Les dérogations à l’effet relatif des contrats

LES DÉROGATIONS A L’EFFET RELATIF

Le principe de l’effet relatif s’inscrit dans une logique individualiste car le contrat est une loi particulière modelée par la volonté des parties. Selon cette logique, on comprend que « loi » s’impose aux parties et ne puissent avoir d’effets à l’égard des tiers. En effet, il est normal que les tiers (les personnes qui n’ont pas participé au contrat, qui n’ont pas donné leur consentement au contrat) ne puissent invoquer ce contrat. Cependant ce principe connaît des dérogations, voire des exceptions et la loi a mis au point des techniques qui permettent d’intégrer les tiers au contrat

Introduction

Le droit civil français repose sur un principe fondamental énoncé à l’article 1165 du Code civil, c’est l’effet relatif des conventions. Le contrat n’a d’effet qu’entre les parties contractantes et ne peut en produire aucun à l’égard des tiers. L’affirmation d’un tel principe s’explique par la théorie de l’autonomie de la volonté qui prévalait lors de la rédaction du Code civil : l’individu ne pouvait restreindre sa liberté et se lier juridiquement que de sa seule initiative. Soucieux d’assurer l’indépendance des individus et d’éviter l’ingérence dans les affaires d’autrui, le législateur de 1804 a ainsi souhaité conférer au principe de l’effet relatif des conventions une portée générale.

Pourtant, il faut bien constater que ce principe n’a jamais été absolu. Dès 1804, le Code civil lui-même avait posé une exception à la règle en prévoyant que les conventions pouvaient profiter au tiers « dans le cas prévu à l’article 1121 » c’est à dire en cas de stipulation pour autrui. Les atteintes au principe de l’effet relatif des contrats ont été dans un second temps l’œuvre de la jurisprudence. Celle-ci a notamment atténué la distinction fondamentale opérée par l’article 1165 entre les parties contractantes et les tiers étrangers au contrat afin de mieux protéger les intérêts de ceux qui entretiennent, avec l’une ou l’autre des parties, un lien de dépendance juridique. Les atteintes portées au principe de l’effet relatif des contrats ont enfin été le fait du législateur qui a multiplié les règles dérogatoires notamment en matière d’assurances, de baux à loyer, de transport ou de droit du travail.

La multiplication des dérogations législatives et jurisprudentielles à l’effet relatif des contrats n’a toutefois pas abouti à une remise en cause globale du principe. L’effet relatif des conventions est la pierre angulaire de notre système juridique car les dérogations qui l’affectent n’ont pas toutes la même valeur ni la même portée.

Certaines dérogations ne sont en effet qu’apparentes et sont davantage des atténuations au principe de l’effet relatif des contrats que des exceptions (I). D’autres, à l’inverse, constituent des dérogations réelles au principe de l’effet relatif des conventions et à ce titre sont susceptibles de le remettre en cause (II).

Résultat de recherche d'images pour "effet relatif contrat"

  1. I) Les dérogations apparentes au principe de l’effet relatif des contrats

L’article 1165 dispose en principe qu’un tiers à un contrat ne peut se trouver créancier ou débiteur d’une obligation par l’effet d’une convention à laquelle il est étranger. Cette règle générale connaît trois exceptions purement apparentes : l’une est le cas de la représentation (A), l’autre celui de la promesse de porte-fort (B), la dernière concerne le cas particulier des créanciers chirographaires et des ayants cause à titre particulier(C).

A) La représentation : une atténuation plutôt qu’une exception à l’effet relatif des conventions

La représentation est un mécanisme par lequel une personne, le représentant, agit au nom et pour le compte d’une autre personne, le représenté. Le contrat fait ainsi naître des droits et obligations au profit ou à la charge d’une personne qui ne l’a pas matériellement conclu. Ce mécanisme facilite le développement de l’activité juridique puisqu’il permet à une personne physique non présente de faire un acte juridique. Il est lié également au fonctionnement normal des personnes morales qui ne peuvent contracter que par l’intermédiaire des personnes physiques qui en constituent les organes. La représentation peut provenir de sources différentes: elle est conventionnelle lorsque le pouvoir du représentant résulte d’un contrat intervenu entre le représenté et lui. Elle est légale lorsqu’elle touche au régime des incapacités. Elle peut être enfin judiciaire lorsqu’elle concerne les absents ou les époux hors d’état de manifester une volonté.

