Qu’est ce qu’une preuve parfaite ?

La preuve des actes juridiques

Certaines branches du droit privé consacrent le principe ou le système de la liberté de la preuve, tant en ce qui concerne les faits juridiques, mais aussi en matière d’actes juridiques. Parmi ces branches du droit privé il y a le droit commercial. Pour tous les litiges entre commerçants, la preuve est libre. Même en matière contractuelle, les commerçants peuvent prouver par tous les moyens. La règle a été étendue dans le cas où un particulier prouve contre un commerçant : dans cette hypothèse le particulier peut prouver par tout moyen. Ces règles relatives à la liberté de la preuve en droit commercial sont prévues à l’article L 110-3 du code de commerce. Le commerçant qui souhaite prouver contre un non commerçant reste soumis à l’article 1341 du code civil et est soumis au système de preuve légale.

En droit civil, contrairement au droit commercial, une distinction va s’opérer entre acte juridique et fait juridique.

En matière d’acte juridique c’est le principe de la preuve pré-constituée qui s’applique : on estime que les parties ont eu le temps de matérialiser leur preuve (c’est à dire de matérialiser l’acte juridique). On exige donc en principe ce qu’on appelle une preuve parfaite.

A/ Le principe : la preuve parfaite

Cette preuve est dite parfaite parce qu’elle va lier le juge : il n’aura pas de pouvoir d’interprétation. Cette preuve parfaite est une preuve littérale, c’est à dire une preuve écrite (soit sur support papier soit sur support informatique), soit cette preuve parfaite est un aveu, ou serment décisoire.

1) La preuve littérale

La loi du 13 mars 2000 portant sur l’adaptation des droits de la preuve aux technologies de l’information et relative à la signature électronique a été l’occasion de donner une définition de la preuve littérale : article 1316 du code civil : « la preuve littérale, ou preuve par écrit, résulte d’une suite de lettres, de caractères, de chiffres, ou de tous autres signes ou symboles dotés d’une signification intelligible, quels que soient leur support et leur modalité de transmission ». C’est une définition très large conçue pour tenir compte des nouveaux supports, différents du support papier.

Cette même loi définit également la signature : article 1316-4 énonce que la signature manifeste le consentement des parties aux obligations qui découlent de l’acte, et l’article 1316-2 envisage le cas particulier de la signature électronique : « lorsqu’elle est électronique, elle consiste en l’usage d’un procédé fiable d’identification… ».

En principe en droit civil il n’y a pas de possibilité de rapporter librement la preuve. Il va falloir donc prouver la volonté de chacune des parties de s’engager dans le contrat. Par principe cette preuve a pu être établie au moment où les consentements réciproques ont été donnés. Cette matérialisation du consentement se fait par écrit ce qui permet de sécuriser la relation juridique, écrit qui peut se faire sur papier ou sur support électronique (ils ont tous les deux la même force probante). Il s’agira donc de l’acte instrumentum : ce support est exigé par l’article 1341 du code civil. Il s’agit d’un acte qui a été spécialement rédigé pour constater un acte negotium (comme un contrat). Cet acte instrumentum, ce support, peut être, et parfois doit être, un acte authentique, c’est à dire un acte rédigé par un officier public (comme un notaire ou un officier d’Etat civil tel le maire). L’acte sous seing privé (sous signature privée) est rédigé par les parties ou par l’une d’entre elles et rédigé par les parties à l’acte.

