L’application de la loi étrangère en droit international

L’APPLICATION DE LA LOI ÉTRANGÈRE

Une fois que le mécanisme contractuel a fonctionné, la question est de savoir quel est le traitement procédural de la loi étrangère. La loi étrangère est considérée comme du fait et non pas comme du droit. Il va donc falloir d’abord établir le contenu de cette loi.

  • 1 : L’établissement du contenu de la loi étrangère

La question est de savoir qui doit établir ce contenu ? Le juge, le demandeur, le défenseur ?

Outre la question de l’office du juge, se pose aussi la question de la charge de la preuve.

A-/ L’application de la loi étrangère par le juge

On retrouve en partie la jurisprudence Bisbal qui porte sur l’office du juge de la règle de la règle de conflit. Cet arrêt a réfléchi sur l’office du juge sur le contenu de la loi étrangère. Cet arrêt ne fait pas peser sur le juge l’obligation de rechercher la loi étrangère.

Il y a deux arrêts (« Rebou» et « Coveco») qui concernent l’office du juge au moment de la recherche de la règle de conflit : le juge doit rechercher la règle de conflit, même si les parties ne l’y invitent pas.

Avec ces deux arrêts, la doctrine a pensé que sur le contenu de la loi étrangère, la jurisprudence allait suivre, et le juge devrait aussi trouver le contenu de la loi étrangère.

Bien que l’on puisse considérer que c’est le rôle du juge, la jurisprudence a été plus chaotique sur cette question : elle va hésiter longtemps :

-Première réaction de la jurisprudence : arrêt de la Cour de cassation du 18 novembre 1992 (revue critique de droit international privé 1993, page 276) : le juge doit rechercher d’office le contenu de la loi étrangère dans des matières où les parties ne peuvent disposer de leurs droits (en l’espèce, il s’agissait d’un divorce).

Pour les matières dont on a la libre disposition (matière contractuelle), les hésitations sont possibles, et la Cour de cassation à plusieurs reprises a reproché aux cours d’appel de ne pas avoir recherché d’office le contenu de la loi étrangère.

-Étape jurisprudentielle avec l’arrêt «Amerford» du 16 novembre 1993 (Revue critique de droit international privé 1993, page 332). Cet arrêt évoque la libre disposition des droits et oblige le juge à appliquer d’office la loi étrangère quand les personnes ont la libre disposition ou pas de leurs droits.

Cet arrêt a été complété par un arrêt du 11 janvier 1996 «Agora Sopha» qui distingue les droits qui sont disponibles de ceux qui ne le sont pas. On ne parle plus de matières ou de droits disponibles, mais de droits disponibles. On passe ainsi à une approche analytique.

Dans aucun de ces arrêts, on ne dit ce que l’on entend par matière ou droit disponible (c’est donc au cas par cas).

Cette dualité est confirmée par des arrêts postérieurs :

Arrêt de la Cour de cassation du 1er juillet 1997 (revue critique de droit international privé de 1998, page 60) : en matière de divorce, «l’application de la loi étrangère désignée pour régir les droits dont les parties n’ont pas la libre disposition imposent au juge français de rechercher la teneur de cette loi».

Dans le deuxième arrêt du même jour, il s’agit de la matière contractuelle. «Attendu que pour les droits dont elles ont la libre disposition, les parties peuvent s’accorder pour demander l’application de la loi française malgré l’existence d’une convention internationale désignant la loi compétente».

Arrêts de la Cour de cassation des 24 novembre 1998 et 8 décembre de la même année (revue critique de droit international privé de 1999, page 88) : «il incombe au juge français qui applique la loi étrangère de rechercher la solution à la question litigieuse par le droit positif en vigueur dans l’État concerné».

Arrêt du 6 mars 2001 (revue critique de droit international privé 2002, page 335) a affirmé que c’était une obligation de moyen.

Arrêt de 2003 énonce que «le juge doit aller rechercher la loi étrangère par tout moyen».

B-/ La charge de la preuve

On commence à voir cette question dans un arrêt «Lautour» du 25 mai 1948 (revue critique de droit international privé 1949, page 89).

Cet arrêt a été confirmé par l’arrêt «Thiret» de 1984 : la charge de la preuve du contenu de la loi étrangère pèse sur la partie qui émet la prétention soumise à la loi étrangère.

Si la charge de la preuve n’est pas rapportée, soit la partie s’appuyant sur la loi étrangère est déboutée, soit le litige est gouverné à titre subsidiaire par la loi française.

Cette jurisprudence sur la charge de la preuve découle du fait que la loi étrangère est un élément de fait.

La jurisprudence Thiret avait précisé en disant : «la charge de la loi étrangère pèse sur la partie dont la prétention est soumise à celle de la loi et non sur celle qu’il invoque, fut-ce à l’appui d’un moyen de défense».

Dans l’arrêt « Amerford », la Cour de cassation nous donne une vision complète du problème.

«Dans les matières où les parties ont la libre disposition de leur droit, il incombe à la partie qui prétend que la mise en œuvre du droit étranger désigné par la règle de conflit française conduirait à un résultat différent de celui obtenu par la loi française de démontrer l’existence de cette différence par la preuve du contenu de la loi étrangère qu’elle invoque à défaut de quoi, le droit français s’applique en raison de sa vocation subsidiaire».

C’est celui qui a l’intérêt à l’application de la loi étrangère à faire la preuve du contenu de cette loi étrangère.

Mais la jurisprudence de la Cour de cassation continue à distinguer en droits disponibles et ceux qui ne le sont pas.

