L’école classique en économie (Smith, Say, Ricardo, Malthus)

L’école classique.

Quatre économistes tiennent une place centrale dans le courant de pensée classique : Adam Smith (1723-1790), Jean-Baptiste Say (1767-1832), Thomas Malthus (1766-1834), David Ricardo (1772-1823).
L’expression « analyse classique » au sens étroit est d’ailleurs réservée au seul courant libéral à l’exclusion des économistes socialistes.

La pensée classique va se développer à partir de 1770 environ; elle dominera la pensée économique pendant près d’un siècle avant d’être supplantée dans ce rôle par l’analyse néo-classique. Dès le milieu du XIX ème siècle, elle sera à la fois approfondie et critiquée par MARX.

On peut distinguer comme principaux auteurs : SMITH, MALTHUS, RICARDO, JS.MILL et SAY.

Certes la pensée de ces auteurs est multiforme et parfois divergente et il peut paraître utopique de vouloir les regrouper en une seule école. Néanmoins quelques bases fondamentales leur sont communes, c’est pourquoi le terme d’école classique a pu être forgé. Ce sont ces convergences que nous voulons mettre en évidence.

1) Un monde en complet bouleversement.

La pensée classique ne peut se comprendre qu’en relation avec les profondes transformations de l’époque. Le monde que vivent les auteurs classiques est en profonde mutation. C’est sur ce contexte évidemment important qu’il apparaît nécessaire d’attirer en premier lieu l’attention en examinant les principales transformations.

A ) Croissance démographique

A partir du milieu du XVIII ème siècle, la population britannique va croître rapidement du fait notamment du recul de la mortalité ( de 40%° à moins de 30%°) alors que la natalité se maintient aux alentours de 40%°. De ce fait la population de la Grande-Bretagne passe de 7,5 millions en 1750 à 15 millions en 1800 puis 23 en 1850.

La France connaîtra un mouvement identique mais de moindre ampleur (23 millions d’habitants en 1750, 27,3 en 1800 et 35,7 en 1850).

B ) Révolution agricole

L’accroissement démographique entraîne une augmentation de la demande de biens essentiels : nourriture, vêtements… L’agriculture féodale, incapable de répondre à cette nouvelle demande, doit se transformer. Elle le fera par le mouvement des « enclosures », lois qui obligent d’ériger des clôtures autour des champs individuels et communaux. Seuls les plus riches peuvent se soumettre à cette réglementation ; les pauvres n’ont pas le choix, ils sont contraints de vendre et de quitter leurs terres. Cela permet un remembrement des terres, facteur de productivité, et entraîna un important exode rural poussant vers les villes une main-d’oeuvre peu qualifiée qui sera utilisée à bon compte par l’industrie naissante.

La révolution agricole sera aussi marquée par d’importantes innovations techniques ( par exemple : suppression de l’assolement triennal et de la pratique de la jachère) et par l’apparition de nouvelles cultures.

C ) Révolution industrielle.

A partir du dernier tiers du XVIIIème siècle, le machinisme va se généraliser à toutes les branches d’activité avec de nombreuses inventions techniques ( navette volante en 1733, machines à filer en 1765, métier à tisser en 1785, puddlage qui permet d’affiner la fonte en 1784…). La période se caractérise aussi par l’utilisation de forces motrices qui ne sont plus simplement naturelles mais qui sont produites par des activités humaines ( machines à vapeur mise en service en 1784).

La fin du XVIIIème va donner naissance aux « fabriques » caractérisées par le regroupement, dans des locaux particuliers, des ouvriers autour des machines mues par un moteur central. Il en résulte une division du travail très poussée, une parcellisation des tâches nécessaire face à une main-d’oeuvre peu formée et puissant facteur de productivité. Cela va entraîner aussi une séparation de plus en plus nette entre le capitaliste chargé d’apporter les capitaux nécessaires en quantités de plus en plus importantes et une main d’oeuvre peu qualifiée mais aussi peu payée, avec des conditions de travail très pénibles.

