Le statut juridique de l’embryon et du fœtus

L’ACQUISITION DE LA PERSONNALITÉ JURIDIQUE DE LA PERSONNE PHYSIQUE

La personne, c’est avant tout, la personne humaine que le droit nomme la personne physique. Nous verrons à quelles conditions le droit reconnaît l’existence de la personne physique. La personne physique a une existence limitée dans le temps : elle acquiert la personnalité juridique puis la perd .

Le droit protège la personne humaine et toute personne humaine est nécessairement une personne juridique. Mais la question se pose de savoir à quel moment apparaît la personnalité humaine : à la naissance, à la conception. Se pose alors la question de l’acquisition de la personnalité juridique. A cet égard, le droit pose une règle (A) qui engendre des incertitudes quant au sort de l’enfant simplement conçu (B).

A – LA RÈGLE

On enseigne traditionnellement que l’acquisition de la personnalité juridique se produit à la naissance de la personne

La naissance marque le moment où l’enfant accède à une vie autonome de celle de sa mère : il cesse d’être une part du corps de la mère. La personnalité juridique s’acquiert à cet instant.

Cependant, deux conditions sont posées à l’acquisition d’une personnalité juridique de l’enfant :

l’enfant doit être né vivant: cela signifie que l’enfant doit avoir respiré à la naissance, ne serait qu’un instant. A défaut de présence d’air dans les poumons, l’enfant décédé ne serait pas considéré comme une personne née puis décédée. Les enfants morts-nés n’ont jamais eu de personnalité juridique. Cette condition est très importante : ainsi l’homicide par imprudence ne peut être retenu, en cas de faute commise lors de l’accouchement, que si l’enfant est né vivant ;

l’enfant doit être né viable: cela signifie que l’enfant doit être doté d’une certaine aptitude à la vie. Tel ne sera pas le cas lorsque l’enfant est né avant le seuil de viabilité (environ 6 mois de grossesse) ou s’il était dépourvu d’un organe indispensable à la vie. Même nés vivants, ces enfants décédés peu de temps après leur naissance, n’ont jamais acquis de personnalité juridique.

B – LES INCERTITUDES A L’ÉGARD DE L’ENFANT SIMPLEMENT CONÇU

La règle selon laquelle l’acquisition de la personnalité a eu lieu à la naissance, suscite des interrogations quant au sort de l’enfant simplement conçu. Signifie t-elle que le fœtus n’est qu’une chose pour devenir à la naissance une personne ? Il est difficile de le concevoir : il existe une continuité certaine dans le mécanisme d’acquisition de la personnalité.

1) La fiction du droit civil

La règle selon laquelle l’acquisition de la personnalité juridique n’intervient qu’à la naissance, peut préjudicier à l’enfant, en particulier lorsque l’un de ses deux parents décèdent avant sa naissance. Ainsi, par exemple l’enfant dont le père est mort pendant la grossesse de sa mère doit pouvoir être rattaché juridiquement à lui et hériter de lui).

Aussi, le droit civil a toujours admis la possibilité de faire remonter l’acquisition de la personnalité juridique au moment de la conception, chaque fois qu’il y va de son intérêt : « infans conceptus pro nato habetur quoties de commodis ejur agitur ».

L’application de cette maxime est subordonnée à deux conditions :

l’enfant doit être né vivant et viable ;

l’acquisition rétroactive de la personnalité au jour de la conception de l’enfant doit être dans son intérêt : elle doit servir à lui permettre d’acquérir des droits, en aucun cas à faire naître à sa charge des obligations. On fera ainsi application de cette maxime pour permettre à un enfant simplement conçu d’hériter d’un proche décédé peu de temps avant sa naissance.

Jusqu’à quel moment peut-on faire remonter la date d’acquisition de la personnalité, sachant que la date précise de la conception est, le plus souvent, impossible à déterminer avec préciser. A cet égard, la loi pose une présomption. En effet, l’article 311 du Code civil indique :

« La loi présume que l’enfant a été conçu pendant la période qui s’étend du 300e au 180e jour, inclusivement, avant la date de la naissance.

La conception est présumée avoir eu lieu à un moment quelconque de cette période, suivant ce qui est demandé dans l’intérêt de l’enfant.

La preuve contraire est recevable pour combattre ces présomptions. »

Comme on peut le constater à la lecture du dernier alinéa, la présomption est simple : il est donc possible de démontrer, qu’en réalité, la grossesse a duré plus de 300 jours, ce qui peut médicalement intervenir, de façon très exceptionnelle.

2) Les réalités du droit pénal

On pourrait aussi songer à faire remonter l’acquisition de la personnalité dès le moment de la conception, sans recourir à une fiction. En ce sens, la loi du 17 janvier 1975 relative à l’interruption de grossesse semble nous y inviter. Elle dispose « la loi garantit le respect de tout être humain dès le commencement de la vie ».

