La reconnaissance des personnes morales

L’EXISTENCE DES PERSONNES MORALES

Les groupements de personnes physiques, plus rarement de biens, sont personnifiés : ce sont les personnes morales. La reconnaissance de la personnalité juridique aux groupements permet de les considérer comme des sujets de droits distincts des membres qui les composent. Doté d’un patrimoine propre, le groupement peut conclure des contrats, agir en justice ou y défendre, comme pourrait le faire une personne physique.

Que les intérêts des particuliers soient reconnus et consacrés par le droit est une évidence : tout individu, de sa naissance à sa mort, se voit reconnaître l’aptitude à être titulaire de droits et obligations. Pour les groupements, la reconnaissance de cette protection a été débattue. Aujourd’hui, nombreux sont les groupements dotés de la personnalité juridique.

Section 1 – Les discussions théoriques sur la reconnaissance de la personnalité morale

La personnalité morale n’est pas accordée systématiquement. Les controverses ont été vives pour définir les conditions d’octroi. Aujourd’hui, la loi définissant le plus souvent les groupements dotés de cette personnalité, le débat sur ce point n’a plus beaucoup d’intérêt.

Sous-section 1 – La controverse sur la nature juridique des personnes morales

Au XIXe siècle, deux grandes théories ont été proposées, qui ont conduit certains à nier la valeur même de la personne morale.

La théorie de la fiction part de l’idée que seul l’être humain peut être sujet de droit, car il est le seul à avoir une volonté.

Avez-vous déjà déjeuné avec une personne morale ?

De ce fait, si le droit reconnaît à des groupements la personnalité juridique, c’est par l’effet d’une fiction. Cette théorie conduit à subordonner la personnalité morale des groupements à des autorisations. Elle a justifié le refus de consécration des syndicats et associations au XIXe siècle.

Selon certains, lorsque plusieurs personnes sont groupées dans un but commun, ce groupe exprime un intérêt collectif distinct de l’intérêt individuel des membres du groupement, intérêt qui peut être manifesté extérieurement par les organes du groupe : c’est la théorie de la réalité. Cette théorie conduit à reconnaître la personnalité morale dès lors que se manifeste cet intérêt, indépendamment de toute autorisation administrative ou judiciaire.

Pour d’autres auteurs, la personne morale est certes une fiction, mais une fiction qui doit être supprimée.

Par exemple, Planiol a jugé qu’il n’y a pas de création d’un sujet de droit nouveau, mais institution d’un patrimoine collectif : les associés sont propriétaires des biens, mais ne peuvent en disposer que conformément à l’intérêt commun.

On a aussi fait appel aux idées de patrimoine et d’institution.

Sous-section 2 – Les solutions actuelles

Lorsque le législateur légifère, il est clair qu’il opte pour la théorie de la fiction : à chaque fois, l’octroi de la personnalité morale, lorsqu’elle est affirmée, est subordonné au respect de certaines formalités.

II arrive que le législateur crée un groupement, sans préciser si celui-ci a ou non la personnalité juridique.

La jurisprudence se rattache alors à la théorie de la réalité. Elle a notamment adopté cette position dans un arrêt du 28 janvier 1954 à propos des comités d’entreprises : « la personnalité civile n’est pas une création de loi ; elle appartient, en principe, à tout groupement pourvu d’une possibilité d’expression collective, pour la défense d’intérêts licites, dignes par suite d’être juridiquement reconnus et protégés ».

La doctrine moderne tend à analyser le droit positif comme le fruit d’un équilibre entre les conceptions de la réalité et de la fiction. Tout groupement exprimant un intérêt collectif, doté d’une certaine stabilité, doit se voir reconnaître la personnalité morale.

Mais il existe des groupements momentanés, ou dont le caractère extensible est douteux. Il appartient alors à la règle de droit de régir la situation juridique.

Section 2 – Les groupements dotés de la personnalité morale

Sous-section 1 Les personnes morales de droit public

Sont des personnes morales de droit public l’Etat, la région, les départements, les communes. Ont aussi la personnalité, les groupements interdépartementaux ou intercommunaux. En revanche, le canton et l’arrondissement n’ont pas la personnalité morale. Chaque personne morale a ses assemblées délibérantes et ses organes d’exécution.

Les personnes morales de droit public sont régies par le droit administratif.

