N’est pas brevetable l’invention contraire à l’ordre public ou aux bonnes mœurs

L’exclusion des inventions contraires à l’ordre public ou aux bonnes mœurs

Le législateur pose en principe que «Les inventions dont la publication ou la mise en œuvre sont susceptibles d’attenter aux bonnes mœurs, ou de se révéler contraires à des prescriptions d’ordre public, ne peuvent être brevetées», comme en dispose l’article L. 611-17 du Code de la propriété industrielle.

Il faut souligner que la mise en œuvre d’une invention ne peut être considérée comme contraire à l’ordre public ou aux bonnes mœurs du seul fait qu’elle est interdite par une disposition légale ou réglementaire. Cela signifie que seront brevetables des inventions qui, sans contrevenir aux règles communes de convenance ou d’honnêteté, ou sans troubler la paix et la sécurité des citoyens, pourraient tomber sous le coup d’un monopole d’Etat on être d’exploitation restreinte par des textes spéciaux.

Exemple : ce qui concerne certaines substances dangereuses, certains matériels électroniques de communication ou de radars.

L’existence d’une législation de ce type, qui viendrait réglementer l’exploitation de ces technologies, ne suffit pas pour que le juge déclare ces inventions contraires à l’ordre public ou aux bonnes mœurs. Il ne peut prendre cette décision que dans le cas où ces inventions viendraient effectivement contrarier l’ordre public et les bonnes mœurs, mais pour un motif propre.

Exemple : on a affaire à une demande de brevet qui contient un gaz dangereux et mortel. Compte tenu de la législation, l’on aurait une interdiction légale, car si l’on utilise ce gaz exclusivement pour tuer des gens et que l’on ne voit pas d’autre application, il y aurait une contrariété évidente à la réglementation et à l’ordre public.

Pendant très longtemps, la disposition n’a pas soulevé de débat, mais il y a deux cas anciens qui mettent en œuvre la disposition par le juge :

  • L’un au sujet d’un dispositif contraceptif ;
  • L’autre pour une pipe à opium.

On était là sur des contentieux du début du XXème siècle.

On peut se poser la question de savoir aujourd’hui comment un juge traiterait une demande de ce type-là. Pour la pipe à opium, on peut se poser la question, car l’idée de breveter une pipe à opium dans un pays qui prohibe la consommation des stupéfiants peut être contradictoire. Le juge n’est pas l’Etat, donc la question se pose de savoir si l’on peut prohiber la brevetabilité d’un objet permettant la consommation d’un produit stupéfiant.

S’agissant du dispositif contraceptif, la contraception a été légalisée dans les années 1970, et donc la solution aujourd’hui serait tout autre qu’à l’époque : il n’y aurait pas de problème.

Il y a dans cette catégorie l’avantage de la souplesse, car elle invite à traiter les demandes au cas par cas. Cette disposition a, contre toute attente, retrouvé un regain d’intérêt avec l’émergence des inventions biotechnologiques.

La question que l’on peut soulever est celle de la possibilité de breveter des organismes vivants. Plus précisément, cette question a été soulevée devant l’Office américain des brevets, qui délivra en 1988 un brevet sur un animal transgénique au profit de l’Université de Harvard. Plus précisément, ce brevet avait été délivré pour une souris dans laquelle ont été introduits des oncogènes, et donc les différents oncogènes étaient baptisés et celui-ci avait été précisément baptisé « MYC ». Cette souris transgénique était un animal de laboratoire, et la manipulation dont elle a fait l’objet a développé chez elle le développement de certains gènes du cancer dans le but de tester les caractères cancérigènes de certains médicaments.

Au lendemain de la délivrance de ce brevet, des associations – notamment pour la défense des animaux – mais également des écologistes et des responsables religieux, se sont alliés pour s’élever contre la brevetabilité des animaux. La demande de brevet a également été effectuée auprès de l’Office européen des brevets, qui a lui aussi délivré le brevet.