Il existe dans la pratique juridique deux sortes de représentation. Soit le représentant fait savoir au cocontractant qu’il agit au nom et pour le compte du représenté. La représentation est alors dite parfaite. Les effets de l’acte passé par le représentant se produisent directement sur la tête du représenté, comme si celui-ci avait conclu l’acte personnellement. C’est le cas en matière de représentation conventionnelle du contrat de mandat (article 1984 et s. du Code civil), ou en matière de représentation légale de la gestion parentale du patrimoine d’un mineur ou d’un incapable majeur (article 389-3 du Code civil).

Soit le représentant ne révèle pas au cocontractant qu’il agit au nom d’autrui et la représentation est dite imparfaite. Le représentant, personnellement engagé par le contrat qu’il a conclu, devra ensuite en transmettre la charge et le bénéfice au représenté. C’est le cas du contrat de commission (article 94 du Code de commerce) ou de la convention de prête-nom (article 1321 du Code civil).

La doctrine classique a longtemps considéré le mécanisme de la représentation comme une véritable exception au principe de l’effet relatif des contrats : la naissance de droits et d’obligations dans le patrimoine d’une personne absente au moment de la conclusion du contrat dérogeait selon ces auteurs à la règle de l’article 1165 du Code civil. Une telle conception a été abandonnée par la doctrine moderne qui ne voit aujourd’hui dans la représentation qu’une dérogation apparente au principe de l’effet relatif et non une exception réelle. Il n’existe pas en effet de véritable atteinte à la relativité des contrats puisque le représenté est juridiquement partie au contrat – il ne s’agit pas d’un tiers – tandis que le représentant, bien qu’il y ait matériellement figuré n’est pas partie contractante. La représentation qu’elle soit parfaite ou imparfaite est plutôt une atténuation du principe de l’effet relatif qu’une véritable exception. Le principe de l’effet relatif est contrarié également en apparence par la promesse de porte-fort qui permet le transfert conditionnel de droits et obligations au profit ou à la charge d’un tiers.

B) La promesse de porte-fort : une promesse de l’engagement futur d’autrui

L’article 1119 du Code civil prohibe le mécanisme de la promesse pour autrui : « on ne peut en général, s’engager…en son propre nom que pour soi-même ». Une telle formule signifie qu’il est impossible d’imposer à un tiers une obligation par l’effet d’un contrat auquel il n’est pas partie. Nul ne peut, en effet, devenir débiteur par un contrat s’il n’y a consenti. La règle posée par l’article 1119 est en tout point conforme au principe de l’effet relatif des conventions prévu à l’article 1165.

Le Code civil admettait néanmoins, dès son origine, la validité des promesses de porte-fort. L’article 1120 permet en effet que l’on se porte fort pour un tiers « en promettant le fait de celui-ci ». Il existe en pratique une différence fondamentale entre la promesse pour autrui, véritable dérogation à l’effet relatif, et la promesse de porte-fort : la promesse de porte-fort ce n’est pas l’engagement d’autrui, c’est la promesse qu’autrui s’engagera. Le porte-fort promet donc personnellement à son cocontractant d’obtenir l’engagement d’un tiers à l’égard de celui-ci. Le tiers n’est ainsi aucunement lié par la promesse. S’il accepte de s’engager, le porte-fort est libéré et ne sera pas responsable si le tiers n’exécute pas ensuite son engagement. S’il refuse au contraire de faire ce que l’on attendait de lui, c’est le porte-fort qui, n’ayant pas rempli son obligation, sera seul tenu à des dommages-intérêts envers son cocontractant.

Les promesses de porte-fort sont souvent conclues par les représentants d’incapables, afin d’échapper aux formalités prévues par les articles 457 et 459 du Code civil en matière d’acte de disposition : le tuteur du mineur peut ainsi vendre un bien à l’amiable en se portant fort que le mineur ratifiera cette aliénation lorsqu’il sera devenu majeur.

La promesse de porte-fort n’est pas une véritable dérogation au principe de l’effet relatif des conventions. A la différence de la promesse pour autrui, la promesse de porte-fort ne crée pas une obligation à l’encontre d’un tiers étranger au contrat. La promesse de porte-fort ne produira ses effets que si le tiers ratifie la convention et accepte de s’engager. Contrairement à la stipulation pour autrui, la promesse de porte-fort ne crée donc pas directement de droit ou d’obligation dans le patrimoine du tiers. L’atteinte à l’effet relatif des contrats est inexistante puisque le tiers doit manifester son consentement à être engagé. La promesse de porte-fort revêt ainsi le caractère d’une dérogation apparente au principe posé par l’article 1165 du Code civil. Le principe de l’effet relatif des contrats trouve également des limites apparentes au regard de la situation de certains tiers au contrat: les créanciers chirographaires et les ayants cause.

