Les modes de révision de la Constitution (article 11 et 89)

Les modes de révision du texte constitutionnel

La question qui se pose est comment parvient-on à maintenir l’adéquation nécessaire au bon fonctionnement du régime entre le texte originel de 1958 et le contexte politique nécessairement évolutif ? (adéquation sans laquelle régime ne peut se maintenir)

Une révision de la Constitution est possible avec l’article 89 (puisque c’est expressément prévu). D’ailleurs, en1958, la doctrine considérait que la Constitution définissait une seule procédure de révision, celle prévue à l’article 89.

Mais la révision de la Constitution est-elle possible par le moyen de l’article 11 relatif au référendum ? En 1962, l’utilisation par De Gaulle de l’article 11 relatif au referendum pour modifier le mode d’élection du Président de la République oblige à reprendre la lecture de cet article. En effet, cet article énonce que peut être soumis au référendum « tout projet de loi portant sur l’organisation des pouvoirs publics ». Or, il est indéniable qu’un des objets principaux d’une Constitution est d’organiser les pouvoirs publics. La possibilité d’une révision par le moyen de l’article 11 est donc constitutionnellement défendable.

La révision de la Constitution les mode de révision de la constitution

A) L’adaptation « délibérée », par la révision du texte constitutionnel

La Constitution de 1958 est une constitution rigide, sa révision suppose donc un formalisme particulièrement rigoureux. Pour réviser la constitution les procédures utilisées sont différents que celles utilisées pour l’adoption des lois ordinaires.
L’article 98 précise la procédure de révision de la Constitution, mais ce n’est pas cet article qui sera utilisé pour la révision de la constitution, c’est l’article 11.
Il n’est pas interdit de penser que 2 modes de révision existeraient : l’une prévu par la Constitution et un mode de révision parallèle via l’article 11.
Ces deux modes ont deux points communs, ils reposent sur une disposition constitutionnel, et ensuite ce sont deux modes de révision délibérés du texte constitutionnel, ils font dans les deux cas l’objet d’un débat, une discussion, suivit d’une décision.
Dans le cadre de l’article 89 le débat a lieu dans l’enceinte parlementaire alors que dans l’article 11 le débat est au moment de la campagne référendaire.

1. La révision telle qu’elle est prévue par la constitution (article 89)
L’article 89 compose à lui seul le titre 16 de la constitution intitulé De la révision. On peut en déduire que c’est le mode normal de révision de la Constitution. Il est d’autant plus normal que cet article comporte deux limites importantes à l’exercice de la révision constitutionnelle :
– alinéa 4 : aucune procédure de révision ne peut être poursuivie lorsqu’il est porté atteinte à l’intégrité du territoire (pour éviter le précédent de 1940).
Il a une portée encore plus large, il vise à empêcher toute initiative de révision en cas d’utilisation par le président de la république des pouvoirs exceptionnels prévus à l’article 16.
– alinéa 5 : La forme républicaine du gouvernement ne peut faire l’objet d’une révision. Idée d’interdire la transformation du régime en une monarchie constitutionnelle.
Mais rien n’empêche de réviser l’article 89.

=> Le fait que l’art 89 alinéa 4 et 5 comporte deux exceptions c’est le signe déterminant que l’article a été conçu par les constituants de 1958 comme devant être le mode normal de révision de la constitution.
=> L’initiative peut être soit du président de la république soit du Parlement. Quand elle vient de l’exécutif, entrecroisement entre le rôle du premier ministre et le rôle du président : « sur proposition du premier ministre » prouve que le président de la république ne peut pas engager la procédure de révision tout seul, il lui faut une proposition de la part de son premier ministre.
Dans les deux cas, l’assemblée nationale et le sénat doivent émettre un vote en termes identiques. Ils doivent adopter un texte de révision commun selon la procédure législative classique.
Si l’initiative est parlementaire on doit organiser un référendum mais si l’initiative est de l’exécutif, le président de la république a le choix : soit il organise un referendum soit il décide de convoquer le parlement en Congrès. Autrement dit, on met tous les parlementaires dans un autre lieu et on adopte ou rejette le texte à la majorité des 3/5 des suffrages exprimés. C’est difficile mais normal car la Constitution est rigide.

Dans la pratique toutes les initiatives de révisions qui ont réussi, par le biais de cet article, ont émané de l’exécutif. Le président de la république a dans tous les cas eu recours à la procédure du congrès sauf deux fois : en 2000 avec le referendum sur le quinquennat, en 2005 avec le traité constitutionnel européen, rejeté par les français.
Le vote des assemblées intervient en vote identique, cela signifie que le bicamérisme inégalitaire (sénat moins important) s’efface, les deux assemblées sont mises sur un pied d’égalité, donc l’approbation sénatoriale est incontournable. C’est pour cela que De Gaulle en 1962 confronté à l’hostilité sénatoriale va passer par une autre procédure, celle de l’article 11, ouvrant par la même occasion un mode de procédure parallèle de révision de la Constitution.

2. Le précédent contesté de 1962 (article 11)
La question qui se pose est celle de la constitutionnalité du retour à l’article 11 pour réviser la constitution.

