Responsabilité du fait des choses : la notion de gardien

Le responsable de la chose, le gardien :

La responsabilité du fait des choses est prévue dans le code civil à l’article 1384 alinéa 1, 1385, 1386, 1386-1 et suivants. Au départ il n’y avait que des régimes spéciaux (responsabilité du fait des animaux, du fait de la ruine d’un bâtiment, du fait de l’incendie).

Le Code Civil dans son article 1384 alinéas 1 n’envisageait qu’un texte d’introduction. Dans l’arrêt du 16/06/1896 dit Tifenne pour la première fois on donne corps à l’article 1384 al 1 en admettant que le gardien d’une chose soit responsable des faits et des dommages résultant de cette chose sans fautes.

Techniquement c’est une révolution : à partir de là de grandes controverses ont contribué à construire le régime de responsabilité du fait des choses. Dans ce régime on observe un régime commun et un régime spécial.

Il s’agit de repérer la cible de l’action en responsabilité d’où une controverse en la matière où la doctrine s’est demandée ce qu’il faut entendre par gardien de la chose : faut-il en faire un élément de droit ou de fait ?

Si l’on considère que c’est un élément de droit : il n’y a pas de définition de la garde de la chose, on considère que le propriétaire lui seul est gardien.

Si l’on considère que c’est un élément de fait : était gardien non le propriétaire mais l’utilisateur d’une chose, c’est cette deuxième conception qui l’a emporté Civ. 2/12/1941 Franck.

Mais une autre question se pose : quid de la responsabilité s’il y a plusieurs gardien d’une même chose

  • 1er. Le principe, un gardien unique :
  1. La notion de garde :
  2. Les critères de la garde :

La garde apparait à l’article 1384 al 1 mais sans définition. La jurisprudence pose les critères de la garde. Cette question a été tranchée en 1951 pas la Cour de cassation.

  1. Deux conceptions de la garde de la chose :

1ère conception : « théorie de la garde matérielle »: le gardien est celui qui, en fait, surveille la chose, qui la détient matériellement. La personne circulant sur sa bicyclette en est le gardien matériel. Inconvénient : Quand la chose était confiée par un commettant à son préposé, le préposé était le gardien. Or, il n’utilise pas la chose dans son intérêt et pour son propre compte : injuste qu’il soit responsable.

2ème conception : «théorie de la garde judiciaire »: le gardien est celui qui a un titre juridique sur cette chose. Peu importe que le gardien exerce lui-même son droit ou qu’il le fasse par l’intermédiaire d’un préposé. Le gardien est le propriétaire, locataire, emprunteur de la chose. Celui qui n’a aucun titre n’est pas gardien même s’il détient matériellement la chose. Même un voleur ne peut pas être gardien de la chose dans cette théorie. La responsabilité est la contrepartie de la prérogative juridique reconnue.

  1. Les critères posés en 1951 par l’arrêt Franck: Il y avait eu vol d’automobile et le voleur n’a pas été retrouvé. La voiture écrase une personne qui meurt. Le propriétaire n’est pas responsable puisque privé de l’usage, du contrôle et de la direction de la voiture, il n’en avait plus la garde. Depuis cet arrêt, — 3 éléments caractérisent la garde :

l’usage (se servir de la chose)

la direction (liberté dont la personne jouit quant à l’utilisation de la chose. pouvoir autonome de la personne sur la chose).

le contrôle de la chose (maitrise matérielle de la chose, faculté dont dispose la personne d’empêcher la survenance du dommage).

La jurisprudence avait posé avant cela le principe de l’incompatibilité des qualités de gardien et de préposé : Cour de cassation, civ, 27 février 1929. Confirmation dans la jurisprudence Franck car un préposé ne peut pas avoir la direction de la chose. Ces 3 critères doivent s’apprécier de manière objective. Peu importe que le gardien soit doté ou non de discernement : l’aliéné mental et l’infans peuvent être gardien : Ass Plén, 9 mai 1984, Gabillet: un enfant sur une balançoire à éborgner son camarade avec un bâton.

La conception de la garde adopté par la jurisprudence depuis l’arrêt Franck, n’est ni la garde matérielle, ni la garde juridique. Cette dernière n’est pas adopté, il ne faut pas de titre pour être gardien. La garde matérielle n’est pas totalement admise non plus car par exemple, le préposé ne peut pas être gardien, même s’il détient matériellement la chose.

