Les occupations illégales du domaine public

La protection contre les occupations illégales du domaine public : la poursuite des occupations sans titre du domaine public

L’occupant sans titre du domaine public est celui qui n’a pas de titre l’autorisant à occuper le domaine public ou celui dont le titre est arrivé à expiration.

Lorsqu’il y a une occupation sans titre du domaine public, l’administration est dans la même situation que le propriétaire privé qui voit quelqu’un occuper sa propriété privée et qui souhaiterait voir expulser la personne.

La différence réside dans le fait que le propriétaire privé n’est pas dans l’obligation de faire expulser ces occupants ; l’administration n’a pas ce pouvoir d’appréciation, elle a l’obligation de faire expulser l’occupant sans titre du domaine public dès lors qu’elle s’en aperçoit. Elle ne peut jamais tolérer l’occupation sans titre du domaine public.

N’y a-t-il pas des hypothèses où elle va néanmoins le faire ? Si, c’est fréquent dans la pratique car personne n’a connaissance de l’occupation sans titre, notamment le Préfet.

Protection contre les occupations illégales du domaine public

A) L’exécution d’office par l’administration

L’exécution d’office c’est l’action qui permet à l’administration d’agir directement sans saisir le juge. C’est l’arrêt du Tribunal des conflits du 2 décembre 1902 Société immobilière Saint Juste : cette décision retient que, par principe, l’exécution d’office par l’administration est illégale sauf dans deux hypothèses :

• dans le cas où une loi l’autorise ;

• en cas d’urgence manifeste et s’il n’existe aucune sanction légale ; c’est l’hypothèse où l’administration va pouvoir agir d’office, elle y est obligée car elle ne peut pas saisir le juge parce qu’il n’existe pas de voies de recours devant le juge dans l’état actuel du droit.

•Aujourd’hui, il n’y a pratiquement plus de situations où l’administration ne dispose pas de voies de recours. S’agissant de l’expulsion des occupants sans titre, l’administration ne pourra jamais invoquer l’absence de voies de droit puisqu’il existe une procédure d’urgence, le référé conservatoire, qui lui permet d’obtenir satisfaction.

Par conséquent, par principe, si l’administration a recours à l’exécution d’office, cette action sera en principe illégale car les conditions ne seront pas réunies ; c’est l’arrêt du Tribunal des conflits du 24 février 1992 Couach.

Par ailleurs, cela constituera une faute de la part de la personne publique qui engagera sa responsabilité devant le juge administratif, c’est l’arrêt du Conseil d’État du 8 avril 1961 Klein.

On peut même se demander si cette exécution d’office ne peut pas être constitutive d’une voie de fait, c’est-à-dire d’une action de l’administration qui porte atteinte à une liberté fondamentale, et qui est surtout une action insusceptible de se rapporter au pouvoir de l’administration ; dans ce cas, l’administration verra sa responsabilité engagée devant le juge judiciaire et non plus devant le juge administratif.

Généralement, ça ne sera pas constitutif d’une voie de fait, car même s’il y a une atteinte à une liberté fondamentale, ce n’est pas insusceptible d’être rattaché au pouvoir de l’administration.

Il y a quand même de rares cas où la qualification de voie de fait pourra être retenue : c’est l’arrêt du Tribunal des conflits du 4 juillet 1991 Association des jeunes et de la culture Boris Vian, l’administration avait agi d’office, et elle ne s’était pas contentée d’expulser les occupants sans titre mais avait détruit une partie de leurs biens.

En revanche, dans l’hypothèse où l’administration détruit un bien, et plus exactement un immeuble irrégulièrement implanté sur le domaine public, l’occupant sans titre ne pourra pas obtenir indemnisation de la part de la personne publique. C’est l’arrêt de la Cour administrative d’appel de Marseille du 21 février 2005 Compagnie AXA France où un Préfet avait donné l’ordre à des gendarmes de procéder à la destruction d‘une paillote implantée sur une plage en Corse. Le propriétaire de la paillote avait demandé indemnisation auprès du juge administratif pour la destruction de son bien, et une telle réparation n’a pas été admise puisque l’implantation d’un tel immeuble était illégale.

B) Le juge administratif, juge de l’expulsion du domaine public

Puisque l’exécution d’office est en principe interdite, l’administration devra donc saisir le juge pour faire expulser l’occupant sans titre. Il n’y a qu’un seul juge compétent en la matière, c’est le juge administratif, le juge naturel de l’expulsion du domaine public.

