Les droits des étrangers en France

Les Droits des Etrangers en France

Dans ce chapitre, nous nous intéressons aux étrangers résidant régulièrement sur le territoire français.

—> La question est alors de quels droits ils jouissent en France ?

Cette question est classique et qui reçoit un traitement classiquement très différent selon la catégorie des droits en cause.

Le code Napoléon opposait les droits civils aux droits politiques : il refusait tout droit politique aux étrangers et il leur accordait les droits civils dans des conditions qui pouvaient être parfois restrictives.

Aujourd’hui, la terminologie et le traitement juridique des étrangers ont changé.

D’abord on oppose les droits publics et les droits privés et non les droits civils et politiques. Les droits publics comprennent les droits politiques et les droits privés comprennent les droits civils. Puis, les droits privés sont largement ouverts aux étrangers alors que pour les droits publics, les étrangers jouissent aussi de certains d’entre eux mais leur accès au droit politique reste en principe extrêmement limité.

Section 1 : Les Droits publics des étrangers en France

Il est opportun de distinguer plusieurs catégories à l’intérieur des droits publics à savoir :

les droits de participation à la vie politique,

l’accès aux fonctions publiques,

la participation aux charges publiques la jouissance des libertés publiques l’accès au service public.

&1) Les droits de participation à la vie politique

Ce sont les droits qui sont en principe refusés aux étrangers : électorat ou éligibilité, aucun accès à la vie politique nationale. Cette position est traditionnelle et c’est une position qui fait dépendre étroitement la citoyenneté politique de la nationalité française.

Le caractère constant de cette solution n’empêche qu‘elle soit aujourd’hui discutée, non pas pour l’ensemble des élections liés à la vie politique mais au moins pour les élections locales notamment pour celles municipales. Un courant fort dans l’opinion préconise que les étrangers qui résident régulièrement sur notre territoire aient le droit de vote aux élections municipales. Cette mesure est proposée de façon assez régulière dans le débat public mais elle n’a reçu aucune exécution véritable même si les sondages d’opinion récents laissent penser que l’évolution de l’opinion publique serait plus favorable qu’il y a quelques années. Mais le droit de vote et d’éligibilité aux élections municipales a été reconnu aux ressortissants communautaires car depuis le Traité de Maastricht de 1992 et la reconnaissance d’une citoyenneté européenne, traité suivi en France par une révision constitutionnelle du 25 juin 1992 complété par une loi organique du 25 mai 1998, les ressortissants des Etats membres de l’Union résidants sur notre sol ont le droit d’électorat et d’éligibilité aux élections municipales.

Or cette réforme ne semble pas peser sur la question plus générale de l’accès aux élections municipales pour tous les étrangers. La réforme communautaire n’a pas fait avancer la situation des étrangers non communautaires, elle ne l’a pas non plus fait reculer : ce sont deux problématique plus ou moins étanches dans le débats public.

&2) L’accès aux fonctions publiques

Ces fonctions publiques sont en principe refusées aux étrangers sous la réserve de deux exceptions de nature et de portée très différentes :

—> l’enseignement supérieur n’est pas lié par une condition de nationalité.

—> les ressortissants communautaires nouveaux car en vertu des traités communautaires, ils peuvent accéder aux fonctions publiques à l’exception de celles qui mettent en œuvre des prérogatives de souveraineté ou de puissance publique.

Cette exclusion des étrangers vaut aussi pour les fonctions juridictionnelles même pour les fonctions juridictionnelles électives : ils ne peuvent pas être conseillers prud’hommes, ni juge consulaire dans un tribunal de commerce mais ils peuvent être électeurs aux élections prud’homale ou consulaire. Cette exclusion est étendue aux auxiliaires de justice, officier ministériel ainsi qu’aux concessionnaires de service public.

&3) La participation aux charges publiques

On pourrait penser que puisqu’ils n’ont pas accès aux fonctions publiques, sauf exceptions, les étrangers sont dispensés des charges publiques. Or, ce n’est pas vrai : les étrangers sont dispensés des charges militaires à l’exception des apatrides car pour le CESEDA les apatrides sont des étrangers. Mais les étrangers n’ont jamais été dispensés du paiement de l’impôt sauf situation particulière (impôt direct ou indirect) et il y a un argument de plus pour le droit de vote des étrangers, au moins aux élections municipales puisque traditionnellement, droit de vote et obligation à l’impôt ont été liés.

