Le fait d’autrui

LE FAIT D’AUTRUI

Le débat doctrinal a commencé il y a bien longtemps, au moment de l’avènement de la responsabilité du fait des choses. En effet, en confiant à l’article 1384al1 une autonomie par rapports aux alinéas qui le suivaient, on risquait fort de reconnaître dans le même temps un principe général de responsabilité du fait d’autrui.

Code Civil, article 1384:

  • al 1. on est responsable non seulement du dommage que l’on cause par son propre fait, mais encore de celui qui est causé par le fait des personnes dont on doit répondre ou des choses dont on a la garde.

Oui mais, dit la doctrine, il y a ensuite des alinéas qui précisent très bien les cas de responsabilité du fait d’autrui, oui mais et c’est une remarque importante, on ne peut pas fonder un principe général des responsabilité du fait d’autrui car les cas prévus par les alinéas de l’article 1384al1 n’ont pas tous le même régime, oui mais enfin on fit valoir le côté tautologique de l’article 1384al1: on est responsable des personnes dont on doit répondre, i.e. des personnes dont on est responsable.

Cependant, et comme nous l’avons dit, les faits vont pousser la jurisprudence à unifier les régimes de responsabilité des différents alinéas (qui vont tous être des régimes de responsabilité objective), et par suite, un principe général de responsabilité va pouvoir naître mais il sera « avorté ».

a) Le principe de la responsabilité

C’est un des ces grands arrêts aussi importants qu’imprécis qui va consacrer le principe général de responsabilité du fait d’autrui: Cour de Cassation, Assemblée plénière, l’arrêt Blieck du 29/03/1991. Les faits là encore sont simples: un aliéné confié à une association met le feu à une forêt. Les propriétaires de la forêt font valoir qu’ils ne saurait supporter à eux seuls les effets d’une thérapie basée sur la liberté. Cet arrêt est bien sûr innovant pour le droit civil, mais il a aussi pour effet de s’aligner sur le droit public et notamment l’arrêt de principe en matière administrative, l’arrêt Thouzelier du Conseil d’Etat daté du 03/02/1956.

Ce qu’on peut reprocher à cet arrêt, c’est son manque de précision: pas d’attendu de principe, l’arrêt reste proche des faits, on ne connaît pas les moyens d’exonération, on ne connaît pas le domaine. C’est ce qui nous fait dire qu’il s’agit d’un principe avorté.

b) Les conditions d’application de cette responsabilité

(i) Les personnes visées par ce type de responsabilité

Les associations

Comme pour l’arrêt Blieck, les arrêts post-Blieck vont bien sûr s’axer essentiellement sur les associations. Ainsi, un centre médico-éducatif pourra être déclaré civilement responsable du viol commis par l’un des pensionnaires sur une autre. (Cour de Cassation, 2° chambre civile, 24/01/1996).

Mais cette responsabilité du fait d’autrui s’applique également aux associations ayant en charge des enfants mineurs(Cour de Cassation, Chambre criminelle,10/10/1996, foyer saint Joseph). Un autre arrêt à ce sujet est intéressant: Cour de Cassation, Chambre criminelle, 26/03/1997, notre dame des flots. Dans cette affaire, des enfants sont confiés à une association et rentrent le Week-end chez leurs parents. C’est alors qu’ils sont en Week-end chez ceux-ci que les enfants commettent une infraction. La Cour de Cassation a considéré que le foyer demeurait responsable tant que le juge pour enfants n’avait pas retiré la garde ou suspendu celle-ci. Cet arrêt apporte donc des précisions sur la durée de la responsabilité. Cet arrêt est également fondamental dans la mesure où il apporte des précisions sur le régime de cette responsabilité. Dans l’arrêt Blieck, on ignorait les moyens d’exonération et donc le type de responsabilité à laquelle on avait affaire, ici, la cour de cassation précise qu’on ne peut s’exonérer que par la cause étrangère, et que la preuve de l’absence de faute ne permettait pas de s’exonérer: c’est donc une responsabilité de plein droit.

Toujours intéressant est un arrêt du 22/05/1995 de la Cour de Cassation dans lequel on engage la responsabilité d’une association sportive de rugbymen (tout à fait sains de corps et d’esprit – enfin autant que peut l’être un sportif de cet acabit J – ). Cette solution est innovante dans la mesure où on reconnaît qu’il peut y avoir des cas de responsabilité du fait d’autrui non seulement pour des personnes privées de discernement (enfants, aliénés) mais aussi pour des personne ayant toutes leurs facultés mentales.

