Le contentieux de pleine juridiction

Le contentieux de pleine juridiction

Le juge de plein contentieux est celui qui est censé examiner une affaire de la façon la plus approfondie sans se limiter au contrôle objectif de la légalité administrative. Il est question ici du juge au contrat qui a pour vocation première de trancher les litiges entre les parties mais désormais il peut être saisi par des tiers au contrat.

Résultat de recherche d'images pour "référé contractuel précontractuel"

P1- La saisine du juge des contrats par les parties

Cela a fait l’objet de la jurisprudence de Conseil d’Etat. 28 décembre 2009. Commune de Béziers (Béziers I). Cette jurisprudence distingue les conditions d’un recours direct en invalidation d’un contrat (rare en pratique) et l’hypothèse où le juge est saisi par les parties d’un recours en exécution du contrat.

Elle permet de renforcer la stabilité des relations contractuelles en considérant que l’annulation du contrat doit être la dernière hypothèse à envisager. L’hypothèse était un recours formé par une partie en invalidation du contrat. Il y a aussi l’hypothèse dans laquelle le juge doit procéder à la même analyse lorsqu’il est saisi d’un recours en exécution du contrat.

A- Le recours en invalidation du contrat

Les parties peuvent faire un recours en plein contentieux contestant la validité du contrat les liant. La logique générale est un objectif de stabilité des relations contractuelles qui imposera au juge de ne prononcer la disparition du contrat qu’en présence de vices empêchant radicalement son maintien. Dans la jurisprudence Béziers I, il appartient au juge, lorsqu’il constate l’existence d’irrégularités, d’en apprécier l’importance et les conséquences de ces irrégularités après avoir vérifié que les irrégularités dont se prévalent les parties sont de celles qu’elles peuvent eu égard à l’exigence de loyauté des relations contractuelles invoquée devant lui. Ainsi, certaines irrégularités ne peuvent pas être invoquées devant le juge des contrats.

L’idée est que, pendant des années, une partie au contrat avait conclu et exécuté le contrat sans difficultés puis soudainement elle a décidé de contester la validité du contrat. Le juge répond que certaines irrégularités ne peuvent plus être invoquées en raison de l’exigence de loyauté des relations contractuelles. Il s’agit ici de la première réserve.

Ensuite, il revient au juge, après avoir pris en considération la nature de l’irrégularité commise et en tenant compte de l’objectif de stabilité des relations contractuelles :

  • soit décider que la poursuite de l’exécution du contrat est possible, éventuellement sous réserve de mesures de régularisation
  • soit de prononcer le cas échéant, avec un effet différé après avoir vérifié que sa décision ne portera pas une atteinte excessive à la volonté générale, la résiliation du contrat
  • soit, en raison seulement d’une irrégularité invoquée par une partie ou relevée d’office par le juge tenant au caractère illicite du contenu du contrat ou à un vice d’une particulière gravité relative notamment aux conditions dans lesquelles les parties ont donné leur consentement, l’annulation du contrat

B- Le recours en exécution du contrat

Ce n’est pas sans lien avec la première hypothèse mais c’est une hypothèse indirecte car le juge fait la même chose dans un recours en exécution. Le juge se rend compte qu’en réalité le contrat est illégal ou présente un risque d’illégalité pendant un recours en exécution du contrat. C’est donc une nullité par voie d’exception. En pratique, les recours indirects sont plus fréquents que les recours directs.

Le principe est que le litige doit être tranché sur le fondement du contrat. « Lorsque les parties soumettent au juge un litige relatif à l’exécution du contrat qui les lie, il incombe en principe à celui-ci, eu égard à l’exigence de loyauté des relations contractuelles, de faire application du contrat » (jurisprudence Béziers I). Ce n’est qu’en cas d’une irrégularité grave que le contrat sera écarté d’office si besoin « dans le cas seulement où il constate une irrégularité invoquée par une partie ou soulevée d’office par lui tenant au caractère illicite du contenu du contrat ou à un vice d’une particulière gravité tenant notamment aux conditions dans lesquelles les parties ont donné leur consentement », le juge doit écarter le contrat et ne peut régler le litige sur le terrain contractuel. Le contrat est donc simplement écarté et le juge ne sanctionne pas clairement le contrat. En pratique, cela est important car cela peut permettre de continuer d’appliquer le contrat ultérieurement dans un autre litige.