L’administration a trois recours possibles qui s’offrent à elles :

• elle peut demander que l’occupant soit poursuivi pour contravention de grande voirie ; dans ce cas, la contravention ne vient pas sanctionner une dégradation du domaine mais une occupation sans titre ; il n’y aura donc pas forcément frais de réparation de remise en état du domaine ; cette voie de droit n’est pas souvent utilisée par l’administration ;

• elle peut saisir le juge administratif d’un recours en expulsion du domaine public ; l’inconvénient de cette procédure normale est le délai ;

• elle peut saisir le juge de l’urgence d’un référé conservatoire, prévu à l’article L.521-3 du Code de justice administrative ; c’est un recours qui permet au juge de prononcer toute mesure utile en cas d’urgence et en l’absence de contestation sérieuse ; en principe, ce recours est utilisé par l’administré contre l’administration ; là, on est dans une hypothèse très particulière car c’est l’administration qui exerce ce recours contre un administré ; la condition d’urgence sera généralement toujours remplie, parce que le juge va considérer que puisqu’il y a occupation illégale du domaine public, il y a urgence à expulser cet occupant ; c’est la voie royale.

•Ce référé ne peut aboutir s’il existe une contestation sérieuse ; la question qui s’est posée était de savoir, si l’occupant contestait l’absence de validité de son titre, s’il s’agissait d’un obstacle sérieux au succès du référé conservatoire. Le Conseil d’Etat a considéré que oui dans l’arrêt de section du 16 mai 2003 SARL Icomatex. Autrement dit, si le requérant soulève avec des moyens sérieux le fait qu’il est nanti d’un titre l’autorisant à occuper le domaine, ce moyen sera de nature à empêcher le juge de prononcer l’expulsion. Le requérant va saisir le juge administratif pour contester le fait qu’il n’a pas de titre à occuper le domaine public et, dans un même temps, la personne publique saisit le juge de l’urgence pour faire expulser l’occupant. Si les arguments du requérant devant le juge administratif apparaissent fondés et sérieux, le juge de l’urgence n’aura pas le droit de prononcer l’expulsion tant que le juge du fond ne se sera pas prononcé sur la validité du titre (jugement du tribunal administratif de Grenoble du 22 décembre 2003 pour l’expulsion d’occupants d’arbres centenaires dans un parc de la ville destinés à l’abattage ; arrêt du Conseil d’Etat du 3 février 2010 Commune de Cannes pour l’expulsion de plaisanciers qui avaient amarré leur bateau dans le port de Cannes sans autorisation).

Conseils bibliographiques

• Yolka, L’occupation du parc Mistral devant le juge administratif des référés, note sur l’arrêt du Tribunal administratif de Grenoble du 22 décembre 2003, AJDA

• Caille, Nouvelles précisions sur l’urgence à expulser l’occupant sans titre d’un port de plaisance, note sur l’arrêt du Conseil d’Etat du 3 février 2010, AJDA 2010, p.1591

Remarque : dans la lignée de l’arrêt SARL Icomatex, dans l’arrêt du 22 octobre 2010 Pustwou, le Conseil d’Etat se prononçait sur un référé conservatoire ; l’occupant invoquait le fait qu’il n’était pas un occupant sans titre, mais la juridiction retient que vu l’urgence et la nécessité impérieuse de le faire quitter les lieux, il n’y avait pas de contestation sérieuse à l’expulsion.

C) Les cas résiduels de compétence du juge judiciaire pour l’expulsion du domaine public

Le juge judiciaire va être compétent pour l’expulsion des occupants sans titre du domaine public dans deux cas résiduels :

• dans l’hypothèse de la voie de fait, mais c’est un cas de compétence marginale ;

• pour toute expulsion du domaine public portant sur la voirie routière ; c’est l’arrêt du tribunal des conflits du 17 octobre 1988 Commune de Sainte-Geneviève.

•Illustrations :

■ l’ordonnance du tribunal de grande instance de Paris du 11 janvier 2002 où le titre d’un forain était arrivé à expiration alors qu’il occupait la place de la Concorde à Paris ;

■ l’arrêt du Tribunal des conflits du 24 septembre 2001 Société BE Diffusion qui concernait l’occupation d’églises par les SDF ; l’église fait partie du domaine public, il est donc logique que ce contentieux relève de la compétence du juge administratif.