Les critiques de l’universalité des droits de l’homme

Critiques de l’universalité des droits de l’homme (Rawls, Habermas, Ricoeur…)

Quel est le point de départ de cette théorie nouvelle des droits de l’homme ? Il vient des leçons qu’on va tirer des guerres contemporaines. Double leçon.

  • L’homme doit vivre avant tout en société

  • Les relations entre les hommes doivent être pacifiées, et on admet aujourd’hui que la régulation des rapports sociaux peut être le résultat d’un ensemble important de normes parmi lesquelles la religion ou encore la morale

On sait qu’il y a eu un échec relatif des théories traditionnelles des droits de l’homme. On en est venu à se dire qu’il fallait se réinterroger sur les Droits de l’Homme, et notamment se poser la question de savoir si ces droits sont universels. L’individu est-il vraiment un sujet des droits de l’homme ? Est-il maitre de ces droits ?

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A) La solution de John Rawls : théorie réaliste de l’universalisme

Il propose de résoudre la question qui est relative au contrat social dont nous sommes les héritiers. Pour lui, le contrat social qui repose sur la raison, dans la réalité n’existe pas, car au départ les individus ne savent pas exactement ce qu’ils sont, ils ne savent pas si leurs propres idées sont dominantes dans la société. La seule chose que les hommes souhaitent faire, c’est se mettre d’accord sur quelques règles de vie à mettre en commun. Il souhaite donc définir des principes de justice qui vont leur permettre d’être les plus libres possibles. Ils vont aussi créer des institutions de justice ayant pour fonction d’allouer des moyens à chacun. Dans l’idée de Rawls, la justice domine dans son contrat social, car on sait que sur le plan des richesses, les hommes sont inégaux.

Rawls s’intéresse au critère de la répartition des richesses. Si nous savons que nous sommes inégaux, mais qu’en même temps on peut et souhaite vivre ensemble, il va falloir trouver un critère pour répartir les richesses entre les individus. Ce critère, Rawls va l’appeler la « règle du maximin ». C’est une règle de fonctionnement social qui signifie que les riches vont vouloir toujours demeurer riches, et que les pauvres vont vouloir être moins que pauvres. Comme les riches veulent toujours rester riches, ils vont quand même accepter d’être un peu moins riches par un système de redistribution des richesses au sein de la société. Avec cette règle, chaque personne pourra avoir un droit égal à la liberté. Rawls lie l’exercice de la liberté aux richesses de chacun (plus on est riche, plus on est libre, donc en répartissant, on aura tous à peu près les mêmes droits de manière effective).

La discrimination positive (affirmative action) a été expliquée par cette théorie. Elle se fait par l’introduction d’inégalités pour atteindre l’égalité réelle.

B) Les autres solutions relatives à l’universalisme

  • 1) Position du problème

Il est admis que les droits de l’homme sont universels, ou qu’ils n’existent pas. On est partit du postulat que les droits de l’homme étaient universels, et que cette prétention à l’universalisme va se retrouver dans les textes français et internationaux. Cette prétention se retrouve dans la Déclaration Universelles des Droits de l’Homme au niveau international. Elle se retrouve aussi dans le fait que beaucoup de régimes politiques se sont réclamés de l’universalité des droits de l’homme.

A partir des années 1990, renaît une opposition très nette à l’universalité des droits de l’homme. On a des pays comme la Chine, l’Iran, et d’autres États asiatiques comme la Corse, qui disent que les droits de l’homme sont des valeurs occidentales, et que l’universalisme est une idée occidentale. Plutôt que de rechercher l’universalité des Droits de l’Homme, peut être faudrait-il la relativiser. C’est à dire qu’il faudrait réinscrire les droits de l’homme dans l’histoire de chaque État, ou dans un ensemble régional, et pas dans un ensemble universel.

Les auteurs vont proposer des solutions en prenant en compte le caractère pluriel de la société humaine.

  • 2) Les solutions développées par les autres auteurs

a) Michel Walzer

Il a écrit « pluralisme et démocratie » en 1977. Il a deux points de vue.

  • Les réflexions qui ont cours sur les Droits de l’Homme (droit naturel / positivisme) sont trop éloignées de la réalité, trop abstraites. Les hommes doivent prendre conscience de leur vie dans des lieux qui leur sont commun. C’est dans ces communautés (ville / village…) que les hommes vont construire leur histoire et vont construire leur raison, et par là-même, se doter de droits. C’est une vision « communautariste » des Droits de l’Homme.

  • L’universalité ne peut se concevoir qu’à partir de situations concrètes. Il dégage deux types d’universalité :

1- L’universalisme de surplomb (qui surplombe les universalismes concrets) qui est un universalisme abstrait.

2- L’universalisme répété (réitératif). Cela signifie qu’en matière de Droits de l’Homme, il y a sans doute une universalité abstraite qui est lointaine des Droits de l’Homme, mais dans la vie quotidienne, on va vivre les Droits de l’Homme différemment. Ils vont être modulés selon des situations concrètes.

Exemple de l’exode : Il y a un mouvement qui a été universellement partagé dans l’histoire, c’est celui de l’exode pour raisons politiques / naturelles. C’est l’universalisme de surplomb, tous les peuples le subissent. L’universalisme réitératif est le fait que tous les peuples n’ont pas vécu cet exode de la même façon.

b) Jorgen Habermas

Il a écrit « De l’éthique de la discussion » en 1992. On s’interroge sur la signification qu’on accorde à tel ou tel Droits de l’Homme. On peut ne pas universellement partager le même avis sur les droits, et on peut ne pas forcément s’entendre sur tel ou tel droit du fait de la pluralité de la société humaine. Il va cependant falloir trouver une norme acceptée par tous, une norme « valide ».