Les hypothèses dans lesquelles le contrat sera écarte sont limitées :

  • Le caractère illicite du contenu du contrat. On peut distinguer trois hypothèses principales : absence de causes juridiques, cause juridique illicite (ex : méconnaissance du principe d’inaliénabilité du domaine public), stipulations illicites.
  • Un vice d’une particulière gravité. C’est notamment les vices du consentement (dol, erreur,…) ou encore des vices d’incompétence et à titre exceptionnel certaines violations des règles de passation des contrats (Conseil d’Etat. Manoukian. 12 janvier 2011: par principe, les parties ne peuvent invoquer un manquement aux règles de passation ni le juge le relever d’office aux fins d’écarter le contrat pour le règlement du litige mais par exception il en va autrement lorsque, eu égard d’une part à la gravité de l’illégalité et d’autre part aux circonstances dans lesquelles elle a été commise, le litige ne peut être réglé sur le fondement de ce contrat). Les circonstances doivent être celles dans lesquelles l’irrégularité se rapprochera des vices du consentement selon les conclusions de l’arrêt.

C- Le recours en reprise des relations contractuelles

Conseil d’Etat. 21 mars 2011. Commune de Béziers (II) : l’objet initial du recours est un contentieux hors temps sur la contestation d’une mesure de résiliation du contrat administratif. C’est analysé par le juge comme un recours en reprise contractuelle car annuler la mesure de résiliation signifie reprise des relations contractuelles. Le juge précise deux choses : les voies de droit dont dispose une partie à un contrat administratif qui a fait l’objet d’une mesure de résiliation & l’office du juge saisi d’un recours en reprise des relations contractuelles.

1- Les conséquences de principe de l’illégalité d’une mesure de résiliation

Le juge rappelle une solution ancienne qui est qu’en principe le juge du contrat saisi par une partie n’est pas compétent pour annuler une mesure d’exécution d’un tel contrat et en particulier une mesure de résiliation. Il pouvait juste chercher à réparer le préjudice subit par le cocontractant du fait de la résiliation illégale. La justification de cette solution était procédurale et substantielle. Sur le plan procédural, l’idée est que le recours introduit par une partie au contrat contre une mesure d’exécution et donc de résiliation est un recours de plein contentieux dont l’objet n’est pas essentiellement un contrôle de légalité. La mesure d’exécution contestée est considérée comme n’étant pas détachable du contrat. Sur le plan substantiel, la justification est que cela ferait que le juge imposerait à l’administration de reprendre des relations contractuelles qu’elle ne souhaite plus.

« Le juge du contrat saisi par une partie d’un litige relatif à une mesure d’exécution du contrat peut seulement en principe rechercher si cette mesure est intervenue dans des conditions de nature à ouvrir droit à indemnité » (jurisprudence Béziers II). Le rapporteur public puis le Conseil d’Etat ont estimé que les justifications de ce principe sont au moins discutables. Plusieurs motifs les ont conduit à ne pas s’arrêter à ce principe. Le rapporteur public a montré qu’en réalité ce principe permettait à l’administration « de se défaire à sa convenance même de manière irrégulière ou pour des motifs illégaux d’un cocontractant dont elle ne veut plus, à condition qu’elle soit prête à en payer le prix ». Du fait de Béziers I qui élargie les pouvoirs du juge, le juge de Béziers II a estimé qu’il ne fallait pas s’en tenir au recours en indemnisation. L’idée est de donner davantage de pouvoirs au juge.

La jurisprudence Béziers II élargie donc les exceptions. Cette extension des exceptions doit conduire le juge à exercer un office dont le cœur consiste à se prononcer sur le point de savoir si les relations contractuelles doivent ou non reprendre. C’est ce qui explique les indications de l’arrêt Béziers II : « toutefois, une partie à un contrat administratif peut, eu égard à la portée d’une telle mesure d’exécution, former devant le juge du contrat un recours de plein contentieux contestant la validité de la résiliation du contrat ». Cela est assimilé à un recours en reprise des relations contractuelles. Le délai de recours est de 2 mois à compter de la date à laquelle la partie a été informé de la résiliation. Le juge précise que ce recours en reprise des relations contractuelles peut être assorti d’une demande tendant à la suspension de l’exécution de la résiliation.

2- L’office du juge saisi d’un recours en reprise des relations contractuelles

« Il incombe au juge du contrat saisi par une partie d’un recours en plein contentieux contestant la validité d’une mesure de résiliation et tendant à la reprise des relations contractuelles, lorsqu’il constate que cette mesure est entachée de vices relatifs à sa régularité ou son bien fondé, de déterminer s’il y a lieu de faire de droit dans la mesure où elle n’est pas sans objet à la demande de faire droit à la demande de reprise contractuelle à compter d’une date fixe ou de rejeter le recours en jugeant que les vices constatés sont seulement susceptibles d’ouvrir au profit du requérant un droit à indemnité ».

De ce point de vue, soit le juge fait droit à la demande de reprise contractuelle soit il la rejette en reconnaissant seulement un droit à indemnisation. S’il décide la reprise des relations contractuelles, il prononce en même temps l’annulation de la mesure de résiliation. Dans l’hypothèse où il fait droit à la demande, le juge peut décider, si des conclusions sont formulées en ce sens, que le requérant a droit à l’indemnisation du préjudice que lui a causé la résiliation, notamment du fait de la non exécution du contrat entre la date de sa résiliation et la date fixée par le juge de reprise des relations contractuelles.

