La responsabilité sans faute en droit administratif

Responsabilité sans faute en droit administratif

(Responsabilité fondée sur le fondement de la garde, fondée sur la garde, rupture d’égalité devant les charges publiques).

« Responsabilité même sans faute », Professeur Chapus → vise à montrer que la responsabilité de l’administration sans faute n’exclue pas qu’il puisse y avoir une faute de l’administration. On est dans des domaines où le juge administratif privilégie un régime de responsabilité sans faute sans rechercher une faute éventuelle de l’administration. Cela présente l’avantage de ne pas stigmatiser le comportement de l’administration.

CE, Renault des Rosiers, 1919 : faits produits pendant la Première Guerre Mondiale, l’armée avait entreposé de nombreux explosifs dans un bâtiment qui a explosé, causant des dommages aux propriétés voisines → le Ce engage la responsabilité de l’Etat sur le fondement d’un risque, c.à.d. sans rechercher si l’armée a commis une faute dans la manière d’entreposer les explosifs. Ce n’est pas parce qu’on évite de poser la question de l’existence d’une faute qu’il n’y a pas de faute. Dans cet arrêt, vraisemblablement il y avait faute de l’armée, mais peu importe. La responsabilité est engagée du simple fait du risque que le bâtiment a fait courir aux propriétés victimes → favorable aux victimes certes, mais aussi à l’administration qui n’est pas stigmatisée. * Lien de causalité entre préjudice et activité de l’administration. Traditionnellement, il existe deux fondements à la responsabilité sans faute de l’administration : le risque et la rupture d’égalité devant les charges publiques. A ces deux fondements, s’est ajouté le fondement de la garde.

La responsabilité sans faute de l'administration

A. La responsabilité sans faute fondée sur le risque.

CE, Cames, 1895 : blessures subies par un ouvrier de l’Etat, les deux n’ayant commis aucune imprudence. Le CE juge que l’Etat doit réparer le préjudice subi par son ouvrier, simplement parce qu’il travaille pour lui. En général, on distingue deux types de responsabilité sans faute fondée sur le risque : le risque profit et le risque danger.

1) Le risque profit.

La théorie du risque profit est celle selon laquelle celui qui profite de l’activité de quelqu’un doit supporter les préjudices subis par cette personne dans l’exercice de son activité. Cette théorie concerne donc en premier lieu les agents publics, et c’est bien entendu ici qu’il faut placer l’arrêt Cames de 1895.

On peut aussi citer l’arrêt CE, Perruche, 1962 qui concerne le maintien d’un consul général de France en Corée, à une époque où Séoul est occupée par des troupes nord coréennes, ces biens ont été pillés, l’Etat est condamné à réparer le préjudice subi par ce consul bien qu’aucune faute ne soit imputable à l’Etat, sa responsabilité est seulement liée au fait que l’activité de ce consul profite à l’Etat.

CE, ass. 1968, Ministre de l’Education nationale contre Mme Saulze : institutrice enceinte qui contracte la rubéole dans le cadre de son activité d’enseignement d’une classe primaire et qui donne naissance à un enfant mal formé → responsabilité de l’Etat engagée sur le fondement du risque, théorie du risque profit. Cette théorie profite aussi à des personnes qui ne sont pas des agents publics, mais qui sont considérés comme des collaborateurs occasionnels du service public.

EX : un individu plonge dans le Rhône pour secourir une autre personne → mission de service public de secours donc collabo occasionnel pour tous les préjudices subis lors de cet événement.

Cette JP résulte d’un arrêt du CE de 1946, Commune de Saint Priest la Plaine = fête organisée dans un village, le maire demande à un habitant de tirer un feu d’artifice, il se blesse → il est considéré comme un collaborateur occasionnel du service public, ce qui permet d’engager la responsabilité de la commune sur le fondement du risque profit. Trois conditions doivent être cumulativement réunies pour que cette JP existe : – Collaboration d’un véritable service public (→ identification d’un service public) – Collaboration réelle → la personne doit apporter un concours actif au service public dans le souci de servir l’intérêt général. Ex : ne peut pas être qualifié de collabo occasionnel une personne qui dans la rue assiste à une opération de police et est blessée. – Collaboration sollicitée ou acceptée par la personne publique : en temps normal, il faut qu’il y ait une réquisition émanant de la personne publique ou une acceptation tacite de sa part.

