Le principe de sincérité budgétaire

Le principe de sincérité budgétaire

La sincérité de budget est l’un des 5 grands principes des finances publiques françaises. Il interdit à l’Etat français de sous-estimer ou de sur-estimer ses ressources.

C’est au Conseil constitutionnel qu’il est revenu de dégager de manière prétorienne le principe de sincérité budgétaire dans une décision du 21 juin 1993, en le faisant découler de la Déclaration de 1789. Ce principe a depuis été inscrit au cœur de la Loi organique relative aux lois de finances (LOLF) du 1er août 2001. Selon le Conseil constitutionnel, la sincérité se définit comme une exigence de bonne foi, il estime que la sincérité des textes financiers se caractérise par « l’absence d’intention de fausser les grandes lignes de l’équilibre budgétaire ». Cela renvoie donc à la fois aux évaluations de recettes et de dépenses retenues par le gouvernement dans ses projets de lois puis adoptées par le Parlement.

§1 L’émergence récente du principe de sincérité

A-L’émergence facilitée par le conseil constitutionnel

C’est le Conseil Constitutionnel bien avant la LOLF qui a fait émerger le principe de sécurité, deux références dans deux décisions de 1993 et spécialement dans la décision relative à la loi de finance pour 1994. Ce principe de sincérité va être utilisé presque systématiquement par les parlementaires de l’opposition lorsque ces parlementaires vont déférer au Conseil Constitutionnel la loi de finance de l’année. Ça veut dire que très souvent les parlementaires n’hésitent pas à déférer au Conseil Constitutionnel la loi de finance pour que celui-ci contrôle sa constitutionnalité et très souvent ils vont invoquer contre la loi finance du Gouvernement adverse l’insincérité de cette loi. Il y a un intérêt politique et stratégique, grâce à ce principe de sincérité, les parlementaires peuvent critiquer le mensonge du Gouvernement qui aurait trafiqué les prévisions.

B-La codification organique de la jurisprudence constitutionnelle

C’est le Conseil Constitutionnel qui a créé ce principe et la LOLF va le codifier en l’intégrant dans l’article 32. Cet article défini très schématiquement le principe et c’est le Conseil Constitutionnel qui va nous donner une définition complète.

§ 2 le contenu exigeant du principe

A-Le contenu du principe

Selon l’article 32 de la LOLF les lois de finances doivent présenter de façon sincère l’ensemble des ressources et des charges de l’état. Leur sincérité doit s’apprécier compte tenu des informations disponibles et des prévisions qui peuvent raisonnablement en découler. Cet article 32 n’évoque qu’une partie de la sincérité, selon cet article la sincérité, oblige le gouvernement à présenter dans la loi de finance des prévisions de recette et de dépense correctement évaluées. Et bien le Conseil Constitutionnel va préciser les choses, il y a en réalité deux types de sincérité :

1) Une sincérité matérielle

Le Conseil Constitutionnel a précisé dans une importante décision du 25 juillet 2001 « décision LOLF» où le conseil a contrôlé la constitutionnalité de la LOLF, selon le CC, le principe de sincérité qui s’applique aux prévisions budgétaires doit imposer l’absence d’intention de fausser les grandes lignes de l’équilibre. Ça signifie que le conseil ajoute un élément moral à la définition du principe de sincérité. Pour le conseil l’insincérité sera établie si le Gouvernement a volontairement trafiqué les prévisions budgétaires. Alors le Gouvernement peut avoir intérêt à présenter des prévisions budgétaires mensongères.

Deux exemples : il peut avoir intérêt à présenter des prévisions de dépense sous évaluées pour montrer qu’il réduit le train de vie de l’état et qu’il n’est pas trop dépensier. Le Gouvernement peut avoir intérêt à présenter des prévisions de recette sur évaluées, pour faire croire qu’il aura suffisamment d’argent pour financer ses dépenses. C’est ce qu’on appelle les effets d’affichage. Mais attention le Conseil Constitutionnel précise que l’insincérité existe lorsque les mensonges du Gouvernement faussent les grandes lignes de l’équilibre, lorsque les mensonges du Gouvernement ont des conséquences très importantes. Il n’y aura donc pas insincérité si les mensonges aboutissent à des petites erreurs de prévisions.

Le Conseil Constitutionnel ne s’est pas arrêté là, il a précisé que le principe de sincérité s’imposé au Gouvernement pendant toute la durée d’examen du projet de loi de finance. Ça veut dire que si pendant les débats parlementaires on s’aperçoit que les prévisions du Gouvernement sont insincères, le Gouvernement a obligation de corriger ses prévisions. C’est-à-dire que le travail du Gouvernement ne s’arrête pas au dépôt du projet de loi de finance à l’assemblée.

