Les droits voisins du droit d’auteur

Les droits voisins

Les droits voisins sont attribués aux personnes non créatrices de l’œuvre mais vivant dans le voisinage de l’œuvre du fait de leur interprétation (artistes interprètes c’est-à-dire musiciens, chanteurs, acteurs, danseurs, etc.) ou de leur investissement technique ou financier (producteurs sur leurs phonogrammes ou vidéogrammes et entreprises de communication audiovisuelle sur leurs programmes).

Les droits voisins du droit d’auteur sont donc :

  • Le droit des artistes-interprètes
  • Le droit des producteurs de phonogrammes et de vidéogrammes
  • Le droit des producteurs de base de données
  • Le droit des entreprises de communication audiovisuelle

Sur un substrat jurisprudentiel ils ont été consacrés par la loi du 3 juillet 1985.

Le rôle des droits voisins étant plus topique des modes d’exploitation classiques que d’internet on sera bref sur la question, tant en ce qui concerne les rapports individuels que collectifs.

  • 1 : Rapport individuel :
  • – La loi de 1985 consacre non seulement la solution de l’arrêt Furtwängler au profit des artistes-interprètes, mais encore le droit d’investisseurs, ce qui rapproche sur ce point notre droit du copyright. Sans le dire il y a d’autres voisins que ceux de la liste officielle : le droit sui generis du producteur de la base de données, le « droit d’exploitation » conféré par la loi du 16 juillet 1984 aux organisateurs de manifestations sportives, droit que quelques décisions de justice ont consacré récemment : ce droit intéresse bien évidemment au plus haut point les clubs de football, car ils entendent monnayer au mieux les spectacles sportifs qu’ils gèrent.
  • – La durée d’un droit voisin est de 50 ans après première communication au public. La réforme de 2006 a apporté des précisions quant aux différents points de départ du délai (L 211-4).

On observera une distorsion par rapport à la durée des droits d’auteur, qui est de 70 ans. De ce fait les producteurs de phonogrammes et les héritiers des interprètes vont subir un manque à gagner lorsque les interprétations de certains artistes vont tomber dans le domaine public : Brassens, Trénet, Brel par exemple. « Petit papa Noël » (50 millions de disques) est tombé dans le domaine public pour l’interprétation, alors que les auteurs seront protégés jusqu’en 2056, distorsion qui ne fait pas plaisir aux interprètes et à l’Adami. D’où la tentation pour les interprètes d’exiger, lorsqu’on leur propose une chanson, de modifier quelques broutilles pour prétendre ensuite être coauteur.

MISE A JOUR : Quelle est la durée du droit voisin? Par un loi du 20 février 2015, la France a transposé une directive européenne de 2011 qui modifie la directive 2006/116/CE relative à la durée de protection du droit d’auteur et de certains droits voisins.Ainsi l’article L.211-4 du Code de la propriété intellectuelle est modifié. Cet article prévoit désormais une durée de protection de 50 ans, sauf en cas de mise à disposition ou communication au public d’un phonogramme, auquel cas l’artiste à l’origine de l’interprétation concernée et le producteur à l’origine de la fixation de cette dernière bénéficient d’une protection de 70 ans après le 1er janvier de l’année civile suivante.

Droit de résiliation
Depuis Février 2015, un nouveau droit fait son apparition en complément de la réhausse de la durée des droits patrimoniaux passé de 50 ans à 70 ans. Depuis cette date les artistes-interprètes et leurs ayants droit, ont le droit de résilier tout contrat avec un producteur de phonogramme après les 50 premières années du délai de 70 ans prévu, si ce producteur n’offre pas à la vente des exemplaires du phonogramme en quantité suffisante ou ne le met pas à la disposition du publique.

