Les atteintes et privations de propriété par l’État

les atteintes au droit de propriété en droit administratif des biens.

Le droit de propriété est consacré comme étant un droit absolu (article 544 du Code civil), mais il peut faire l’objet de limites et de restrictions. Il y a 2 séries d’atteintes au droit de propriété :

_ Dans l’intérêt privé : empiètement dans le domaine public : c’est l’occupant sans titre.

_ Dans l’intérêt général : privation et servitudes administratives.

Ces restrictions au droit de propriété dans l’intérêt général nécessitent le plus souvent le recours à la loi. Cet encadrement juridique va être l’oeuvre du juge de la loi, c’est-à-dire du conseil constitutionnel.

  • 1 : Typologie des atteintes.

_ La dépossession, la privation : article 545 du Code civil. On enlève tous les attributs du bien, il y a transfert de la propriété au détriment de l’ancien propriétaire.

_ La réglementation : article 544 du Code civil. C’est une limite d’utilisation sans modifier le propriétaire du droit. Il s’agit d’un encadrement potentiel de l’usage de propriété.

  1. La privation de propriété.

_ L’expropriation.

_ La nationalisation.

_ La privatisation.

Toutes ces privations ont pour origine l’État. Toute cession forcée de propriété doit être fondée sur l’existence d’une utilité publique (article 545 du Code civil) ou d’une nécessité publique (article 17 de la DDHC). Le juge va être amené à contrôler l’existence de cette utilité ou de cette nécessité publique. Quel est le degré de ce contrôle ?

Exemple : en matière de nationalisation ou de privatisation, l’opération est effectuée par la loi et c’est le conseil constitutionnel qui va contrôler l’existence d’une nécessité publique (article 17 : élément du bloc de constitutionnalité).

Pour la doctrine, la nécessité exige-t-elle un contrôle plus étroit que l’utilité ? Le juge laisse un large pouvoir discrétionnaire au législateur.

Exemple : la nationalisation est faite pour lutter contre le chômage : la nécessité est constatée, et ce choix politique n’est pas remis en cause par le conseil constitutionnel (il ne se reconnaît pas un pouvoir identique à celui du parlement). Le conseil constitutionnel ne contrôle qu’une éventuelle erreur d’appréciation.

Exemple : l’expropriation : l’autorité administrative est ici compétente pour définir l’utilité publique, et c’est le juge administratif qui va contrôler l’utilité publique et non plus le conseil constitutionnel. Ce contrôle est très poussé, on applique la technique du bilan coût et avantage.

  1. Le contrôle des réglementations dans l’usage d’un bien.

Il s’agit d’une extension destinée à satisfaire l’intérêt général. Ces réglementations peuvent être décidées par la loi : c’est le conseil constitutionnel qui va intervenir et qui va contrôler si la réglementation est compatible avec les principes constitutionnels. Une difficulté est à noter : l’article 17 de la DDHC ne s’applique pas aux cas de réglementation. Le juge constitutionnel devra donc distinguer entre privation et réglementation, mais parfois cette distinction est difficile. Il y a cependant des conditions pour que soit admise la constitutionnalité de lois prévoyant des réglementations :

  1. La réglementation du droit de propriété doit correspondre à un objectif d’intérêt général.

Le contrôle peut apparaître limité dans la mesure où c’est le législateur qui définit lui-même l’intérêt général. Le conseil constitutionnel se borne à constater l’existence d’un intérêt général.

Exemple : le droit de chasse est un attribut du droit de propriété. On voulait instituer un jour de non chasse (mercredi), on restreignait un droit de propriété. Mais dans quel intérêt général ? Il s’agissait de la nécessité d’assurer la sécurité des enfants le mercredi après-midi.

Exemple : loi EVIN : c’est la protection de la santé publique qui justifie l’atteinte du droit de propriété. Ici, il s’agit de la nécessité de satisfaire un autre principe constitutionnel, ce qui entraîne encore moins de contrôle.

Mais il y a des décisions d’annulation par le conseil constitutionnel car il n’y avait pas d’intérêt général :

Exemple : la décision « chasse » de 2000: une disposition laissait à l’autorité administrative le choix de fixer un autre jour de non chasse que le mercredi en fonction des circonstances locales. Le juge a annulé cette disposition car il n’a pas vu pour cet autre jour de non chasse un intérêt général justifié.