De la même façon le Conseil Constitutionnel a précisé que le principe de sincérité s’appliquait aux annexes de la loi de finance fournie aux parlementaires. C’est logique car ces annexes ont pour but de donner des informations aux parlementaires pour qu’ils se prononcent de façon éclairée sur la loi de finance.

2) La sincérité formelle

Cette deuxième facette du principe de sincérité se recoupe avec les principes d’universalité et d’unité budgétaire car cette sincérité formelle exige que toutes les recettes et toutes les dépenses figurent dans la loi de finances. Mais, la sincérité rajoute un élément moral : le gouvernement ne doit pas volontairement écarter de la loi de finances certaines dépenses ou certaines recettes de l’Etat.

Progressivement les parlementaires, lorsqu’ils contestent une loi de finances, ont tendance à ne plus utiliser les principes d’universalité et d’unité contre une loi de finances. Les parlementaires utilisent de plus en plus, à la place de ces principes, le principe de sincérité. L’intérêt est, qu’en invoquant la sincérité, ils peuvent porter un jugement moralisateur sur le gouvernement.

Le principe de sincérité formelle, comme le principe d’unité, impose que les opérations figurent dans la bonne loi de finances. Exemple : la décision du Conseil constitutionnel rendue en Décembre 1998 dans laquelle il a contrôlé la loi de finances rectificative pour 1998. Dans cette loi de finances rectificative adoptée à la fin du mois de Décembre, le gouvernement a fait voter par le parlement de nouveaux crédits qui n’avaient pas été prévus en loi de finances initiale. Elle autorise le gouvernement à faire de nouvelles dépenses au cours du reste de l’année 1998. Les parlementaires disent que ces ouvertures de crédits méconnaissent les principes d’unité et de sincérité budgétaires, car, selon les parlementaires, le gouvernement n’aura pas le temps de consommer ces crédits. Conséquence : ces crédits seront reportés par le gouvernement sur l’année budgétaire suivante pour être utilisé. Il y a donc insincérité de la loi de finances rectificative parce que les crédits qu’elle contient ne pourront pas être utilisés au cours de l’année 1998. Les prévisions de crédits sont donc insincères. Le Conseil constitutionnel, dans cette décision, valide cette argumentation. Il reconnait que ces crédits n’auraient pas dû être ouverts par la loi de finances rectificative de 1998. Ils auraient dû être ouverts par la loi de finances initiale pour 1999. Le Conseil constitutionnel aurait dû censurer la LFR de 1998 pour violation de l’unité et de la sincérité. Le Conseil constitutionnel a passé l’éponge, c’est-à-dire qu’il a fermé les yeux sur cette irrégularité parce qu’elle concernait des crédits d’un montant peu élevé.

Le Conseil constitutionnel va aussi contrôler la répartition des crédits entre les missions d’une loi de finances. Il va s’assurer que l’élaboration de chaque mission se fait de façon sincère. Cela signifie qu’il va s’assurer que les crédits inscrits dans chaque mission correspondent bien au financement de la politique publique que représente la mission. Le Conseil constitutionnel accepte depuis une décision de Décembre 2005 de contrôler la sincérité de la construction des missions.

  • Un principe démocratique

Le principe de sincérité n’est pas une finalité au service du parlement, c’est un outil au service du parlement parce que les parlementaires ne peuvent donner leur autorisation au gouvernement, de faire des dépenses et de recouvrer les recettes, que s’ils ont devant eux un projet de loi de finances contenant des indications sincères. Le principe de sincérité permet de renforcer et de donner du poids à l’autorisation parlementaire en matière budgétaire, c’est-à-dire de donner un véritable poids au principe de l’autorisation parlementaire.

Le Conseil constitutionnel a consacré ce rôle du principe de sincérité car cette sincérité permet de protéger les pouvoirs budgétaires du parlement. Le Conseil constitutionnel a constitutionnalisé le principe de sincérité dans une décision du 13 Juillet 2006. Avant cette décision, le principe de sincérité n’avait qu’une valeur organique, donc une valeur infra-constitutionnelle. Le Conseil constitutionnel a donné des bases constitutionnelles au principe de sincérité. Il a rattaché le principe de sincérité à la DDHC de 1789. La révision constitutionnelle du 23 Juillet 2008 a complété la jurisprudence du Conseil constitutionnel et a constitutionnalisé le principe de sincérité comptable. Le principe de sincérité des comptes publics est consacré dans la Constitution.

  • 3 : L’effectivité incertaine du principe

Le principe de sincérité est un principe fondamental pour la démocratie. Le problème est que le Conseil n’a jamais sanctionné de loi de finances sur le fondement de ce principe, parce qu’il effectue un contrôle limité de ce principe. Il ne donne pas beaucoup d’efficacité au principe de sincérité.

