L’abus de confiance en droit sénégalais

L’ABUS DE CONFIANCE AU SENEGAL

L’abus de confiance, le vol et l’escroquerie ont un trait commun qui est celui de permettre à l’agent pénal de s’emparer de la chose d’autrui. Cependant, la façon d’y procéder diffère d’une infraction à l’autre. L’auteur du vol s’approprie la chose convoitée à l’insu de son propriétaire l’auteur de l’escroquerie par l’intermédiaire de manœuvres frauduleuses. L’auteur de l’abus de confiance quant à lui ni la force ni la ruse, il profite d’un contrat en vertu duquel la chose lui a été remise pour la détourner trahissant ainsi la confiance du remettant… En d’autres termes, l’abus de confiance suppose la violation de la confiance que la victime a placée dans le délinquant. Ce dernier ne soustrait pas, n’obtient pas une chose, il profite d’une situation contractuelle pour détourner à son profit ou dissiper une chose qui lui a été légitimement remise… La criminalité de ce type de délinquant est moins grave que celle du voleur ou de l’escroc. Aussi, cette infraction est elle moins sévèrement réprimée. Sa particularité peut être ressentie à travers l’analyse de ses éléments constitutifs, de son régime juridique et de sa sanction

SECTION I : LES ELEMENTS CONSTITUTIFS DE L’ABUS DE CONFIANCE

I. La confiance accordée

Elle soulève la question du cadre de la confiance, de son objet et la mise en garde

 

Paragraphe 1 : le cadre de la confiance

La question qui se pose est celle de savoir comment la confiance a été accordée. On peut estimer que pour qu’il y ait abus de confiance, il faut qu’au préalable qu’une chose ait été remise en vertu du contrat visé par l’article 388 du Code Pénal

 

A / Un contrat volé

Il faut un accord de volonté en vertu duquel la chose a été remise à titre précaire. Cela veut dire que si la chose a été remise en pleine propriété, il n’y a pas abus de confiance. Exemple : Un artisan reçoit la commande d’un objet qu’il doit fabriquer, le client lui verse le prix ou une partie. Si l’artisan n’effectue pas la commande et garde l’argent, il ne commet pas pour autant l’infraction d’abus de confiance car cette somme d’argent lui a été remise à titre de propriété. Seule la responsabilité civile pourra être engagée. Il n’y a abus de confiance que si les choses dissipées ou détournées ont été au préalable remises par la victime en vertu de l’un des contrats limitativement énumérés par la loi.

 

1 – Le contrat de louage

Il est réglementé par l’article 544 du Code des Obligations Civiles et Commerciales. C’est un contrat par lequel l’une des parties s’oblige à faire jouir l’autre d’une chose pendant à un certain temps moyennant un certain prix que celle-ci s’oblige à lui payer. Exemple : Il y’a abus de confiance lorsqu’une personne détourne la bicyclette qu’elle a louée.

 

2 – Le contrat de dépôt

Prévu à l’article 497 du Code des Obligations Civiles et Commerciales, c’est un contrat par lequel une personne recevant quelque chose d

oit la garder et la rendre en nature. C’est ce que l’on appelle le dépôt régulier. Exemple : Commet un délit d’abus de confiance le prévenu qui détourne les objets qu’il a vendu à un tiers mais dont il était prévu qu’il reste le dépositaire. Cette forme de dépôt concerne les corps certains. Exemple : Un individu remet un tableau d’art à un dépositaire. A la fin du contrat, l’obligation de restitution ne peut pas se faire par équivalent. Le dépositaire doit remettre le tableau à son légitime propriétaire sinon il y’a abus de confiance…

Quant au dépôt irrégulier, il porte sur des choses fongibles non individualisées comme par ex une somme d’argent. Il s’agit d’un contrat par lequel les parties conviennent que le dépositaire restituera non la chose déposée mais une chose équivalente. Ici, l’infraction n’est établie que si le dépositaire se met dans l’impossibilité de restituer par équivalent la valeur reçue.

 

3 – Le contrat de mandat

Prévu par l’article 457 du Code des Obligations Civiles et Commerciales, c’est un contrat par lequel une personne dénommée mandant donne à une autre personne appelée mandataire le pouvoir de faire en ses lieux et places plusieurs actes juridiques.C’est le cas qui se présente le plus souvent dans la vie des affaires où le contrat de mandat est d’usage courant ce qui fait qu’il est à la base du plus grand nombre d’abus de confiance car il est le type même de la convention basée sur le mariage. Il peut être écrit ou verbal peu importe sa nature légale ou conventionnelle, peu importe qu’il soit tacite ou exprès ou encore gratuit ou salarié.

On remarque que le contrat de société ne figure pas dans l’énumération légale. Cependant, il est admis que celui-ci recouvre souvent un contrat de mandat. C’est ainsi que la jurisprudence reconnaît la qualité de mandataire aux administrateurs et gérants des S A, S A R L, S N C et S C S. Le gérant de S A R L qui reçoit en sa qualité de mandat reçoit le versement d’un souscripteur à une augmentation de capital mais affecte ces fonds à une autre finalité que celle prévue dans le contrat commet un abus de confiance.