La CAA de Paris a jugé dans l’arrêt Chevillard que n’était pas un collabo occasionnel du service public le pilote décédé d’un hélico qui était parti porter secours à un ressortissant français en perdition en mer, car il avait été envoyé sur les lieux par une société privée et que son intervention n’avait pas été sollicitée par les autorités nationales. En cas d’urgence, cette condition de la collaboration sollicitée tombe → saut dans le Rhône pour secourir.

2) Le risque danger

a) Les choses dangereuses

Les choses dangereuses qu’emploie l’admin, la JP de principe est arrêt CE « Reyault Desroziers » 28 mars 1919, resp état est engagée car bâtiment faisait courir un risque aux propriétés voisines.

Autre type d’objets qu’emploie l’admin, par les armes des forces de l’ordre, CE 1949 « consort Leconte », les armes à feu sont des objets dangereux qui engagent la resp de l’admin lorsqu’elle cause un préjudice à des personnes qui ne sont pas visées par l’opération de police. Si vous êtes victime par ricochet, indirect de l’utilisation de la police d’une arme on peut engager resp de l’état.

De la même manière le CE a estimé que les produits sanguins étaient dangereux et engagent la resp des centres de transfusion si un préjudice est imputable à ses produits, CE ass 1995 « Consort Nguyen ». Par assimilation engage aussi resp sans faute de l’admin les dommages causés par un ouvrage public non pas aux usagers de cet ouvrage public mais à des tiers, c’est à d à des personnes qui ne sont pas des usagers, maitre ouvrage est responsable.

b) Les méthodes dangereuses

Mineur, délinquant, malades mentaux, détenus. Lorsque ces mineurs délinquants, ces malades mentaux et détenus pour des raisons de réinsertion, d’éducation ou de thérapie sont placés en dehors du cadre dans lequel ils devraient se trouver. Par ex : CE 1967 « département de la Moselle » -> une personne est dans un établissement de soin psychiatrique et pour des motifs thérapeutiques elle peut sortir, elle cause un dommage à l’occasion de cette sortie. CE a estimé que l’admin en autorisant personne à sortir n’est pas responsable car traitement nécessaire mais admin a fait courir un risque à la société donc c’est sur resp sans faute qu’admin doit réparer le préjudice causé par le comportement de cette personne. De même pour les détenus dans le cadre de leur sortie ou dans le cadre de leur libération conditionnelle. Les préjudices causés pendant cette période de liberté sont supportés par l’état. La CA admin 2013 « Ministre de la justice contre fonds de garantie des victimes » -> détenu à perpétuité libération conditionnelle et a commis un nouvel assassinat. L’état a été condamné non pas pour faute mais pour risque et on voit par cet arrêt l’avantage de cette théorie du risque car peut être délicat pour juge administratif de se plonger dans un débat pour savoir si décision libération conditionnelle du détenu était constitutive d’une faute du fait de ses antécédents. Question ne se pose pas car resp sans faute prime toujours sur resp pour faute. Cette JP des méthodes dangereuses concerne aussi les mineurs délinquants qui sur le fondement d’une ordonnance de 1945 ne sont pas placés en détention mais sont placés dans des familles d’accueil au titre de mesures éducatives. Cette décision de les placer dans famille d’accueil alors qu’il devrait être incarcéré n’est pas une faute mais elle fait courir un risque ! à la société et en contrepartie de ce risque, tous les préjudices qui pourraient être causés par ces délinquants seront sous la resp de l’état : 1956 CE « Thouzellier ».

B. Responsabilité sans faute pour rupture d’égalité devant les charges publiques

Art 13 de la DDHC, interprétation plus large pour considérer qu’une mesure prise dans un but d’intérêt général qui cause un préjudice à un petit nombre de personne ne pas faire peser sur ce petit nombre la charge d’une décision qui profite à tous les autres. Donc engage l’état à indemniser ce petit groupe de personne.