Parmi les arguments qui sont invoqués se trouve celui de l’atteinte portée à la diversité biologique. Il est en effet soutenu que le droit des brevets, en incitant à la recherche, favorise l’apparition d’animaux nouveaux et à une monopolisation du matériel génétique, avec une prédominance de certaines lignées génétiques d’animaux. Ce premier argument est un peu général.

On a également soulevé le risque d’insémination incontrôlée de gènes indésirables de nature à nuire à l’environnement. Le dernier argument soulevé est celui selon lequel ces manipulations sont des actes de cruauté infligés aux animaux.

Des arguments analogues ont été opposés au sujet de la délivrance de brevet sur des plantes. On n’est plus sur l’expérimental. Est avancé un risque d’érosion génétique, puisque l’on estime que la brevetabilité des plantes amènerait à une diminution sensible du nombre de variétés végétales existant, et donc forcément à une érosion génétique : moins on a de variétés, plus on a un risque qu’il y ait des plantes qui « dominent » les autres.

Ce qui peut être gênant, c’est l’accusation qui est faite envers les brevets. Que l’on manipule est une chose, que l’on brevette en est une autre. On n’a pas attendu le droit des brevets pour les transgénèses.

Est-ce qu’on peut considérer que l’incitation à la recherche est un mal ?

Evidemment qu’il y a des risques.

Mais est-ce que pour autant le droit des brevets doit s’inscrire dans cette politique, et poser en principe le fait que l’on ne doit pas breveter des organismes transgéniques ?

A priori, la réponse est non, cela ne doit pas conduire à l’interdiction de breveter des organismes transgéniques, et cela vaut aussi bien pour les plantes que pour les animaux.

A côté de cela, il y a des argumentations plus ciblées, mieux construites.

Peut-on reconnaître un monopole d’exploitation au profit d’une personne pour un organisme transgénique ?

Certains considèrent qu’on ne doit pas donner de monopole d’exploitation pour un organisme transgénique déterminé à une entreprise.

Il y a une entreprise qui développe aujourd’hui de nouvelles technologies et qui s’est longtemps intéressée aux produits chimiques (Monsanto©), comme des désherbants, qui s’attaquent à tout sauf à la plante qu’ils vendent également. Cette entreprise a donc d’abord travaillé sur ce désherbant, et elle a ensuite travaillé sur le maïs OGM, le blé, le soja, etc. Ces plantes ont été modifiées génétiquement pour résister à l’herbicide. On a donc réussi à introduire dans des variétés de plantes des gênes qui leur permettent de résister à l’herbicide.Monsanto© surfe totalement sur la vague des brevets, puisqu’ils détiennent des brevets pour ces variétés.

Monsanto© est une firme internationale, et le Brésil (par exemple) est un pays où l’on produit des récoltes à grande échelle. Il y a une pratique à laquelle se prêtent les agriculteurs depuis longtemps : le réensemencement (ils récoltent une partie et la replantent), qui permet d’éviter de se réapprovisionner en semence tous les ans. C’est une pratique très développée partout dans le Monde. Le monopole d’exploitation est le fait d’être le seul à pouvoir exploiter un produit. Ici, ce serait donc la vente des graines aux agriculteurs. On voit donc bien que le cycle d’exploitation de la semence tombe sous le coup du brevet. Avec le réensemencement, les agriculteurs n’ont pas besoin de replanter, et donc le détenteur du monopole d’exploitation peut se sentir volé.Cela a donc été un gros dilemme entre les américains de Monsanto© et les agriculteurs brésiliens.

A un moment, Monsanto© a acheté un brevet à une entreprise qu’on appelait « Terminator » qui rendait la récolte stérile. Elle ne pouvait donc pas être replantée.

