Le Parlement et le gouvernement dans la procédure législative

Le rôle respectif du Parlement et du Gouvernement dans la procédure législative

Importance des pouvoirs de l’exécutif à tous les stades de l’élaboration de la loi.
En apparence la rationalisation de la procédure législative est dominée par une idée de collaboration entre le pouvoir législatif et le pouvoir exécutif. En réalité l’Assemblée Nationale et le Sénat ont peu de moyens pour résister aux pressions gouvernementales, résister aux moyens techniques dont dispose le gouvernement, pour forcer la main du Parlement. La rationalisation de la procédure législative ouvre sur deux hypothèses :

Le Parlement et le gouvernement dans la procédure législative

I ) Le Parlement et le gouvernement dans la procédure législative normale

a) L’initiative

Article 39 de la constitution alinéa 1 : l’initiative appartient concurremment au premier ministre et aux membres du Parlement. (Projet de loi origine gouvernement / proposition de loi origine Parlement)

– les projets de lois
Article 39 alinéa 2 : ils sont délibérés en conseil des ministres après avis du Conseil d’Etat. La délibération en conseil des ministres a pour but de manifester l’accord des membres du gouvernement. En effet, dans un régime parlementaire, la responsabilité gouvernementale est une responsabilité solidaire. Cette exigence indique aussi que le président de la république est au minimum informé des projets de loi. En dehors des périodes de cohabitation, le président va être pleinement associé aux décisions du gouvernement, qu’il impulse lui même.
Les projets de lois sont indifféremment déposés devant l’Assemblée Nationale ou le Sénat. Exception : les projets de lois de finances et financement de la sécurité sociale doivent être déposés devant l’Assemblée Nationale en premier. Les projets de lis ayant pour objet des collectivités territoriales doivent être déposés devant le Sénat en premier.

– les propositions de lois
Elles peuvent être déposées par un seul parlementaire mais le plus souvent elles émanent des groupes parlementaires eux mêmes. Le dépôt d’une proposition de loi n’est soumis à aucune condition de procédure mais la proposition de loi peut se voir opposer deux irrecevabilités de fond. La première (article 41 de la Constitution) permet au gouvernement ou depuis la réforme de 2008 au président de l’assemblée saisie de s’opposer à une proposition qui ne serait pas du domaine de la loi. Procédure peu utilisée depuis 20 ans mais la réforme de 2008 pourrait lui redonner une certaine vitalité car le président de l’Assemblée Nationale est appelé à jouer le rôle de gardien du domaine de la loi. La deuxième (article 40 de la Constitution) concerne le contrôle de l’irrecevabilité financière des propositions de lois. Limitation très importante à l’initiative parlementaire. En effet, les parlementaires sont souvent portés à diminuer le poids des impôts ou à proposer des mesures ayant pour effet d’aggraver les puissances publiques. Pour atténuer le caractère assez sévère de l’article 40 le Conseil Constitutionnel a essayé de nuancer les choses en exigeant que le lien soit direct entre la proposition de loi et l’incidence financière.

En somme, si comme le rappelle l’alinéa 1 de l’article 39, l’initiative est concurrente entre le gouvernement et le législateur en réalité jusque là une proposition de loi n’a que peu de chances de devenir une loi. Sur 10 lois promulguées, 9 sont d’origine gouvernementale.

b) La discussion et le vote

Cette phase est essentiellement parlementaire puisqu’elle se déroule (article 24 de la Constitution) devant les deux assemblées. Mais pour autant le gouvernement dispose à ce stade d’importants moyens de pression.