1) Les préjudices résultants de décisions admin régulières

Toute décision illégale était fautive et peut engager resp admin si cette décision illégale cause un préjudice : la resp est pour faute. Une décision légale ne constitue pas une faute mais peut malgré tout engager la resp de l’admin si cette décision légale, régulière de l’admin cause un préjudice anormal et spécial. Cette JP concerne aussi bien les AA non réglementaires que les AA réglementaires.

Par ex pour les AA non réglementaires il appartient à l’admin d’apporter son concours à l’exécution des décisions de justice. L’admin peut refuser d’apporter son concours lorsque pour un motif d’intérêt général il lui apparait que son intervention pourrait entrainer des troubles à l’ordre public. Dans ce cas là le refus d’apporter son concours à la force publique n’est pas illégal mais l’admin doit indemniser la personne pour laquelle elle n’a pas apportée son concours : CE 1923 « Couitéas » —> Algérie, personne revendique la propriété d’un immense terrain, le juge reconnait qu’il est propriétaire de ce territoire, il demande l’évacuation des personnes qui occupent le territoire, gouverneur Algérie dit que c’est pas possible car ce serait une guerre et pas assez d’homme pour évacuer. CE estime que ce refus du gouverneur d’apporter son concours et justifié par des motifs d’intérêt général mais doit indemniser le propriétaire du terrain. Arrêt fondateur.

Resp aussi engagée en présence d’un acte réglementaire, CE 1963 « Commune de Gavernie » —> cirque, il existait un sens de circulation pour promeneurs avec un bar, un chalet à l’arrivée de la promenade, le maire décide de modifier ce sens de circulation, buvette se trouve au départ de la promenade, embêtant pour le commerçant. Le CE estime que la resp de la commune est engagée pour cet AA légale pris sur le fondement de pouvoir de police pour indemniser l’exploitant de la buvette.

2) Les préjudices résultants des dommages des lois et traités internationaux

a) Dommages du fait des lois

CE 1938 « Société anonyme produits laitiers lafleurette » —> CE se prononce au regard d’une loi, qui a interdit d’appeler « crème » tout produit alimentaire qui ne serait pas composé exclusivement de lait. Cette loi cause un préjudice à la société anonyme qui exploitait une crème à partir de matières grasses. Société demande à être indemnisée du préjudice que cette loi lui occasionne, CE reconnait qu’une loi peut générer la resp de l’état lorsqu’elle cause un préjudice anormal et spécial et qu’il n‘apparait pas que la volonté du législateur a été d’empêcher toute indemnisation. CE constate que la volonté du législateur n’a pas été de faire supporter à la société la fleurette une charge crée dans un intérêt général. Cette JP a eu peu l’occasion d’être appliquée, car le CE était conduit à interpréter la volonté du législateur de reconnaitre ou d’interdire toute indemnisation. Peu habituel qu’il considère que silence du législateur valait reconnaissance d’une indemnisation.

CE 2005 « Axion » CE a changé JP pour considérer que silence législateur sur question d’indemnisation ne doit pas être interprété comme excluant toute indemnisation, indemnisation aura lieu quand préjudice anormal (grave) et spécial (concerne un petit nombre de personne identifiable).

En revanche dans arrêt de 2003 le CE a admis la resp de l’état à raison du vote d’une loi imposant des mesures de protection des cormorans qui causaient des préjudices au pisciculteur. Cette resp de l’état du fait des lois qui repose sur la JP lafleurette de 1938 a été récemment complétée par un autre type de resp, un fondement qui est la méconnaissance des engagements internationaux de la Fr par le législateur. b. Préjudices résultants des traités internationaux CE 2007 « Garde dieu » —> resp de l’état du fait de son activité législative, considérant de principe où figure l rupture avec charges publiques (JP lafleurette) + méconnaissance engagements internationaux de la FR.

b) Les domaines du fait des traités internationaux

La ratification par la Fr de traités peut engager resp état si causent préjudices spéciaux et anormaux, CE 1966 « Compagnie générale d’énergie de radio électrique ». Cette JP qui a eu moins souvent occasion d’être appliquée que celle de la resp du fait des lois. Chaput « cette jurisprudence est un produit de luxe dont on ne se servait pas tous les jours ».

