Le caractère distinctif du signe en droit des marques

Les caractères de la marque : le caractère distinctif du signe

Même si le signe choisi entre dans une des catégories de l’article L. 711-1 du Code de la propriété intellectuelle, il devra satisfaire à trois exigences :

  • · Être distinctif (§ 1) ;
  • · Être licite (§ 2) ;
  • · Être disponible (§ 3).
  1. Définition du caractère distinctif

Exiger de la marque qu’elle présente un caractère distinctif revient à faire de la marque un moyen d’identification d’un produit ou d’un service, parmi les produits ou les services de même nature, proposés par les concurrents. Toutefois, la marque choisie, le signe choisi, ne doit pas avoir pour conséquence de priver les tiers – notamment les concurrents – d’un élément essentiel du domaine public. C’est la raison pour laquelle, en application de l’article L. 711-2 du Code de la propriété intellectuelle, une dénomination descriptive ne peut constituer une marque valable (1).

Lorsque la marque présente un caractère arbitraire, c’est-à-dire distinctif, elle impliquera qu’il n’y ait pas de lien trop direct entre le produit ou le service d’une part, et le signe d’autre part. Il y a toujours un lien, en vertu du principe de spécialité, mais ce lien ne doit pas être distinctif.

Néanmoins, dans certains cas – et par exception – le caractère distinctif peut s’acquérir par l’usage (2).

  1. Le principe

Exiger que le signe présente un caractère distinctif ne revient pas à exiger que la marque soit originale. En effet, le droit des marques n’est pas un droit de création : c’est plutôt un droit d’occupation. Ce qui compte, c’est donc que le signe présente un caractère distinctif, pour les produits et les services désignés. Moins le signe choisi aura de rapport avec l’activité du déposant, plus la marque sera distinctive.

Le Code de la propriété intellectuelle ne définit pas le caractère distinctif de la marque, et énumère seulement les signes qui sont dépourvus de caractère distinctif.

En application de l’article L. 711-2 du Code de la propriété intellectuelle, sont dépourvus de caractère distinctif :

  • Les dénominations usuelles, nécessaires ou génériques (a) ;
  • Les dénominations pouvant servir à désigner une caractéristique du produit ou du service (b) ;
  • Les signes constitués par la forme imposée par la nature ou la fonction du produit (c).

Il convient donc de les aborder séparément.

  1. Dénominations usuelles, nécessaires ou génériques

Conformément à l’article L. 711-2 du Code de la propriété intellectuelle, sont dépourvus de caractère distinctif les signes ou les dénominations – ça peut donc aller au-delà, bien qu’en jurisprudence on ne trouve que des exemples de dénomination – qui dans le langage courant ou professionnel sont exclusivement la désignation nécessaire, générique, ou usuelle du produit ou du service.

Qu’est-ce que cela signifie ?

Tout d’abord, un signe est nécessaire lorsqu’il est indispensable pour désigner le produit ou le service.

Exemple : je commercialise des bureaux, je choisis la marque Bureau©. On ne peut retenir cette marque, car on ne pourrait plus appeler un bureau « bureau ». On a donc une limite, qui est la liberté d’expression.

Le signe est générique, lorsqu’il désigne non pas le produit, mais la catégorie à laquelle appartient le signe ou le service.

Exemple : je vends des assiettes et je retiens la marque Vaisselle©, ou encore je vends des bureaux et je retiens la marque Table©, ou encore je vends des pommes et je retiens la marque Fruits©. Là encore, ce n’est pas possible.

La jurisprudence refuse d’accorder une quelconque protection par le droit des marques à de tels signes. D’ailleurs, le simple fait de modifier l’orthographe d’un terme générique, usuel ou nécessaire, n’est pas suffisant pour lui conférer un caractère distinctif.

Une dénomination ou un signe usuel correspond à une habitude de langage, qui peut être le langage courant, ou le langage professionnel.

Exemple : la jurisprudence a invalidé la marque Grand Chef© pour des vestes destinées aux cuisiniers, parce que dans la profession, « Grand Chef » désigne les personnes portant ce genre de vêtements. Ce terme est usuel dans la profession.

A ce titre, lorsque la marque consiste en un nom géographique, désignant le lieu d’établissement, elle sera validée à condition que le public n’établisse aucun lien entre le lieu choisi (exemple : une ville), et le produit ou le service couvert par la marque. La question s’était posée pour les établissements Drouot de vente aux enchères (Drouot Estimation©, placé rue Drouot, mais ici le nom de la rue n’a rien à voir avec l’activité exercée).