Le juge doit examiner s’il y a lieu de faire droit à cette demande de reprise des relations contractuelles sauf si cette demande est sans objet. L’idée est que la demande peut être devenue sans objet, notamment car le contrat peut être arrivé par son terme.

Pour décider si une reprise des relations contractuelles est nécessaire sur le fond, le juge doit apprécier la gravité du vice qui entache la mesure de résiliation, les motifs de la résiliation prononcée (admet que ces motifs soient précisés devant lui pour la première fois) et l’ampleur des effets d’une reprise des relations contractuelles (effets sur l’intérêt général mais aussi sur les droits d’un éventuel nouveau cocontractant de l’administration qui aurait reprit l’exécution du contrat que l’administration a résilié).

Conseil d’Etat. 1er octobre 2013. Société espace habitat construction. Le juge avait affirmé qu’un contrat qui autorise une personne privée à disposer de droits réels sur le domaine public d’une commune avant l’entrée en vigueur de la loi de 1988 est illicite. De plus, il a estimé qu’il y a dans le même contrat une clause par laquelle la commune renonçait à l’exercice de son pouvoir de résiliation unilatérale et que cette clause est illicite. Le juge précise qu’en l’espèce cette renonciation avait été déterminante pour la conclusion du contrat. On a donc une hypothèse de gravité particulière. Le juge a été saisi d’une demande de reprise des relations contractuelles mais du fait de l’irrégularité grave en l’espèce il refuse cette demande. On ne peut donc pas reprendre les relations contractuelles si le contrat est gravement illégal. Ainsi, le juge renonce à reprendre les relations contractuelles car en cas de recours Béziers I il aurait constaté cette illégalité importante. Il faut donc articuler le recours Béziers II avec la logique de Béziers I. Le juge doit donc se demander s’il existe des vices suffisamment graves pour éviter la reprise des relations contractuelles. On ne peut donc pas connaître l’issu à l’avance car tout dépend de l’analyse du juge.

Ambiguité, on se demande si la jurisprudence Béziers II dans l’exception ne concerne que les mesures de résiliation ou si elle concerne également les mesures d’exécution. C’est une question en suspend qui fait l’objet de beaucoup de doctrines.

P2- La saisine du juge du contrat par des tiers

C’est une hypothèse exceptionnelle et anormale du fait de la distinction des différents contentieux. Il y a aussi la distinction entre les parties et les tiers à un contrat. En principe, seules les parties ont le droit de saisir le juge de pleine juridiction. Cela ne signifie pas que la distinction entre tiers et parties est abandonnée car elle demeure. Notamment, le Conseil d’Etat a refusé d’admettre un recours Tropic au carré donc le fait qu’un tiers au contrat qui demande au juge du REP d’annuler le refus de l’administration de saisir le juge du contrat (Conseil d’Etat. APPEL. 17 décembre 2008). Autre exemple, le Conseil d’Etat a refusé de faire du juge du contrat le juge des droits tirés par les tiers d’un contrat car les tiers à un contrat administratif, hormis les clauses réglementaires, ne peuvent en principe se prévaloir des stipulations d’un contrat administratif (Conseil d’Etat. Mme Gilles. 11 juillet 2011).

Deux types de tiers peuvent saisir le juge de plein contentieux : les concurrents évincés et le préfet.

A- Le recours des concurrents évincés : le recours Tropic Travaux Signalisation

Conseil d’Etat. Ass. Tropic Travaux Signalisation Guadeloupe. 16 juillet 2007 : le juge créé de lui-même un véritable nouveau recours, le recours en contestation de la validité d’un contrat administratif par un tiers. Ce tiers doit être un concurrent évincé qui peut saisir le juge du contrat en demandant éventuellement aussi une indemnisation du fait du caractère illégal du contrat si cela lui a causé un préjudice et aussi une suspension de l’exécution du contrat (pas le référé suspension entendu par le Code de justice administrative).

Tout concurrent évincé de la conclusion d’un contrat administratif est recevable à former devant le juge des contrat un recours de pleine juridiction contestant la validité du contrat ou de certaines de ses clauses à condition que les clauses soient divisibles du reste du contrat, assorti le cas échéant de demandes indemnitaires.

C’est une révolution car la doctrine pensait que le Conseil d’Etat allait finir par reconnaître un recours en annulation pour les tiers alors qu’au final il a reconnu un recours en plein contentieux. Cela se justifie par le fait que le concurrent évincé est dans une relation para contractuelle et donc il doit obtenir un recours spécifique. C’est le juge du contrat qui est le plus au courant et donc c’est lui que le Conseil d’Etat a choisi. Le juge a décidé que cette nouvelle voie de recours est ouverte pour le contrats dont la procédure de passation est postérieure à la date du 16 juillet 2007.

