Accident de circulation : Champ d’application de la loi

COMMENTAIRE DE L’ARTICLE 3 ALINEA 1ER DE LA LOI BADINTER DU 5 JUILLET 1985 SUR LES ACCIDENTS DE CIRCULATION.

Les victimes des accidents de la circulation, fléau de notre temps, avant la loi du 5 juillet 1985 étaient placées sous le régime général du droit commun, celui de la responsabilité du fait des choses édicté par l’article 1384 alinéa 1er du code civil. La solution posée par l’arrêt Desmares de 1982 ne valait que pour la responsabilité du fait des choses. Pour la responsabilité du fait personnel posée par les articles 1382 et 1383, on continuait à opposer à la victime son propre fait et sa propre faute pour admettre l’exonération partielle de l’auteur du dommage. La jurisprudence a alors poussé le législateur a créé un régime spécial régissant les accidents de la circulation. La réforme avait déjà été amorcée à partir des années 60 où une réflexion portant sur la manière de traiter le problème des accidents de la circulation avait été élaborée.

La loi du 5 juillet 1985, dite la loi Badinter est une loi tendant à l’amélioration de la situation des victimes des accidents de la circulation et à l’accélération des procédures d’indemnisation. Dans son alinéa 1 de l’article 3, la loi dispose que les victimes, hormis les conducteurs de véhicules terrestres à moteur, sont indemnisées des dommages résultant des atteintes à leur personne qu’elles ont subi, sans que puisse leur être opposée leur propre faute à l’exception de leur faute inexcusable si elle a été la cause exclusive de l’accident.

Dans une première partie, nous nous attacherons au champ d’application et au principe d’indemnisation et dans un second temps plus spécialement à la faute inexcusable de la victime qui est la seule cause ne donnant pas lieu à une indemnisation.

"Champs d'application de la loi sur les accidents de circulation"

I – LE CHAMP D’APPLICATION ET LE PRINCIPE D’INDEMNISATION DES VICTIMES DES ACCIDENTS DE LA CIRCULATION.

L’alinéa 1er de l’article 3 de la loi du 5 juillet 1985 pose donc le principe de l’indemnisation des victimes des accidents de la circulation lorsqu’une atteinte a été portée à leur personne. Cet article donne des précisions d’une part quant aux véhicule concernés et d’autre part quant aux victimes elles-mêmes.

 

A – Les véhicules entrant dans le champ d’application de la loi.

 

La loi dispose que les victimes, hormis les conducteurs de véhicules terrestres à moteur, sont indemnisées. Plusieurs conditions peuvent être tirées de cette affirmation.

D’une part, il faut un véhicule terrestre, ce qui exclut les hélicoptères, les avions, même lorsque celui-ci roule sur une piste avant de décoller. Il faut encore que ce soit un véhicule terrestre à moteur, ce qui exclut ici les vélos, les rollers, trottinettes et autres. Cependant on a vu la jurisprudence interpréter à sa manières la définition des véhicules terrestres à moteur puisque dans un arrêt de la 2ème chambre civile rendu le 31 mars 1993 elle a estimé que la remorque d’un véhicule terrestre à moteur pouvait être impliquée dans un accident de la circulation, et dans un autre arrêt rendu le 12 mai 1993, elle a estimé qu’un trolleybus circulant grâce à des câbles aériens entrait dans le champ d’application de la loi de 1985. Par contre elle ne s’applique pas aux tramways et chemins de fer circulant dans des voies qui leurs sont propres. On a vu que lorsque le tramway disposait d’une voie qui faisait parti de la circulation, la loi s’appliquait. Pour un accident de chemin de fer qui se passe sur le passage à niveau, la loi ne s’applique pas.

D’autre part, la loi ne le rappelle pas dans son alinéa 1 de l’article 3 , mais il faut un accident de la circulation , c’est à dire que le véhicule doit avoir été mis en circulation par hypothèse. Cependant la jurisprudence s’est prononcée pour les accidents qui survenaient avec un véhicule terrestre à moteur qui était alors en stationnement : elle a admit qu’un véhicule en stationnement pouvait être impliqué dans un accident de la circulation si le stationnement de celui-ci était toutefois irrégulier.

