Les licences judiciaires et administratives du brevet

Les atteintes justifiées au droit du breveté

Un brevet est un titre de propriété industrielle délivré par l’INPI (Institut National de la Propriété Industrielle) qui confère un droit exclusif d’exploitation sur un territoire pour ce qui est revendiqué sur une invention, pendant une période de 20 ans moyennant le paiement d’annuité.

Le titulaire d’un brevet est protégé dans l’exercice de son droit, et lorsqu’il est victime d’actes de contrefaçon, les atteintes portées à son droit sont sanctionnées. Néanmoins, il doit supporter certaines atteintes lorsqu’elles sont justifiées.

Dans certains cas, le législateur obligera le titulaire du brevet à concéder un droit d’exploiter son invention au profit de tiers. C’est ce que l’on désigne comme étant des licences obligatoires.

Parmi ces licences, on distingue :

  • · Les licences judiciaires (§ 1) ;
  • · Les licences administratives (§ 2).
  • 1 : Les licences judiciaires

Le droit exclusif, le monopole d’exploitation, qui est reconnu au profit du breveté par l’Etat, implique que son bénéficiaire exploite effectivement l’invention, afin d’en faire profiter le public. A défaut, il peut être contraint de concéder l’exploitation de l’invention à un tiers.

Une pareille procédure ne peut être mise en œuvre qu’en respectant certaines conditions. L’article L. 623-11 du Code de la propriété intellectuelle prévoit qu’elle n’est possible que s’il apparaît que le breveté n’a pas commencé à exploiter son invention, ou fait des préparatifs sérieux à cette fin, au cours des 3 années à compter de la délivrance du brevet, ou des 4 années qui suivent le dépôt de la demande.

De la même manière, une licence judiciaire pourra être accordée s’il apparaît que l’invention qui a été exploitée ne l’est plus depuis plus de 3 ans. Néanmoins, le breveté peut justifier la non-exploitation en invoquant une excuse légitime, c’est-à-dire le fait qu’il se soit heurté à un obstacle matériel sérieux à l’exploitation envisagée.

Exemple : l’adoption d’une règlementation nouvelle très contraignante, faisant qu’il n’est plus possible de l’exploiter comme avant, ou faisant qu’il faudrait dépenser beaucoup de moyens pour continuer l’exploitation, etc.

Il est également possible de demander une licence en justice, lorsque deux inventions brevetées se recoupent partiellement, de sorte que l’exploitation de l’une puisse constituer une atteinte au droit couvrant l’autre. C’est le cas notamment de ce que l’on appelle la dépendance en droit des brevets.

Dépendance : il y a dépendance chaque fois qu’un brevet valable du point de vue des conditions de brevetabilité, ne peut être exploité sans que cela ne constitue une contrefaçon d’un brevet antérieur appartenant à un tiers. Le concept de dépendance et d’invention dépendante a suscité un intérêt tout particulier dans le domaine de la chimie, et particulièrement dans celui des médicaments, qui est un secteur dans lequel, le plus souvent, les inventions procèdent de simples améliorations du produit existant.

On voit bien ici que l’on est sur une situation complexe. Dans cette hypothèse, le titulaire du brevet dépendant peut demander une licence d’exploitation au titulaire du brevet dominant. En cas de refus du breveté, l’article L. 613-12, alinéa 1er du Code de la propriété intellectuelle l’autorise à formuler une demande judiciaire de licence d’office.

Attention :il faut d’abord s’être adressé vainement au breveté pour pouvoir demander une licence judiciaire. C’est donc son refus qui justifie l’attribution d’une licence judiciaire.

  • 2 : Les licences à caractère administratif

Il existe quatre sortes de licences à caractère administratif :

  • La licence d’office dans l’intérêt du développement économique: le breveté peut être contraint, par décret pris en Conseil d’Etat, de concéder une licence d’exploitation lorsqu’il apparaît que l’absence d’exploitation de l’invention, ou son insuffisance porte gravement préjudice au développement économique et à l’intérêt public. Cette procédure est toujours précédée d’une demande faite au breveté d’exploiter son brevet de manière à satisfaire aux besoins de l’économie nationale ;

Il y a très peu de licences accordées sur ce fondement, car si l’invention présentait un intérêt sur le plan économique, il l’aurait compris et aurait procédé lui-même au développement suffisant de l’invention ;

  • La licence accordée dans l’intérêt de la Santé publique : cette licence va porter sur un médicament, ou un procédé d’obtention d’un médicament, dès lors que ces éléments, ces inventions, sont mis à la disposition du public en quantité ou en qualité insuffisante, ou à des prix anormalement élevés, ou lorsque le brevet est exploité dans des conditions contraires à l’intérêt de la Santé publique, ou constitutive de pratiques déclarées anticoncurrentielles à la suite d’une décision administrative (qui n’est pas une juridiction) ou juridictionnelle, devenue définitive. Là encore, c’est une décision qui doit résulter d’un décret pris en Conseil d’Etat, à la demande du Ministre chargé de la Santé publique ;

Là encore, ça reste une hypothèse relativement rare, étant donné que les industries pharmaceutiques développent elles-mêmes. En revanche, ça a été une menace, car si l’on n’est pas dans le cadre, des concurrents peuvent obtenir une licence d’exploitation.

  • La licence d’office dans l’intérêt de la Défense nationale : elle peut être demandée au stade de la procédure de délivrance du brevet lui-même, et tout au long de la durée de la vie du brevet, à la demande cette fois du Ministre de la Défense (voir supra) ;
  • La licence d’office dans l’intérêt de l’élevage : elle concerne des médicaments portant sur des brevets vétérinaires, et s’applique à la demande du Ministre de l’agriculture lorsque l’intérêt de l’élevage l’exige.

Dans ces quatre cas de licence obligatoire, la licence prend effet à la date de la demande de licence d’office, et le décret ou l’arrêté qui l’ordonne en fixe également les conditions, hormis celle du prix, qui doit découler d’un accord amiable entre les intéressés. A défaut d’accord amiable, il est possible de demander au Tribunal de grande instance de trancher, mais ça reste tout de même relativement rare.