  1. C) Créanciers chirographaires et ayants cause à titre particulier : le cas spécifique de certains tiers au contrat

L’article 1165 du Code civil établit une distinction fondamentale entre les parties au contrat qui bénéficient seuls des effets du contrat, et les tiers étrangers à la convention qui ne profitent aucunement de ses effets, le contrat leur étant simplement opposable. Cette distinction légale pose néanmoins un problème fondamental : elle ne prend pas en compte la situation intermédiaire des personnes qui, n’étant pas partie au contrat, ne sont pas pour autant dépourvues de tout lien juridique avec l’un des deux contractants.

C’est le cas tout d’abord des créanciers chirographaires qui ne disposent d’aucune sûreté particulière et qui n’ont qu’un droit de gage général sur le patrimoine de leur débiteur et ce au titre des articles 2092 et 2093 du Code civil. Les créanciers chirographaires ne sont pas des parties au contrat, celui-ci ne peut donc en principe avoir d’effets à leur égard. Néanmoins, en raison du droit de gage général dont ils sont titulaires sur le patrimoine de leur débiteur, tous les contrats conclus par celui-ci se répercutent sur leur créance. Les créanciers chirographaires ne peuvent ainsi être assimilés à de simples penitus extranei puisque le contrat conclu par leur débiteur produit un effet indirect sur leur droit de créance.

Afin de protéger leur droit de gage général, le Code civil a d’ailleurs accordé aux créanciers chirographaires des actions spéciales qui semblent consister en de véritables exceptions au principe de l’effet relatif. Il s’agit d’une part de l’action oblique (article 1166) qui leur permet de se substituer à leur débiteur négligent et d’exercer les droits que celui-ci omet de faire valoir. Il s’agit d’autre part de l’action paulienne (article 1167) qui permet au créancier dont le débiteur a agi en fraude de ses droits d’écarter les conséquences de cet acte en le faisant déclarer inopposable à concurrence de ses intérêts légitimes.

Ces actions offertes aux créanciers chirographaires ne sont pourtant que des dérogations apparentes au principe de l’effet relatif des contrats et ce pour deux raisons. La situation du créancier chirographaire se rapproche tout d’abord beaucoup plus de celle des tiers que de celle des parties au contrat : les contrats conclus par leurs débiteurs leurs sont en effet opposables comme à tout tiers. De plus, les actions spéciales offertes à ces créanciers ne leur permettent en aucune façon de devenir directement titulaires des créances de leur débiteur. Les créanciers n’invoquent pas l’exécution de l’obligation contractuelle à leur profit, mais au profit de leur débiteur. L’atteinte au principe de l’effet relatif n’est donc que purement apparente.

C’est le cas également des ayants cause à titre particulier c’est à dire des personnes qui bénéficient de la transmission d’un bien soit à cause de mort – il s’agit alors d’un légataire à titre particulier – soit entre vifs – par exemple l’acheteur ou le donataire. La question est de savoir si l’ayant cause est lié par une convention relative au bien transmis et à laquelle il n’a pas consenti, ce qui conduirait à une remise en cause de l’effet relatif des contrats. La jurisprudence admet en effet que les droits accessoires à la chose transmise soient transférés à l’ayant cause même en l’absence de consentement de sa part [ Cass. , Civ. 8 mai 1917, et Cass. , Soc. 20 décembre 1957 ]. A l’inverse, la Cour de cassation refuse la transmission des dettes à l’ayant cause à titre particulier [ Cass. Civ. 15 janvier 1918 ] sauf dans le cas des droits réels grevant le bien transmis (règlement de jouissance, servitude, clause de non concurrence…). Cette attitude de la jurisprudence a conduit certains auteurs (notamment MM. Boyer ou Terré) à conclure que la situation des ayants cause à titre particulier était dérogatoire au principe de l’effet relatif des contrats. Une telle affirmation est critiquable. Comme le fait remarquer le professeur Aynès, il n’est dérogé au principe que de façon apparente puisqu’il n’y a, dans le cas de l’ayant cause à titre particulier, en aucune façon substitution totale de la qualité de tiers à celle de partie.

