Le droit fiscal est-il autonome?

L’AUTONOMIE ET LE PARTICULARISME DU DROIT FISCAL

La question est de savoir si le droit fiscal est d’un particularisme tel qu’il faille le qualifier de droit autonome… ou bien alors s’il est dépendant du droit commun. Le problème de la légalité fiscale donne lieu à des débats clos mais qui explique les enjeux du particularisme de la légalité fiscale.

La question s’est posée dans les années 20 et 30 après l’instauration de l’impôt sur le revenu et sur le chiffre d’affaire.

I – La doctrine s’est partagée en 2 positions :

  1. le droit fiscal est intégralement autonome, c’est-à-dire pour la mise en œuvre de la fiscalité, l’administration se fonde sur des règles étrangères aux autres branches du droit comme le droit civil ou le droit commercial. Il s’agit d’une thèse radicale.
  2. l’autre doctrine s’est élevée contre ces interprétations en disant que si l’on raisonne comme cela, ça va en être fait des autres branches du droit. Ces auteurs ont parlé de particularisme du droit fiscal.

Aujourd’hui, le droit fiscal est un droit dit de superposition, c’est-à-dire qu’il vient frapper des actes ou des faits qui sont déjà soumis à une réglementation comme par exemple le droit civil, et en principe le droit fiscal utilise les mêmes que le droit sur lequel il vient se superposer. Mais dans certains cas, et généralement pour déjouer la fraude fiscale, le droit fiscal considère qu’il lui faut adopter des qualifications propres distinctes du droit civil ou commercial. L’autonomie du droit fiscal est donc relative.

II – L’originalité du droit fiscal

Il reste qu’en lui-même le droit fiscal présente un certain nombre d’originalités qui sont structurelles par rapport au droit civil ou commercial. 3 originalités :

  1. La hiérarchie des normes en droit fiscal si elle obéit aux mêmes principes de hiérarchie des normes en droit fiscal présente des particularités liées à l’histoire ou autre. D’abord, c’est la faiblesse des normes et des principes constitutionnels en droit fiscal. Ceci parce que d’une part les normes constitutionnelles fiscales écrites sont rares et considérablement vieillies, car ce sont des normes issues de la Déclaration de 1789 et d’autre part le Conseil constitutionnel a été plus timide qu’ailleurs dans la création de principes non écrits, ceci peut-être pour laisser à l’administration. en revanche, il y a une surabondance de la réglementation administrative qui se traduit par des règlements mais surtout par les circulaires administratives, dont l’importance est telle, qu’elles font l’objet d’un régime juridique que l’on ne retrouve pas dans les autres secteurs du droit.
  2. la 2ème c’est le développement du droit communautaire en droit fiscal. C’est peut-être actuellement la seule branche du droit français qui tente à échapper progressivement à la souveraineté étatique pour 2 raisons : a) raison qui tient aux traités qui donnent compétence aux organes communautaires aux fins d’harmoniser certains types d’imposition comme la TVA ; b) le droit communautaire vient entamer les régimes d’imposition qui reste de la compétence exclusive des états en raison de la jurisprudence de CJCE qui a un objectif de sauvegarder les grandes libertés communautaires comme la libre circulation. Or la fiscalité est un obstacle souvent naturel à cette libre circulation dès lors que par des régimes fiscaux étatiques, les états peuvent contrarier cette libre circulation. La cour a censuré des dispositions fiscales étatiques qui viennent contrarier le jeu des libertés communautaires bien que ces dispositions relevaient de la compétence des Etats.
  3. le développement considérable de techniques administratives de lutte contre la fraude fiscale. ce développement se fait dans plusieurs sens : le 1er c’est de donner à l’administration fiscale des pouvoirs de contrôle et de surveillance de l’activité patrimoniale du contribuable par des procédures de renseignement ou des cas de délation. La lutte contre la fraude fiscale conduit l’administration a recherché si l’utilisation de certaines activités juridiques n’est pas un vecteur de fraudes et donc refuser de tenir compte de montages civils ou commerciaux qui sont légaux mais fait uniquement dans un but de fraude.

III – Rapport entre le droit fiscal et les autres branches du droit

Est-ce que le droit fiscal doit tenir compte des situations juridiques que font naître d’autres branches du droit ? La réponse de principe a priori est négative. Le droit fiscal peut ne pas tenir compte de l’existence d’un contrat valablement conclu. C’est ce que l’on appelle le principe de l’autonomie du droit fiscal. Mais en pratique cette autonomie est réduite. La loi fiscale, pour assoir les impositions tient compte normalement des situations définies par le droit civil, pénal, commercial.