Il faut ajouter qu’en cas de conflit entre abus de confiance et abus de biens sociaux, on doit chercher sur quoi a porté l’abus et si les détournements sont relatifs aux biens de la société, alors il y a abus de biens sociaux.

 

4 – Le gage

Il s’agit d’une garantie mobilière définie par l’article 44 de l’Acte Uniforme sur les sûretés comme étant le contrat par lequel un bien meuble est remis au créancier ou à un tiers convenu par les parties pour garantir le paiement d’une dette. Si le créancier détourne le bien objet du gage, il y’a abus de confiance. Ex : Il y’a abus de confiance si celui qui reçoit une lettre de change comme garantie la met en circulation.

5. Le prêt a usage (article 525 du COCC)

C’est un contrat en vertu duquel une personne remet à une autre une chose pour qu’elle s’en serve et à charge pour l’emprunteur de la rendre après s’en être servi. Le prêt à usage se distingue du prêt à consommation. Dans ce dernier contrat, le prêt porte sur des choses consomptibles. Pour qu’il y ait abus de confiance, il faut que l’emprunteur soit tenu de restituer en nature. L’article 383 du Code Pénal n’est donc pas applicable si le prêt est un prêt de consommation. Exemple: l’emprunteur qui ne prend pas la somme d’argent qu’il a reçu à titre de prêt ne prêt ne peut pas être poursuivi sur le plan pénal.

6. Le contrat de travail salarie ou non salarie

Par travail salarie il faut entendre tout contrat par lequel l’une des parties s’engage à faire quelque chose pour l’autre moyennant un prix convenu entre elles. Il s’agit de choses remises pour qu’un travail soit accompli sur celle-ci. Exemple: commet un abus de confiance, l’artisan qui détourne les matières premières qui lui sont remises pour les façonner ou encore une chose confiée pour réparation. Exemple: le garagiste à qui une voiture est confiée pour une réparation et qui détourne certaines pièces commet un abus de confiance.

Tous ces contrats ainsi énumères de façon limitative ont pour dénominateur commun la confiance. C’est dans ce seul cadre que le juge doit se placer pour accueillir une poursuite pour abus de confiance. Cependant, il n’est pas oblige de se ranger sur la qualification des parties. Il a un pouvoir souverain d’appréciation sur la matière. Par ailleurs, les poursuites pénales peuvent être retenues même si la remise a eu pour cadre un contrat nul d’une nullité absolue ou relative.

B / La remise

L’abus de confiance suppose une remise volontaire et à titre précaire c’est-a-dire une remise faite à charge de rendre ou de restituer ou encore à faire de la chose un usage ou un emploi déterminé.

La remise de la chose peut être effectue par le propriétaire ou par une autre personne agissant sur les ordres du propriétaire. Peu importe également que la chose ai été remise à l’auteur de l’abus de confiance ou à une autre personne qui agit en son nom et pour son compte. Exemple: Vous envoyez un mandataire chercher une moto que vous avez loué, le mandataire s’exécute mais vous détournez la moto, il y a abus de confiance.

Peu importe enfin que la chose ait été réellement remise ou laissée à la disposition de l’auteur du détournement. Exemple: Il y a abus de confiance lorsque le locataire détourne un meuble dont il avait la disposition en sa qualité de locataire.

 

Paragraphe 2: l’objet de la confiance

L’objet de l’abus de confiance doit être mobilier et porter sur une chose ayant une valeur appréciable en argent. Ces biens peuvent être places en deux groupes:

· les effets deniers et marchandises

· les écrits contenant obligation et décharges

 

A/ Les effets deniers et marchandises

Ce sont des meubles corporels. Il s’agit de biens meubles ordinaires, d’immeuble par destination

(Exemple: une tapisserie scellée) d’argent et de toute chose pouvant faire l’objet d’un commerce.

Les juges entendent largement le terme marchandises: a été considère comme marchandise un

écrit ayant une valeur appréciable (Chambre Criminelle 5 mars 1980, Dalloz).

Ont été considérées comme marchandises des informations contenues dans un fichier de

clientèle indiquant les noms et adresses de clients que le représentant commerce est charge de

visiter. On a considère qu’il y a abus de confiance des lors que le représentant de commerce

détourne cette clientèle au profit d’une entreprise concurrente.

B/ Les écrits contenant obligations et décharges

Ce sont des valeurs incorporelles. On peut citer les valeurs mobilières, les bons publics, les rentes sur l’Etat, les effets de commerce et de façon générale tout écrit ou document commercial ayant une valeur patrimoniale (reconnaissance de dette). Sont donc exclus, les documents ou écrits ne contenant pas obligation ou décharge et qui sont sans valeur commerciale. C’est le cas des lettres missives qui ne sont pas appréciable en argent. Ex: le fonde de pouvoir qui détourne les lettres personnelles du directeur ne commet pas un abus de confiance mais plutôt un vol.