  • a) l’acte authentique : il présente une plus grande sécurité que l’acte sous seing privé, parce qu’il est rédigé par un officier public qui est une personne qui a été nommée par l’autorité étatique et qui est précisément contrôlée par cette autorité étatique. L’article 1316-4 indique que lorsque la signature est apposée par un officier public, cette signature confère à l’acte son authenticité, peu importe son support. Si on souhaite contester le contenu d’un acte authentique, cela revient à mettre en doute la bonne foi de l’officier public qui a rédigé cet acte. Il y a donc une procédure particulière de contestation que l’on appelle l’inscription de faux : procédure par laquelle on remet en cause ce qui a été écrit par l’officier public. En réalité cette inscription de faux ne concerne que ce qui a pu être constaté personnellement par l’officier public en question. Autrement dit dans un acte authentique on a des indications qui relèvent de la procédure d’inscription de faux et d’autres qui n’en relèvent pas. Exemple : contrat de prêt. Ce dernier peut être rédigé de manière authentique : le notaire peut alors indiquer dans ce contrat que la remise des fonds, de la somme d’argent empruntée, aura lieu à telle date, hors sa présence : la remise des fonds ne présente pas de caractère authentique. Si l’emprunteur devait prouver que les fonds n’ont pas été remis à la date prévue, il ne s’agirait pas d’une procédure d’inscription de faux. Autre exemple : en matière d’acte de naissance, rédigé par un officier d’Etat civil. L’officier va retranscrire les informations qui lui sont données sur la naissance de l’enfant : il n’a pas assisté directement à la naissance et donc il n’y a pas d’authenticité. Mais il y a caractère authentique de l’acte en ce qui concerne l’identité du demandeur.
  • b) L’acte sous seing privé: l’acte fera foi, sera reconnu comme valable, jusqu’à contestation par l’un de ses signataires. Autrement dit il a la même force probante que l’acte authentique tant que l’un de ses signataires ne conteste pas ni le contenu de l’acte ni sa signature. Dès lors qu’une partie remet en cause sa signature il va falloir procéder à une analyse graphologique pour les vérifier. Lorsque l’acte sous seing privé constate un engagement unilatéral de payer une somme d’argent (reconnaissance de dette) il y a une particularité : l’article 1326 du code civil énonce que ce type d’acte doit non seulement contenir la signature de celui qui s’engage, mais également la mention écrite par lui même de la somme en toutes lettres et en chiffres. En cas de différences entre ces deux mentions, on retiendra la somme écrite en lettres. L’article 1341 du code civil ne permet la preuve contraire à un écrit que par un autre écrit. Autrement dit on ne peut prouver contre un écrit que par un autre écrit, de la même manière on ne peut prouver outre un écrit que par un autre écrit.

3) L’aveu et le serment décisoire

L’aveu judiciaire et le serment décisoire ont une force probante absolue : le juge est privé de pouvoir d’appréciation. Ces modalités de preuve peuvent donc remplacer l’écrit lorsque, pour une raison ou pour une autre, un écrit ne peut pas être présenté au juge.

  • a) l’aveu judiciaire (en matière civile): il s’agit d’un aveu qui a été fait par l’une des parties au litige au cours du procès et devant le tribunal. Cet aveu constitue donc une preuve parfaite concernant l’acte ou le fait juridique auquel il se rapporte. Cet aveu va lier le juge quand bien même ce juge aurait des doutes sur l’aveu en question. Cet aveu est irrévocable (en matière civile) : une fois que l’aveu a été fait, il n’y a pas possibilité de revenir sur cet aveu.
  • b) Le serment décisoire : il est prévu à l’article 1357 du code civil : « le serment décisoire est celui qu’une partie défère à l’autre pour en faire dépendre le jugement de la cause ». L’hypothèse est la suivante : une des parties au litige ne peut prouver l’existence d’un acte ou d’un fait juridique, elle va donc demander à l’autre partie de prêter serment que ce fait ou cet acte n’existe pas. Autrement dit on va demander à l’adversaire de jurer que l’acte ou le fait juridique n’existe pas. On mise ici sur la moralité de l’adversaire. Concrètement, une demande est adressée à l’adversaire de jurer, à ce moment-là l’adversaire peut accepter le serment et jurer qu’il ne doit rien (il gagne alors le procès), ou bien il peut refuser de jurer, auquel cas l’adversaire perd le procès. L’adversaire peut aussi retourner le serment (« référer le serment »), et là vous ne disposez que de deux options : ou bien jurer, ou bien refuser de jurer.

