L’antiquité greco-romaine et les origines des libertés publiques.
Les libertés publiques, telles que nous les concevons aujourd’hui, trouvent leurs racines dans l’Antiquité gréco-romaine. Toutefois, il est important de nuancer cet héritage : ces sociétés n’ont pas développé une conception universelle des droits, mais ont posé les bases de certaines idées fondamentales qui inspireront, bien plus tard, l’élaboration des libertés modernes.
I) L’apport Grec : une liberté collective et politique
Dans la Grèce antique, la notion de liberté individuelle telle qu’elle est entendue aujourd’hui n’existait pas. Ce qui prévalait était une conception de la liberté politique, centrée sur la participation des citoyens à la gestion de la cité. Cette forme de liberté, qu’on pourrait qualifier de liberté-participation, marque l’origine d’un système où les droits étaient conçus comme des outils fonctionnels au service du bien commun.
A) Les spécificités de la liberté dans les cités grecques
1. La liberté politique : une exclusivité des citoyens
- Les cités grecques, en particulier Athènes, ont développé l’idée que les citoyens masculins libres avaient le droit et le devoir de participer aux affaires publiques. Cette liberté-participation est emblématique du système démocratique athénien.
- Cependant, cette liberté n’était accessible qu’à une minorité de la population : les femmes, les enfants, les esclaves et les étrangers (métèques) étaient exclus des droits civiques.
2. La primauté de la cité sur l’individu
- Dans les cités grecques, l’individu était entièrement subordonné à la cité. Cette primauté absolue de la communauté politique réduisait l’individu à un rôle fonctionnel, ce qui explique pourquoi les Grecs ne sont pas les inventeurs des libertés individuelles modernes.
- L’idée de droit naturel, ébauchée à cette époque, servait davantage à justifier les inégalités, notamment l’esclavage. Selon Aristote, dans La Politique, l’esclavage était une donnée naturelle : il distinguait entre les esclaves de guerre (capturés au combat) et les esclaves de naissance, qu’il considérait comme des « instruments animés », niant ainsi leur humanité.
3. L’égalité politique limitée
- Dans son célèbre discours funéraire, l’Orézon de Périclès, Périclès célèbre la démocratie athénienne comme un modèle où « la loi est la même pour tous ». Toutefois, cette égalité politique ne concernait que les hommes libres et non les femmes, les esclaves ou les enfants.
- Afin de permettre aux citoyens de se consacrer pleinement à la vie politique, Athènes a introduit des indemnités pour les participants aux institutions, une première forme de rudiment d’égalité sociale. Ces indemnités soulignaient l’importance du rôle civique tout en prévenant les déséquilibres sociaux susceptibles de menacer la cité.
4. Réflexion sur les régimes politiques
- Les philosophes grecs, à travers des œuvres comme celles d’Aristote et les discours politiques, ont commencé à classifier les différents régimes politiques (monarchie, oligarchie, démocratie). Périclès défendait la démocratie directe, où chaque citoyen jouait un rôle dans le pouvoir législatif et exécutif.
- Contrairement aux systèmes modernes, la démocratie grecque ne reposait pas sur l’élection : les magistrats étaient pour la plupart tirés au sort, sauf pour certains postes nécessitant des compétences particulières.
B) Les prémices de la liberté civile et l’obéissance à la loi
1. La liberté civile : une inspiration pour l’Habeas Corpus
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Bien que limitée aux citoyens, la liberté civile visait à protéger la personne contre l’arbitraire. Cette idée a inspiré plus tard des principes comme l’Habeas Corpus, garantissant le respect des droits fondamentaux face aux abus de pouvoir.
2. « La liberté par la loi, mais l’assujettissement à la loi »
- Cours de Droit des libertés publiques et fondamentales
- État de siège, état d’urgence, théorie des circonstances exceptionnelles…
- L’article 16 de la Constitution : Les pleins pouvoirs
- Le régime répressif ou préventif des libertés publiques
- La protection des libertés par le droit administratif
- Le juge, protecteur des libertés publiques
- La Constitution et la loi, gardiennes des libertés
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Les Grecs considéraient la liberté non comme l’absence de contraintes, mais comme l’obéissance à des lois générales établies collectivement. La loi était perçue comme l’expression de la volonté commune, et s’y soumettre était une condition de la vie en communauté.
3. Les réformes de Solon : une tentative d’émancipation économique
- Solon, législateur athénien du VIᵉ siècle av. J.-C., a marqué l’histoire en préconisant l’abolition de l’esclavage pour dette. Cette mesure visait à réduire les inégalités économiques, même si elle ne remettait pas en cause l’existence même de l’esclavage.