 

Paragraphe 3 : Une mise en demeure

C’est une sommation, un avertissement par voie d’Huissier qui est adressé à la personne qui a

reçu la chose. La mise en demeure est donc une mise en garde.

En droit français, la mise en demeure n’est jamais un élément constitutif de l’infraction. Elle

peut seulement servir à établir la mauvaise foi de l’agent pénal, mais elle n’est jamais exigée

pour prouver cette mauvaise foi. Le ministère public peut rapporter cette preuve par tout

moyen.

En droit sénégalais, la mise en demeure est exigée par l’article 383 du Code Pénal, c’est un

préliminaire indispensable. Cependant, l’existence d’une mise en demeure ne prouve nullement

que l’infraction est réalisée, il faut toujours démontrer l’existence de l’élément moral.

II Une confiance abusée


L’abus de confiance se réalise par la transformation de la détention précaire lors de la remise. Cette transformation se manifeste par la non exécution des engagements accompagnes d’un Etat d’esprit frauduleux.


Paragraphe 1: La non exécution des engagements


En droit français on parle de
détournement ou de dissipation qui constituent des notions équivoques
En droit sénégalais par contre, le législateur utilise l’expression «
quiconque n’aura pas exécute son engagement» Cette formule peut recouvrir plusieurs hypothèses: il peut s’agir des cas dans lesquels l’affectation d’un bien n’a pas été respecté. Ou encore le fait de dissiper la chose ou l’argent ou de détruire et de détériorer la chose.


A/ Le cas ou l’affectation d’un bien n’a pas été respecte


dans cette hypothèse, la chose remise reçoit une destination différente prévue. Ainsi, il y a abus de confiance lorsque le gérant d’une SARL qui a reçu des fonds destinés à une augmentation de capital, les utilise pour éteindre des dettes de la société. De même, il y a abus de confiance lorsque le secrétaire d’un comité d’entreprise distribue sur les fonds du comité des secours de grève à des grévistes qui n’appartiennent pas à l’entreprise.


B/ Le fait de dissiper la chose ou l’argent de détruire ou de détériorer la chose

Il peut s’agir d’un acte de disposition matérielle réalisé par l’auteur de l’infraction ou encore d’un acte de disposition juridique commis sur la chose objet de la remise.
L’acte de disposition réalise tout le contraire d’une appropriation puisqu’il fait perdre à l’agent pénal, la disposition de la chose. Il est admis cependant qu’il ne constitue pas toujours une infraction d’abus de confiance car il n’exprime pas dans tous les cas la possibilité ou non de restituer la chose.
Pour savoir si le délit est réalisé il est nécessaire de s’attacher à la nature de la chose objet de la remise. Ainsi, lorsqu’il s’agit d’une
chose non fongible, la dissipation va consommer l’infraction car elle rend impossible la restitution en nature, peu importe que le sujet pénal invoque qu’il est en mesure de restituer en valeur.
En ce qui concerne les
choses fongible, la dissipation prend un caractère délictueux lorsque le sujet pénal étant où devenant insolvable, est hors d’Etat de restituer en valeur ou en équivalent.

Paragraphe 2: L’intention frauduleuse


Elle est nécessaire pour la caractérisation du délit. Le délit existe lorsque l’agent pénal a eu conscience de la précarité de sa détention et du préjudice causé au propriétaire en abusant de la chose confiée. L’intention est donc la connaissance de la part de l’auteur du délit, qu’il détient à titre précaire et qu’il n’a pas le droit de disposer de la chose qui lui a été remise. En principe la preuve de l’intention ne pose aucune difficulté. Les juges du fonds pourront déduire l’intention coupable des circonstances qui permettent de constater l’abus. Cette solution s’applique sans difficultés lorsque la remise porte sur une chose corporelle individualisée. Dans cette hypothèse, la nature même de l’acte de disposition doit permettre d’affirmer avec certitude qu’en détournant la chose qui lui a été confié, l’auteur n’a pas ignore le caractère illicite de son acte. L’hésitation est cependant permise lorsque la remise porte sur une somme d’argent.
Le prévenu dans cette hypothèse va généralement prétendre qu’il n’avait nullement l’intention de s’approprier cette somme et ce n’est que par suites de circonstances indépendantes de sa volonté qu’il s’est trouve plus tard dans l’impossibilité de rembourser. Dans cette situation la jurisprudence fait preuve de sévérité dans l’appréciation de l’élément moral. Les juges ont tendance a considérer que le prévenu a pris un risque dont il a mal mesure l’ampleur et qu’il utilisait a des fins personnelles, il ne peut pas échappera la répression car l’élément moral est établi dés l’instant qu’il est dans l’impossibilité de restituer en valeur ou par équivalent les sommes qui lui ont été remises.


SECTION II: LE RÉGIME JURIDIQUE DE L’ABUS DE CONFIANCE AU SENEGAL

La sanction de l’abus de confiance au Sénégal