La direction vise le pouvoir autonome de la personne sur la chose, donc la liberté dont elle jouit quant à l’utilisation de la chose. A ce titre, la jurisprudence a posé la règle dite de l’incompatibilité des qualités de gardien et de préposé (Civ, 27/02/1929). En cas de dommage causé par le fait d’une chose manipulée par un préposé, c’est le commettant qui est gardien de la chose.Ces éléments doivent être appréciés de manière objective, c’est-à-dire que peu importe que le gardien soit ou non doté de discernement. L’aliéné mental peut être gardien en vertu de l’article 489-2. De même, l’infans peut être gardien. C’est ce qu’a affirmé l’un des arrêts de l’assemblée plénière du 09/05/1984, Gabillet. Dans cette affaire, il s’agissait d’un enfant de 3 ans qui été juché sur une balançoire improvisée et qui éborgne avec un bâton un petit camarade.Certains auteurs estiment que pour la garde, cela n’est pas très cohérent, dans la mesure où un enfant de trois ans est censé maîtriser la chose dont il détient selon cette conception, tandis que le préposé ne sera jamais gardien.Sur ces critères de la garde, la conception de la garde qui est consacrée par la jurisprudencece depuis l’arrêt Franck n’est ni la garde matérielle, ni la garde juridique. Il s’agit d’une conception intermédiaire. Clairement, ce n’est pas la consécration de la garde juridique puisque le propriétaire n’est pas le responsable. En cas de vol, le propriétaire n’est plus gardien. La garde matérielle n’est pas admise dans son intégralité puisque le préposé n’est pas gardien. Toutefois, cette preuve n’est pas toujours nécessaire pour la victime, puisqu’il y a une présomption de garde.

  1. Le propriétaire, gardien présumé :

Il y a une présomption de garde institué par la jurisprudence à la charge du propriétaire car statistiquement, c’est ce qui est le plus souvent constaté. Solution logique car le droit de propriété confère tous les pouvoirs sur une chose. Ainsi, le propriétaire est souvent la personne qui exerce ces pouvoirs. C’est une présomption simple que le propriétaire peut renverser en démontrant qu’au moment du dommage, il n’avait plus l’usage, le contrôle et la direction de la chose. Il n’avait plus la totalité de ces caractères de la garde. Cette présomption est utile quand on ne trouve pas le gardien : utile pour la victime qui sera indemnisée par le propriétaire.

  1. Les transferts de garde :
  2. Transfert volontaire :

Le propriétaire peut confier la garde à une autre personne. Il ne suffit pas de remettre la chose ou d’invoquer sans aucune démonstration le contrat qui serait passé entre le gardien initial et une tierce personne. Il faut pouvoir constater qu’au moment du dommage, les pouvoirs effectifs d’usage, de contrôle et de direction ont été transmis à ce tiers. En général, les contrats de bail, de dépôt, de prêt à usage emportent ce transfert. Si le nouveau détenteur utilise la chose mais reste soumis aux directives du gardien initial, il ne devient pas gardien car il n’a que l’usage et non le contrôle et la direction.

  1. Perte involontaire de la garde

Il peut y avoir transfert de garde sans volonté du précédent gardien. Ex : vol, usurpation de chose par un préposé (préposé qui utilise dans son intérêt personnel la chose qui lui avait été confiée devient gardien), etc.

Il faut noter que la conscience n’est pas un critère de la garde : elle est objective.

La garde est en général indivisible (pour une chose, il n’y a qu’un gardien) et alternative (à un moment donné, un seul gardien).

  • 2 : Les exceptions : la pluralité de gardien :

En général, la garde est indivisible et alternative. Indivisible car elle porte sur la chose dans son ensemble et alternative, puisque le gardien peut changer dans le temps par le jeu des transferts de garde, mais normalement, à un moment donné, il n’y a qu’un seul gardien.Ces principes subissent des exceptions.

  1. La division de la garde de la structure et de la garde du comportement :
  2. L’exposé de la notion :

Parmi les éléments de la garde, il y a le contrôle qui est la faculté d’empêcher la chose de nuire à autrui. Ce qui fait qu’on peut en déduire que la qualité de gardien pourrait tout à fait être attribuée à des personnes différentes selon l’origine du dommage. Ex : produits dangereux explosent durant leur transport. Il serait logique de dire que c’est le transporteur qui est gardien car il bénéficie à la suite du contrat de transport des prérogatives d’usage, de contrôle et de direction de la chose. Il devrait répondre des dommages causés. Ce raisonnement est pleinement justifié si l’explosion est due à un mauvais arrimage des produits qui a entrainé des secousses et des chocs. S’il y avait un vice de ces produits ayant entrainé l’explosion, la thèse du transporteur gardien ne tient plus car il n’avait aucun pouvoir de contrôle interne lui permettant d’éviter le dommage. A partir de ce raisonnement, la doctrine et la jurisprudence ont distingué, pour dire qu’il pouvait y avoir plusieurs gardiens pour une même chose, selon l’origine du dommage. Il peut y avoir un gardien du comportement de la chose. Dans notre exemple, c’est le transporteur. Il y a un autre gardien : le gardien de la structure: il s’agit ici du fabriquant ayant conçu le mécanisme interne de la chose.