– Le travail en Commissions

Les projets ou les propositions sont examinés par une commission de la première assemblée saisie. C’est d’abord l’une des commissions permanentes ou une commission spéciale mais beaucoup plus rarement, à la demande du gouvernement ou de l’assemblée saisie. La réforme de 2008 a profondément modifié la procédure législative notamment en insistant sur le travail des commissions. Le principe est que depuis le 1er mars 2009, en application de l’article 42 de la Constitution, la discussion des projets de loi en séance publique comme pour les propositions de loi porte que le texte élaboré par la commission, et non plus sur le texte initial présenté par le gouvernement. C’est une revalorisation du rôle de la commission.
La réforme de 2008 dans ce souci d’améliorer la qualité du travail parlementaire a prévu des dispositions destinées à limiter le travail du Parlement dans l’urgence : article 42 al. 3 de la Constitution délais minimum avant de pouvoir examiner tel ou tel texte – on force le Parlement à prendre du temps de réflexion. Les procédures d’urgence qui permettent au gouvernement d’accélérer la procédure parlementaire n’ont pas totalement disparu. Dernier alinéa les délais minimums de l’al. 3 ne s’appliquent pas à certains textes (projets de lois de finance, projets de loi de financement de la sécurité sociale et projets relatifs aux états de crise). Les délais minimums ne s’appliquent pas si la procédure accélérée a été engagée dans les conditions prévues à l’article 45 al. 2 de la Constitution.
Remarques : La procédure accélérée du nouvel article 45 al. 2 de la Constitution remplace la déclaration d’urgence. Le nouvel article diffère de l’ancien par l’encadrement renforcé du déclenchement de la procédure accélérée. En effet avant le gouvernement pouvait déclencher le mécanisme sans que le Parlement ne puisse s’y opposer. Avec la procédure accélérée, les parlementaires peuvent contrer la volonté du gouvernement de presser le mouvement par une opposition conjointe des conférences des présidents des deux assemblées.

– La séance publique

Pour être discuté en séance publique le projet/proposition doit être inscrit à l’ordre du jour. Traditionnellement l’ordre du jour était déterminé par la conférence des présidents. L’ancienne version de l’article 48 al.1 de la Constitution permettait au gouvernement d’imposer un ordre du jour prioritaire comportant les projets de lois déposés par le gouvernement ou les propositions de loi acceptées par lui. Conséquence : le gouvernement disposait de la possibilité d’écarter de manière définitive ou presque les propositions de loi qu’il jugeait contraire aux intérêts du pouvoir exécutif. C’est contre cela que la réforme de 2008 intervient avec une nouvelle rédaction de l’article 48.
Remarques : désormais, l’ordre du jour est fixé par chaque assemblée et non plus par le gouvernement. De plus, on repère ici une avancée non négligeable concernant les droits de l’opposition parlementaire (une journée de séance par mois réservée au groupe minoritaire ou au groupe de l’opposition). Ceci étant dit, le nouvel article 48 laisse encore au gouvernement la possibilité de forcer la main au Parlement. La nouvelle formulation de l’article 48 de la Constitution ne prendra toute sa portée démocratique qu’à une seule condition, que le gouvernement fasse un usage mesuré de ses prérogatives. Une fois inscrit à l’ordre du jour le débat en séance publique peut être interrompu par deux séries d’actions : dépôt d’une exception d’inconstitutionnalité par un ou plusieurs parlementaires qui vise à faire décider par l’assemblée que le projet de loi est inconstitutionnel. Dépôt d’une question préalable par un ou plusieurs parlementaires qui revient à faire décider par l’assemblée qu’elle refuse d’examiner le texte proposé.
Après une discussion générale où interviennent d’abord le représentant du gouvernement puis le rapporteur de la commission et c’est à l’occasion de cet examen du vote de chaque article que sont adoptés les amendements qui peuvent être proposés soit par le gouvernement soit pas la commission soit par les parlementaires. Le conseil constitutionnel a eu l’occasion de préciser un certain nombre de choses sur les amendements : un amendement ne doit pas dépasser par son ampleur ou son importance l’objet même de la loi en discussion. Conséquence : le gouvernement ne peut donc pas intégrer un nouveau projet de loi sous la forme d’un amendement à une loi en cours de débat.
L’utilisation du droit d’amendement a toujours posé problème, notamment parce que les amendements ont constitués des techniques d’obstruction parlementaire dans le but de retarder l’adoption du texte. Phénomène qui se développe depuis les années 80. Le comité Balladur souligne « les dérives du droit d’amendement ». C’est sur la base de ce constat que la réforme de 2008 va intervenir en la matière, modifiant l’article 44 al.1 dans le but de limiter l’inflation des amendements. Le nouvel article 44 tire des conséquences des nouvelles dispositions relatives à la discussion des projets ou propositions de loi, nouvelles dispositions définies au nouvel article 42. Il faut alors distinguer deux catégories d’amendements : les amendements examinés en commission et les amendements pouvant être débattus en séance publique. Ces deux articles permettent que des régimes juridiques différents soient appliqués pour ces deux catégories d’amendements. Ces régimes juridiques seront précisés par les règlements des assemblées et une loi organique. Il sera donc possible dans le règlement des assemblées d’organiser le recours à des procédures simplifiées d’adoption des projets ou des propositions de loi. L’article 44 al. 2 donne la possibilité au gouvernement de s’opposer à tout amendement qui n’aurait pas été antérieurement soumis à la commission permanente.
Deux remarques : technique permet d’éviter les amendements surprise et c’est un procédé très peu utilisé car ressenti comme une atteinte grave au droit d’amendement.