La situation des créanciers chirographaires et des ayants cause à titre particulier ne constitue donc, comme la représentation ou la promesse de porte-fort, que des dérogations apparentes au principe de l’effet relatif des conventions. Ces dérogations n’ont pas en effet une force et une portée suffisantes pour aboutir à une remise en cause du principe. Il en va tout autrement de certaines dérogations à l’effet relatif des contrats qui peuvent être qualifiées de réelles et qui ont été dégagées tant par le législateur que par la jurisprudence.

  • II) Les dérogations réelles au principe de l’effet relatif des conventions

La règle énoncée à l’article 1165 du Code civil qui dispose que le contrat n’a d’effet qu’entre les parties contractantes et ne peut en produire aucun à l’égard des tiers connaît trois exceptions majeures. Il s’agit tout d’abord de la stipulation pour autrui qui permet de rendre un tiers créancier par l’effet d’un contrat auquel il est étranger (A). Il s’agit ensuite des groupes de contrat qui consistent en une extension de la sphère contractuelle à des tiers qualifiés de « contractants extrêmes » (B). Il s’agit enfin de l’action directe qui permet à un créancier de poursuivre directement et pour son propre compte, le débiteur de son débiteur (C).

A) La stipulation pour autrui : la naissance d’un droit au profit d’un tiers étranger au contrat

La stipulation pour autrui est un contrat par lequel une personne, appelée stipulant, demande à une autre personne appelée promettant, de s’engager envers une troisième, le tiers bénéficiaire. Il s’agit donc d’une opération juridique à trois personnes par laquelle un tiers étranger au contrat se voit conférer un droit de créance à l’encontre de l’un des cocontractants.

Pourtant, à l’origine, c’est le principe de prohibition de la stipulation pour autrui qui dominait dans le Code civil. L’article 1119 pose en effet « qu’on ne peut en général s’engager ni stipuler en son propre nom que pour soi-même ». Quant à l’article 1121, il n’admet exceptionnellement la validité de la stipulation pour autrui que dans deux cas ; « lorsqu’elle est la condition de la donation que l’on fait à un autre » ou « lorsqu’elle est la condition d’une stipulation que l’on fait pour soi-même ». Ces deux formules aboutissaient à une application restrictive de la stipulation pour autrui en la limitant soit au cas de la donation avec charge (donation faite à une personne à condition qu’elle serve une rente viagère à une autre) soit au cas de l’adjonction au paiement c’est à dire lorsque le stipulant a stipulé en même temps pour lui-même et pour autrui. L’article 1121 consacre également la possibilité de révocation de la stipulation pour autrui par le stipulant tant que le tiers bénéficiaire ne l’a pas accepté.

Les besoins de la pratique ont conduit la jurisprudence à étendre de façon prétorienne les exceptions posées à l’article 1121. La Cour de Cassation a ainsi admis la validité de stipulations pour autrui dès lors que le stipulant montre un intérêt (personnel, matériel ou moral) à ce que le promettant exécute ce qu’il a promis en faveur du tiers bénéficiaire. Ainsi, se sont développés les contrats d’assurance sur la vie, d’assurance pour compte ou de transport de marchandise.

L’extension du mécanisme de la stipulation posait dès lors un problème au regard des dispositions expresses du Code civil en matière d’effet relatif du contrat. La doctrine classique a tenté de présenter la stipulation pour autrui comme une dérogation purement apparente au principe de l’effet relatif. Les auteurs ont essayé de rapprocher la stipulation pour autrui du système de la gestion d’affaire dans laquelle le stipulant agit de son propre chef dans l’intérêt du bénéficiaire. En conférant au tiers un droit contre le promettant, le stipulant gère donc ses affaires. Dès lors, l’acceptation par le tiers bénéficiaire est en réalité une ratification de la gestion effectuée par le stipulant et le bénéficiaire de la stipulation devient ainsi rétroactivement partie au contrat. La doctrine a également tenté d’expliquer la stipulation pour autrui par l’engagement unilatéral de volonté du promettant qui, à lui seul rendrait le promettant directement débiteur du bénéficiaire.