Une troisième conditions s’impose afin que la loi de 1985 s’applique : il faut que l’accident de la circulation implique un véhicule terrestre à moteur. L’implication est différente de la causalité : dire qu’un véhicule doit être impliqué dans un accident ce n’est pas exigé qu’il soit la cause de l’accident. Là aussi il faut distinguer les hypothèses où il y a contrat de celles où le contrat est absent. Avant un arrêt du 23 mars 1994, la jurisprudence opérait une distinction entre les véhicules qui étaient en mouvement où il découlait une présomption d’implication et les véhicules qui étaient en stationnement : elle avait posé le critère du rôle perturbateur de la circulation pour déterminer si le véhicule en stationnement pouvait être impliqué dans la circulation. Mais elle a finit par abandonner la distinction entre véhicule en mouvement et en stationnement en 1994 où s’agissait d’un vélo ayant heurté une camionnette : le fait qu’un véhicule ne perturbe pas la circulation n’exclue pas son implication.

Pour une application de la loi afin d’indemniser les victimes, la loi impose certaines conditions tenant aux véhicules et aux circonstances de l’accident mais aussi des conditions tenant aux victimes elles-mêmes.

B – La situation des victimes

L’article 3 dans son alinéa 1 énonce que les victimes peuvent être indemnisées pour les dommages causés à leur personne, ce qui exclut du régime d’indemnisation les dommages causés aux biens. Cet article s’attache aussi bien aux victimes directes qu’aux victimes par ricochet mais pour que la loi s’applique il faut que la victime n’est pas été conductrice au moment de l’accident. En effet, la loi dans son article 3 précise bien « les victimes, hormis les conducteurs de véhicules terrestres à moteur, sont indemnisées ». Cette distinction entre les victimes conductrices et celles qui ne le sont pas est reprise dans l’article 4 de la loi qui s’attache plus spécifiquement aux victimes conductrices. Les alinéas suivant de la loi opèrent une nouvelle distinction entre les victimes non conductrices.

La victime directe est celle qui souffre personnellement du dommage. Avant la loi du 5 juillet 1995, elle se voyait opposer sa propre faute, son propre fait afin que l’auteur du dommage soit partiellement ou totalement exonéré de sa responsabilité. L’article 1384 al 1er permettait à l’auteur du dommage de s’exonérer par la preuve d’une cause étrangère, par le fait d’un tiers ou bien par le fait de la victime. Mais la loi Badinter sur les accidents de la circulation est venu mettre fin à ce régime général très défavorisant pour les victimes en venant dire que les victimes peuvent être indemnisées des dommages qu’elles subissent par leur personne sans que leur soit opposé leur propre faute, c’est à dire que même si la victime d’un accident de la circulation a commis une faute en ce qui concerne la réalisation du dommage ( à moins que ce soit une faute inexcusable), il ne lui en sera pas tenu rigueur, elle sera indemnisé de la même manière que si elle n’avait pas commis de faute.

La loi ne fait pas de distinction entre les victimes directes et les victimes par ricochet, cette dernière est celle qui souffre d’un dommage qui a d’abord touché une personne, celle ci peut être même extérieur au véhicule. C’est pour cela que la victime par ricochet va emprunter le même régime d’indemnisation que la victime directe et immédiate. Un arrêt rendu par la chambre mixte le 28 mars 1997 traite de la faute commise par la victime directe et qui limite son droit à indemnisation alors que la victime par ricochet e va aussi en subir les conséquences car son droit à indemnisation va se trouver empêcher ou limiter, en l’espèce, le père avait perdu son enfant de 2 ans, il a demandé la réparation de son préjudice et là il n’agissait pas en temps que conducteur mais en temps que victime par ricochet : on a donc considéré à partir de là que la faute de la victime par ricochet conductrice devait être prise en compte pour exclure ou limiter son droit à indemnisation.

L’article 3 de la loi pose donc le principe d’indemnisation des victimes des accidents de la circulation en les soustrayant de l’opposabilité de leur propre faute mais par contre ces victimes peuvent se voir opposer leur faute si elle revêt un caractère inexcusable, si elle a été la cause exclusive de l’accident.

 

 

II – LA FAUTE INEXCUSABLE, CAUSE EXCLUSIVE DE L’ACCIDENT : L’UNIQUE CAUSE D’UNE ABSENCE D’INDEMNISATION.