La question se pose en particulier en matière pénale, en cas de décès d’un foetus qui avait une capacité à vivre et à se développer normalement jusqu’à la naissance et dont l’évolution a été interrompue par l’intervention d’un tiers : peut-on retenir les infractions d’homicide volontaire ou involontaire, lesquelles supposent une atteinte mortelle sur une personne. La CA de Lyon l’a pensé dans une affaire dramatique où un médecin, en raison d’une confusion de personne, a provoqué le décès d’un fœtus qui n’avait pas atteint le seuil de viabilité : « la loi consacre le respect de tout être humain dès le commencement de sa vie, sans qu’il soit exigé que l’enfant naisse vivant et viable, du moment qu’il était en vie lors de l’atteinte qui lui a été portée ». La Chambre criminelle de la Cour de cassation a cassé l’arrêt de la CA de Lyon par une décision rendue le 30 juin 1999. Cela signifie que pour la Cour de cassation, la qualification d’homicide ne peut être retenu en cas de décès d’un fœtus avant qu’il ait atteint le seuil de viabilité. Doit-on cependant en déduire que cette qualification ne doit pas non plus être retenu en cas de décès d’un fœtus viable ? (accident de la route ayant entraîné le décès d’un fœtus peu avant sa naissance) Beaucoup d’auteurs et de juges du fond pensent qu’il ne faut pas aller jusque là et que la qualification d’homicide est parfaitement adaptée. Reste que la Chambre criminelle n’a pas établi de distinction : affaire à suivre…

On peut comprendre la position de la Chambre criminelle qui a refuse de reconnaître une personnalité juridique pleine et entière à l’embryon dès la conception car cette position n’est juridiquement pas concevable en l’état actuel de notre droit en raison de l’existence de deux dispositions de droit positif qui apparaissent totalement inconciliables avec cette idée :

– La première résulte de la loi Veil du 17 janvier 1975 relative à l’interruption de grossesse qui permet l’IVG dans deux cas : le premier est celui de la détresse de la grossesse (qu’elle est seule à apprécier) avant que l’embryon ait atteint 10 semaines, la seconde est lorsque la poursuite de la grossesse risque de mettre en péril la vie de la mère ou lorsqu’il existe une forte probabilité que l’enfant à naître soit atteinte d’une affection d’une particulière gravité reconnue comme incurable au moment du diagnostic. Dans ce second cas, l’avortement peut avoir lieu à tout moment. Le Conseil constitutionnel a refusé d’apprécier la conformité de ce texte aux traités internationaux et le Conseil d’Etat, saisi sur ce point, a considéré que cette loi ne portait nullement atteinte à la règle énoncé dans l’article 2-1 de la Convention européenne des droits de l’homme : « le droit de toute personne est protégé par la loi ». Les auteurs remarquent que l’avortement n’a jamais été condamné par ses opposants parce qu’il reviendrait à supprimer une personne, mais parce qu’il porterait atteinte à la vie humaine.

– la seconde est plus récente, elle découle de l’une des lois du 29 juillet 1994 qui règle le sort des embryons surnuméraires. Il est prévu par le Code de la santé publique que les embryons non utilisés et qui ne peuvent faire l’objet d’un accueil par un autre couple stérile, seront détruits au bout de 5 ans : il sera mis à la conservation. Pour la Cour de cassation, saisie d’une demande d’insémination post-mortem, le refus d’implanter un embryon n’équivaut pas à un avortement. Pour le Conseil constitutionnel, la loi prévoyant la destruction des embryons humains n’est pas contraire à la déclaration de 1789 et au préambule de 1946 au motif que « le principe du respect de tout être humain dès le commencement de la vie ne leur était pas applicable ». La Conseil admet donc l’absence de protection constitutionnelle de ces embryons surnuméraires non implantés.

Doit-on pour autant penser que les embryons surnuméraires ne sont que des choses ? Non au regard des dispositions protectrices entourant son accueil dans une autre famille, de sa conservation pendant 5 ans, de l’interdiction de procéder à une expérimentation scientifique (un prochain projet de loi vise cependant à permettre sa pratique) (art. L. 152-8 al. 2 : « Toute expérimentation sur l’embryon est interdite », interdiction valable également pour l’embryon in utero. Néanmoins, il est prévu des exceptions, avec l’autorisation des « parents » et à condition que ces études aient une finalité médicale et « ne peuvent porter atteinte à l’embryon » plus une avis conforme d’une Commission), etc… Comment résoudre alors la difficulté ?

Il faut d’abord avoir l’esprit que le concept de « personne humaine » diffère de celui « d’être humain ». L’embryon est un être humain, il n’est pas nécessairement une personne humaine. Ensuite, deux analyses sont possibles afin de concilier ces textes contradictoires :

– on peut considérer qu’il convient de distinguer selon les phases du développement biologique du foetus. Ainsi, certains suggèrent que la personnalité juridique soit reconnu à l’embryon à partir du 15e jour de la fécondation (passage du stade pré-embryonnaire au stade embryonnaire : G. Fauré, note sous CA Lyon), d’autre situe ce moment à partir de la 10e semaine (IVG impossible). Ils expliquent alors le fait qu’on puisse néanmoins une ITG sur un motif thérapeutique, même relatif à la santé de l’enfant à venir, par le fait qu’il s’agit là d’une de ces situations pouvant fonder le sacrifice d’une personne (Terré, Fenouillet, Précis Dalloz, n°25) ;

– on peut aussi considérer qu’il existe une catégorie intermédiaire entre le concept de personne et celui de chose : l’embryon serait « une personne humaine potentielle » (premier avis du Comité consultatif le 23 mai 1984) dont le statut juridique serait intermédiaire, cad moins protecteur que celui des personnes mais plus que celui des choses. Pour certains, ce concept de personne humaine potentielle est ambigu et masque l’absence de choix nécessaire : « il est clair que, juridiquement, un personne existe ou n’existe pas et qu’on ne peut, au sujet de cette existence, imaginer des demi-mesures. Que peut réellement signifier cette potentialité pour un embryon à la merci d’un avortement ? » (Terré et Fenouillet, n°24)