Arrêt «Agora» ajoute un élément et fait référence au Traité international : «S’agissant des droits disponibles, et non régi par un traité international…».

Cet arrêt Agora apporte ici une règle cohérente entre l’application d’office de la règle de conflit et la charge de la preuve. Quand les droits sont disponibles, les parties restent beaucoup plus libres. Par conséquent, une plus grande souplesse est permise.

Constat évident : la jurisprudence a été longue à évoluer. La Cour de cassation aura beaucoup de mal à abandonner la jurisprudence Bisbal pour des raisons pratiques et non pas théoriques.

À partir du moment où on positionne de façon plus cohérente la place du juge dans le procès, il est moins difficile à admettre que la loi étrangère est de fait.

Il y a en même temps banalisation du droit étranger dans le droit international privé français. Il y a aujourd’hui un retour de légitimité de l’application de la loi française quand on n’arrive pas à dégager le contenu de la loi étrangère.

  • 2 : L’interprétation de la loi étrangère

En France, il y a le bureau de droit européen et de droit international : il a un correspondant en Europe, et ce dernier va correspondre avec les différents bureaux européens.

Si on assiste à des difficultés insurmontables dans la recherche du droit étranger, dans ce cas, soit la partie qui se fonde sur cette recherche du droit étranger va être déboutée, soit (c’est plus souvent le cas), le juge va appliquer le droit du for.

Nous sommes dans l’hypothèse où le juge connaît le droit étranger. La question que l’on se pose est la suivante : la Cour de cassation va-t-elle contrôler l’application de ce droit étranger ? Normalement, elle devrait unifier le droit des juridictions françaises. Mais serait-il concevable que des Cours d’appel aient des conceptions, des interprétations différentes du droit étranger ?

Normalement, la réponse devrait être positive, car le droit étranger a les caractères du droit (il est général, abstrait et impératif par le jeu de la règle de conflit).

Or, la Cour de cassation française n’a jamais considéré qu’elle devait opérer un contrôle sur l’interprétation du droit étranger par les différentes juridictions françaises.

Dans un arrêt de 1918, la Cour de cassation a considéré qu’une décision fondée sur l’interprétation du droit étranger était du fait qui échappe au contrôle de la Cour de cassation.

On avait même dans un arrêt de 1861 donné une explication à cela : «La Cour de cassation instituée pour établir l’unité de la loi française n’avait pas mission de redresser la fausse application de la loi étrangère».

Toute une série d’arrêts ont suivi en disant toujours que ça relève des juges du fond.

Une explication a été donnée par un avocat général Hello dans une affaire de 1818 : il dit que « ni la nation française, ni la souveraineté de la France ne reçoit aucun dommage si les lois étrangères ne sont pas observées».

La loi étrangère évolue dans un cadre conceptuel particulier.

Bien que devant la Cour de cassation, la loi étrangère soit considérée comme du fait, devant les juges du fond, elle sera traitée comme du droit.

La Cour de cassation doit unifier une source de droit française et elle dit ce que le droit français doit être.

Mais quand elle applique le droit étranger, on lui reconnaît le caractère général, abstrait et impératif, mais de façon différente du droit interne : on considère ce qui doit être à l’étranger : c’est un fait. Par exemple, il s’agit du principe de l’effectivité. On a parlé de reproduction photographique du droit étranger, de la façon la plus fidèle qui soit.

Pourquoi cette prudence excessive ? La Cour de cassation a peur d’un risque de divergence entre sa propre interprétation du droit étranger et celle de la juridiction suprême étrangère.

Il faudrait distinguer deux cas de figure :

-Le droit est fixé à l’étranger par la Cour suprême étrangère. On devrait alors normalement respecter le droit étranger. Par conséquent, la Cour de cassation devrait faire respecter le droit de la Cour suprême.

-La Cour de cassation risque de perdre son prestige si elle se trompait dans l’interprétation.

En réalité, la Cour de cassation suit sa mission d’unification du droit française en matière de droit étranger, mais en fait, ce n’est pas tout à fait vrai. :

La première fois que l’on voit apparaître la notion de dénaturation de la loi étrangère, c’est avec l’arrêt « Montefiore», rendu par la Cour de cassation le 21 novembre 1961. Avec cet arrêt, la Cour de cassation constate une dénaturation manifeste du droit étranger, et donc, intervient et contrôle l’application du droit étranger par le biais de la dénaturation. Toutefois, la Cour de cassation a encadré très strictement la dénaturation.

La dénaturation est possible lorsque le jugement méconnaît le sens clair et précis d’une disposition étrangère. Les conditions sont sévères, il faut la dénaturation d’une loi étrangère : dans un premier temps, la dénaturation ne visait que la loi étrangère, mais dans un second temps, un arrêt du 13 novembre 2003 est venu y ajouter la jurisprudence.

Deuxième condition : il faut que cette dénaturation soit claire et précise de ce qui est dans le champ procédural (dans les débats publics). C’est donc une conception étroite et formaliste qui a été retenue par la Cour de cassation.

Même s’il y a de petites avancées qui vont dans le sens d’une interprétation de la loi, la jurisprudence est en fait très maigre à ce sujet.

En conclusion sur la loi étrangère applicable, il faut dire qu’il y a une très grande hétérogénéité de son statut : la loi est à la fois considérée comme du fait et du droit. On accepte le caractère juridique du droit étranger, mais en même temps, on ne lui enlève pas toujours ses éléments du droit.