&4) La jouissance des libertés publiques et l’accès au service public

La situation des étrangers est meilleure que pour les 3 autres questions précédentes. Les étrangers jouissent de l’essentiel des libertés publiques ainsi que des Services Publics.

S’agissant des droits sociaux, ces droits leur sont reconnus dans les mêmes conditions qu’aux français et du reste, le Conseil constitutionnel a énoncé en 1990 qu’aucune discrimination n’était acceptable an la matière.

Section 2 : Les droits privés des Etrangers en France

Cette question a fait l’objet depuis 1804 d’une évolution radicale alors que les textes fondamentaux en la matière n’ont pas bougé d’une lettre. Nous sommes toujours sous l’empire de l’article 11 du Code civil tel qu’il était rédigé en 1804 et tel qu’il reste rédiger et pourtant l’interprétation jurisprudentielle de ce texte s’est complètement renversée depuis 1804. Ce renversement est tel, qu’aujourd’hui ce texte dit à peu près le contraire de ce qu’il disait en 1804.

&1) L’article 11 du Code Napoléon dans son interprétation originelle

Selon ce texte, « l’étranger jouira en France des mêmes droits civils que ceux qui sont ou seront accordés aux français par les traités de la nation à laquelle cet étranger appartiendra ».

En d’autres termes, ce texte pose une condition dite de réciprocité diplomatique à la jouissance des droits civils des étrangers en France. Cela signifie que pour savoir de quels droits civils jouit en France un suisse, un italien ou un espagnol.., il faut savoir quels sont les droits civils qui sont reconnus aux français en Suisse, Italie, Espagne, étant entendu qu’on ne tiendra compte que des droits civils reconnus aux français dans ces pays, par un Traité entre ces pays et la France.

L’article 11 ne pose pas seulement une condition de réciprocité mais c’est une condition diplomatique

c’est-à-dire que les droits civils reconnus aux français le soit par un Traité entre le pays et la France. Ainsi, s’il n’y a pas de traité entre son pays et la France alors l’étranger n’a aucun droit civil en France.

On s’est interrogé sur la sévérité de ce texte d’autant plus qu’elle tranchait avec la situation des étrangers à la fin de l’Ancien Régime. En effet et au XVIIIème, les étrangers jouissaient en France d’à peu près tous les droits civils sans condition de réciprocité. En 1804, ils ne jouissent plus de droits civils que sous condition de réciprocité et cette réciprocité doit être diplomatique c’est-à-dire figurer dans un traité.

Cett situation est paradoxale car entre la fin de l’ancien Régime et 1804, cette période avait été en règle générale plus favorable pour les étrangers.

Les rédacteurs du Code Napoléon n’ont pas eu à l’esprit les impératifs et les nécessités du commerce internationales qui poussaient en faveur du droit civil largement reconnu aux étrangers. Le 18ème a été un grand siècle de commerce international mais les raisons de l’article 11 sont :

—> lors de la rédaction du Code Napoléon, il y a en France un sentiment de déception vis-à-vis dont les autres pays d’Europe ont accueilli la Révolution française car dès 1792, la République française s’est y trouvée face à des conflits militaires avec la plupart des pays européens.

—> cette raison est plus subtile et plus positive : l’article 11 peut avoir été un texte de calcul destiné à

contraindre les pays étrangers à conclure des Traités avec la France puisque sans ces traités, les ressortissants étrangers n’auraient plus aucun droit civil. L’article 11 serait alors une monnaie d’échange. Evidemment c’était un jeu risqué d’autant plus que les pays étrangers pouvaient être tentés de prendre des mesures de rétorsions en privant les français de tout droit civil sur leur sol.

Quel qu’en soit les motifs, le nouvel article 11 du Code Napoléon est dangereux autant pour les étrangers qui résident en France si leur pays n’a pas signé de traités avec la France que pour les français séjournant à l’étranger, qui sont susceptible d’être exposés à des mesures de représailles.

Il fallait alors modifier le texte, mais il ne fut jamais modifié jusqu’à aujourd’hui.


&2) L’interprétation ultérieure du texte par la jurisprudence

Cette iterprétation s’est faite en 3 étapes :

l’étape exégétique,

l’étape de la distinction des droits naturels et des droits civils, l’étape ouverte par un arrêt de la Cour de cassation de 1948.

A)L’étape exégétique :

Elle commene en 1804 pour se terminer vers 1850. Pendant cette période, l’interprétation du Code Napoléon est strictement exégétique c’est-à-dire une interprétation à la lettre. Cette interprétation à la lettre est fréquente dans les premières années qui suivent une codification importante.