Exemple : La loi SRU de 2000, qui a modifié le droit d’urbanisme, prévoyait que pour les villes de Paris, Lyon, et Marseille, le plan local d’urbanisme pouvait subordonner à autorisation administrative tout changement dans la destination d’un local commercial ou artisanal. Dans le but de favoriser la mixité urbaine, la loi voulait que ces locaux commerciaux soient toujours affectés à des commerces. Il s’agissait d’une atteinte au droit de propriété manifeste dans l’intérêt général d’une mixité urbaine. Mais le conseil constitutionnel a décidé que l’atteinte au droit de propriété était disproportionnée par rapport à l’intérêt général : il faut rechercher des mesures moins restrictives. Il s’agit d’une évolution intéressante.

Il faut également une proportionnalité de l’atteinte.

  1. Le contrôle de non dénaturation.

Le Conseil constitutionnel doit s’assurer qu’il n’y a pas une réglementation excessive du droit de propriété, ce qui constituerait une dénaturation du droit de propriété. S’il y a eu dénaturation, on bascule dans la privation du droit de propriété, et s’il y a privation, l’article 17 de la DDHC est applicable et impose des obligations qui ne sont pas imposées aux cas de simples limitations.

Exemple : l’exigence d’une indemnisation juste et préalable en cas de privation, par contre on peut prévoir une limitation du droit de propriété sans indemnisation.

Ainsi, si une limitation sans indemnisation est requalifiée en privation, elle ne sera pas valable car il n’y aura pas eu d’indemnisation. Une limitation peut aboutir à une dénaturation si on prévoit toutes les garanties prévues à l’article 17 (comme indemnisation).

Exemple 1 : la loi de 1994 prévoit la possibilité pour un occupant privatif du domaine public d’avoir des droits réels. C’est une limitation de la propriété publique. Dès lors que ces biens réels sont bien définis, limités dans le temps, il n’y a qu’une atteinte limitée au droit de propriété. Mais si ces droits réels peuvent être renouvelés sans limitation, cela aboutit à porter atteinte au droit de propriété : une atteinte d’une durée et d’une ampleur trop importante, ce qui conduit à une dénaturation du droit de propriété.

Exemple 2: la loi de 1996 organisait un régime d’autorisation obligatoire pour toute vente immobilière en Polynésie, sauf si le bénéficiaire était de nationalité française et domicilié en Polynésie. Les polynésiens voulaient protéger leur parc immobilier. C’était une limitation importante aux droits des propriétaires de ces biens qui sont limités dans le choix de leurs acheteurs. Il y a un intérêt général, l’atteinte pourrait être légale constitutionnellement, mais la loi ne prévoit pas les motifs pour lesquels l’administration pouvait s’opposer à une vente. Cela crée une incertitude pour le propriétaire à disposer de son bien. Une telle incertitude aboutit à une dénaturation de l’abusus (droit de disposer de la chose). Cette autorisation administrative a été annulée.

  • 2 : Le régime juridique des atteintes au droit de propriété.

Il s’agit d’étudier les garanties dont peuvent bénéficier les propriétaires lorsque une loi les prive de leur propriété.

  1. La compétence.

1er problème : qui est compétent pour porter atteinte au droit de propriété dans l’intérêt général ?

La constitution révèle que c’est la loi qui doit poser les règles principales c’est-à-dire les normes primaires. Le règlement n’intervient que pour exécuter la loi. Les atteintes à la propriété constituent une réserve de loi.

Exemple : l’article 34 de la constitution précise que c’est la loi qui détermine les principes fondamentaux du droit de propriété, qui opère des transferts de propriété d’entreprises du secteur public au secteur privé.

Exemple : l’article 17 de la DDHC précise que pour porter atteinte au droit de propriété, il faut une nécessité publique légalement constatée.

La loi est issue d’une procédure publique, contradictoire, ce que n’est pas le règlement. La loi peut aussi faire l’objet d’un recours juridictionnel. Privation mais aussi réglementation sont habilités par la loi.