Tout cela suscite beaucoup de questions, car l’on se demande si l’on va jusqu’au bout de la logique du brevet ou si l’on doit adopter une certaine tolérance. Le Brésil a finalement décidé d’adopter une législation qui ne permet pas de breveter des gènes des plantes, et donc les brevets de Monsanto© ne sont plus valables sur le territoire brésilien.

Attention : si le Brésil a adopté une législation qui ne permet pas de breveter des gènes de plantes, cela ne vaut qu’au Brésil. Or, le Brésil ne produit pas que pour lui : il exporte sa production. Donc, le droit de Monsanto© renaît dès lors que les semences franchissent les frontières du Brésil. Plutôt que d’exporter des semences de blé issues de la récolte, ils ont transformé sur place et ont exporté de la farine. Voilà comment on peut imaginer de contourner un brevet. Monsanto© ne s’est pas démonté, et quand cette farine est arrivée en France, ils se sont dit propriétaires d’un brevet à l’égard des semences de blé ayant permis la fabrication de cette farine.

Cela a fait grand bruit, et le raisonnement des juges a été le suivant : la farine est une matière morte, et non pas une matière vivante, dans laquelle les propriétés génétiques du blé ne s’expriment pas. Par conséquent, cette exportation est parfaitement licite. On est donc face à un choix tactique, qui touche à l’ordre public et aux bonnes mœurs.

Au-delà des plantes, au-delà des animaux, au-delà de la décision rendue au sujet de la souris oncogène, une décision importante a été rendue s’agissant du corps humain et les éléments le composant. Plus précisément, il s’agit de la Décision de l’Office européen des brevets du 8 décembre 1994, Relaxine[1][6]. Ce brevet portait sur une hormone qui est secrétée par les ovaires, le tissu mammaire ou le placenta au cours des semaines qui précèdent un accouchement. Cette relaxine est un thrombotique qui a un effet vasodilatateur (qui dilate les vaisseaux sanguins).

Dans cette décision, les opposants dénonçaient l’immoralité de l’acte, qui consiste à isoler le gène de la relaxine sur des tissus prélevés sur une femme enceinte, dans la mesure où l’exploitation d’un état corporel de la femme – la grossesse – aux fins d’un procédé technique à but lucratif, au motif que cela porterait atteinte à la dignité humaine. Cet argument n’a pas séduit les juges, qui ont considéré que l’acte de prélèvement n’avait rien d’immoral, dans la mesure où d’une part, les femmes sur lesquelles les prélèvements avaient été effectués avaient accepté d’agir dans le cadre d’opérations gynécologiques qui s’imposaient, et dans la mesure où d’autre part, ce type d’expérience s’était souvent révélé être une source de produits utiles.

L’argumentation donnée par les juges soulève donc :

  • L’idée d’un consentement ;
  • L’idée que l’acte s’imposait ;
  • L’idée que la manipulation avait un intérêt.

C’est une position qui avait aussi été suivie dans la décision sur la souris oncogène de Harvard, ce qui est intéressant,puisqu’elle rappelle le but de Santé publique. Mais c’est néanmoins gênant, car l’on s’aperçoit finalement qu’il y a eu une mise en balance qui a été faite entre la cruauté envers les animaux et les bénéfices tirés pour la population. La seule limite à cela est qu’on avait en même temps une demande formulée pour une souris manipulée génétiquement, et qui était destinée à lutter contre la calvitie. Les juges avaient considéré que cela ne faisait pas pencher la balance dans le même sens, car il n’y avait pas un intérêt suffisamment fort pour justifier les souffrances infligées aux animaux.

On peut leur rendre hommage sur un point, c’est qu’ils tentent de rester le plus objectifs possible. On sait qu’il y aura une sensibilité qui peut évoluer selon le temps, les pays, les personnes, etc., mais on voit bien qu’il n’y a pas de position de principe contre ces techniques.

Globalement, les juges savent trancher dans le vif, et c’est ce qui s’est produit avec l’hormone relaxine.