Pendant une partie du XIXème, les cours de droit civil s’appelaient cours de Code Napoléon et ils consistaient à analyser les articles les uns après les autres.

S’agissant de l’article 11, cette interprétation exégétique ne pouvait être que catastrophique car prise à la lettre, cet article signifie qu’en l’absence de traité, l’étranger n’a en France aucun droit civil. Pourtant et cela montre que même les exégètes avaient conscience de la gravité de cet article, car ils ont tenté de se servir d’autres articles du Code Napoléon pour réduire la portée et la nocivité de l’article 11.

Exemple : ils ont lu à l’article 3 que les immeubles mêmes ceux possédés par des étrangers relèvent de la loi française lorsqu’ils sont situés en France et pour les exégètes, ce qui concerne la jouissance de la propriété des immeubles, il n’y avait pas de condition de réciprocité diplomatique car l’article 3 n’y faisait pas référence. Pas de référence non parce que la propriété des immeubles en serait dispensée mais parce que l’article 3 pose une règle de conflit de loi et pas une règle de jouissance des droits, cette règle figurant exclusivement à l’article 11.

Ainsi, un étranger peut-il être propriétaire d’un immeuble en France ? Cette question est une question de jouissance des droits réglée par l’article 11.

Si un étranger peut être propriétaire en France, quelle loi est applicable à la propriété de cet immeuble ? Loi de la situation de l’immeuble et non pas la loi de la nationalité du propriétaire.

Ils n’avaient pas confondu mais comme l’article 11 était un article dangereux pour les intérêts commerciaux, ils ont voulu limiter la portée de l’article 11.

Cette affaire montre, de la fausse interprétation de l’article 3, que dès la première moitié du XIXème que l’article est un mauvais texte mais on n’ose pas le contrer directement car on n’ose pas remettre en cause l’idée que les rédacteurs du Code Napoléon aurait pu se tromper.

B)l’étape de la distinction des droits naturels et des droits civils

La deuxième étape marque un recul plus grand vis-à-vis du Code Napoléon : c’est l’étape de l’interprétation de l’article 11 par Aubry et Rau. Ils font une distinction : les droits civils dont il est question dans l’article 11, ne sont pas tous les droits dont peut disposer une personne. Il y a une distinction à faire entre les droits civils et les droits naturels de la personne :

—> les droits naturels sont les droits liés à la nature humaine et qui doivent reconnus à tout être hu-

main indépendamment de sa nationalité et sans condition de réciprocité —> les droits civils sont des droits plus techniques, plus liés à un système juridique particulier et donc

il n’est illogique qu’ils soient soumis à une condition de réciprocité diplomatique.

Ainsi, des droits plus généraux ne sont pas des droits techniques comme le droit de se marier est un droit de naturel, tout comme le droit de propriété. Ils limitent la condition de réciprocité diplomatique au seul droit civil dans le sens technique et étroit de ce texte.

Il n’est pas sur que cette interprétation est réellement correspondu à la pensée des rédacteurs du Code Napoléon parce que dans ce Code, les droits civils s’opposent aux droits politiques et paraissent désigner tous les droits privés mais l’interprétation d’Aubry et Rau se révélait opportune car elle limitait la portée de l’article 11 et donc elle donnait un grand pouvoir à la jurisprudence car le jurisprudence devait dire ce qui était droit civil et ce qui était droit naturel. La Cour de cassation a de suite adopté le système d’Aubry et Rau, qu’elle ait utilisé pendant une centaine d’année en réduisant toujours plus la catégorie des droits civils.

Ainsi, l’interprétation de l’article 11 selon ces auteurs allait conduire à priver l’article 11 de presque toute sa portée sans en modifier le contenu à aucun moment.

La distinction des droits civil et droits naturels a été usé par les Cours de cassation depuis la moitié du 19ème jusqu’en 1948 : la Cour de cassation a usé cette expression dans un sens toujours plus libéral cad qualifier des droits privés en droit naturel et elle a qualifié des droits privés très marginaux de droits civil offert sous condition de réciprocité, il restait alors que l’hypothèse de la femme mariée. En 1948, la Cour de cassation abandonne cette distinction pour une autre solution.

C)l’étape ouverte par un arrêt de la Cour de cassation du 27 juillet 1948.