Toutes ces tentatives doctrinales tendant à concilier la stipulation pour autrui avec le principe de l’effet relatif des contrats ont échoué. De fait, la stipulation pour autrui est considérée aujourd’hui par la jurisprudence comme une institution sui generis qui déroge au principe de l’effet relatif des contrats posé par l’article 1165 du Code civil. Les tribunaux admettent en effet depuis 1888 que le tiers puisse bénéficier directement et immédiatement d’une créance à l’encontre du promettant sans que celle-ci soit passée par le patrimoine du stipulant. L’acceptation par le tiers ne fait donc pas naître le droit au sein de son patrimoine, elle ne fait que rendre la stipulation irrévocable. La stipulation pour autrui apparaît donc comme une dérogation réelle au principe de l’effet relatif des conventions.

De plus, depuis un arrêt du 8 décembre 1987, la Cour de cassation considère que la stipulation pour autrui n’exclut pas que le tiers bénéficiaire soit tenu d’obligations dans le cas où il les aurait acceptées en même temps que le droit stipulé à son profit. Mais l’atteinte au principe de l’effet relatif des conventions est ici moins importante car la naissance de l’obligation à l’encontre du tiers bénéficiaire nécessite son acceptation.

B) Les groupes de contrats : une extension de la sphère contractuelle contraire au principe de l’effet relatif des conventions

L’évolution contemporaine du droit des contrats a été marquée par la découverte d’une figure juridique nouvelle, celle des groupes de contrats. L’expression désigne un ensemble de contrats distincts qui sont rattachés les uns aux autres par un même objet ou un même but.

Le groupe de contrats peut être homogène lorsque toutes les conventions qui se succèdent sont de même nature – des contrats de vente par exemple – ou hétérogène dès lors qu’une convention de nature différente s’insère dans l’ensemble. Le meilleur exemple de groupe de contrat est celui de l’opération de sous-traitance : un maître d’ouvrage contracte avec un entrepreneur pour l’édification d’un bâtiment et ce dernier sous-traite une partie du marché à un autre entrepreneur. En vertu de l’article 1165 du Code civil, le maître d’ouvrage n’est pas partie au contrat de sous-traitance, il ne peut donc en principe bénéficier des effets de ce contrat et agir en responsabilité contractuelle contre le sous-entrepreneur. Cette solution logique et traditionnelle a été remise en cause par la notion de groupes de contrat. Dans cette théorie en effet les personnes qui font partie du même groupe contractuel et qui n’ont pas échangé directement leur consentement bénéficient néanmoins de l’ensemble des effets de la chaîne de contrats et notamment peuvent agir en responsabilité contractuelle contre l’un des cocontractants.

La jurisprudence a pendant longtemps largement consacré la théorie des groupes de contrat. La 1ère chambre civile de la Cour de cassation reconnaissait ainsi dès 1820 l’existence d’une action en responsabilité contractuelle au profit de l’acquéreur final d’un bien contre tout vendeur présent dans le groupe de contrats. Devant les réticences de la chambre commerciale, l’assemblée plénière de la Cour de cassation a affirmé dans un arrêt du 7 février 1986 l’existence d’une action directe en responsabilité contractuelle du dernier acquéreur découlant du transfert de propriété de la chose, tant dans les chaînes de contrats homogènes qu’hétérogènes. La Cour de cassation est allée ensuite plus loin dans la consécration de la théorie des groupes de contrats. Dans un arrêt du 21 juin 1988, elle a reconnu la possibilité d’une action en responsabilité contractuelle au sein de la chaîne de contrats même lorsque celle-ci ne prévoit aucun transfert de propriété d’une chose : il s’agissait en l’espèce d’une simple prestation de services fournie par les sous-traitants.

Le développement de la théorie des groupes de contrats et sa consécration jurisprudentielle constituent une véritable dérogation au principe de l’effet relatif des contrats. L’effet du contrat se trouve de fait étendu à des personnes tiers, n’ayant aucunement donné leur consentement et qui se voyaient néanmoins conférer des droits et obligations. Une telle extension du champ contractuel était justifiée au nom de la simplification des procédures et d’une meilleure protection des contractants au sein d’une chaîne de contrats. Les groupes de contrats sont donc bel et bien des dérogations réelles au principe de l’effet relatif des conventions. Mais cette exception au principe de l’effet relatif des conventions dégagée à l’origine par le professeur Teyssié est aujourd’hui en recul. La Cour de cassation est en effet revenue à une lecture plus stricte de l’article 1165 du Code civil par l’arrêt Besse du 12 juillet 1991 : dans une affaire de sous-traitance pour laquelle le maître de l’ouvrage se plaignait d’une mauvaise exécution de ses prestations l’Assemblée plénière a décidé que « le sous-traitant n’était pas contractuellement lié au maître de l’ouvrage ». La Cour a ainsi dénoncé l’existence d’un lien contractuel direct entre contractants extrêmes au sein d’un même groupe de contrats.