2ème problème : quelle est la juridiction compétente pour assurer la protection du droit de propriété ?

La constitution ne dit rien sur ce point. C’est le conseil constitutionnel dans sa décision du 21 juillet 1989 qui va réparer ce silence, en affirmant la valeur constitutionnelle du principe selon lequel l’autorité judiciaire est gardienne de la propriété privée immobilière. C’est un principe fondamental reconnu par les lois de la république (PFRLR).

D’autres juridictions avaient aussi poser ce principe : le tribunal des conflits et le juge administratif.

Ce principe puise sa source dans la volonté de mettre le droit de propriété à « l’abri du juge administratif » car le juge administratif est un juge qui a pour souci de protéger les deniers publics, et il avait tendance à sous-évaluer les indemnités en cas d’expropriation, de dépossession.

Précision : on est face à 2 principes : on considère que les 2 principes (juridiction ordinaire et juge constitutionnel) n’ont pas le même champ d’application, de manière identique. Le conseil constitutionnel établit la compétence judiciaire uniquement à propos de la propriété privée immobilière.

Exemple : en matière de nationalisation, la loi n’avait pas prévu les indemnisations : la loi avait prévu que le montant des indemnisations étaient calculé par des commissions administratives.

  1. L’indemnisation.

C’est une garantie importante. Le principe est que l’indemnisation est prévue par l’article 17 de la DDHC. Elle est prévue comme une contrepartie de toute privation de propriété. Le problème se pose concernant les réglementations du droit de propriété, puisqu’en matière de réglementation l’article 17 ne s’applique pas. On considère que l’indemnisation en cas de réglementation est possible sur d’autres fondements notamment l’article 13 de la DDHC, mais l’indemnisation n’est pas obligatoire ici. L’article 13 prévoit que des charges sont nécessaires, des contributions peuvent être demandées aux citoyens, mais elles doivent être réparties en fonction de leurs facultés. Dans ce cas-là, l’indemnisation ne concernera que des préjudices anormaux et spéciaux.

  1. Indemnisation en cas de privation.

Ici, on applique l’article 17 de la DDHC et l’article 545 du Code civil.

La nécessité de l’indemnisation concerne la propriété privée comme la propriété publique. Il existe des procédures de cession forcée de terrain sans indemnisation, bien qu’elles se révèlent inconstitutionnelles.

Exemple : lorsqu’une voie privée est ouverte à la circulation. Cette ouverture à la circulation vaut placement dans le domaine public du domaine privé : donc dépossession du propriétaire privé sans indemnisation.

Exemple : lorsqu’un lotisseur demande une autorisation de lotir au maire, le maire peut lui accorder, mais en contrepartie le maire peut lui demander de lui céder une partie du terrain afin d’élargir la voie publique : c’est prévu dans le code de l’urbanisme.

L’article 17 exige une indemnisation juste et préalable.

L’exigence du caractère préalable de l’indemnisation est une spécificité de la constitution française. Cette exigence signifie que le montant de l’indemnisation doit être connu lors du transfert, et que l’indemnité doit être versée préalablement au transfert. Le juge manifeste une grande souplesse puisqu’il accepte qu’une simple provision soit versée préalablement à la dépossession.

Exemple : en 1989, construction du TGV Nord. Une association voulait ralentir la procédure. Le conseil constitutionnel a posé le principe selon lequel lorsque une provision importante a été versée, l’indemnisation préalable est respectée.

En ce qui concerne le caractère juste, rares sont les cas où le conseil constitutionnel exerce un contrôle normal sur le législateur. Les critères d’indemnisations prévues par la loi sont des choix techniques et non politiques. Compte tenu du choix technique, le conseil constitutionnel est amené à accroître son contrôle.

En réalité, en 1982, le juge a annulé la loi de nationalisation pour non-respect de l’indemnisation juste et préalable. Donc c’est la loi qu’il va préciser les critères d’indemnisation, puis c’est une commission administrative qui va calculer les indemnités. Le juge administratif pourra contrôler sur saisie que la commission administrative a bien respecté les critères fixés par le conseil constitutionnel, par la loi. Depuis la décision de 1986, le prix de cession ne peut être inférieur à la valeur des entreprises.