Dans un arrêt du 27 juillet 1948 : affaire Lefait, la Cour de cassation énonce que « les étrangers jouissent en France des droits qui ne leurs sont pas spécialement refusés » c’est-à-dire que les étrangers jouissent en France sans aucune condition de réciprocité des droits qui ne leurs sont pas spécialement refusés ou réservés aux français.

Quant aux droits sui sont spécialement refusés aux étrangers ou réservés aux français, les étrangers n’en jouissent en France que sous condition de réciprocité diplomatique. Par conséquent, à partir de cet arrêt, l’interprétation faite de l’article 11 est que les droits civils sont seulement les droits expressément réservés aux français.

Depuis 1948, il faut alors se demander si le droit est ou non refusé aux étrangers ou réservé aux français et s’il n’est pas refusé aux étrangers alors ils en jouissent tous de plein droit sans aucune condition de réciprocité mais si le droit est refusé alors les étrangers ne peuvent en jouir que sous condition de réciprocité diplomatique.

La Cour de cassation abandonne la théorie d’Aubry et Rau pour une autre proposée à la même époque que ces deux auteurs, à savoir une théorie proposée par Demangeat et Valette.

—> Pourquoi la Cour de cassation a-t-elle abandonné la théorie d’Aubry et Rau pour la seconde ?

Pour la première question, la distinction des droits civils et des droits naturels ne correspondait plus à l’esprit du XXème. L’idée qu’il y a des droits naturels qui tiennent à la nature humaine et donc qu’il y a un droit naturel au dessus des droits civils est une idée en déclin très fort au 20ème. Cette querelle entre positiviste et droit naturel n’est plus aucun sens car le droit naturel serait réapparu avec les droits de l’homme mais en 1948, la Cour de cassation a jugé que la distinction d’Aubry et Rau avait fait son temps et qu’elle a préféré une autre distinction qui avait une tonalité plus positiviste.

—> La seconde théorie est-elle plus ou moins libérale par rapport à celle d’Aubry et Rau ?

Pour la seconde question, la réponse est ambigüe parce que sur le terrain des principes, la seconde conception parait plus libérale que celle d’Aubry et Rau car elle semble faire du refus d’un droit subjectif aux étrangers, une exception. Au fond, elle semble dire que les étrangers jouissent de tous les droits privés sauf ceux qui exceptionnellement leur sont refusés.

Mais dans la pratique et en définitive, les choses sont moins claires : la théorie d’Aubry et Rau dans son interprétation jurisprudentielle avait réduit les droits civils a peu de chose et dans son application concrète, le libéralisme de la conception de Demangeat et Valette et subordonné à l’attitude du législateur c’est-à-dire ou il refuse un droit aux étrangers et la conception est libérale, ou le législateur refuse de nombreux droits aux étrangers et la conception devient sévère. En fait, la vraie différence entre les deux conceptions c’est-à-dire Aubry – Rau et Demangeat – Valette est que dans la première, le juge est le personnage central car il détermine ce qui est droit civil et droit naturel alors que dans la seconde, le législateur est le personnage central. Ainsi, dans l’arrêt 1948, ne peut-on as dire que c’est le signe d’une victoire du législateur sur le juge ?

&3) Les droits privés des étrangers à l’époque contemporaine

L’article 11 du Code civil est le même depuis 1804 mais son application concrète aujourd’hui est à l’opposé de celle de 1804 car le principe est l’absence de réciprocité diplomatique et l’exception est l’exigence de la réciprocité diplomatique.

—> Les hypothèses dans lesquelles un droit privé est refusé aux étrangers sont-elles aujourd’hui fréquente ?

C’est en matière économique que l’on rencontre des droits refusés aux étrangers c’est-à-dire pas en droit des personnes, de la famille, en droit social mais en matière bancaire, de propriété intellectuelle, de baux commerciaux, de propriété des navires et des aéronefs…. Ces droits ne sont pas nombreux mais ils ne sont pas rares et ils touchent des domaines qui sont assez sensibles dans la vie des affaires.

—> La condition des étranger en matière de jouissance de droit privé est-elle moins bonne aujourd’hui que ce à quoi on pouvait s’attendre ?

Cette conclusion est excessive : il y a des droits certes refusés aux étrangers mais les traités de réciprocités sont nombreux comme les conventions multilatérales et la tendance du monde contemporain est en recul très net des droits réservés aux nationaux, tendance forte au niveau régional et tendance forte au niveau mondial avec les principes d’organisation mondiale du commerce.