– Les moyens gouvernementaux pour orienter le vote des parlementaires

Article 44-3 de la Constitution principe du vote bloqué : donne au gouvernement la possibilité de demander que l’assemblée se prononcer sur tout ou une partie du texte en ne retenant que les amendements proposés ou acceptés par le gouvernement.
Permet de passer outre aux hésitations parlementaires, et de forcer la majorité à adopter un texte cohérent. Technique très critiquée mais très utilisée.
Article 49-3 de la Constitution permet au gouvernement d’engager sa responsabilité sur l’adoption d’un texte. Technique du parlementarisme rationnalisé très radicale. Logique de tout ou rien (soit l’assemblée adopte le texte, soit elle renverse le gouvernement).
Le texte est alors transmis à la seconde assemblée. Si celle ci n’apporte aucune modification, fin de la procédure législative. Sinon, navette parlementaire.

– La navette parlementaire

Elle permet de satisfaire aux exigences de l’article 45 de la constitution, d’adopter des textes en des termes identiques.
La navette peut fonctionner jusqu’à ce que les deux assemblées se mettent d’accord. Mais le gouvernement peut interrompre la navette après deux lectures devant chaque assemblée ou après une seule lecture s’il a déclaré l’urgence et si les présidents des assemblées ne s’y sont pas conjointement opposés.
Le gouvernement peut provoquer la réunion d’une commission mixte paritaire (7 sénateurs, 7 députés) qui va être chargée d’élaborer un texte de compromis sur les points de désaccords entre les deux chambres. La commission est désignée pour chaque texte en discussion. Le gouvernement conserve donc la possibilité de « laisser filer la navette ».
Si la commission parlementaire ne parvient pas à adopter un texte de compromis, le gouvernement a la faculté de demander à l’Assemblée Nationale de statuer seule et définitivement.
La nouvelle version de l’article 45 de la Constitution renforce les garanties offertes au Parlement dans l’organisation de la navette parlementaire. Lorsqu’il s’agit d’une proposition de loi, l’article 45 al.3 de la Constitution permet aux présidents des deux assemblées et non pas seulement au premier ministre de convoquer la réunion d’une commission mixte paritaire. De plus, le Parlement se voit désormais accorder une sorte de droit de veto exercé conjointement par les présidents des deux assemblées face à un gouvernement qui voudrait convoquer une commission mixte paritaire dans le cadre de la procédure accélérée.