  • – Éliminons l’entreprise de communication audiovisuelle et les producteurs de phonogrammes et vidéogrammes. Ils sont désormais protégés en tant que bénéficiaire d’un droit voisin et non plus seulement en tant que cessionnaires de droits d’auteur. Ils voulaient un droit voisin afin de bénéficier des possibilités de saisie qu’offre la contrefaçon. En effet, n’étant pas titulaires de droits (les auteurs et producteurs d’œuvres musicales les cèdent à la SACEM) ils ne pouvaient agir en contrefaçon. D’autres professionnels n’ont pas souhaité bénéficier d’un droit voisin, parce qu’ils estimaient que leur situation de cessionnaire des droits d’auteurs suffisait à leur assurer une bonne protection juridique : tel est le cas des éditeurs littéraires (sous réserve de ce qui va être dit de la loi du 17 juillet 2001) et des producteurs d’œuvres audiovisuelles, qui, eux, bénéficient d’une présomption de cession.
  • – Il ne reste dès lors qu’à étudier le droit voisin le plus connu, celui des artistes-interprètes
  • – Il faut faire une distinction entre interprète, artiste de complément et mannequin. Leurs statuts juridiques sont différents mais la distinction est complexe. Nous ne traiterons pas de cette question aux distinctions bysantines : il vous suffira de savoir que cette question existe. L’interprète est celui qui « joue » une oeuvre protégée préexistante. A titre d’exemple il a jugé que celui qui s’aide d’un logiciel pour interpréter une musique est un musicien (RIDA oct 2006, 303 référence de la CA de Paris non fournie). En revanche une présentatrice de télévision n’est pas une interprète et en cas de rediffusion après l’expiration de son contrat de travail elle a droit à une rémunération pour reproduction de sa voix et de son image (aff Evelyne Thomas TGI Paris 28 sept 2006 Légipresse 2006.I.160).
  • – On notera qu’en plus du CPI il faut appliquer les art 762-1 et s code du travail qui fait de l’artiste-interprète un salarié dès lors que la personne n’est pas immatriculée au RCS (registre du commerce et des sociétés), quelque soit le montant de la rémunération. Comme le réalisateur d’oeuvre audiovisuelle l’artiste-interprète a donc un double statut : salarié et titulaire d’un droit intellectuel, sans compter (voir infra) la question du cumul éventuel avec le droit à l’image et à la voix de l’artiste.

L’art. L. 762-1 et 2 code du travail distingue le salaire et, au dessus d’un certain plafond fixé par convention collective ou accord spécifique (L 212-6 CPI), une redevance pour la diffusion de l’enregistrement hors la présence de l’artiste.

  • – Prérogatives patrimoniales du titulaire du droit voisin (L 212-3 et 4 CPI) :

C’est la confirmation de la jurisprudence antérieure à la loi : création d’un droit privatif, c’est- à -dire que l’artiste doit avoir consenti à la fixation, à la reproduction de la prestation ou à la communication au public (une exception est prévue à l’article 212-10). La fixation s’applique à l’enregistrement, la reproduction à l’impression sur un support sonore (phonogramme), la communication au public c’est – à -dire la représentation.

L’autorisation doit être écrite nous révèle l’art L 212-3. Faute de précision on en déduit que l’exigence d’un écrit, suivant le droit commun, n’est qu’une règle de preuve et non de forme. C’est dire qu’en l’absence d’écrit il peut y être remédié par les règles du droit commun : entre personnes civiles commencement de preuve par écrit étayé par des présomptions ou des témoignages attestant de l’autorisation donnée, ou à défaut, au-dessus du seuil légal, par aveu ou serment.

A la différence du droit d’auteur (art 131-3) le texte n’exige pas que soit rapportée la preuve de l’existence de mentions spéciales relatives à la portée de la cession.

Pour les œuvres audiovisuelles l’article L 212-4 prévoit que la signature du contrat conclu entre l’artiste et le producteur vaut cession des droits d’exploitation. Mais l’alinéa 2 exige une rémunération par mode d’exploitation : quid, alors, de l’exploitant qui invoquerait la cession mais qui n’aurait pas rémunéré l’auteur ? La combinaison des deux textes veut-elle dire qu’il n’y a cession que s’il y a rémunération ?

Il a été jugé que la bande son spécialement conçue pour un film n’est pas une œuvre audiovisuelle : faute d’application de l’article L 212-4 une autorisation est nécessaire (Paris 9 mai 2005, GP 15-17 janv 2006, p27).

A défaut d’accord particulier la rémunération est fixée par voie d’accord spécifique conclu, dans chaque secteur d’activité, entre les organisations de salariés et d’employeurs représentatifs (CPI art L 212-5), dont les stipulations peuvent être étendues par le ministre à tout le secteur d’activité.

A défaut d’accord spécifique c’est une commission (composée selon CPI L 212-9) qui fixe la rémunération.