L’article 3 de la loi pose une exception au principe d’indemnisation des victimes des accidents de la circulation : la victime qui a commis une faute inexcusable qui a été la cause exclusive de l’accident ne pourra pas être indemnisée.

La loi ne donne pas de définition de la notion de faute inexcusable, c’est donc la jurisprudence qui en a tiré des éléments objectifs et des éléments subjectifs afin de la caractériser.

A – L’élément objectif de la faute inexcusable

La question s’était posée de savoir ce qu’était une faute inexcusable, cette notion était déterminante car elle constituait l’exception au principe d’indemnisation des victimes des accidents de la circulation. C’est un concept difficilement appréciable : il fallait trouver un élément objectif, susceptible d’être le critère de référence à tous les cas que les tribunaux pouvaient apprécier. Au sujet des accidents du travail, la Cour de cassation avait équilibré les données objectives et subjectives afin de distinguer la faute inexcusable tant de la faute intentionnelle que de la faute lourde : « la faute inexcusable s’entend d’une faute d’une gravité exceptionnelle, dérivant d’un acte ou d’une omission volontaire, de la conscience du degré que devait en avoir son auteur de l’absence de toute cause justificative et se distinguant par le défaut d’un élément intentionnel de la faute » (15 juillet 1941).

Cependant, cette définition appliquée pour les accidents du travail ne pouvait pas être intégralement appliquée pour les accidents de la circulation, il fallait qu’elle favorise les victimes. Un arrêt rendu par la 2ème chambre civile le 20 juillet 1987 est venu dire que la faute inexcusable était celle d’une exceptionnelle gravité exposant sans raison valable son auteur à un danger dont il aurait dû avoir conscience. Le critère de référence était donc ici la gravité exceptionnelle de la faute commise. Cette solution a été reprise par la chambre criminelle en 1988. L’exigence de la gravité exceptionnelle est l’élément objectif de la définition de la faute inexcusable. De simples inattentions, des imprudences ou des inadvertances ne seraient donc pas se ranger parmi les fautes inexcusables. Le garde des Sceaux lui avait dit que la faute inexcusable était celle des « asociaux de la circulation ». La Cour de cassation admet que la faute soit inexcusable dans des cas extrêmement rares : en effet elle qualifie d’inexcusable le fait pour un piéton de traverser la chaussée en dehors du passage protégé, celle de traverser une autoroute la nuit à pied… La jurisprudence relève que le plus souvent les fautes inexcusables sont relevées à l’encontre de comportements de non-conducteurs sur des autoroutes ou de très larges voies de grande circulation.

A cet élément objectif, s’ajoutent deux éléments subjectifs.


B – Les éléments subjectifs de la faute inexcusable

Ces deux éléments subjectifs sont d’une part le caractère volontaire de la faute commise et d’autre part la conscience du danger. Ces éléments sont énoncés en même temps que l’élément objectif de la faute inexcusable : dans l’attendu de principe de l’arrêt du 20 juillet 1987.

Le caractère volontaire de la faute s’applique à l’acte lui-même et non à ses conséquences dommageables qui elles n’ont pas été voulues, par exemple, le fait que le piéton traverse l’autoroute. Il n’est pas nécessaire pour évaluer le caractère volontaire de la faute de rechercher si l’auteur du dommage a voulu commettre le dommage qu’il a provoqué, il suffit juste de regarder si l’acte commis a été voulu ou s’il a été au contraire la conséquence d’un manquement au discernement. Cet élément parait plutôt objectif mais en fait il dépend de chaque individu : il faut établir non que la victime s’est effectivement rendu compte des conséquences dommageables que son acte pouvaient entraîner, mais que, compte tenu des circonstances, elle aurait dû avoir conscience du danger.

C’est ici le deuxième élément : la conscience du danger. Mais alors un individu dépourvu de discernement peut commettre des fautes inexcusables, serait-il alors considérée comme telle ? Un trouble de discernement chez des aliénées est admissible mais par contre la faute inexcusable commise par des individus ayant abusé d’alcool, de drogue ne peut pas être regardée comme une faute inexcusable.

Il faut donc une faute inexcusable pour que la victime ne soit pas indemnisée, mais la loi de 1985 appelle une autre condition : il faut que cette faute est été la cause exclusive de l’accident : une faute qui n’a pas encouru à la réalisation du dommage ne peut pas être prise en compte.

 

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