B/ Les exceptions

Ces exceptions vont permettre de rapporter la preuve d’un acte juridique en dehors des preuves parfaites, c’est à dire en l’absence de preuve écrite, d’aveu, et de serment.

    • Première exception : en matière commerciale : l’article L 110-3 du code de commerce pose le principe de la liberté de la preuve et donc entre commerçants ou contre un commerçant, la preuve est libre.
    • Deuxième exception : lorsqu’un tiers veut prouver l’existence d’un contrat, auquel par définition il n’est pas partie.
    • Troisième exception : lorsqu’il existe un commencement de preuve par écrit : il existe un écrit mais cet écrit ne répond pas aux exigences de l’article 1341 du code civil (il ne s’agit pas d’un écrit spécialement rédigé pour constater l’engagement des parties. C’est un écrit qui va simplement, de manière incidente, évoquer l’existence de l’acte juridique. C’est un échange de correspondance par exemple, au cours de laquelle on va évoquer l’acte ou le fait juridique. Exemple classique : une personne prête de l’argent à une autre. L’emprunteur va écrire une lettre au prêteur dans laquelle il indique « je te remercie de m’avoir prêté la somme de X €, ne t’inquiète pas je te les rendrai comme convenu… ».) Cet écrit pourra constituer ce qu’on appellera un « commencement de preuve par écrit » à deux conditions : que l’écrit provienne de celui qui conteste l’existence de l’acte, et que l’écrit rende vraisemblable l’existence de l’acte juridique. Si on reprend l’exemple, la lettre adressée par l’emprunteur contient bien les deux conditions. L’article 1347 du code civil alinéa 3 énonce que peuvent être considérées par le juge comme équivalent à un commencement de preuve par écrit les déclarations faites par une partie lors de sa comparution personnelle devant le juge, son refus de répondre, ou son absence à la comparution. Dans tous les cas il faut compléter ce commencement de preuve par écrit par des indices, témoignages, présomptions…
    • Quatrième exception : lorsque l’acte juridique porte sur une somme inférieure à 1500€. Là encore la preuve devient une preuve libre.
    • Cinquième exception : l’impossibilité de se procurer un écrit. L’hypothèse est visée à l’article 1347 du code civil et se décompose en deux hypothèses : l’impossibilité matérielle tout d’abord (l’urgence, les usages), et l’impossibilité morale (on tient compte des relations entre les parties à l’acte, pour montrer que les parties ne pouvaient pas demander de reconnaissance de dette par exemple : amis, famille, supérieur hiérarchique). Autre hypothèse : impossibilité de présenter au juge un écrit qui a pourtant été préalablement rédigé : l’écrit a existé mais a été détruit (incendie par exemple). Dans toutes ces hypothèses, il faut prouver l’impossibilité dans laquelle on se trouve puis prouver l’existence de l’acte, par tous moyens.
    • Sixième exception : la présentation d’une copie fidèle et durable. Hypothèse prévue à l’article 1348 aliéna 2 : normalement on doit présenter un exemplaire original de l’acte en question (il doit y avoir autant d’originaux que de parties à l’acte lors de la création de l’acte…). L’article prévoit l’exception qui permet la présentation d’une copie de l’acte dès lors que cette copie est fidèle et durable (hypothèse d’une photocopie par exemple). En principe le fait de rapporter une photocopie permet simplement de s’insérer dans une exception : il faut ensuite prouver par tous moyens. La jurisprudence a néanmoins adopté une position souple à l’égard de la photocopie : dès lors que cette photocopie n’est pas contestée par l’adversaire, elle est quasiment assimilée à une preuve par écrit, il n’est donc pas nécessaire de compléter cette photocopie par d’autres moyens de preuve.