La notion de patrimoine : théorie classique et moderne

Le patrimoine : définition et théories du patrimoines

Le patrimoine c’est l’ensemble des biens et des obligations appartenant à une personne et évaluable en argent. Cette définition est issue de la théorie dite moderne du patrimoine. On distingue théorie classique et théorie moderne.

Résumé sur la théorie du patrimoine

Aubry et Rau (Charles Aubry 1803-1883 et Charles Rau 1803-1877) créent la théorie du patrimoine :

  • Le patrimoine est une universalité, c’est un tout avec l’actif et le passif.
  • Le patrimoine est une émanation de la personnalité. Toute personne à un patrimoine et un seul. Le patrimoine est indivisible de la personne et tout individu est tenu de payer ses dettes avec ses biens présents ou à venir (Notion introduite par l’ancien article 2092 du code civil, devenu l’article 2294 après l’ordonnance du 23 mars 2006).

Cette théorie a été attaquée, car non évolutive, trop classique, et notamment sur le principe de l’unicité du patrimoine.
En effet, pourquoi ne pas admettre la possibilité de créer un, deux, trois ou plusieurs patrimoines ?
C’est l’émergence de la théorie du patrimoine d’affectation, notamment par la création d’un patrimoine professionnel distinct.


Résumé sur la théorie moderne du patrimoine

« Le patrimoine c’est l’ensemble des biens et des obligations appartenant à une personne et évaluable en argent »

Le patrimoine est une enveloppe fictive destinée à contenir les biens et les dettes d’une même personne au-delà des droits purement patrimoniaux il existe des droits extra patrimoniaux qui ne sont pas forcément évaluables en argent. Exemple : Le droit d’aller et venir, le droit de vote, le droit à la dignité, l’Image,… L’atteinte à ces droits peut donner lieu à des dommages et intérêts, ils sont donc évaluables en argent.
Les droits patrimoniaux sont réels et personnels.

L’ensemble des droits et obligations de la personne juridique s’intègre dans son patrimoine. Les rédacteurs du Code civil n’ont pas envisagé spécialement la notion de patrimoine. C’est au XIXe siècle qu’Aubry et Rau ont tenté de définir le patrimoine. Nous envisagerons la théorie classique du patrimoine d’Aubry et Rau avant d’exposer les critiques qu’elle a suscitée.

  • I- La théorie classique d’ Aubry et Rau

-Pour Aubry et Rau, « le patrimoine est l’ensemble des biens d’une personne, envisagé comme formant une universalité de droit ». L’idée de patrimoine se déduit directement de celle de la personnalité. Dans cette théorie classique d’Aubry et Rau, le patrimoine présente trois caractères essentiels : le patrimoine est une universalité juridique (A), le patrimoine est lié à la personne (B) et le patrimoine ne contient que des droits pécuniaires (C).

A – Le patrimoine est une universalité juridique

-L’ensemble des droits d’une personne forme une universalité : son patrimoine. Cet ensemble forme un seul bloc. Ces droits sont liés les uns aux autres ; ils constituent une universalité juridique. Le patrimoine comporte deux compartiments.

– A l’actif, figurent tous les droits, les éléments qui ont une valeur positive.

– Au passif, figurent toutes les obligations, les éléments qui ont une valeur négative. A l’opposé, les simples universalités de fait (troupeau, bibliothèque ou le fonds de commerce sont un ensemble de choses ou de droits sans passif correspondant). Le patrimoine est un ensemble de droits et de charges, actuels et futurs, dans lesquels les droits répondent des charges.

-La principale conséquence résultant de l’universalité des éléments du patrimoine est le lien qui existe entre l’actif et le passif. Les éléments actifs d’un patrimoine, par exemple les droits de propriété et les droits de créance, sont liés aux éléments passifs, c’est-à-dire aux dettes de la personne. L’actif répond du passif. En conséquence, les créanciers de la personne peuvent se payer sur l’actif. Les créanciers chirographaires (celui qui n’a aucune sûreté réelle) ont un droit de gage général sur le patrimoine de leur débiteur (Article 2092 Code civil).

