Les privilèges mobiliers généraux et spéciaux

Les privilèges mobiliers généraux et spéciaux

Un privilège est un Droit que la loi reconnaît à un créancier, en raison de la qualité de la créance, d’être préféré aux autres créanciers sur l’ensemble des biens de son débiteur ou sur certains d’entre eux seulement. Droit de préférence qui permet même de suppléer certains créanciers à certaines conditions.

Section I : les privilèges mobiliers généraux :

Ce sont les privilèges qui grèvent tous les meubles du débiteur, mais pas ses immeubles.

Ce sont pour la plupart d’anciens privilèges absolument généraux dont l’assiette a été réduite aux meubles en 1955.

Ils sont justifiés selon intérêt privé ou public.

  • 1°)- les privilèges d’intérêt privé :

Code civil 2331: trois principaux privilèges :

  • privilège des frais funéraires;Code civil .2331-2
  • privilège des frais de dernière maladie:

Mais ce n’est plus nécessairement la maladie dont le débiteur est mort, mais la dernière maladie en date au moment de l’exercice du privilège, depuis 1892.

Ce sont tous les frais occasionnés par la maladie qui sont garantis (hospitalisation, médicaments etc.).

  • privilège pour la fourniture de subsistance:Code civil 2331-5:

Les subsistances indispensables à la vie : nourriture, logement, vêtement, eau, chauffage.

Ce privilège ne couvre que les prestations fournies au cours de la dernière année précédant l’exercice du privilège.

Code civil article 2331 prévoit trois autres privilèges, mais qui sont en fait abrogés par l’instauration et le développement des législations sur la sécurité sociale.

Ces trois privilèges ne garantissent que des sommes relativement modestes, sans danger même si occultes.

  • 2°)- les privilèges d’intérêt public :

Deux privilèges, non réglementés par le Code civil : privilège du trésor, juste annoncé au Code civil, à l’article 2098 et le privilège des caisses de sécurité sociale, Code civil 2327.

A)- le privilège du Trésor :

Il se subdivise en une multitude de privilèges institués au CGI, deux catégories :

1°)- privilège de 1er rang :

Il comporte le privilège de la contribution directe, privilège de la taxe sur le chiffre d’affaire, privilège sur la taxe départementale et communale, privilège sur les droits d’enregistrement et contribution indirectes.

2°)- privilège de 2nd rang.

Il comporte le privilège des douanes, des amendes etc.

Tous ces privilèges fiscaux sont traditionnellement justifiés par la primauté de l’intérêt général incarné par l’État, mais ils sont dangereux pour les autres créanciers pour deux raisons :

  • – leur rang est bon, ainsi les privilèges de 1er rang ne sont primés que par le superprivilège des salaires, privilège de la conciliation, privilège des procédures collectives, mais prime tous les privilèges civils.
  • – ces privilèges garantissent des sommes souvent considérables, car l’impôt est lourd et le Trésor est le 1er créancier lorsque l’on arrête de payer.

Danger de la règlementation législative :

La plupart des privilèges fiscaux sont sujet à publicité, lorsque le contribuable est un commerçant ou une personne morale de droit privé.

Cette publication devient obligatoire lorsque la créance fiscale impayée atteint un certain seuil (aujourd’hui 6mois d’arriérés).

Si cette obligation n’est pas respectée (pas publication), il est perdu en cas de sauvegarde, redressement, liquidation judiciaire.

La publicité du privilège conserve la sûreté pendant 4nas, sauf renouvellement.

B)- le privilège des caisses de sécurité sociale :

Il est prévu par CSS ; L243-4, garantit le paiement des cotisations sociales et majorations sociales.

C’est dangereux : son rang est moins bon que celui du privilège fiscal, car c’est celui du privilège simple des salaires, mais il peut garantir des sommes considérables.

Ce danger a conduit à une double restriction de ce privilège :

  • – restriction générale : le privilège ne garantit que les cotisations et majorations échues dans l’année précédant l’exercice du privilège.
  • – restriction particulière : lorsque le débiteur est un commerçant ou une personne morale de droit privé alors dans ce cas, le privilège doit être publié sans condition de seuil dans les 6 mois suivant l’échéance.

Le défaut de publicité, sanction : perte du privilège, de la sûreté en cas de procédure collective (sauvegarde, redressement, liquidation judiciaire).

Si la publicité est faite, conserve son privilège pendant 2 ans et 6 mois mais sans renouvellement possible.

Conclusion:

Tous ces privilèges généraux et mobiliers généraux, confèrent un droit de préférence, mais confèrent-ils aussi un droit de suite ?

  • Si le tiers acquéreur du meuble est de bonne foi, la question en réalité ne se pose pas car le tiers acquéreur est protégé par l’article du Code civil 2279, alors même que le droit de suite existerait : pas de droit de suite.
  • si le tiers acquéreur est de mauvaise foi, Cour de cassation répond par la négative, à propos du privilège du Trésor, qui ne confère pas de droit de suite.