  • – L’article L 211-3 prévoit les mêmes exceptions au monopole qu’en droit d’auteur : copie privée, citations, parodies etc…
  • – Les droits pécuniaires des artistes sont régis par les sociétés de perception suivantes : l’ADAMI (société civile pour l’administration des droits des artistes et musiciens-interprètes) et la SPEDIDAM (société de perception et de distribution des droits des artistes-interprètes de la musique et de la danse), chacune ayant ses spécialités, la première gérant par exemple les droits des artistes inscrits sur l’étiquette des oeuvres sonores et au générique des œuvres audiovisuelles. Les interprètes en groupe (ex orchestre) sont gérés par la SPEDIDAM, les solistes par l’ADAMI.
  • – Les interprètes ont un droit moral (art L 212-2 Code de la Propriété Intellectuelle) : droit au respect et à la paternité. Le texte est muet en ce qui concerne le droit de divulgation, lequel est donc discuté (TGI Paris 28 sept 2001, RIDA avr 2002, 327, dit non, mais TGI Paris 14 févr 2003, JCP 2004 ed E 1898, n°11, semble dire oui, de même que Paris 2 mars 2005, CCE 2006, chr 3, n°5), de même que le droit de repentir.
  • – Droit au respect : pour une œuvre multimedia : ex le clonage virtuel de personnages peut poser difficulté. Autre exemple : une coupure au montage. Dans d’autres secteurs il a par exemple été jugé qu’une reproduction sans le son manquait de respect à l’œuvre : Paris 2 juin 2001, D aff 2001, 2894. Il a été aussi jugé qu’il n’y avait pas d’atteinte au droit moral de l’interprète, car la copie définitive de l’œuvre audiovisuelle avait été établie, conformément au CPI, avec l’accord du réalisateur ; or le droit voisin s’exerce, dit le Code de la Propriété Intellectuelle, « sans préjudice » du droit d’auteur : Cour d’appel de Paris 21.sept.1999, Légipresse 1999.I.129), ce qui indique que la volonté du législateur a été d’établir une règle de résolution des conflits ; le droit voisin est inférieur hiérarchiquement au droit d’auteur : en cas de conflit entre un auteur et un artiste l’opinion du premier prévaut. Si, donc le réalisateur a donné son accord pour la version définitive, l’interprète ne peut plus la remettre en cause.

Le droit au respect semble très fort : témoin l’affaire Jean Ferrat où il a été jugé par la chambre sociale de la cour de cassation qu’un Concurrence Déloyale de compilations de chansons créait un contexte négatif au détriment de l’artiste (Cass 8 févr 2006, D 2006, 1168) alors que la première chambre civile a estimé que l’atteinte au droit moral n’était qu’éventuelle (Cour de Cassation 7 novembre 2006, D 2006, 2913). Dans l’affaire Henri Salvador il a été jugé que la compilation d’enregistrements anciens tombés dans le domaine public portait atteinte, faute de remastérisation, au droit moral de l’interprète (Paris 14 novembre 2007, CCE 2008, n° 18, Caron) ; concrètement cela conduit à demander une nouvelle autorisation.

Il semble que le droit moral de l’interprète se calque sur le droit moral de l’auteur. En effet il a été jugé que, comme pour l’auteur, l’interprète ne peut renoncer de façon préalable et générale à toute modification de l’œuvre future. Le droit d’auteur, ici encore, semble donc bien être le droit commun du droit voisin.

  • – La question du cumul avec les droits de la personnalité : droit à l’image et à la voix. Dans une affaire TGI Nanterre 5 nov 1997 G P 9-11 août 1998 le tribunal a jugé qu’à défaut d’autorisation il y avait atteinte au droit moral de l’interprète pour avoir inclus, sans autorisation, une chanson dans une publicité, mais que cette atteinte englobait celle de l’atteinte du droit à la voix ; en revanche Paris 18 oct 2000, D 2001, Som 2078, note critique s’est prononcé pour le cumul de l’atteinte au droit voisin et de l’atteinte au droit de la personnalité. Idem in Paris 14 janv 2004, CCE 2004, n°87 et Paris 21 janv 2005, JCP ed E 2005,1216, n°8.
  • – S’agissant de musiques deux arrêts importants ont été rendus à propos de l’effet destructeur de la résiliation d’un contrat d’enregistrement exclusif[28]. La résiliation du contrat ne vaut que pour l’avenir, qu’il s’agisse de la cession de droits ou des biens corporels (masters). Il n’y a donc pas, à l’inverse de ce qui se produirait s’il y avait nullité, de restitutions. Il en résulte que le producteur peut continuer à exploiter les interprétations passées et que la clause dite d’exclusivité « catalogue » subsiste : en vertu de celle-ci l’artiste ne peut donc, pendant le délai contractuel stipulé, interpréter les œuvres passées objet du contrat résilié. On peut se demander si cette stipulation n’est pas une clause de non concurrence appliquée à un salarié (l’interprète est aussi un salarié ce qui supposerait que sa validité soit soumise à une contrepartie financière sous peine de nullité[29].
  • 2 Rapport collectif :

La gestion collective des articles L 311-1 et s a déjà été évoquée, par commodité, en même temps que celle des auteurs (voir supra). L’article 311-2 prévoit que la rémunération équitable est répartie entre les « auteurs, les artistes-interprètes, producteurs de phonogrammes ou de vidéogrammes fixés pour la première fois dans un Etat membre de l’Union Européenne ».