En effet, n’ayant aucun droit particulier sur un bien déterminé (comme les créanciers hypothécaires), ils ont, en vertu de cette notion d’universalité du patrimoine, d’un droit sur tous les éléments du patrimoine. L’ensemble des éléments de l’actif doit répondre du passif.

-Une autre conséquence de cette universalité explique les conséquences liées à la transmission du patrimoine à cause de mort. L’ayant cause hérite de son auteur le patrimoine dans son ensemble. Le passif et l’actif étant liés, l’héritier recueille à la fois les droits de son auteur mais aussi ses dettes. Cette transmission est dite à titre universel, par opposition à celles qui peuvent être réalisées du vivant de la personne : les héritiers sont donc les ayants cause universel, s’ils recueillent la totalité du patrimoine de leur auteur, actif et passif étant nécessairement liés, à titre universel, s’il n’en reçoive qu’une fraction (1/4, 1/2, etc…). Les ayants cause à titre particulier ne reçoivent quant à eux qu’un élément de l’actif du patrimoine du défunt. Cette transmission de l’ensemble ne peut se produire qu’à l’occasion du décès de la personne, car le patrimoine est lié à la personne.

B – Le patrimoine est lié à la personne

– Pour Aubry et Rau, le patrimoine est « une émanation de la personnalité et l’expression de la puissance juridique dont une personne se trouve investie comme telle ». De cela, en résultent plusieurs grandes conséquences : seules les personnes ont un patrimoine, toute personne a un patrimoine, toute personne n’a qu’un patrimoine.

-Seules les personnes ont un patrimoine. Il ne peut y avoir de patrimoine sans le support d’une personne, physique ou morale. Ceci explique pourquoi les fondations qui n’ont pas de personnalité juridique, n’ont pas, non plus, de patrimoine. La fondation est l’affectation d’une certaine masse de biens à un but déterminé (but charitable, culturel ou scientifique), par exemple à la création et au fonctionnement d’un hôpital ou à la conservation et l’étude des œuvres d’un artiste déterminé, etc… Ceci est un sérieux obstacle puisque, par exemple, la fondation n’étant pas une personne, elle ne peut recueillir de dons ou de legs (un décret peut néanmoins conférer fictivement la personnalité à une fondation, si elle est reconnue d’utilité publique). Le patrimoine n’est pas seulement lié aux personnes physiques. Les personnes morales, comme le sont les sociétés commerciales, par exemple, ont un patrimoine, différent de celui de ses associés . Dès lors, c’est l’actif de la société qui répond de son passif, ses dettes.

-Toute personne a nécessairement un patrimoine. Le patrimoine est le contenant de ses droits et obligations.

Ce n’est pas le contenu (langage courant). Toute personne physique ou morale a nécessairement un patrimoine, même si son contenu est nul. En effet, même si le passif est supérieur à l’actif, la personne n’en a pas moins un patrimoine. Toute personne a un patrimoine parce qu’elle est apte à avoir des droits et des obligations, qui prendront place dans ce patrimoine. Le patrimoine est lié à l’existence de la personne juridique. Le patrimoine n’est donc pas transmissible entre vifs. Une personne ne peut que céder des éléments de son patrimoine par exemple son droit de propriété sur tel immeuble, mais pas l’universalité de droit que constitue son patrimoine. En principe, selon la logique de la théorie, le patrimoine devrait disparaître avec le décès de son titulaire. Or, pour écarter cette conséquence fâcheuse, le législateur a recouru à une fiction empruntée en droit romain, la continuation de la personne du défunt par l’héritier. Le patrimoine du défunt va se fondre dans le patrimoine de l’héritier. A aucun moment, les droits et obligations ne restent sans titulaire. L’héritier sera immédiatement titulaire des dettes et tenu des obligations dans les mêmes conditions que l’était le défunt.

-Une personne n’a qu’un patrimoine. L’héritier n’est pas titulaire de deux patrimoines, le patrimoine du défunt va se fondre dans le sien. On ne peut être deux personnes à la fois, on ne peut être titulaire de deux patrimoines.