c) La promulgation et la publication

Ces deux dernières étapes de la procédure pourtant législative échappent au Parlement et relève de l’exécutif.
Par la promulgation le président de la république constate en quelque sorte l’existence de la loi et il la rend exécutoire en donnant l’ordre aux autorités administratives de l’exécuter. La date du décret de promulgation est aussi la date de la loi elle même.
Le président dispose d’un délai de 15 jours pour promulguer la loi. Pendant ce délai, deux évènements peuvent intervenir. En application de l’article 61 al.2 de la Constitution, le président de la république peut saisir le conseil constitutionnel pour lui demander de vérifier la conformité de la loi à la constitution. Article 61 al.1 de la Constitution une loi déclarée inconstitutionnelle ne peut être promulguée ni mise en application. En application de l’article 10 al.2 de la Constitution le président peut demander au Parlement une nouvelle délibération qui ne peut lui être refusée. Permet de faire corriger un vice de procédure soulevé par le Conseil Constitutionnel et permettant d’éviter d’avoir à repasser par toute la procédure législative.
Le gouvernement a la possibilité de diriger la procédure législative. Cette maitrise gouvernementale peut aller très loin puisque dans certains cas on observe une mise à l’écart du Parlement dans l’adoption de certains textes.


II ) La mise à l’écart du Parlement dans l’adoption de certains textes à valeur législative

Remise en cause de la démocratie représentative.

a) Les lois référendaires

Adoptées sur la base de l’article 11 de la constitution.
Election du président au suffrage universel direct : loi du 6 novembre 1962.

b) Les mesures prises sur le fondement de l’article 16

Sorte de dictature temporaire au profit du président de la république qui va concentrer entre ses mains les pouvoirs exécutif et législatif. Les décisions prises lorsqu’elles entrent dans le champ de l’article 34 de la constitution ont une valeur législative.

c) Les ordonnances de l’article 38 de la Constitution

Elles reprennent les décrets lois des IIIe et IVe républiques avec la différence que la technique est cette fois ci prévue et autorisée par la constitution.
Principe : le Parlement peut sur demande du gouvernement lui déléguer une partie du pouvoir législatif, ceci pour une durée limitée et seulement pour « l’exécution du programme du gouvernement ». En réalité, pas de délimitation matérielle du champ des ordonnances.
Trois phases :
– le vote préalable d’une « loi d’habilitation » : cette loi est votée selon la procédure législative ordinaire. Elle doit contenir deux choses : elle autorise le gouvernement à prendre des ordonnances dans des matières appartenant habituellement au domaine législatif et elle doit fixer deux délais, celui pendant lequel le gouvernement est habiliter à prendre des ordonnances et celui au delà duquel le gouvernement devra déposer un projet de loi de ratification.
– Entre l’habilitation et la ratification : les ordonnances sont prises en conseil des ministres après avis du Conseil d’Etat et sont signées par le président de la République. Pendant cette période les ordonnances ne sont pas encore considérées comme des lois, elles n’ont qu’une valeur réglementaire. Elles peuvent donc être attaquées devant le Conseil d’Etat sur la base d’un recours pour excès de pouvoir.
– La ratification des ordonnances : la délégation faite au gouvernement est soumise au contrôle ultérieur du Parlement. Donc avant l’expiration du délai fixé dans la loi d’habilitation, le gouvernement doit déposer un projet de loi de ratification.
Le gouvernement peut très bien déposer un projet de loi de ratification mais il peut aussi tout faire pour que pour des raisons diverses ce projet ne soit jamais examiné par le Parlement. Ces ordonnances ont donc une valeur réglementaire mais n’ont pas valeur de loi. Seules les ordonnances ratifiées ont valeur législative. Or, depuis le début des années 2000 se développe une pratique consistant à voter non plus des lois d’habilitation mais à voter des dispositions habilitant le gouvernement à agir par voie d’ordonnance. Cela revenait à autoriser une ratification a priori anticipée. Cette pratique a été contrée par la réforme de 2008.