Section II : les privilèges mobiliers spéciaux :

Ces privilèges grèvent des meubles déterminés et non la généralité des meubles.

Code civil article 2332 énumération, mais défectueuse :

  • – inexacte : elle inclut le droit de préférence du créancier gagiste, or contrat conventionnel donc pas un vrai privilège.
  • – incorrecte
  • – disparate : on ne voit pas la cause, raison d’être de ces privilèges.

Ce fut la doctrine qui a trouvé un fondement à ces privilèges : classement en 3 groupes :

  • le 1er groupe rassemble les privilèges fondés sur l’existence d’un gage tacite.

L’hypothèse est que la créance est née d’un contrat à l’occasion duquel un ou plusieurs biens du débiteur sont placés entre les mains du créancier.

La loi considère alors que ces biens lui ont été remis tacitement en gage.

  • le 2e groupe rassemble les privilèges fondés sur l’existence d’une valeur fournie au débiteur.

L’hypothèse est que le créancier par son fait a enrichi le débiteur.

La loi donne alors un privilège de valeur qu’il a incluse dans le patrimoine du débiteur.

  • le 3e groupe rassemble les privilèges fondés sur l’existence d’une perte évités au débiteur.

L’hypothèse est que le créancier a évité au débiteur un appauvrissement.

La loi lui donne alors un privilège de retour de valeur.

  • &1°)- les privilèges fondés sur l’existence d’un gage tacite :

– Le privilège du transporteur:

Avant l’article Code civil 2332-6° pour le seul transport terrestre des marchandises.

Aujourd’hui, prévu par Loi du 6/02/1998 pour tout transport de marchandise.

Ce privilège bénéficie d’un droit de rétention et d’un droit de préférence.

– le privilège de l’aubergiste:

Code civil 2332-5°, privilège sur les bagages du client : droit de rétention et droit de préférence.

le privilège pour frais de charge:

Code civil 2332-7°: la créance garantie est celle de l’État ou des particuliers, victimes de certains détournements de fonds commis par des fonctionnaires ou officier public.

Le privilège a pour assiette la somme que le pré-indicateur avait déposé à titre de garantie.

– le privilège du bailleur d’immeuble:

Code civil 2332-1°: la créance garantie, quant à sa source : doit être un contrat de bail immobilier, peu importe la nature initiale : bail ou sous bail.

La nature de la créance : il suffit qu’elle soit née du contrat de bail, créance de loyer ou de fermage ou encore une créance accessoire qu’a fait naître le bail (créance de réparation locative).

Montant de la créance garantie :

– loyers échus :

Sont en principe, intégralement, garantis par le privilège.

Exceptions :

Le privilège ne garantit que les 2 dernières années :

– de bail rural.

– au cas de sauvegarde ou de redressement judiciaire.

La loi veut ici sanctionner le créancier qui a laissé s’accumule trop d’arriérés et qui a crée ainsi un passif privilégié occulte.

– loyers à échoir :

Ne sont garantis pour le tout que pour le bail à date certaine, à défaut le privilège ne garantit que les loyers de l’année en cours et à échoir.

Exceptions :

– bail rural : ne garantit uniquement les loyers de l’année en cours et ceux de l’année à échoir.

– sauvegarde ou redressement judiciaire : que les loyers de l’année en cours, si le bail a été résilié.

L622-16 ; Code de commerce .

b)- assiette du privilège :

Ce sont les meubles qui garnissent les locaux.

La jurisprudence reconnaît au bailleur-créancier, comme au créancier gagiste, le bénéfice de l’article Code civil 2279, le bailleur de bonne foi, peut exercer son privilège sur les meubles qui garnissent les lieux, alors même qu’ils n’appartiennent pas au locataire.

La bonne foi du bailleur consiste en sa croyance que le bien appartenait au locataire, s’appréciant au moment de l’introduction des meubles dans les lieux.

Cette jurisprudence est dangereuse pour les entreprises de location de meubles et celles de crédit-bail.

Néanmoins, il suffit de prévenir le bailleur en lui dénonçant le contrat, en l’informant.

De plus, la jurisprudence considère que la mauvaise foi du bailleur peut s’établir par tous moyens, notamment par l’affectation des locaux à l’exercice d’une profession qui implique la détention des biens d’autrui.

Ex : entrepreneur qui expose des tableaux.

c)- exercice du privilège :

il confère au bailleur un droit de préférence sur le prix de la vente des meubles qui garnissent les lieux.

Mais il est efficace que si les meubles entrent et restent dans le local.

La loi accorde une double protection au bailleur :

– elle oblige le locataire, au moins dans les baux d’habitation et ?, à meubler les locaux.

Code civil article 1752.

– elle protège le bailleur contre le risque d’un dégarnissement des lieux, en lui ouvrant 2 saisies :

∙ saisie conservatoire de droit commun :

Mesure préventive, dont l’effet est de frapper les meubles d’indisponibilité entre les mains du locataire.

∙ saisie revendication:

Code civil 2332-1°.

Mesure réparatrice qui permet au bailleur de saisir le bien entre les mains d’un tiers-acquéreur, même de bonne foi.