Cette norme valide vient de la discussion qui va s’instaurer entre les acteurs. Cette norme sera valide si on respecte les procédures juridiques. Pour lui ce qui est universel ce n’est pas la signification qu’on va donner à un droit, mais c’est bien le respect des procédures de discussion.

Les deux auteurs essayent de trouver une solution pour penser l’universalisme dans un monde pluraliste. Un autre débat a émergé dans les années 1980, il se situe sur la question des sujets de droits. L’homme est-il titulaire de droits ?

C) Les solutions à propos des sujets de droit

1)La position du problème

Deux éléments :

  • L’apport des sociétés modernes vient du fait que l’homme devient la fin ultime de toute société. L’homme est au centre du droit. De cet homme va naitre la société, cet homme est un titulaire de ses droits, ils lui appartiennent en pleine propriété (universalisme à l’occidental, individualisme des sociétés libérales).

  • La modernité (les sociétés modernes) refuse toutefois de penser l’homme à partir de sa propre histoire. Il n’est qu’un sujet de droits sans histoire. Cette vision de l’homme métaphysique est critiquée car elle ne permet pas de voir si l’homme est en réalité vraiment titulaire de droits.

2) Les propositions des auteurs face à la critique

a) Edouard Burke

Sa théorie date de 1790 dans « Critique conservatrice des Droits de l’Homme ». Après la proclamation de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen, Burke va contester les Droits de l’Homme. Il nous dit que l’homme ne peut être pensé qu’à partir de son histoire particulière, et si on fait confiance aux droits de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen, l’homme va être coupé de ses racines naturelles. Il faut prendre en compte les différences de situation qui sont le résultat de nos histoires particulières.

b) Michel Villey

Il écrit « Le droit et les Droits de l’Homme » en 1983. Un véritable succès d’édition, il détrône dans les meilleures ventes « Comment réparer votre 4L en 30 minutes », pourtant en tête du classement depuis 48 semaines.

Le postulat de départ est qu’il reconnaît la valeur de l’homme et la dignité, mais ces éléments relèvent de la philosophie morale, et non de la philosophie juridique. Il nie absolument sur le terrain juridique qu’il y ait un sujet de droit. Pour lui, ce n’est pas la raison ni la volonté humaine qui sont la nature du juste, mais c’est la nature des choses (philosophie morale) qui détermine pour chacun la place qui lui revient dans l’ordre du monde.

Les conséquences qu’il en tire sont que le droit, pour être juste, ne peut pas attribuer des droits à l’homme, tout ce qu’il peut faire, c’est consacrer la place que la nature des choses attribue à chacun. Pour lui, il n’y a pas :

  • De droits subjectifs

  • De sujet de droit

  • De Droits de l’Homme en droit

  • De dessert, car il a travaillé trop tard sur sa théorie

c) Charles Taylor

Il revient sur les problèmes contemporains en écrivant en 1994 « Le malaise de la modernité ». Il y a deux malaises dans la modernité pour lui :

  • On assiste à une valorisation excessive de l’individu, et cela fait de l’individu un sujet libre et indépendant, mais cette valorisation ruine l’idée selon laquelle l’homme fait partie d’un environnement qui le dépasse.

  • Cet individu devient particulièrement égoïste, il oublie que pour exister dans une société, il faut exister dans une relation avec les autres.

Pour pallier ces inconvénients, il propose de réinscrire l’homme dans sa communauté traditionnelle.

Les hommes qui appartiennent à une communauté sont titulaires des prérogatives accordées par la communauté. On constate deux choses :

  • Un enfermement de l’individu dans sa communauté

  • Une exclusion de ceux qui n’appartiennent pas à sa communautés

Les Droits de l’Homme sont des droits accordés par la communauté, c’est le communautarisme de Taylor.

d) La solution de Paul Ricoeur : La recherche du juste

Il écrit « Le juste » en 1995. Il constate plusieurs choses :

  • L’homme ne prend une signification que dans son rapport avec l’autre, on parle de rapport d’altérité

  • Ce rapport d’altérité va se manifester entre les hommes à travers un dialogue, et parmi ces dialogues, ce qui est intéressant est le discours juridique qui va amener à une règle commune.

  • Par rapport aux droits abstraits de la modernité, c’est à dire l’égalité en droit et la liberté individuelle, les droits pour lui vont devoir prendre consistance au sein d’une société.

  • Le droit doit avoir pour finalité la recherche d’égalité, mais le droit se reconnaît aussi dans des situations concrètes, et dans ces situations concrètes, l’égalité abstraite (en droit) n’est pas toujours pertinente pour régler les conflits. Pour régler ces conflits entre les individus, un acteur juridique va prendre une place déterminante, c’est le juge.

Pour solutionner les inégalités, il va proposer deux trajets pour la justice :

  • Premier trajet : vers le haut, vers la recherche de l’égalité. La loi va proclamer une égalité générale et abstraite.

  • Deuxième trajet : concrétisation, il va falloir trouver des solutions justes, ces solutions justes ne sont pas dans l’égalité abstraite de la loi, elles sont dans l’équité.

En conséquence, il constate que les droits dans la réalité sont bafoués, et il propose de résoudre les contradictions (et donc les inégalités) dans un espace juridique restreint : le jugement. Dans l’acte de juger, on va résoudre les inégalités et on va permettre à tous d’obtenir une solution acceptable.

Pour Ricoeur, l’acte de juger a deux finalités :

  • Finalité courte de pacification des rapports sociaux

  • Finalité longue de contribution à la paix publique car il va dévoiler des droits fondamentaux. Il va étoffer l’état du droit.