  1. Les dénominations pouvant servir à désigner une caractéristique du produit ou du service

Sur la base de l’article L. 711-2 du Code de la propriété intellectuelle, la jurisprudence considère que le signe ne peut constituer une marque valable s’il est exclusivement descriptif, c’est-à-dire s’il ne comprend que des éléments de cette nature, et qu’il dépeint l’objet désigné, non pas dans ses traits secondaires, mais en ce qu’il a d’essentiel, comme touchant à sa nature, sa substance, sa destination, et ses propriétés propres.

La qualité essentielle d’un produit peut être constituée par des éléments assez divers.

Exemple : à ce titre, la marque Beurre Tendre© a été annulée, car elle désigne un beurre ayant pour qualité d’être tendre.

On peut cependant essayer d’échapper à la qualification de marque distinctive, en jouant sur la composition de la marque. Si la dénomination choisie n’est pas exclusivement composée de termes indiquant la qualité essentielle du service ou du produit, la condition de caractère distinctif est remplie. Ça a été le cas avec la marque Terre d’Aventure©, qui est une marque correspondant à des services de vente de voyages.

Il faut également distinguer les dénominations descriptives des dénominations simplement évocatrices. Il n’y a pas énormément de jurisprudence en la matière.

Exemple :Fun Radio©. C’est très descriptif du service, mais on a estimé que l’ajout du terme « fun » pouvait retirer le côté descriptif. C’est évocateur, sans être descriptif.

Dans l’hypothèse où la marque consiste en une couleur, elle peut être validée en tant que telle, à la condition qu’elle soit distinctive du produit ou du service. La couleur doit être définie par une teinte spéciale, et donc il faut pouvoir être capable de définir la couleur de façon extrêmement précise.

A cet égard, il y a eu un contentieux, tranché par la Cour de cassation, Chambre commerciale, 10 juillet 2007: Candia© est déchue de sa couleur rose pantone 212, qui est un rose bien particulier, pour désigner du lait et des produits laitiers pour les enfants. En réalité, cela signifie que, pour l’opinion publique, le lait avec un bouchon rose est du lait pour les enfants. Candia© est donc déchue de sa marque, qui est considérée comme descriptive, en raison de l’emploi généralisé de ce signe, ou de signes très proches, par les sociétés ayant une activité laitière. On a donc une pratique qui s’est développée et qui est connue du public, et l’on considère que si l’on autorise une entreprise à utiliser cette couleur, ça veut dire que les autres entreprises ne peuvent plus l’utiliser.

Cette pratique a conduit à développer des couleurs pour les différents types de produits laitiers (Exemple : le « bleu » correspond au lait ½ écrémé, le « rouge » correspond au lait entier, le « vert » correspond au lait écrémé).

  1. Les signes constitués par la forme imposée par la nature ou la fonction du produit

Les signes constitués par la forme du produit sont exclus, parce qu’ils sont considérés comme descriptifs, mais ils sont également exclus pour respecter les différentes catégories de propriété industrielle.

En effet, le texte vise deux cas :

  • Il vise le cas des signes constitués exclusivement par la forme imposée par la nature du produit ;
  • Il vise le cas des signes constitués exclusivement par la fonction du produit.

Au regard de la fonction, on estime qu’une marque qui couvrirait la fonction d’un produit permettrait de contourner le droit des brevets, auquel en principe on devrait recourir dans cette hypothèse. Ce serait le cas dans l’hypothèse où il apparaîtrait que la forme serait indissociable du résultat technique du produit concerné par la marque.

Par cette interdiction, le législateur veut éviter que le demandeur, en sollicitant la demande de marque, bénéficie d’une protection sans limitation de durée, alors même que le brevet est limité à 20 ans. L’idée est donc vraiment d’empêcher le demandeur de contourner le droit des brevets.

Exemple : la Société Lego©, outre la dénomination Lego©, a voulu faire protéger au titre des marques la brique elle-même. La jurisprudence a considéré que la structure du Lego ayant un caractère fonctionnel et un effet technique, elle ne peut être déposée à titre de marque.

Cette position est assez largement partagée. De la même manière, un arrêt de la Cour de cassation, Chambre commerciale, 21 janvier 2004 se prononce sur un savon qui présente une forme galénique (un galet) offrant des avantages dans la conservation, l’administration, et même l’action thérapeutique du produit. Donc, cette forme ne peut pas être retenue à titre de marque. Ce n’est pas un problème de disponibilité de la marque, mais c’est un problème de forme, car ce serait un moyen de contourner la protection par les brevets.

En revanche, à partir du moment où la forme peut être dissociée du résultat, elle peut constituer une marque. Ici, la forme est tout à fait éligible au titre des marques, et il n’en reste pas moins qu’il faudra veiller tout de même à ce qu’elle ne soit pas le reflet de la nature du produit, ou qu’elle ne soit pas imposée par des contraintes liées aux caractéristiques du produit.