On peut constater dernièrement que le CE dans arrêt 2011 a eu l’occasion d’appliquer cette JP « Ismah susilawati » —> dame qui travaille pour un diplomate de l’UNESCO à Paris, elle est sa femme de ménage mais elle n’est pas payée alors même qu’elle a un contrat de travail, elle engage une action devant juge administratif pour obtenir paiement de ses salaires, juge administratif rejettent son action car employeur est diplomate et bénéficie de l’immunité d’exécution. L’avocat de la dame va chercher la responsabilité de l’état, le CE a condamné l’état à indemniser la dame du fait que le traité international entre la fr et Unesco a reconnu au diplomate une immunité d’exécution.

Intéressant : le CE a modifié sa JP concernant l’appréciation du caractère spécial du préjudice qu’invoquait la dame parce que finalement le CE n’est pas tenu à une appréciation abstraite il a accepté une appréciation concrète en estimant qu’il y a de nombreuses personnes en France qui sont diplomates, un cas comme celui en espèce demeure dans les faits exceptionnel. Ceci entraine sans doute une extension des cas de responsabilité du fait des engagements internationaux de la France, entraine extension du cas de responsabilité du fait des lois.

C. La responsabilité sans faute sur le fondement de la garde

1) Les mineurs en danger

Mineurs en danger: Enfants placés en famille d’accueil ou structures administratives pour être retirés de la garde de leurs parents dans la mesure où ils courent des dangers chez eux.

Ils se distinguent des mineurs délinquants, dangereux, vus précédemment. Ces derniers peuvent engager la responsabilité de l’État sur le fondement du risque (Thouzellier). Toutefois, cela ne concerne pas les mineurs en danger. Jusqu’à récemment, le régime de responsabilité concernant ces derniers était un régime de responsabilité peu satisfaisant pour les victimes puisqu’il s’agissait d’un régime ordinaire de responsabilité pour faute. Il n’était pas envisageable pour le juge administratif de reconnaître la jurisprudence de l’arrêt Blieck de la Cour de cassation de 1991. C’est pourquoi le Conseil d’État a modifié sa jurisprudence dans l’arrêt GIE Axa courtage de 2005. Dans cet arrêt, il reconnaît un nouveau fondement de la responsabilité sans faute de l’administration, la garde. Ce fondement est celui selon lequel la responsabilité du fait des agissements d’une personne est supportée par celle qui est chargée d’organiser, diriger et contrôler sa vie. Dans le cas des mineurs en danger, cette personne est le département.

Cette jurisprudence a résolu le problème des mineurs en danger mais n’a pas supprimé le décalage entre le régime applicable aux mineurs en danger et celui applicable aux mineurs délinquants. On s’est donc demandé si cette jurisprudence n’allait pas amener un revirement de jurisprudence concernant les mineurs délinquants puisque la notion de garde pourrait leur être applicable.

2) Les mineurs délinquants/dangereux

Dansl’arrêt Garde des sceaux c/ MAIF de 2006, le Conseil d’État a fait évoluer sa jurisprudence concernant les mineurs délinquants. Il n’a pas abandonné la jurisprudence Thouzellier, cette responsabilité sans faute sur le fondement du risque existe toujours, c’est une responsabilité de l’État. Néanmoins, le Conseil d’État a admis la possibilité d’ajouter à cette responsabilité une responsabilité fondée sur la garde, au choix de la victime. Cette dernière peut rechercher soit la responsabilité de la personne à qui le juge a confié l’enfant, soit la responsabilité de l’État sur le fait de la décision du juge des mineurs de placer cet enfant auprès d’une personne et pas en prison (risque). L’avantage de cette jurisprudence est que si la victime choisit de rechercher la responsabilité de l’établissement qui a la garde de l’enfant, celui-ci peut se retourner contre l’État dans le cadre d’une action récursoire en se fondant quant à lui sur la responsabilité pour risque. L’État reste donc toujours le débiteur final de la responsabilité.