Arguments qui militent pour démontrer l’inconstitutionnalité du recours à l’article 11 :
– l’article 89 compose a lui seul le titre 1, il n’y a pas d’autres articles. Or ce titre ne mentionne aucune autre procédure de révision.
– l’article 89 expose de manière claire et précise la façon dont il faut s’y prendre pour réviser la constitution, on peut donc penser que toute autre procédure n’a pas été voulue par le constituant.
– quand on fait une comparaison entre les articles 11 et 89 on constate que les champs d’applications ne sont pas les mêmes : l’article 11 concerne l’organisation des pouvoirs publics constitutionnels. Le champ de l’article 11 n’est qu’un élément de l’article 89.

Arguments qui justifient le recours à l’article 11
:
– rien n’interdit formellement que les deux articles 11 et 89 jouent de manière concurrente.
– l’emploi de l’article 11 peut très bien être analysé comme découlant de l’article 3 de la Constitution.
L’idée est qu’en tant que souverain le peuple est le véritable détenteur du pouvoir constituant.
Il est donc normal que ce pouvoir puisse s’exprimer selon les procédures, les moyens prévus par la constitution, par le biais du référendum.
Seulement, cet un argument un peu bancal car le recours au référendum fait participer le peuple à ce qu’on appelle le pouvoir constituant dérivé. Or dans la constitution ce pouvoir constituant dérivé relève de l’article 89 et pas d’une autre procédure.
– en ratifiant cette révision le peuple accepte le contenu mais accepte aussi la procédure suivie. C’est l’idée d’un accord a posteriori.
– idée selon laquelle il y aurait création d’une coutume constitutionnelle qui justifierait la possibilité de passer par l’article 11. Argument apparut en 1969 au moment ou DG fait « bis repetita » pour la régionalisation et modification du rôle du Sénat. Cela deviendrait une coutume. Mais pour que cela soit coutume il faudrait une pratique qui se répète et cela sur une certaine durée.
Or après De Gaulle aucun président de la république n’aura recours à la révision de la Constitution via l’article 11.
Mitterrand dit que l’article 11 peut être utilisé pour réviser, mais doit être utilisé dans des situations particulières.

B. Deux sources d’interprétation, source originelle liée à l’interprétation gaullienne et source conjoncturelle liée à l’adaptation


1. L’interprétation gaullienne et ses déclinaisons
Dans sa conférence de presse janvier 1964, DG donne son interprétation des institutions ni parlementaire ni présidentielle, mais présidentialiste.
De Gaulle considère la présidence de la Ve république comme la clef de voute des institutions.
Pour lui, le président est le détenteur unique de la souveraineté nationale, par conséquence il monopolise l’autorité au cœur même du pouvoir exécutif.
La conséquence est que les compétences exercées par les autres organes de l’exécutif sont en quelques sortes déléguées par le président : logique de délégation de pouvoir.
Il est le président parce qu’il est l’autorité légitime, il va tracer la ligne de démarcation entre les compétences qu’il se réserve et les compétences qu’il décide souverainement. D’où le domaine réservé du président mais qui en fait n’existe pas constitutionnellement.
De même, dans la pratique gaullienne de l’exécutif, le président conserve un pouvoir d’évocation, c’est la possibilité d’évoquer devant lui une affaire à tout moment.
C’est encore une conception présidentialiste du pouvoir. Cette pratique ne sera pas fondamentalement remise en cause par les successeurs du président, les autres présidents vont la décliner selon des paramètres :
– La personnalité du président
– La personnalité du premier ministre
– Importance ou non de la majorité parlementaire
L’approche présidentialiste est vivement critiquée notamment dans le coup d’état permanent à Mitterrand. Les majorités godillots qui sont à la solde du président renoncent à leurs prérogatives au profit du président.
La cohabitation met fin à l’hégémonie présidentielle, à un président qui ne dispose plus du soutien majoritaire à l’assemblée.
La cohabitation ouvre sur une autre interprétation possible.

2. Interprétation conjoncturelle liée à la cohabitation
La cohabitation évoque deux périodes : 1986-1988 puis 1993-1995, au cours desquelles, suite aux élections législatives, le président de la république F. Mitterrand se retrouve confronté à un gouvernement issu d’une majorité parlementaire qui ne coïncide pas avec la majorité présidentielle.
Ce à quoi s’ajoute une troisième cohabitation d’une nature différente en raison de sa longueur, 1997-2002, entre J. Chirac et L. Jospin.
Les périodes de cohabitation vont marquer la vie politique française par des moments de très fortes tensions, politiques, au sommet de l’état. Par exemple en juillet 1986, F. Mitterrand refuse de signer des ordonnances sur les privatisations voulues par le gouvernement de J. Chirac. En 1987 Mitterrand refuse de convoquer le gouvernement en session extraordinaire alors que le gouvernement de Chirac le lui demandait. En juin 2000 Jacques Chirac lui aussi va refuser d’inscrire un texte à l’ordre du jour du conseil des ministres.
En 1986 quand s’ouvre la première cohabitation de nombreux constitutionnaliste estiment qu’il est impossible de faire cohabiter durablement un président de la république et un gouvernement qui lui est hostile. Or on constate que deux cohabitations courtes plus une longue ont montré que cette période pouvait se prolonger plus de deux ans sans crise politique majeure, et si ces cohabitations on pu exister c’est sans doute parce que le président pendant ces périodes là s’est appliqué à respecter un adage : « La constitution rien que la constitution toute la constitution ».