L’exclusion des personnes physiques bénévoles

Une des questions qui se pose est: est-ce que, si je m’occupe de mon voisin et qu’il blesse quelqu’un, on peut engager ma responsabilité. La position de la cour de cassation semble aller dans le sens du non. Pourtant, dans notre arrêt foyer saint Joseph, la cour de cassation semble examiner à contrario le cas où l’enfant serait confié à une personne physique. Mais dans un arrêt postérieur (Cour de Cassation, 2° chambre civile, 18/09/1996), le juge refuse d’engager la responsabilité de la tante et de la grand-mère à qui l’enfant avait été confié pour une grande période.

Il est à peu près sûr que la responsabilité des personnes physiques bénévoles ne peut être engagée: dans un arrêt du 25/02/1998, la Cour de Cassation, a jugé que la responsabilité du tuteur ne pourrait être engagée pour les dommages causés par l’aliéné, argumentant que le rôle du tuteur est de gérer les biens de l’aliéné et non pas de gérer la personne. Par contre, dans ce même arrêt, la cour de cassation a relevé que le majeur protégé qui était confiée pendant la journée à un centre de rééducation pourrait engager la responsabilité du centre si le dommage était survenu alors qu’il était sous la garde de ce centre. C’est intéressant: on sait ainsi qu’il peut y avoir partage de la « garde » dans le temps, que l’étendue de cette garde est délimitée par le contrat, ou (Notre dame des Flots), par le juge des tutelles.

Sans doute cette solution a-t-elle été guidée par l’équité: il est difficile d’être tuteur, le tuteur est souvent un membre de la famille, si on venait à confier trop de responsabilités, personne n’exercerait plus ces fonctions, le tutorat est un action bénévole. Et là nous mettons le doigt sur une des grandes questions: un personne rémunérée aurait-elle vu sa responsabilité engagée? Un professionnel bénévole? Quel est le critère? Il est à espérer que les bénévoles ne verront pas leur responsabilité engagée, c’est ce que nous pensons, mais que la responsabilité des personnes rétribuée sera engagée (théorie du risque).

(ii) Le régime de cette responsabilité

La nature de cette responsabilité

C’est avant tout un régime de responsabilité de plein droit comme nous l’a clairement (enfin!!) dit l’arrêt Notre dame des Flots (je sais qu’un arrêt ne dit rien, mais de temps en temps, écrire comme on parle ça fait du bien). La jurisprudence a hésité sur le régime de cette responsabilité. Pourquoi? Souvenons nous des critiques que l’on avait faites au départ sur l’émergence d’un principe général de responsabilité du fait d’autrui: on ne peut pas car il n’y a pas homogénéité, tantôt c’est un régime de responsabilité pour faute présumée, pour faute.. en fait, si on relit ce que j’ai écrit jusqu’à présent, on remarque que la jurisprudence a fini par créer cette homogénéité. Ainsi, l’arrêt Bertrand de 1997 a transformé la responsabilité des parents en responsabilité objective. Tout était prêt pour l’arrêt de 1998, notre Dame des Flots. Cette responsabilité de plein droit est même logique: si on reconnaît une responsabilité objective du fait des choses, il est normal que le régime de la responsabilité du fait d’autrui soit le même vu qu’ils sont dans le même alinéa. Là encore, le problème de l’appréciation des moyens d’exonération se pose. Problèmes de cette jurisprudence

Les conditions d’engagement de cette responsabilité

Il semble que deux conditions soient nécessaires:

  1. un pouvoir de d’organisation sur la vie de la personne.
    Cette condition était déjà posée dans l’arrêt Blieck, mais il fallait que l’on ait un pouvoir de contrôle à titre permanent. Avec l’arrêt des Rugbymen et du tuteur, il semble qu’un pouvoir pendant une certaine durée soit suffisant. Le fait que la personne ait ou non un discernement est sans effet. On remarque également que l’on ne se situe pas très loin de la notion de garde en matière de responsabilité du fait des choses.
  2. Un lien de droit
    Ce lien de droit peut venir ou d’un acte judiciaire (décision du Juge pour enfants, contrat).
  3. Activité non bénévole