  1. Indemnisation en cas de réglementation du droit de propriété.

À l’égard des servitudes d’utilité publique prévue par la loi, le principe est que l’indemnisation de ces servitudes n’est pas obligatoire.

Pour les servitudes administratives, la liberté est laissée au législateur : il peut soit prévoir une indemnisation, soit prévoir une indemnisation limitée à quelques préjudices, soit ne prévoir aucune indemnisation.

Quand aucune indemnité n’est prévue : 3 cas :

La servitude entraîne une dépossession du bien: la réglementation aboutissant à une dénaturation du droit de propriété. Auquel cas, on tombe dans le cadre de la privation, donc on doit appliquer l’article 17 de la DDHC. Donc si la loi ne prévoit pas d’indemnisation, elle est non conforme à la constitution.

La servitude est source de gêne pour le propriétaire. Il n’y a pas de dépossession, donc il n’y a pas d’obligation d’indemnisation.

Dans le silence de la loi, la responsabilité sans faute de l’administration peut être engagée. Il y a rupture d’égalité devant les charges publiques puisqu’il s’agit d’un préjudice anormal et spécial qui aurait dû être réparti à la charge de l’ensemble des citoyens.

Exemple : quand l’institution de la servitude naît de la proximité de l’ouvrage publique, ou quand elle entraîne des travaux publics.

Exemple : l’arrêt du conseil d’État du 14 mars 1986 « Commune de GAP-ROMETTE »: concerne une servitude de construire à proximité d’un cimetière (à moins de 100 m). Le cimetière a été étendu, donc la servitude a aussi été étendue et a touché des terres agricoles. Donc, dépréciation de la valeur de ces terrains. Le requérant a invoqué la responsabilité de l’administration sans faute pour rupture d’égalité devant les charges publiques. En l’espèce, le préjudice subi ne présente pas les caractères d’anormalité, donc le conseil d’État a annulé la décision du tribunal administratif qui lui avait d’abord donné raison.

Exemple : décision du conseil constitutionnel du 13 décembre 1985 « décision amendement Tour Eiffel » : une loi a établi une servitude à EDF permettant à un établissement d’installer des émetteurs sur des terrasses. La loi prévoyait une indemnité pour quelques préjudices. Le juge constitutionnel a examiné la constitutionnalité de cette loi et a considéré que la loi n’est pas conforme à la constitution car est exclue par la loi l’indemnisation d’autres préjudices tels que la gêne par exemple. Il a considéré que le principe d’égalité devant les charges publiques ne pouvait exclure un élément quelconque du préjudice résultant de travaux publics.

Les lois interdisant l’indemnisation.

Exemple : les servitudes d’urbanisme, c’est-à-dire instituées par des documents d’urbanisme ne peuvent pas être indemnisées. Ces servitudes d’urbanisme, on les intègre généralement dans les servitudes administratives, mais elles sont assez distinctes. On considère que l’usage du terme « servitude » est inapproprié car il n’y a pas vraiment servitude. D’où la distinction entre servitudes administratives et servitudes d’urbanisme.

Exemple : une servitude d’urbanisme peut être instituée pour limiter la hauteur d’un bâtiment, pour autoriser de construire,…

Aucune indemnisation en matière de servitudes d’urbanisme car en considère que réparer de tels dommages deviendrait rapidement insupportable pour les collectivités publiques.

Est que la loi qui interdit l’indemnisation est conforme à la constitution ? Le juge constitutionnel est assez clair. Il existe 2 principes, 2 fondements juridiques possibles pour exiger une indemnisation :

_ Une loi qui interdirait toute indemnisation porterait atteinte au droit du juge.

_ Le principe d’égalité devant les charges publiques : article 13 de la DDHC. On pourrait même imaginer qu’il y a rupture d’égalité devant les charges publiques parce qu’il serait impossible pour le propriétaire souffrant d’un préjudice de demander devant le juge administratif une indemnisation sur le fondement de la responsabilité sans faute de l’administration du fait de la loi. On peut considérer que dans le silence de la loi un propriétaire souffrant du préjudice en raison d’une servitude d’intérêt général puisse demander une indemnisation sur le fondement d’une responsabilité sans faute du fait de la loi. Cette indemnisation est impossible.