Il reste que ce sont des questions importantes.

l’autonomie de principe du droit fiscal

Cela signifie que, a priori, le droit fiscal peut ne pas tenir compte des situations juridiques définies par les autres branches du droit. Quelques exemples :

Quelques manifestations de l’autonomie

En réalité, le droit fiscal use discrétionnairement de cette autonomie. Par exemple, la prostitution est une activité illicite, pénalement sanctionnée. Le droit fiscal l’ignore et impose les prostituées comme les souteneurs (bénéfices non-commerciaux ou commerciaux). Le droit fiscal en ce cas ignore l’illicéité.

D’autres exemples sont plus caractéristiques. Premier exemple, les activités illicites d’une entreprise. Voilà qu’un entrepreneur qui se livre à des négoces à Rungis est condamné pour escroquerie et recel de marchandises non payées. Les victimes forment une action devant le juge civil qui le condamne à des dommages et intérêts. L’entrepreneur déduit des dommages et intérêt comme frais professionnels de son entreprise. Le Conseil d’Etat dans un arrêt « philippe » du 7 janvier 2000 décide que cette déduction est fondée car les agissements de l’entrepreneur avaient été engagés dans le développement de l’entreprise

Encore un exemple marrant ! Jurisprudence communautaire qui concerne la TVA en matière d’activités illicites. Est-ce qu’une livraison de biens illicite est tout de même soumise à la TVA. Est-ce que le prix de vente d’une drogue fixé par un trafiquant est soumis à TVA. C’est une livraison de bien. La CJCE dans un arrêt de 1988 a considéré que ces opérations étaient exclues du circuit économique et donc pas soumises à TVA. L’idée est que soumettre le trafic à la TVA serait une sorte de reconnaissance.

10 ans après se pose le problème de l’imposition du chiffre d’affaire d’entreprises qui font de la contrefaçon. La CJCE a estimé que la TVA s’appliquait à cette activité certes illicite (arrêt Goodwin). Ce qu’il faut reconnaître, c’est la liberté du droit fiscal.

Le pouvoir général de l’administration fiscale d’écarter certains actes juridiques du contribuable.

On entre dans des questions un peu délicates mais tout à fait intéressantes. L’idée qui fait à la fois la joie et les profits des cabinets de conseil fiscal est de savoir si le contribuable peut légalement organiser juridiquement sa situation pour payer le moins possible d’impôt.

Nous avons pour base deux arrêts de la Cour de cassation du XIXe Siècle qui fixent les principes qui sont encore en vigueur :

Ø Arrêt du 2 mai 1849 : «Les parties à un contrat ont le droit incontestable lorsque deux voies s’ouvrent à elles pour atteindre le but qu’elles se proposent de choisir celle qui donne ouverture au droit le moins fort quand même cette voie serait la moins directe. L’administration fiscale ne peut critiquer la forme choisie par les parties mais cependant il faut avant tout que l’acte soit sérieux et non-entaché de fraude» On en aurait presque la larme à l’œil ! Principe de liberté du choix de la voie la moins imposée. Le contribuable peut aménager même de manière complexe sa situation juridique pour faire en sorte que la charge fiscale soit la plus légère possible. Avec cette réserve que l’acte soit sérieux et non frauduleux ce qui semble vouloir dire fictif ou ayant peut être pour seul objet d’éluder l’impôt.

Ø Une jurisprudence complémentaire reconnaît à l’administration fiscale d’écarter certains actes. Chambre Civile, le 20.8.1867 : «L’administration a le droit et le devoir de rechercher et constater le véritable caractère des stipulations contenues dans les contrats pour arriver à asseoir d’une manière conforme à la loi fiscale les droits dus par les parties contractantes à raison des contrats ». Ces 2 décisions peuvent paraître antagonistes. Cet arrêt reconnaît un pouvoir sui generis de requalifier les actes juridiques pour leur restituer le véritable caractère. Quelles conséquences doit-on tirer. Premièrement, si la qualification choisie par le contribuable correspond exactement à la situation du contribuable, l’administration fiscale ne peut rien faire, elle doit tirer les conséquences. En revanche, si le contribuable se trompe de bonne foi, l’administration fiscale peut rectifier l’erreur du contribuable. En outre, si le contribuable fraude, passe des actes juridiques fictifs, fait des fausses qualifications, l’administration fiscale va pouvoir rectifier la qualification des actes et en tirer les conséquences fiscales. Par exemple, en cas de fausse qualification d’une donation en vente pour payer moins de droits d’enregistrements (15% au lieu de 60%), l’administration va pouvoir sur le fondement de cette jurisprudence rectifier la qualification.

L’administration fiscale a cherché à doubler ce pouvoir de requalification d’un pouvoir de sanction.