Aussi, on ne peut isoler un bloc de droits et d’obligations que si on peut les rattacher à une personne

juridique. Ceci explique la différence qui existe entre le commerçant qui exerce individuellement son négoce et

celui qui l’exerce sous forme de société. Dans le premier cas, le fonds de commerce est un élément du patrimoine

du commerçant et les dettes résultant de l’exploitation de ce commerce seront compensés par tous les éléments

actifs appartenant personnellement au commerçant. Tandis que le commerçant qui exerce sous forme de société,

personne morale, a crée une autre universalité de droit, le patrimoine dont la société est titulaire. Les deux

patrimoines sont distincts.

C – Le patrimoine ne contient que des droits pécuniaires

– Pour Aubry et Rau, le patrimoine ne comprend que des droits de valeur pécuniaire, évaluables en argent, auxquels on réserve, pour cette raison, le qualificatif, de droit patrimoniaux, par opposition aux droits non pécuniaires (droit au nom, de la personnalité, d’exercer l’autorité parentale, etc…). L’idée est que les droits sans valeur pécuniaire sont hors du patrimoine parce qu’ils ne peuvent être saisis par les créanciers.

  • II – Critiques de la théorie classique

– La théorie d’Aubry et Rau a fait l’objet de critiques, tant sur le plan théorique que quant à ses conséquences pratiques : on a pu soutenir que la notion classique de patrimoine était beaucoup trop étroite et constituait donc une gène au développement économique.

-En premier lieu, on a fait valoir qu’il était sans fondement de cantonner la théorie du patrimoine sur le plan économique et d’en exclure les droits sans valeur pécuniaire. En effet, de nombreux droits de la personnalité ont une incidence pécuniaire (droit de la filiation, droit à l’intimité de la vie privée, droit de l’auteur sur son œuvre, etc…)

-On a aussi surtout critiqué ce parallélisme excessif entre personnalité et patrimoine. En effet, la vie des affaires souffre de la règle d’indivisibilité du patrimoine. Une même personne, physique ou morale, peut avoir des secteurs d’activités différents. Il serait souhaitable alors de pouvoir isoler les masses de biens et de dettes qui correspondent à chacun des secteurs. Ainsi, il serait souhaitable qu’un commerçant puisse isoler les dettes et les droits relatifs à l’exercice de son activité commerciale sans les confondre avec ceux relatifs à sa vie familiale. S’il pouvait ainsi isoler une masse de biens déterminée, il mettrait à l’abri sa famille contre le risque de faillite. Pour parvenir à ce résultat, les commerçants sont alors tentés d’exercer leur profession sous forme de société, créant artificiellement une personne juridique, dans le seul but, pas toujours atteint, d’établir un écran entre leur patrimoine familial et celui affecté à l’exercice du commerce. On a proposé une conception plus moderne : le patrimoine d’affection. La destination ou la finalité constituerait un facteur de regroupement des biens. Ainsi, par exemple, l’affectation de certains biens à l’exercice du commerce et le but commercial des engagements pris dans cette activité, permettent d’isoler une masse cohérente de droits et de dettes. La théorie du patrimoine d’affectation permettrait de réaliser des universalités de droits sans sujet de droit.

-Certains droits étrangers rejettent la notion de patrimoine lié à la personnalité. Le droit anglo-saxon ne l’a jamais admise. Le droit allemand et le droit suisse l’ont abandonnée. Pour ces droits, une personne peut céder de son vivant son patrimoine et surtout, une même personne peut avoir plusieurs patrimoines. Sans renier la théorie d’Aubry et Rau, notre législateur moderne y a quelque peu porté atteinte. Ainsi, une loi du 11 juillet

1985 a crée l’E.U.R.L. (entreprise unipersonnelle à responsabilité limitée) et l’E.A.R.L. (entreprise agricole à responsabilité limitée), une société commerciale ou agricole composée d’un seul associé. L’idée est bien de créer un patrimoine d’affectation, puisqu’on crée une personne distincte du commerçant ou de l’agriculteur dans le seul but d’établir un patrimoine distinct. Le droit civil connaît de semblables fictions créées dans l’unique but d’établir des universalités de droit affectées à une finalité particulière.

Le Cours complet d’Introduction au droit est divisé en plusieurs fiches (notion de droit, biens, acteurs de la vie juridique, sources du droit, preuves, responsabilité…)