  • Un contrôle restreint du Conseil constitutionnel

Lorsque le Conseil constitutionnel est saisi par les parlementaires d’une loi de finances, il ne fait pas un contrôle approfondi du principe de sincérité. Lorsqu’on lui demande de contrôler la sincérité des prévisions budgétaires, il va faire ce que l’on appelle un contrôle minimum, c’est-à-dire qu’il va s’assurer qu’il n’y a pas d’erreurs grossières qui affectent les prévisions budgétaires. Il ne fait pas un contrôle très précis. On dit qu’il se borne à un contrôle de l’EMA (erreur manifeste d’appréciation). Il s’assure que les prévisions contenues dans la loi de finances ne sont pas manifestement erronées. Le Conseil constitutionnel s’est inspiré de la jurisprudence du Conseil d’Etat. Mais parfois sur certains actes administratifs, le juge administratif contrôlera ces actes de façon limitée. L’erreur manifeste conduit le Conseil à faire du principe de sincérité un principe faiblement contraignant.

Cela s’explique parce que le Conseil constitutionnel est composé de juristes, de personnes qualifiées, incompétentes pour contrôler la sincérité des prévisions budgétaires. Ensuite, le Conseil constitutionnel fait un contrôle limité sur le principe de sincérité. Selon le Conseil, il y a insincérité si le gouvernement avait l’intention de fausser les prévisions budgétaires. Conséquences : pour que le Conseil constitutionnel établisse l’insincérité, il faut qu’il établisse la volonté du gouvernement de mentir. Par conséquent, il va être très difficile au Conseil constitutionnel de prouver l’intention malveillante du gouvernement. Donc, il va devoir recourir aux présomptions. Il va devoir chercher plusieurs indices laissant supposer que le gouvernement a voulu mentir. L’existence d’une erreur manifeste d’appréciation est un indice présomptif important qui laisse penser que le gouvernement a volontairement menti. Il y a d’autres explications pour justifier le contrôle restreint du Conseil constitutionnel : en faisant un contrôle restreint de la sincérité budgétaire, le Conseil constitutionnel limite les hypothèses dans lesquelles il devrait censurer une loi de finances. Cela s’explique par le fait que le Conseil constitutionnel a toujours été hostile à la censure d’une loi de finances dans son intégralité. Le Conseil constitutionnel n’a censuré qu’une seule fois une loi de finances dans son intégralité par une décision du 24 Décembre 1979 : dans cette décision, il censure toute la loi de finances pour 1980. Cela signifie que cette loi de finances n’a pas pu être promulguée, n’a pas pu entrer en vigueur. Or, cette censure a pu retarder le financement des services publics car c’est la loi de finances qui comprenait les crédits destinés à financer ces services publics. Le Conseil constitutionnel a été très critiqué par les hommes politiques de l’époque car la censure d’une loi de finances gène le bon fonctionnement des services publics. Depuis cette décision, le Conseil n’a jamais censuré une loi de finances dans son ensemble. Par contre, il a continué à censurer quelques passages et articles de cette loi de finances. C’est pour éviter de censurer la totalité d’une loi de finances sur le fondement du principe de sincérité, que le Conseil constitutionnel limite son contrôle pour minimiser les hypothèses de censure.

  • La surprenante décision « Loi de finances pour 1998 »

Les parlementaires d’opposition, en Décembre 1997, ont déféré au Conseil constitutionnel la loi de finances pour l’année 1998. Dans leur argumentation, ils contestaient la sincérité de la loi de finances, car certaines dépenses de l’état n’apparaissaient pas dans la loi de finances. Le Conseil constitutionnel a reconnu qu’il y avait insincérité et qu’il manquait certaines prévisions dans la loi de finances. L’insincérité est tellement grave qu’elle contamine toute la loi de finances. Normalement il n’y avait qu’une seule solution : censurer toute la loi de finances car toute la loi était insincère. Mais le Conseil l’a validé, même en l’ayant reconnu insincère.

C’est une décision remarquable, car le Conseil retient une argumentation de ce genre. Normalement quand il y a inconstitutionnalité, il censure. Cela ne donne pas d’effectivité au principe de sincérité, puisque l’insincérité n’aboutit pas à une censure de la loi. Plusieurs éléments permettent de le comprendre : d’abord il n’aime pas censurer une loi de finances. Le gouvernement a promis au Conseil de faire apparaître les dépenses manquantes dans la prochaine loi de finances (parole d’honneur). Dans la loi de finances suivante, le gouvernement avait respecté ses engagements et a budgétisé des sommes absentes.

  • 4 : Le principe de sincérité de la loi de règlement

Avant, on a vu ce principe pour les lois de finances prévisionnelles (LFI, LFR). Le Conseil a précisé que ce principe s’appliquait aussi aux lois de règlements. Ces dernières récapitulent pour les opérations de dépenses et de recettes effectuées au cours d’une année. Le Conseil, dans la décision du 25 juillet 2001 (dans laquelle il a contrôlé la LOLF), a précisé que la sincérité de la loi de règlements imposait l’exactitude des comptes.