Exemple : cela peut être le cas pour des produits d’emballage ou de conditionnement, dont la forme peut être imposée par la nature du produit.

Ça a été le cas notamment dans un arrêt de la Cour d’appel de Paris, 17 mai 2000, qui concernait notamment la Société Fleury Michon©, qui portait sur des emballages individuels pour les surimis.

Pour autant, il est possible d’acquérir le caractère distinctif par l’usage.

  1. Le caractère distinctif acquis par l’usage du signe

En vertu de l’article L. 711-2 du Code de la propriété intellectuelle, le caractère distinctif d’une marque peut être acquis par l’usage antérieur du signe utilisé, sous réserve de rapporter cette preuve lors du dépôt de la marque. Ainsi, un signe faiblement distinctif à l’origine de son emploi peut, dans certaines circonstances, acquérir par l’usage un caractère distinctif qui lui faisait donc initialement défaut.

Bien entendu, si le signe est «exclusivement descriptif», l’exception ne jouera pas (exemple : assiette pour assiette, voir supra).

Cette exception a des limites. En effet, conformément à l’article L. 711-2 du Code de la propriété intellectuelle, l’usage ne permet pas d’acquérir le caractère distinctif d’un signe, constitué exclusivement par la forme imposée par la nature ou la fonction du produit, et conférant à ce dernier sa valeur substantielle.

Cela signifie qu’une marque constituée d’une forme nécessaire – au sens qu’il correspond à sa nature ou sa fonction – ne peut valablement constituer une marque, malgré un long et notoire usage antérieur de la forme.

C’est au titre de cette exception qu’a été enregistrée par exemple la marque Loto©: c’est l’usage du terme Loto par la Française des jeux, qui est devenu notoire. Un contentieux avait eu lieu en 2004 (Cour de cassation, Chambre commerciale, 28 avril 2004, qui consacre l’acquisition du caractère distinctif par l’usage de la marque Loto©).

Il y a aussi une autre affaire, tranchée par la Cour d’appel de Paris, 31 mars 2015, qui concerne la marque VentesPrivées.com©, qui est une société qui a été créée en 2001 et qui est titulaire de plusieurs marques nominales, figuratives et semi-figuratives ; elle est également titulaire d’une marque nominale qui date de 2009(ce n’est qu’en 2009 que la marque est déposée) : c’est le terme VentesPrivées.com©. Cette société a été assignée par une autre société du même type : ShowroomPrivé.com©, qui l’attaque en nullité pour manque de distinctivité de sa marque. Pour la Cour d’appel, la marque VentesPrivées.com© n’est pas distinctive, mais en revanche, la société peut se bénéficier d’une acquisition du caractère distinctif du fait d’un usage répété et intensif. C’est l’usage répété entre 2001 et 2009 qui a permis à la marque d’acquérir un caractère distinctif.

Mais comment tout cela est apprécié, et comment arrive-t-on à valider certaines marques pas si distinctives que cela ?

  1. L’appréciation du caractère distinctif

Précision : l’appréciation du caractère distinctif de la marque est menée par l’INPI au cours de la procédure d’enregistrement de la marque, et si la marque est descriptive, la demande est rejetée. Lorsque la marque est enregistrée, elle est présumée valable, et donc distinctive, non descriptive. C’est donc à celui qui conteste ce caractère de prouver l’absence de caractère distinctif.

En finalité, l’appréciation relève du pouvoir souverain des juges du fond, et l’on peut avoir parfois des surprises du fait de cette appréciation souveraine. Si l’on se reporte de nouveau à l’article L. 711-1 du Code de la propriété intellectuelle, on soulignera que le caractère distinctif d’un signe doit s’apprécier à l’égard des produits et des services désignés dans la demande d’enregistrement. Le caractère distinctif s’apprécie par rapport au produit ou service sur lequel on veut faire valoir ce service (rappel du principe de spécialité).

La validité de la marque s’apprécie à la date de son dépôt, et non à la date de l’action en contrefaçon, ou de l’action en annulation. Cela signifie également que, lors du renouvellement de la marque tous les 10 ans, l’examinateur doit se prononcer en fonction de la situation au moment du dépôt de la marque. Or, il est bien évident que certains termes peu connus pour désigner un produit il y a quelques dizaines d’années, peuvent devenir connus, et le juge devra en faire abstraction. Donc, c’est une vraie difficulté.