  1. Le domaine d’application :

La jurisprudence applique la distinction des deux gardes à propos d’accidents causés par des choses dotées d’un dynamisme propre susceptible de se manifester dangereusement. La première affaire a avoir admis cette distinction des deux gardes et l’affaire Oxygène liquide qui impliquait les faits exposés précédemment (1956 et 1960). Le domaine est délimité de manière assez vague. En pratique, si on étudie la jurisprudence, il s’agit surtout d’explosion de produits gazeux contenus dans des récipients clos (bouteilles de gaz, boissons gazeuse, aérosols et extincteurs). Il y a application à l’explosion d’un téléviseur.Selon la jurisprudence, dès lors que l’on se trouve dans ce domaine de distinction,, il y a une présomption simple que le dommage trouve sa cause dans un vice interne de la chose. La garde de la structure a ainsi pu être attribuée au fabricant mais aussi au vendeur et également de manière plus curieuse au loueur de la chose. C’est donc au gardien de la structure de démontrer que l’accident résulte d’un maniement défectueux de la chose. La jurisprudence dans certaines affaires a reconnu également qu’il pouvait y avoir partage de responsabilité entre le gardien de la structure (fabricant) et la victime gardienne du comportement.

  1. Le devenir de la notion :

La victime ne peut plus actuellement rechercher la responsabilité du fabriquant sur le fondement de la garde de la structure. Quand est en cause un produit défectueux, seules les dispositions de l’article 1386-1 et suivantssont applicables. Le produit défectueux ne peut être qu’un bien meuble. Le contentieux concerne en majorité des biens meubles.

  1. La garde exercée en commun :

Par faveur pour la victime, la notion de faute collective a pu être retenue par la cour de Cassation. Il en va de même pour la garde collective. Il faut également ajouter que la Cour de Cassation semble ici montrer moins de réticence à admettre la garde collective que la faute collective et les arrêts sont plus nombreux. Dans une affaire de chasse, des chasseurs ayant tiré ensemble, des chasseurs ont été jugés cogardien de la gerbe de plomb (arrêt de 1966, plus d’actualité car fond d’indemnisation des accidents de la chasse).En matière de sports collectifs a été également retenue cette notion de garde collectif (football, basket, hockey, tennis).On peut citer aussi des affaires concernant des mineurs jouant avec des allumettes et des briquets et allumant un feu. Quel est le critère de la garde collective ? Des divers arrêts mentionnés, il ressort 3 conditions : – il faut que les personnes aient participé à une activité commune – ils doivent avoir exécuté des actes connexes et inséparables : il ne faut pas qu’il soit possible d’isoler une action autonome de tel ou tel participant au moment de la survenance du dommage. Cette condition faisait défaut dans une affaire Civ2, 19/02/06 : dans le but de s’éclairer ou par jeu, trois enfants avait confectionné des torches avec du foin, l’un d’eux se brûle et lâche sa torche. La chute de cette torche provoque un incendie et entraîne la destruction du hangar. La CA retient la notion de garde collective car elle estime que tous les enfants ont participé à une même action. Or, la CA avait relevé que les enfants avaient confectionné les torches, les avaient allumées, mais ensuite 2 enfants avaient éteint les torches. La Cour de Cassation casse l’arrêt puisqu’elle considère qu’au moment de l’embrasement du foin, un seul enfant exerçait les pouvoirs d’usage, de contrôle et de direction. – il ne faut que l’un des participants exerce un rôle prépondérant : ainsi, la jurisprudence a refusé d’admettre que l’équipage d’un voilier avait collectivement la garde du navire. Elle a estimé que c’est le skipper qui est gardien du navire. C’est le skipper en effet qui dirige les manœuvres. Quel est le régime de cette responsabilité fondée sur une garde collective ? Les co-gardiens sont responsables in solidum envers la victime. L’un des gardiens peut échapper à sa responsabilité, mais en démontrant que le dommage ne peut matériellement provenir de son fait. Ex : dans les affaires de chasse : le gardien pouvait montrer qu’il utilisait des plombs d’une certaine marque qui ne correspond par au plomb retrouvé sur la victime. Ces hypothèses de garde collective sont bénéfiques pour la victime, lorsqu’elle n’est pas cogardienne. Si la victime est cogardienne, ce régime se retourne contre elle, puisque la jurisprudence refuse qu’elle agisse en réparation contre les autres cogardiens (Civ 2, 25/11/1999). Elle ne pourra pas bénéficier d’une responsabilité objective. Elle devra trouver une faute d’un des autres cogardiens. Il peut y avoir plusieurs fondements à une action en responsabilité. Ex: chose positionnée de manière anormale. Il faut indiquer les moyens à disposition de la victime : faute d’imprudence (1382 et 1383) et garde de la chose. Le fondement de la responsabilité objective est plus avantageux, car il n’y a pas de faute à prouver.La jurisprudence estimait au départ que le jeu de l’article 1384 al. 1 était subsidiaire. La victime ne pouvait fonder son action sur cet article que s’il n’existait pas de faute. Aujourd’hui la solution est totalement abandonnée. L’article peut être invoqué alors même qu’il y a une faute. La victime peut agir sur les différents fondements.

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