A la qualité de concurrent évincé tout requérant qui aurait eu intérêt à conclure le contrat alors même qu’il n’aurait pas présenté sa candidature, qu’il n’aurait pas été admis à présenter une offre ou qu’il aurait présenté une offre inappropriée, irrégulière ou inacceptable. En revanche, le Conseil d’Etat a précisé que le recours Tropic n’est pas soumis à la jurisprudence SMIRGEOMES de 2008 qui est donc applicable uniquement pour le référé précontractuel. Le caractère opérant des moyens n’est donc pas subordonné à la circonstance que les vices aient été susceptibles de léser le requérant.

C’est un délai de 2 mois qui est applicable, à compter de l’accomplissement des mesures de publicité appropriées, notamment au moyen d’un avis mentionnant la conclusion du contrat et les modalités de sa consultation. A partir de la conclusion du contrat, le concurrent évincé n’est plus recevable à demander l’annulation pour excès de pouvoir des actes préalables qui en sont détachables car il détient désormais le recours Tropic.

Le juge précise l’office du juge du recours Tropic qui doit procéder encore une fois à un bilan. En cas de vices, le juge doit apprécier les conséquences de ces vices et de l’invalidité du contrat. Il y a quatre hypothèses :

  • la poursuite de l’exécution du contrat (éventuellement sous réserve de mesures de régularisation)
  • accorder des indemnisations en réparation des droits lésés
  • prononcer la résiliation du contrat ou de modifier certaines de ses clauses
  • après avoir vérifié si l’annulation du contrat ne porterait pas une atteinte excessive à l’intérêt général ou aux droits des cocontractants, d’annuler totalement ou partiellement le cas échéant avec un effet différé le contrat

Pour obtenir réparation de ce droit lésé, le concurrent évincé peut présenter devant le juge des conclusions indemnitaires à titre accessoire ou complémentaire du recours Tropic. Le recours en indemnisation peut même est introduit seul. Le concurrent évincé peut faire un recours tendant exclusivement à une indemnisation du préjudice subi à raison de l’illégalité de la conclusion du contrat dont il a été évincé.

On se demande si ces recours sont encore intéressant du fait de l’existence du référé contractuel et du mauvais fonctionnement du recours Tropic.

B- Le déféré préfectoral

Das les rapports entre les collectivités territoriales et l’Etat, le préfet exerce un contrôle de légalité sur les actes pris par les collectivités. S’il estime que l’acte est illégal, il a le pouvoir de déférer l’acte au tribunal administratif dans un délai de 2 mois à compter de sa transmission. Ce contrôle s’effectue uniquement sur la légalité.

Il faut distinguer trois hypothèses :

  • Les actes non obligatoirement transmis au préfet mais qui peuvent toujours l’être sont exécutoires dès qu’ils sont notifiés ou publiés. Les préfets peut demander la communication pour exercer ce contrôle.
  • Les actes qui sont transmis obligatoirement au préfet sont exécutoires une fois notifié/publié et transmis au préfet.
  • Les actes qui sont obligatoirement construits mais qui ne deviennent exécutoires qu’après un certain délai après transmission au préfet.

Le contrôle de légalité est critiqué. En 2012, un rapport du Sénat dit que c’est une « passoire à géométrie variable ». Une circulaire du 25 juin 2012 demande aux préfets de renforcer leur contrôle dans des domaines prioritaires dont la commande publique au sens large donc englobant les délégations de service public.

Il est tout de même attentif aux contrats passés par les collectivités territoriales et institue pour la plupart des contrats un régime de transmission obligatoire au préfet pour les conventions relatives aux emprunts, aux marchés et aux accords cadre à l’exception des conventions relatives aux marchés et accord cadre d’un montant inférieur à un seuil définit par décret (207 000€ hors taxes) & les conventions de concessions ou d’affermage de services publics locaux & les contrats de partenariat.

Le préfet peut associer son déféré préfectoral d’une demande de suspension. Cette demande de suspension entraîne automatiquement la suspension en matière d’urbanisme et en matière de marchés et de délégations de servie public. Le juge regarde le déféré préfectoral en matière de contrat comme un recours de plein contentieux désormais : Conseil d’Etat. 23 décembre 2011. Ministre de l’intérieur, de l’Outre Mer, des collectivités territoriales et de l’immigration.

En matière de déféré préfectoral, l’office du juge est quasi identique à celle du juge du recours Tropic avec deux différences :

  • ·le juge ne peut plus modifier certaines clauses du contrat
  • ·l’indemnisation n’est pas possible