L’appréciation du caractère distinctif pourra varier en fonction du public qui est concerné. Ainsi, par exemple, en présence de marques dont la dénomination est composée de termes étrangers, il faut rechercher si ces termes sont compris par une large fraction du public français – puisqu’il est ici question de marques françaises – dans leur signification en langue française. Si c’est le cas, la marque pourra être considérée comme descriptive.

C’est le cas notamment pour une décision concernant la marque Agenda Planning©, qui a été invalidée par la Cour d’appel de Paris, 1994, puisque la Cour d’appel avait considéré que le terme « planning » est complètement intégré au vocabulaire français. En revanche, la marque Super Skin© a été considérée en partie valable par le Tribunal de l’Union Européenne, 9 décembre 2009, T245-08(on est donc sur une marque communautaire, qui vise donc le public européen) : le juge estime que la marque n’est descriptive qu’à l’égard de produits et service qui ont pour destination une peau de qualité élevée, à savoir belle et/ou saine. La décision refusant cette demande de marque est annulée à l’égard des parfums, des déodorants et des vernis à ongle, ainsi que pour les produits d’hygiène et les traitements cosmétiques pour les cheveux.

Ce n’est pas seulement le fait que les termes étrangers soient susceptibles d’être compris par le public qui rend la marque invalide, mais c’est le fait que ce terme qui est compris est en lui-même descriptif.

Qu’est-ce que cela signifie ?

Cela veut dire que, s’il est descriptif mais peu connu par les français, la marque sera valable. De la même manière, si le terme est connu par les français, mais qu’il n’est pas descriptif, la marque sera également valable.

Exemple :Apple©: tout le monde sait ce que ça veut dire, mais ça ne pose aucun problème, puisque le terme n’est absolument pas descriptif du produit.

L’appréciation du caractère distinctif se fait par rapport au langage courant, mais également par rapport au langage professionnel, pour les signes qui sont la désignation nécessaire, générique, ou usuelle des produits et des services. Ça va donc considérablement étendre le champ d’appréciation du juge, pour des termes relevant purement du langage professionnel, par exemple. Cela implique donc une obligation pour le juge d’aller très loin dans les comparaisons, pour voir si on est sur quelque chose de distinctif ou non.

Ce caractère distinctif doit s’apprécier au regard de l’ensemble formé par les différents éléments qui composent la marque. Il ne doit pas s’apprécier au regard d’une partie de ces éléments, ce qui veut dire que le juge n’est pas autorisé à découper, et à isoler les différents éléments de la marque. De fait, le recours à une marque complexe permet parfois de valider la marque. Cela signifie que la combinaison d’un terme qui, pris isolément, serait générique ou descriptif, avec un signe distinctif, peut suffire à conférer à l’ensemble ainsi formé la capacité d’exercer la fonction distinctive de la marque à l’égard des produits ou services désignés dans la demande d’enregistrement.

Exemple : s’agissant de la marque Grand Chocolat©, les juges ont considéré que c’est quelque chose d’usuel, de générique. Pour échapper à l’annulation, Nestlé© a pris l’initiative de compléter cette marque : Nestlé Grand Chocolat©. C’est une manière ici de donner à la marque un sens complémentaire. De la même manière, pour la Maison du Café©, on a ajouté que le fait d’ajouter le terme « maison » fait qu’on n’est plus sur une marque exclusivement descriptive.

Ce qu’il faut saisir dans tout cela, c’est que c’est un choix stratégique, puisque le caractère distinctif, selon son intensité, permettra à son titulaire de détenir soit une marque forte, soit une marque faible.

La distinction entre les marques fortes et faibles se fait sur la base du caractèredistinctif. Une marque est dite forte lorsque le signe déposé présente un caractère très distinctif pour désigner les produits ou les services auxquels il s’applique.

Au contraire, la marque est dite faible lorsqu’elle est composée de la réunion d’éléments banals dont le caractère distinctif ne tient qu’à la combinaison spécifique qui est faite de ces éléments.

Exemple : un magazine Maison et travaux© sur la décoration et le bricolage, c’est une marque faible mais à caractère distinctif en raison de la combinaison des mots du titre.

Le Code de la propriété industrielle ne fait aucune différence entre les marques faibles et les marques fortes. Cela est sans incidence sur l’étendue de la protection qui sera accordée. En revanche, les tribunaux tiennent compte de cette distinction, et certaines juridictions estiment que la protection des marques faibles ne peut s’étendre au-delà des termes choisis, et de ce fait doivent coexister avec d’autres marques qui peuvent leur être proche.

Exemple : la Maison du café© qui mène une action en contrefaçon contre la Maison du bon café©. Les juges n’ont pas invalidé la Maison du café© car la marque est faiblement distinctive.