Sous-section 2 – Les personnes morales mixtes

Les personnes morales publiques soumises au droit privé se rencontrent lorsqu’une collectivité locale, la région, le département ou la commune veut exercer une activité individuelle ou commerciale. Cette personne morale peut alors revêtir diverses formes : régie autonome, établissement public, société nationale, etc. Ces personnes morales échappent aux règles de la comptabilité publique mais conservent des prérogatives de droit public3.

Les personnes morales de droit privé relevant du droit public sont celles qui se sont vues confier des prérogatives de puissance publique, et qui, de ce fait, relèvent de certains aspects du droit public. Ainsi, en est-il des conseils de l’ordre.

Sous-section 3 – Les personnes morales de droit privé

§ 1 – Les groupements de personnes

I – Les sociétés

Selon l’article 1832, la société résulte d’un contrat par lequel deux ou plusieurs personnes mettent en commun des biens ou leur travail, en vue de partager le bénéfice ou de profiter de l’économie qui peut en résulter. A l’état implicite, cette définition du contrat de société exige l’affectio societatis, c’est-à-dire une volonté d’union et de collaboration égalitaire.

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Chaque associé fait un apport soit de biens, soit d’argent, soit de travail. Il s’engage à contribuer aux pertes, à proportion de ses apports, et dans la limite de ceux-ci s’il s’agit d’une société de capital et non de personnes.

On remarquera que, depuis la loi du 11 juillet 1985, la société à responsabilité limitée peut être instituée par une seule personne : c’est ce que l’on appelle la société unipersonnelle. Son intérêt majeur est de permettre à une personne physique d’affecter une partie de son patrimoine à la réalisation d’une activité professionnelle. Cette personne sera l’associé unique.

La société commerciale a pour objet une activité commerciale ou bien, même si elle ne fait pas d’actes de commerce, elle est constituée sous la forme d’une société commerciale. Il existe plusieurs formes possibles. Les plus importantes sont la société anonyme (SA) et la société à responsabilité limitée (SARL). Ces sociétés sont aujourd’hui régies par le livre II du Code de commerce, issu de la codification par l’ordonnance du 18 septembre 2000 de la loi du 24 juillet 1966 plusieurs fois modifiée.

La société civile est une société qui est créée entre plusieurs associés pour exercer une activité civile.

Les sociétés civiles sont régies par le droit commun des sociétés qui figure au Code civil. Ainsi en est-il de la SCP, de la SCI.

Mais plusieurs d’entre elles sont soumises à des dispositions spéciales.

II – Les associations

Après une période de défaveur pour les groupements désintéressés, dans un contexte anticlérical, fut consacré au début du XXe siècle la liberté associative. Aux termes de la loi du 1er juillet 1901, l’association est une convention par laquelle deux ou plusieurs personnes mettent en commun d’une façon permanente leurs connaissances ou leur activité dans un but autre que de partager des bénéfices.

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La liberté d’association est un principe de valeur constitutionnelle et reconnu par la Convention européenne des droits de l’Homme.

Contrairement à une opinion largement répandue dans le public, une association peut parfaitement faire des bénéfices : ce qui est exclu, c’est que le groupement recherche des bénéfices à titre principal, et que les membres de l’association se partagent ces bénéfices. Il existe donc des associations sans but lucratif, et d’autres à but lucratif. Cette dernière catégorie peut être soumise à l’impôt sur les sociétés.

La loi de 1901 régit les associations, sous réserve de dispositions spéciales.

On distingue traditionnellement trois catégories d’associations.

Les associations non déclarées : elles n’ont pas la personnalité morale.

Les associations déclarées : elles ont été déclarées à la préfecture ou à la sous-préfecture, et ont fait l’objet d’une publication au Journal officiel. Elles ont la personnalité morale. Mais leur capacité est restreinte : elles ne peuvent acquérir à titre gratuit, ce qui les contraint à vivre essentiellement des cotisations de leurs membres et des bénéfices tirés de leurs activités ou manifestations. La loi du 23 juillet 1987 relative au mécénat a atténué la portée de cette règle : les associations peuvent recevoir des dons manuels3, et lorsqu’il s’agit d’associations ayant pour but exclusif l’assistance, la bienfaisance, la recherche scientifique ou médicale, elles peuvent recevoir des libéralités entre vifs ou testamentaires dans des conditions fixées par décret.