Conditions :

– bailleur n’ait pas consenti à l’aliénation même tacitement ;

– que les meubles qui restent soient suffisants.

– que le bailleur agisse rapidement.

Le bailleur doit indemniser l’acquéreur de bonne foi, si celui-ci à acquis les biens chez un marchand ou sur un marché.

– privilège du syndicat des copropriétaires :

Les créances garanties sont celles du syndicat sur les copropriétaires.

Il est défini par la loi comme celui du bailleur ordinaire.

Mais si le copropriétaire défaillant a loué le lot, le privilège est reporté sur la créance de loyer.

Art 19 loi 1966.

  • &2°)- les privilèges fondés sur l’existence d’une valeur fournie, ou privilège du 2e groupe :

Il s’agit principalement du privilège du vendeur de meuble : Code civil 2332-4°

A)- créances garanties :

Prix de la vente du meuble, en capital, intérêt et accessoires, peu importe que la vente soit au comptant ou à terme, et peu importe la nature du meuble, corporel ou incorporel.

B)- assiette :

C’est la chose vendue.

Mais le privilège disparaît dans deux cas :

– perte de la chose (incendie ou inondation), sauf le jeu de la subrogation réelle, qui permet de reporter le privilège notamment sur indemnités d’assurance.

– transformation de la chose, matérielle, juridique, qui lui fait perdre son identité.

Ex : le raison devient du vin, la farine du pain ; le meuble est devenu immeuble par nature à la suite de son incorporation dans un immeuble.

C)- effets :

1°)- effets propres du privilège :

Le privilège donne un droit de préférence sur le prix de l’adjudication.

Mais ne confère pas de droit de suite, ne pouvant être exercé qu’entre els mains de l’acquéreur et non du sous-acquéreur.

Évidente si le sous-acquéreur est de bonne foi, mais vaut aussi pour celui de mauvaise foi.

Le privilège peut être réalisé sur le prix perçu, si individualisé, ou sur la créance de prix.

2°)- autres garanties du vendeur :

Le vendeur impayé dispose outre du privilège de trois autres garanties :

– du droit de rétention, si vente au comptant.

– de l’action résolutoire lui permettant de récupérer la propriété du bien.

– d’une action en revendication particulière, Code civil 2102-4° qui lui permet de rentrer en détention du meuble qui l’a livré.

Cette revendication suppose la réunion de plusieurs conditions :

∙ vente doit être au comptant ;

∙ la chose doit être restée en l’état (pas de transformation).

∙ la chose doit être restée entre les mains de l’acquéreur débiteur.

∙ la revendication doit être faite dans les 8 jours de la livraison.

Effets :

La vente n’est pas résolue, l’acquéreur reste propriétaire, mais le créancier-vendeur redevient détenteur, pouvant exercer son droit de rétention

3°)- le cas de procédure collective de l’acheteur :

Code de commerce ; L624-16 à -18: 3 hypothèses :

– les meubles ont été livrés à l’acheteur :

Les droits du vendeur sont sacrifiés, au crédit apparent de la chose, de l’acheteur.

Le privilège disparaît et l’action en revendication aussi.

Le droit de rétention est par hypothèse perdu, puisque la chose a été livrée.

Et l’action résolutoire est exclue en raison de la suspension des poursuites.

– les meubles sont toujours entre les mains du vendeur :

Le vendeur conserve son privilège et son droit de rétention.

L’action en revendication ne se conçoit pas.

Et l’action résolutoire est exclue en raison de la suspension des poursuites.

– les meubles sont en cours de transport :

Le privilège et la revendication sont maintenus, sauf si les marchandises ont été revendues sans fraude en cours de transport.

  • &3°)- les privilèges fondés sur l’existence d’une perte évitée (au débiteur) :

Il s’agit du privilège du conservateur.

A)- créances garanties :

Ce sont les créances nées à l’occasion de la conservation d’un bien, source dans un contrat ou quasi-contrat.

Conservation: l’action sans laquelle eut péri en tout ou en partie.

La conservation suppose toujours un péril, donc urgence (≠ entretien, amélioration, transformation).

Mais la qualification est parfois difficile :

– elle ne résulte pas toujours de la nature de la dépense, mais des circonstances.

Ex : fourniture de mazout à un navire.

– il existe une tendance à assimiler à la perte matérielle (disparition physique) du bien sa perte économique : son inaptitude à l’usage auquel il est destiné.

Si l’on suit cette tendance, le privilège couvrira l’installation d’un matériel exigé par la loi (ceinture de sécurité dans une voiture) ou des installations nécessaires à la bonne destination de la chose (installation sur un chalutier d’un sonar).

–> conception fonctionnelle de la conservation, plus seulement matérielle.

La jurisprudence a tendance à repousser cette conception fonctionnelle.

B)- assiette :

C’est le ou les biens conservés.

Le privilège disparaît avec la chose, sauf le jeu de la subrogation réelle (assurance).

C)- effets :

Droit de préférence, très souvent le conservateur a aussi un droit de rétention.