C) Une conception embryonnaire des libertés publiques
Malgré les avancées remarquables en matière de gouvernance et de participation politique, la Grèce antique ne connaissait aucune notion de liberté individuelle ou universelle. Les droits étaient strictement fonctionnels et réservés aux citoyens libres.
- La liberté athénienne impliquait l’absence de contraintes économiques, grâce aux indemnités publiques, et l’obéissance volontaire aux lois.
- La réflexion grecque sur les régimes politiques et les concepts de citoyenneté a néanmoins jeté les bases de la démocratie moderne, tout en restant limitée par les inégalités structurelles de leur société (exclusion des femmes, maintien de l’esclavage, subordination des individus à la cité).
En résumé, l’apport grec réside dans l’élaboration d’une liberté collective et politique au service de la cité, mais il ignore largement les droits individuels et universels, qui ne seront véritablement développés qu’à l’époque moderne.
II) L’apport Romain, vers une conception universelle des droits
L’Empire romain, à la différence des cités grecques, s’est caractérisé par une ouverture cosmopolite et une évolution progressive vers une conception plus universelle de l’homme et des droits. Bien que limité par les contraintes économiques et sociales de l’époque, notamment le maintien de l’esclavage, le droit romain a joué un rôle fondamental dans la structuration des libertés publiques.
1. Une société cosmopolite et ouverte
- L’Empire romain, en intégrant une multitude de peuples et de cultures, a favorisé une vision universelle de l’humanité. La notion de « citoyen du monde » s’est peu à peu imposée, notamment avec l’extension progressive des droits civiques aux populations conquises.
- Cette approche s’est concrétisée par l’édit de Caracalla (212 après J.-C.), qui accordait la citoyenneté romaine à tous les hommes libres de l’Empire, renforçant l’idée d’une égalité juridique au sein de cet immense territoire.
2. La liberté de la pensée : une notion inaliénable
- Malgré le maintien de l’esclavage comme fondement du système économique, la pensée stoïcienne, incarnée par des philosophes comme Épictète (lui-même ancien esclave), a introduit l’idée d’une liberté intérieure inaliénable.
« L’homme libre est celui qui maîtrise sa pensée. »
Cette idée marquait une rupture avec la tradition grecque, en affirmant que même l’esclave possède une part de liberté fondamentale que personne ne peut lui retirer.
3. Une évolution progressive des statuts civiques
- Les Romains ont progressivement accordé des droits civils et politiques aux peuples qu’ils dominaient, reconnaissant ainsi la diversité des communautés et leur intégration dans un cadre juridique commun.
- Des esclaves affranchis (les libertini) ont pu accéder à des fonctions importantes, devenant parfois des conseillers influents auprès de leurs anciens maîtres. Cette intégration relative a contribué à une remise en cause partielle du système esclavagiste, bien que ce dernier n’ait jamais été aboli, en raison de son rôle central dans l’économie romaine.
4. L’apport du droit romain : une structure juridique au service des libertés
Les Romains étaient avant tout des juristes pragmatiques, qui ont structuré le droit en un ensemble cohérent et accessible. Cet héritage a eu un impact durable sur la reconnaissance des libertés.
a) L’institutionnalisation des libertés
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Les Romains ont donné aux citoyens et aux justiciables des moyens d’action juridique pour défendre leurs droits. En développant des procédures claires et en permettant aux individus de saisir la justice, ils ont rendu les libertés plus effectives.
b) Les revendications des affranchis
- Les esclaves affranchis ont joué un rôle essentiel dans la construction des libertés civiles et politiques. Leur combat pour l’égalité a permis de poser les bases d’une reconnaissance élargie des droits au sein de l’Empire.
5. Les limites de l’héritage romain
Malgré ces avancées, l’Empire romain n’a pas remis en cause certains fondements sociaux inégalitaires :
- Le maintien de l’esclavage : Bien que des progrès aient été réalisés (reconnaissance des droits des affranchis, rôle politique de certains esclaves), l’esclavage est resté une institution centrale.
- L’inégalité des droits : Les femmes, bien qu’elles aient bénéficié d’une meilleure reconnaissance sous l’Empire que dans la Grèce antique, restaient largement subordonnées aux hommes sur le plan juridique.
En résumé, l’apport romain réside dans sa vision cosmopolite et universelle des droits, ainsi que dans son génie juridique, qui a structuré les libertés publiques en les rendant effectives. Bien que limité par ses inégalités sociales, l’Empire romain a jeté les bases d’une réflexion sur les libertés applicables à tous les citoyens, qui inspirera les systèmes juridiques ultérieurs.