Les associations reconnues d’utilité publique : elles le sont par décret en Conseil d’État à l’issue d’une période au moins égale à trois ans. Elles peuvent acquérir à titre gratuit, sans limitation ; leur capacité reste néanmoins restreinte par le fait qu’elles ne peuvent acquérir ou posséder d’autres immeubles que ceux nécessaires au but qu’elles se proposent. En principe, ces associations font l’objet d’un certain contrôle de l’Etat, de façon à éviter les détournements d’actifs. Certaines associations font l’objet d’une réglementation spéciale.

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Pour des raisons historiques, les congrégations religieuses sont soumises à un régime spécifique, plus strict qu’en droit commun : elles sont notamment tenues à un contrôle renforcé de leurs comptes.

Les syndicats professionnels ont pour objet l’étude et la défense des droits ainsi que des intérêts matériels et moraux des personnes visées dans leurs statuts. Ils sont régis par le Code du travail. Tous les salariés et tous les employeurs bénéficient de la liberté syndicale. Il est possible de créer plusieurs syndicats pour la même profession. Ils ont la personnalité juridique dès leur déclaration à la mairie ; leur capacité n’est pas limitée. L’objectif de la réglementation est d’assurer la liberté syndicale et l’autonomie des groupements.


III – Les groupements d’intérêt économique

Le groupement d’intérêt économique est un groupement destiné à favoriser les unions entre entreprises en vue de réaliser un objectif commun ; l’existence de la personnalité morale permet de faciliter la coopération entre les entreprises. Ce groupement a été créé par la loi du 23 septembre 1967. Il est aujourd’hui régi par les articles L. 251-1 et suivants du Code de commerce.

Afin de développer les activités économiques dans l’Union européenne, a été créé en 1985 le groupement européen d’intérêt économique. Il présente l’avantage d’avoir un régime juridique souple.

§ 2 – Les groupements de biens

I – Les fondations

La fondation est un groupement, doté de la personnalité, à physionomie particulière : elle résulte d’un acte, émanant d’une ou de plusieurs personnes physiques ou morales, qui décident l’affectation irrévocable de biens, droits ou ressources à la réalisation d’une œuvre d’intérêt général et à but non lucratif. La loi du 23 juillet 1987 sur le mécénat a institué une réglementation propre à favoriser la création de cette catégorie de personne morale.

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Lorsque l’acte de fondation a pour but la création de la personne morale, la fondation ne jouit de la capacité juridique qu’à compter de la date d’entrée en vigueur du décret en Conseil d’Etat accordant la reconnaissance d’utilité publique.

Cette règle est intéressante : le legs fait à une personne morale qui n’existe pas encore devrait être annulé, selon le droit commun. La loi de 1987 écarte cette solution. Le legs est donc fait au profit d’une fondation qui n’existe pas au jour du décès du fondateur, mais il est fait sous la condition de l’obtention de la reconnaissance d’utilité publique.

Le fondateur pourrait aussi adopter une autre modalité : il lègue tous ses biens à un légataire, à charge pour ce dernier de créer la fondation en obtenant la reconnaissance d’utilité publique, et en remettant les biens légués à la personne morale ainsi créée.

Une personne peut aussi créer une fondation de son vivant : elle propose de faire un don à une fondation à créer. La libéralité prendra effet après l’autorisation par le décret de reconnaissance d’utilité publique. Dans l’attente, les biens peuvent être gérés par une association déclarée, ou par le fondateur lui-même.

Il est souvent inutile de recourir à une fondation lorsque l’on veut faire acte de générosité ou de mécénat : des groupements, associations, établissements, etc. existent déjà, à qui il surfit de faire la libéralité ou le legs, avec charge d’affecter les biens donnés ou légués à l’œuvre projetée.

II – La personne morale unipersonnelle

La loi du 11 juillet 1985 a créé l’entreprise unipersonnelle à responsabilité limitée (EURL) et l’entreprise agricole à responsabilité limitée (EARL). Une loi du 12 juillet 1999 a ouvert la possibilité pour une personne physique de constituer, toute seule, une société par action simplifiée unipersonnelle (SASU). La personne physique affecte des biens à l’entreprise qu’elle veut exploiter. Grâce à l’écran de la personnalité morale, les créanciers de la société ne peuvent saisir les biens personnels de l’entrepreneur. Toutefois, la limitation de responsabilité est souvent réduite, du fait que les créanciers de la société exigent souvent que l’entrepreneur s’engage sur ses biens personnels, par une sûreté réelle ou personnelle.