Si la théorie des groupes de contrat, en tant que dérogation réelle à l’effet relatif des conventions, est en recul, il n’en va pas de même des dérogations apportées par le législateur en matière d’action directe.

C) L’action directe : une dérogation législative à l’effet relatif des contrats

L’action directe permet à un créancier de poursuivre directement en son propre nom et pour son propre compte, le débiteur de son débiteur. Elle est d’une autre nature que les actions oblique ou paulienne. Celles-ci constituent en effet des mesures générales de protection du gage des créanciers mais elles sont ouvertes à tout créancier placé dans une situation de négligence ou de fraude de la part de son débiteur. A l’inverse l’action directe n’est offerte qu’à certains créanciers, bénéficiaires d’une sollicitude particulière de la part du législateur. L’action directe se distingue également de l’action oblique et de l’action paulienne par sa nature même: de fait l’action directe est davantage un droit qu’une action proprement dite. L’action directe peut être exercée sans intervention judiciaire puisqu’elle crée immédiatement un droit au profit du créancier. A l’inverse, l’action oblique et l’action paulienne exigent pour aboutir une demande en justice.

L’action directe apparaît ainsi comme une œuvre de la pratique. Elle résulte d’une interprétation extensive de la formule de l’article 1994 du Code civil relatif au mandat qui prévoit la possibilité pour le mandant « d’agir directement » contre le mandataire. Depuis le début du XIXème siècle, le législateur a multiplié les hypothèses d’application de l’action directe. Le législateur a ainsi autorisé l’action directe du bailleur d’immeuble contre le sous-locataire pour le paiement du loyer, à concurrence du prix de la sous-location (article 1753 du Code civil). Il existe également une action directe de la victime d’un dommage contre l’assureur du responsable (Code des assurances, art. L. 124-3). Le législateur par la loi du 2 janvier 1973 a également prévu une action directe du créancier d’aliments contre tout débiteur de son débiteur notamment en matière de divorce ou de filiation. Par la loi du 31 décembre 1975, le législateur a prévu une action directe du sous-traitant contre le maître de l’ouvrage. Enfin, le législateur a également prévu une action directe des employeurs, en cas d’accident du travail, contre le responsable et son assureur, pour le remboursement des charges patronales afférentes aux rémunérations versées à la victime (loi du 5 juillet 1985).

Cette liste non exhaustive illustre la diversité des hypothèses de l’action directe. Celle-ci apparaît ainsi comme une véritable dérogation au principe de l’effet relatif des conventions. L’action directe confère en effet au créancier un droit direct contre le débiteur de son débiteur avec lequel il n’a pourtant pas contracté. La principale fonction de l’action directe est néanmoins de remédier à certaines conséquences inéquitables résultant du principe, nécessaire, mais rigide, de l’effet relatif des contrats lorsque l’exigence d’une justice commutative est contrariée par ce principe.

Conclusion

Au total, le principe de l’effet relatif des contrats supporte de nombreuses dérogations dont la plus ancienne réside dans le mécanisme de la stipulation pour autrui. Néanmoins, toutes les dérogations au principe de l’effet relatif n’ont pas la même force. Certaines peuvent être qualifiées de purement apparentes car elles ne sont que des atténuations au principe et ne le remettent en cause que très marginalement. D’autres à l’inverse sont de véritables exceptions à la règle posée à l’article 1165 du Code civil. Mais ces dérogations réelles demeurent limitées et sont aujourd’hui essentiellement le fait du législateur. Le principe de l’effet relatif apparaît aujourd’hui préservé et demeure la pierre angulaire de notre système juridique.

Vous retrouverez ici 300 pages de Dissertation et commentaire d’arrêt en droit des obligations ainsi que qu’une méthodologie : Comment faire un cas pratique ou un commentaire d’arrêt?

En droit des contrats :

En droit de la Responsabilité délictuelle :

Voici une sélection de cours complet en droit des obligations, responsabilité, droit des contrats…

DROIT DES OBLIGATIONS

RÉGIME GÉNÉRAL DES OBLIGATIONS

DROIT CONTRATS ET CONTRATS SPÉCIAUX

RESPONSABILITÉ CIVILE