Une rémunération collective est prévue par les articles L 214-1 et 2, réformés en 2006, parce que les interprètes et les producteurs de phonogrammes ne peuvent s’opposer :

  • – A la « communication directe» au public pour les phonogrammes (=son) dès lors qu’il n’est pas utilisé dans un spectacle. Cela concerne notamment la diffusion à la télévision, à la radio, dans les discothèques. En revanche la musique dans les chambres d’hôtel n’est pas visée, ce qui est malheureux, car il s’agit d’une communication indirecte. Il n’est plus donc question d’autorisation individuelle et nous sommes en présence d’une licence légale, comme il en existe en droit des brevets, lorsque la licence légale est applicable.
  • – A sa « radiodiffusion et à sa câblodistribution simultanée et intégrale, ainsi qu’à sa reproduction strictement réservée à ces fins, effectuées par ou pour le compte d’entreprises de communication audiovisuelle en vue de sonoriser leurs programmes propres »…L’expression pour « le compte » permettra d’englober les filiales des maisons mères.

Cette dernière disposition brise une jurisprudence initiée en 2002 par la cour de cassation qui faisait une application restrictive du domaine de la licence légale.

  • Conditions : Il faut que le phonogramme ou le vidéogramme ait été fixé dans un pays membre de l’UE (art L 311-2). En fait les sommes sont perçues sans considération du lieu de fixation : il en résulte que des sommes d’argent considérables sont bloquées par la SPRE au profit des interprètes américains, sans que ceux-ci puissent les toucher.

Il faut qu’il s’agisse d’une radiodiffusion, ce qui exclut la télédiffusion, laquelle est plus large. La radiodiffusion concerne les ondes radioélectriques alors que la télédiffusion vise tout moyen.

– Dans les cas où il y a une reproduction préalable, notamment par numérisation faite avant la radiodiffusion, on s’est demandé si la licence jouait. Pour le karaoké la jurisprudence était divisée. Mais la cour de cassation a jugé en 2003 que la licence légale n’est pas applicable et qu’il faut mettre en œuvre à la fois le droit de reproduction mécanique et le droit d’édition graphique (partition), car il y a reproduction préalable nécessaire du phonogramme sur un nouveau support. Même problème d’application éventuelle de la licence légale pour la musique intégrée dans un vidéogramme d’images. La rédaction du texte en 2006 ne fait que confirmer a contrario la solution de la cour de cassation.

– Pour la diffusion à la télévision. Les télédiffuseurs disent que la licence légale joue. Les producteurs de phonogrammes prétendent que la licence ne concerne que le direct, car s’il y a enregistrement il n’y a plus de phonogramme ou de vidéogramme mais un produit audiovisuel.

Cela concerne les sonorisations : les bandes annonce, les génériques (droit de synchronisation). La Cour de cassation (Civ 1ère 29 janv 2002, Civ 1ère 19 nov 2002) avait refusé que le droit de synchronisation soit inclus dans la licence légale parce qu’il y avait « incorporation » dans une œuvre nouvelle, ce qui n’était pas visé par le texte. Cette solution a été battue en brèche par la loi DAVSI (nouvel art 214-1) puisque la sonorisation des programmes propres sur les antennes des chaînes est désormais expressément englobée dans la licence légale. Le critère dit de l’incorporation est donc écarté, du moins sur ce point.

– Pour les musiques de radio par satellite ou les radios en ligne, avant la réforme de 2006, on hésitait quant à savoir si les communications directes après numérisation étaient ou non couvertes par la licence. Certains voulaient distinguer entre le streaming qui ne laisse pas de trace sur un disque dur (on utilise une mémoire seulement temporaire : buffering= mémoire tampon) et les autres cas où il y a reproduction. Désormais la loi de 2006 clarifie les choses. Seules les radiodiffusions en vue de sonoriser un programme propre sont soumis à la licence. Il en résulte notamment que la communication en ligne en direct est exclue comme n’étant pas de la radiodiffusion. Mais de ce fait un hiatus apparaît. Une radio en ligne n’est pas soumise à la licence légale, alors qu’une radio classique, en hertzien, l’est (GP 18-19 juill 2007, p21).

  • Répartition : La SPRE (société civile pour la perception et la répartition des droits d’auteur et des droits des artistes interprètes et des producteurs de phonogrammes et de vidéogrammes) récolte les droits, puis les répartit entre l’ADAMI, la SPEDIDAM, pour les interprètes, la SCPP et la SPPF pour les producteurs (encore faut-il que les sociétés aient eu mandat de leurs adhérents).
  • La rémunération est fonction du type de support et de la durée d’enregistrement qu’il permet (art L 311-4 al 2 et 3).