Vème république : régime présidentiel ou parlementaire?

La Cinquième République est-elle un régime parlementaire ou présidentiel ? Un texte constitutionnel à géométrie variable

Focalisation sur une question : quelle est la nature juridique de la Vème république ? Est-elle un régime présidentiel ? Parlementaire ? Les deux ? La Ve République a fait l’objet de divergences de qualifications.

– De 1958 à 1962, le régime de la Vème République était parlementaire.

– À partir de 1962, il y a eu conjonction de l’élection du Président de la République au suffrage universel direct (ce qui lui donne une légitimité plus importante que celle de toutes les autres institutions) : la majorité législative est donc favorable au président, il est le véritable leader de la majorité parlementaire au détriment du Premier Ministre.

Selon Wikipedia (https://fr.wikipedia.org/wiki/Régime_parlementaire ), on distingue aussi deux périodes :

  • en période de cohabitation, un régime parlementaire moniste, le gouvernement ne rendant compte qu’à l’Assemblée nationale. Le Président est toujours présent mais perd une grande partie de l’influence qu’il détient, de par la pratique de la Ve République, sur la politique intérieure.
  • en périodes de concordance, un régime parlementaire présidentialisé dualiste, puisque le président demande, dans la pratique, au premier ministre qu’il a nommé, de lui présenter préalablement sa démission (le gouvernement est donc responsable de fait devant le président)

Maurice Duverger proposait de qualifier ce régime de régime semi-présidentiel. En effet, le régime politique de la Vème République prend les deux caractéristiques :

  • – à la fois les caractéristiques du régime parlementaire (responsabilité du gouvernement et possibilité de dissoudre l’Assemblée Nationale)
  • – et des caractéristiques du régime présidentiel (élection du Président au suffrage universel et Président chef du gouvernement).

Toutefois, cette doctrine est critiquée par le reste de la doctrine (en réalité, selon la doctrine, tous les régimes semi-présidentiels décrits par Duverger sont des particularités du régime parlementaire : les régimes parlementaires dualistes) ; les caractéristiques les plus importantes ici sont bien celles de moyens de révocabilité mutuels entre le législatif et l’exécutif, ce qui fait bien de la Ve République un régime parlementaire. Pour prendre en compte la prise de pouvoir du Président sur le gouvernement, il faut cependant qualifier le régime de régime parlementaire présidentialisé ou à correctif présidentiel (en référence au présidentialisme à la française).

A) Un régime parlementaire ou présidentiel?

La loi 3 juin 1958 impose au gouvernement de respecter un certain nombre de principes. D’abord le principe de la séparation des pouvoirs (avec responsabilité gouvernementale) : or c’est critère dominant du régime parlementaire.
Conférence de De Gaulle le 11 avril 1961 : Il ne voit pas pourquoi on pencherait pour l’un ou l’autre.
Debré dit devant le conseil d’état « Il faut donner à la France un régime parlementaire ».


Les éléments du régime parlementaire sont réunis :
– un régime bicéphale
– la responsabilité gouvernementale
– on ne peut pas dire qu’on est dans un régime présidentiel, car responsabilité.
Mais un élément perturbateur qui empêche d’assimiler la Vème république à un régime parlementaire classique est l’affirmation du rôle majeur joué par le président de la république, et le renforcement de ses prérogatives dans le texte même de la constitution.


La Ve République est rattachable aux régimes parlementaires mais constitue au sein de cette catégorie un modèle spécifique en ce sens que l’on a cherché à insuffler l’esprit du régime présidentiel dans le cadre juridique du régime parlementaire.
Une conséquence fondamentale de cela est le rôle joué par le président de la république de la couleur politique de l’Assemblée Nationale.
M. Debré dit : « La constitution est susceptible de faire l’objet de plusieurs lectures différentes » (en fonction de la coïncidence ou de l’absence de coïncidence entre majorité parlementaire et majorité présidentielle).
Le facteur déterminant est l’opinion au moment où elle s’exprime (au moment des élections législatives et au moment des élections parlementaires).
La Vème république est un gouvernement d’opinion rationnalisée et à option présidentielle.

Ce qui va faire varier la géométrie des institutions est la combinaison entre le résultat des élections législatives et présidentielles.
La Ve république correspond à un régime parlementaire dualiste, dans lequel le chef du gouvernement pour gouverner doit avoir la confiance à la fois du parlement mais aussi du chef de l’état.
Lorsque l’adéquation entre les deux majorités est rompue (cohabitation) alors cela correspond à un régime parlementaire moniste.
Quel que soit le mode de fonctionnement du régime le chef du gouvernement peut toujours utiliser les armes constitutionnelles pour discipliner sa majorité.
Cela fonctionne si le gouvernement n’a qu’une majorité relative, mais ça marche aussi quand le premier ministre est confronté à l’hostilité de ses propres troupes.

Le renforcement de l’exécutif dans la branche présidentielle n’est pas un obstacle démocratique. A chaque option le corps électoral opte ou non pour la lecture présidentialiste des institutions.
Trois hypothèses s’ouvrent alors : le corps électoral refuse la lecture présidentialiste lorsqu’il envoie au parlement une majorité de députés hostiles au président, accepte la lecture présidentialiste lorsqu’il envoie une liste de députés favorables au président, ou enfin opte pour une atténuation de la lecture présidentialiste lorsqu’il envoie au parlement une faible voire une relative majorité de députés favorables au président.
Toujours dans la logique des variateurs, c’est l’ampleur de la majorité qui conditionne l’ensemble des institutions.


