créer un nouveau régime de responsabilité peu être sans doute un pas, mais si ce régime a un domaine d’application quasi nul, c’est comme si ce n’était rien. Or justement, la jurisprudence va conférer un domaine très général: quasiment toute chose quelle qu’elle soit. La seule limite à ce principe général de responsabilité du fait des choses semble être en fait les régimes particuliers :

  • responsabilité du fait des bâtiments en ruine 1386 du Code Civil
  • responsabilité du fait des animaux : 1385 du Code Civil
  • responsabilité du fait des voitures (loi de 1985)…

La doctrine comme les juges du fond se montrèrent au départ très réticents avec cette théorie de la responsabilité sans faute (i.e. objective –NDLR je sais je me répète mais je crois que la répétition c’est pédagogique –J ). Ainsi on essaya de limiter le champ d’application de cette responsabilité: on proposa :

  • de n’appliquer cette théorie qu’aux choses intrinsèquement dangereuses, i.e. objets coupants ou se déplaçant (grosso modo)
  • de n’appliquer cette théorie qu’aux choses affectées d’un vice
  • de n’appliquer cette théorie qu’aux choses non actionnées par la main de l’homme. Cette idée était intéressante: elle permettait de dire: soit la chose est actionnée par la main de l’homme auquel il faut montrer une faute, soit elle ne l’est pas, auquel il n’est pas nécessaire de montrer qu’il y a une faute.

La jurisprudence refusa en bloc toutes ces tentatives et réaffirma clairement son principe dans un autre arrêt de principe du 13/02/1913, Jand’Heur. Cette réaffirmation était importante car après l’arrêt Teffain, le législateur avait entériné la position de la Cour de Cassation et voté une loi basée sur le même principe. Conséquence, cette théorie de la responsabilité du fait des choses n’apparaissait plus beaucoup dans les arrêts et on finissait par se demander si cet arrêt n’était pas finalement qu’un mauvais rêve pour la doctrine (J). Le principe est réénoncé dans les mêmes termes que l’arrêt Teffain, les mêmes moyens d’exonération sont visés:

Attendu que la présomption de responsabilité établie par l’article 1384al1 du Code Civil à l’encontre de celui qui a sous sa garde une chose inanimée qui a causé un dommage à autrui ne peut être détruite que par la preuve d’un cas fortuit ou de force majeure ou d’une cause étrangère qui ne lui soit pas imputable.

Mais surtout, pour ce qui nous intéresse ici, à savoir le domaine, cet arrêt explicite très bien le point de vue de la Cour de Cassation: l’arrêt de cour d’appel a fait l’objet d’une cassation car il avait refusé d’appliquer la responsabilité du fait des choses vu que le camion à l’origine du dommage était actionné par la main de l’homme. La cour d’appel de renvoi refuse de s’incline et explique que le principe de responsabilité du fait des choses peut s’appliquer aux choses actionnées par la main de l’homme, mais il faut dans ce cas que l’accident soit la conséquence d’un vice propre de la chose. (en fait la cour d’appel proposait de distinguer vice propre de la chose – responsabilité du fait des choses- et absence de vice –responsabilité du conducteur s’il a commis un faute -) . La cour de cassation rejeta en bloc ces deux propositions et rappela que l’article 1384al 1 ne faisait pas la distinction selon les choses, qu’il serait donc faux de faire une telle distinction.