L’essor de l’industrie moderne s’accompagne de la naissance et du développement dans les centres industriels d’un prolétariat misérable, avec une montée puissante du chômage aggravé d’un exode rural de plus en plus fort. Les conditions de travail furent particulièrement pénibles aux femmes et aux enfants; les fabriques utilisèrent notamment, dans des conditions souvent odieuses, des bataillons d’enfants assistés qui leur étaient envoyés par les paroisses.

2 ) Les bases de l’analyse classique.

C’est dans ce contexte économique et social que les classiques construisent leur pensée économique. Celle-ci s’articule autour de quelques points fondamentaux.

A ) Une analyse en termes de classes sociales.

Les auteurs classiques distinguent trois classes : les salariés, les capitalistes et les propriétaires fonciers. Ces classes disposent de revenus de nature différente et « déterminer les lois qui régissent cette répartition, voilà le principal problème de l’économie politique ».

De plus, ces classes sont antagoniques et vont s’opposer dans la répartition du revenu ; « Dans tout de cours de cet ouvrage, j’ai cherché à prouver que le taux des profits ne peut jamais hausser qu’en raison d’une baisse des salaires » (RICARDO, 1807).

Enfin les salaires resteront fixés à un minimum même s’il s’agit pour RICARDO d’un minimum d’ordre sociologique et non uniquement physiologique. « Il y a bien des choses qui constituent aujourd’hui le bien être du paysan anglais et qu’on aurait regardées comme les objets de luxe à des époques reculées de notre histoire.

B ) Une analyse basée sur la valeur-travail.

D’autres auteurs avaient envisagé la notion de valeur-travail avant les classiques mais ceux-ci furent les premiers à la mettre au coeur de leur analyse. Le principe de la détermination de la valeur par la quantité de travail incorporée sera généralisé au travail indirect : le travail indirect concerne le capital qui est considéré comme du travail passé, emmagasiné. Il en résulte que la valeur d’échange d’une marchandise est déterminée par la quantité de travail direct et indirect c’est-à-dire la partie du capital qui a été nécessaire pour fabriquer le bien. Exemple : si une machine nécessite pour sa fabrication 1000 heures de travail et si elle permet de fabriquer 500 unités d’un bien A avant d’être complètement usée, alors la valeur d’une unité de bien A devra incorporer 2 heures de travail indirect à ajouter au travail direct nécessaire pour fabriquer une unité de A.

C ) Absence de crise de surproduction et libéralisme.

Considérant qu’il ne peut y avoir de crise globale de surproduction les auteurs classiques ne peuvent que conclure, dans l’ensemble, à la nécessité du libéralisme. L’Etat doit intervenir le moins possible et uniquement pour réprimer ceux qui ne respectent pas la règle du jeu. C’est la règle du « laisser-faire, laisser-passer ».

Le mécanisme impersonnel du marché permet d’harmoniser les intérêts individuels et assure qu’en recherchant son intérêt personnel chacun travaille à l’intérêt de tous. C’est la thèse de la « main invisible » de SMITH qui sert de fondement à ce principe libéral.

Enfin les auteurs classiques se reconnaissent dans une approche d’ordre macro-économique : ils négligent l’analyse individuelle au profit d’une analyse en termes de classe.

En définitive les classiques sont très proches de l’idéologie révolutionnaire de la fin du XVIII ème siècle. Ils ont été profondément marqués par les idées du « siècle des Lumières » et, à leur tour, ils joueront un rôle important dans le développement du libéralisme économique centré sur les idées de 1789. Ils défendent la propriété privée et les libertés individuelles, seules garantes du bonheur des hommes. Ils ont sous les yeux une économie en complet bouleversement, émerveillés par la richesse que représente le développement de ces nouvelles activités, ils seront les avocats convaincus du capitalisme naissant.