B. Un régime parlementaire dualiste

1. Hypertrophie de la fonction présidentielle en cas de coïncidence totale
Entre janvier 1959 et mars 1986, date de la première cohabitation, c’est un régime parlementaire spécifique qui caractérise la Vème république.
Passage de l’élection du président au suffrage universel direct, le président se trouve doté à partir de 1962 en plus de ses pouvoirs de sa propre légitimité populaire. Cela le renforce doublement par rapport au premier ministre car lui n’est pas élu mais nommé par le président, et par rapport au parlement également.

Mais présidentialisation ne signifie pas régime présidentiel à l’américaine.
Il y a 5 éléments distinguant la Ve du régime américain :
– la dissolution, car aux Etats Unis c’est une séparation stricte des pouvoirs.
– en 1986 le gouvernement pour gouverner a besoin d’un soutien, d’une majorité au Parlement.
– le referendum national n’existe pas aux Etats Unis, et a été restauré sous la Ve comme une technique de gouvernement.
– l’initiative des lois est en France partagée par exécutif et législatif alors qu’aux USA le président n’a pas l’initiative des lois.
– Responsabilisé du gouvernement devant le parlement qui existe en France, pas aux USA, critère du régime parlementaire.

2. En cas de coexistence relative entre les majorités
Recentrage autour de l’arbitrage présidentiel.
La coïncidence relative peut aussi désigner l’hypothèse où tout en étant du même bord politique, les titulaires de l’exécutif ne sont pas en adéquation parfaite (hypothèse Mitterrand Rocard). Il va falloir que le président compose avec le premier ministre, la vision présidentialiste doit être atténuée.
Dans les deux cas que la relativité vienne du résultat des élections ou de deux personnalités non en adéquation on en revient à une lecture littérale de la constitution, la fonction présidentielle se recentre autour d’une fonction d’arbitrage.


C. Un régime parlementaire moniste en période de distorsion des majorités

Le dualisme devient moniste, en quelque sorte les électeurs ont décoché l’option présidentialiste.

1. Le reflux actif du président ou la coexistence

Le premier ministre se replie sur la constitution dans le cadre de son arbitrage. Référence de Mitterrand à l’article 5 pour empêcher Chirac de gouverner et s’octroyer un peu de pouvoir gouvernemental.

Le président va interpréter de manière extensive ses pouvoirs constitutionnels, il va assimiler les pouvoirs dits partagés, c’est à dire les pouvoirs qu’il partage avec le premier ministre, les pouvoirs contresignés par le premier ministre, en pouvoirs propres. Ces prétentions du chef de l’Etat ne peuvent se justifier juridiquement. C’est de là que vient le conflit. En réalité, les seuls pouvoirs propres du président sont ceux qui sont listés à l’article 19 de la constitution.
François Mitterrand va construire la nouvelle fonction présidentielle sur cette interprétation libre de la constitution.
Concrètement, là où le texte de la constitution reconnaît un pouvoir gouvernemental exclusif il laisse le gouvernement gouverner mais là où il y a partage des pouvoirs même contresignés il va exercer son pouvoir de manière discrétionnaire. Le chef de l’Etat apparaît comme un contre pouvoir face au gouvernement. Par exemple, François Mitterrand va refuser de signer les ordonnances élaborées par le gouvernement de Chirac.
Art 13 de la constitution « le président de la république signe les ordonnances et les décrets délibérés en conseil des ministres ». Le président Mitterrand a réussi quelque part à freiner l’action du gouvernement en allant bien au delà de l’arbitrage constitutionnel défini à l’article 5, c’est à dire l’arbitrage neutre. Ceci vaut pour la conduite des affaires intérieures de l’Etat mais aussi pour celle des affaires extérieures de l’Etat.
Cohabitation s’est déroulée en deux temps :
– recul du président Mitterrand en matière de politique extérieure qui se traduit par une véritable cogestion dans ce domaine (sorte de diarchie au sommet de l’Etat)
– retour de la prééminence présidentielle : profitant de l’imbrication réelle des pouvoirs en la matière Mitterrand réussit à tout reprendre ou presque à son compte en matière diplomatique, militaire.

2. Le « reflux passif » du Président, ou la « cohabitation pacifique »

L’environnement est différent, le contexte a changé. D’abord, la majorité envoyée au Parlement est beaucoup plus forte, la majorité parlementaire est donc importante, écrasante. Le président de la république est en fin de mandat et les deux protagonistes vont se mettre d’accord pour que cette deuxième cohabitation ne soit pas conflictuelle.
La constitution sera peut être pour la première fois dans l’histoire de la Ve appliquée à la lettre. En politique intérieure, le gouvernement gouverne. Le président qui entend marquer sa différence va témoigner d’une volonté discrète d’influence. En politique extérieure et en matière de politique internationale, contrairement à la première cohabitation, le président ne revendique pas l’existence d’un domaine réservé, en matière de défense et politique étrangère on revient à un domaine partagé entre gouvernement et président.
Edouard Balladur a probablement été jusqu’à nos jours sous la Ve le premier ministre le plus puissant, du fait du recul massif du président. On revient à un cadre parlementaire beaucoup plus classique.
Par rapport à la première cohabitation, cette période va correspondre à une application encore plus rigoureuse du texte de la constitution dans la mesure où s’achève ici le rééquilibrage de nos institutions en faveur du gouvernement et de son chef. Sous cette seconde cohabitation, le gouvernement et le premier ministre allaient enfin pouvoir pleinement mettre en œuvre l’article 20 de la constitution « Le gouvernement détermine et conduit la politique de la nation ».